Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 10
Efforts de Duprat pour obtenir la persécution, et résistance de François Ier

(1527, 1528)

2.10

Louise de Savoie et Duprat – François Ier et le seizième siècle – Marché que le clergé propose – Marguerite encouragée – Ses promenades à Fontainebleau – Elle accouche à Pau – Martyre de De la Tour – La reine retourne en hâte à Paris – Concile à Paris – Duprat sollicite le roi – Conciles dans le reste de la France – Duprat et le parlement se réconcilient – Le roi s’oppose à la persécution

Une femme régnait dans les conseils du roi ; disposée d’abord à se moquer des moines, elle s’était rangée, depuis la défaite de Pavie, du côté des prêtres. Au moment où la puissance royale recevait une si forte atteinte, elle avait vu que leur pouvoir demeurait et en avait fait ses auxiliaires. C’était la mère de François Ier, Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, digne de précéder Catherine de Médicis. Femme habile, « dame absolue en ses volontés bonnes ou mauvaises, » dit Pasquier ; esprit fort, qui pouvait étudier la nouvelle doctrine comme une curiosité, mais qui la méprisait ; femme galante sur laquelle Beaucaire, Brantôme et d’autres racontent maintes anecdotes scandaleuses, mère enthousiaste et absolue, qui conserva toute sa vie un pouvoir presque souverain sur son fils, Louise avait sous la main deux armées dont elle disposait à son gré. L’une était composée de filles d’honneur, au moyen desquelles elle introduisait dans la cour de France la galanterie, le scandale, l’indécence même du langage ; l’autre était formée d’hommes intelligents, rusés, sans religion, sans moralité, sans scrupules, à la tête desquels brillait Duprat.

Celui-ci était le soutien sur lequel la Sorbonne croyait pouvoir compter. Entreprenant, systématique, à la fois souple et ferme, servile et tyrannique, intrigant et débauché, souvent irrité, jamais découragé, « très habile, scientifique et subtil, » dit le Bourgeois de Paris ; « l’un des plus pernicieux hommes qui fussent oncques, » dit un autre historiena. Duprat vendait les offices, pressurait le peuple, et si on lui remontrait ses désordres, il faisait mettre les remontrants à la Bastilleb. Cet homme, archevêque de Sens, qui était alors cardinal, et aspirait à devenir légat a latere, devenu prince de l’Église romaine, mettait à son service son influence, sa volonté de fer et même sa cruauté.

a – Reynier de la Planche, Histoire de l'État de France, p. 8.

bJournal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 160.

Mais rien ne pouvait se faire sans le roi. Louise de Savoie et le cardinal, connaissant sa légèreté et son amour des plaisirs, et sachant qu’en fait de religion, il n’aimait que les pompes et les cérémonies, espéraient l’entraîner facilement à combattre la Réforme. Pourtant François hésitait, il résistait même. Il prétendait avoir un grand goût pour les lettres ; or l’Évangile, à ses yeux, en faisait partie. Il cédait volontiers à sa sœur ; or elle plaidait chaudement la cause des amis de l’Évangile. Il détestait l’orgueil des prêtres. La hardiesse avec laquelle ils mettaient en avant des idées ultramontaines, plaçaient un autre pouvoir, celui du pape, au-dessus du sien, attaquaient ses idées, dans des conversations, dans des pamphlets et jusque dans la chaire ; leur caractère remuant, leur confiance présomptueuse dans le triomphe de leur cause, tout cela irritait ce prince, le plus susceptible qui existât jamais ; et il était charmé de voir un homme tel que Berquin humilier les vanteries des clercs.

Toutefois il put bien y avoir dans le roi quelques motifs plus élevés. Il voyait l’esprit humain déployer dans tous les sens une activité nouvelle. Le monde littéraire, le monde philosophique, le monde politique, le monde religieux, toutes les sociétés subissaient dans la première moitié du seizième siècle d’importantes transformations. Or François Ier eut peut-être quelquefois un sentiment confus qu’au milieu de tous ces mouvements divers, il y en avait un qui était le mouvement principal, le fait dominant, le principe générateur, et si je puis dire le fiat lux de la création nouvelle. Il vit que la Réformation était la grande force qui agissait alors dans le monde ; que toutes les autres lui étaient subordonnées ; que c’était à elle qu’appartenait, suivant un antique oracle, l'assemblée des peuplesc ; et dans ces moments où son œil était clair, il voulait s’associer à ce pouvoir invisible qui faisait plus que tous les autres pouvoirs. Malheureusement ses passions troublaient bientôt sa vue, et après avoir entrevu le jour, il se plongeait de nouveau dans la nuit.

cGenèse 49.10.

Quant à Duprat, il n’avait pas d’hésitation ; il se mettait résolument du côté des ténèbres ; son ambition, son avidité l’y poussaient ; il était toujours avec les ultramontains. La lutte allait donc s’engager entre les meilleures aspirations du roi et les complots de la cour de Rome. Il était difficile de dire à laquelle de ces deux puissances le triomphe appartiendrait. Le chancelier-cardinal, toutefois, n’en doutait pas ; il combina l’attaque avec habileté, et crut avoir trouvé un moyen, vil sans doute, mais sûr, d’opprimer la Réforme.

Le roi devait pourvoir aux charges considérables que le traité de Madrid lui imposait, et il n’avait rien. Il s’adressa au clergé. « Bon, dirent les clercs, profitons de l’occasion qui nous est offerte. » Ils promirent un million trois cent mille livres, mais demandèrent en échange, d’après les suggestions de Duprat, que Sa Majesté « extirpât la damnable et insupportable secte luthérienne qui depuis quelque temps était latitement entrée dans le royaumed. » Le roi, ayant besoin d’argent, devait être prêt à tout accorder pour remplir ses coffres ; il semblait donc que c’en était fait, non seulement de Berquin, mais de toute la Réforme.

d – Isambert, Revue des anciennes lois françaises, XII, p. 258.

Marguerite, alors à Fontainebleau avec le roi de Navarre, apprit la demande faite au roi par le clergé, et trembla que François ne livrât ses amis aux persécutions du cardinal. Elle chercha aussitôt à exercer sur son frère cette influence à laquelle il cédait alors facilement. Elle réussit ; le roi, tout en mettant dans ses coffres la contribution du clergé, n’ordonna point l'extirpation de l'hérésie luthérienne.

Cependant Marguerite n’était point rassurée. Elle ressentait de vives angoisses à la pensée du danger que courait l’Évangile.

Vrai Dieu du ciel, réconforte mon âme !

disait-elle dans l’une de ses poésies. Elle fut en effet réconfortée. Le vieux Lefèvre, qui traduisait alors la Bible et les homélies de Chrysostome sur les Actes des apôtres, et qui faisait apprendre par cœur les psaumes de David à son jeune élève, le duc d’Angoulême, ranima son feu et de sa voix éteinte l’affermit dans la foi. Ne craignez pas…, disait-il, l’élection de Dieu est très puissantee. » « Prions en foi, disait Roussel, le tout est que la foi accompagne notre prière. » Les amis de Strasbourg demandèrent à Luther de la fortifier par quelque bonne épître. Érasme, apprenant les dangers que l’Évangile courait, fut ému, et de cette même plume avec laquelle il avait découragé Berquin :

e – « Dei autem electio efficacissima et potentissima. » (Fabri Comment.)

« O reine ! écrivit-il ; reine encore plus illustre par la pureté de vos mœurs, que par l’éclat de votre race et de votre couronne, ne craignez point ! Celui qui fait tourner toutes choses au bien de ceux qu’il aime, sait ce qui nous est bon, et quand il le jugera convenable, il donnera subitement à nos affaires une heureuse issuef. C’est quand la raison humaine désespère de tout, que la sagesse impénétrable de Dieu se manifeste dans toute sa gloire. Il ne peut rien arriver que d’heureux à celui qui a fixé en Dieu l’ancre de son espérance. Remettons donc tout en ses mains… Mais, que fais-je ?… Ah ! je sais, Madame, qu’il n’est pas nécessaire de vous exciter par de puissants aiguillons, et que nous devons plutôt vous rendre grâces, de ce que vous protégez contre la malice des méchants, les bonnes lettres et tous ceux qui aiment sincèrement Jésus-Christg. »

f – « Omnia repente vertet in laetum exitum. » (Erasmus Reginæ Navarræ, août 1527.)

g – « Bonas litteras ac viros, sincere Christum amantes tueri » (Erasmus Reginæ Navarræ, août 1527.)

L’état dans lequel la reine se trouvait, vint bientôt donner un nouveau cours à ses pensées. Elle attendait une fille, et en parlait souvent dans ses lettres. Cette fille devait en effet lui être donnée, et même devenir la plus forte des femmes de son siècle. Calme, un peu triste, Marguerite, qui se trouvait seule à cette époque dans la magnifique demeure de Fontainebleau, y cherchait quelques distractions, jouissait des beautés de la nature qui l’entouraient, et se promenait chaque jour dans le parc et dans la forêt. « Ma grossesse, écrit-elle le 27 septembre 1527, ne m’empêche pas de visiter deux fois le jour ces jardins où je me trouve merveilleusement à mon aise. » Elle marchait lentement, elle pensait à la naissance de son enfant ; elle admirait la lumière du soleil, puis, revenant à ce qui tenait la première place dans son cœur, elle se rappelait le vrai Soleil (Jésus-Christ), se désolait de ne pas voir ses rayons éclairer toute la France, et s’écriait :

Las ! il est temps que cette obscure nue
Où tu te tiens, tu veuilles rompre et fendre.
Tous bons esprits, te voyant retenue,
En gémissant désirent ta venue,
Que longuement tu fais ci-bas attendre.
Holà ! viens, viens, Seigneur Jésus, descendre,
Illuminant notre ténèbre obscure ;
Fais-nous bien voir notre rien, notre cendre,
Et ta bonté qui de rien prend la cureh.

hMarguerites de la Marguerite des Princesses, très illustre Royne de Navarre. Lyon, chez De Tournes, 1547, I, p. 90 et suiv.

Il semble que le séjour de Marguerite près du roi, arrêtait les persécuteurs ; mais elle dut bientôt leur laisser le champ libre. Le moment de ses couches approchait. Le roi Henri d’Albret n’avait point été en Béarn depuis son mariage ; peut-être désirait-il que sa fille naquît dans le château de Pau. Le roi et la reine de Navarre partirent donc en octobre 1527 pour leurs possessions des Pyrénéesi. Deux mois plus tard, le 7 janvier, Jeanne d’Albret naquit ; c’est à tort qu’on l’a fait naître à Fontainebleau ou à Blois.

iLettres de la reine de Navarre, I, p. 224 ; II, p. 87.

A peine la reine de Navarre était-elle partie pour le Béarn, que Duprat et la Sorbonne avaient cherché à réaliser leurs cruels desseins. Au nombre des gentilshommes de Jean Stuart, duc d’Albany, se trouvait un seigneur du Poitou, nommé De la Tour. Le duc d’Albany, membre de la famille royale d’Écosse, avait été régent de ce royaume, et De la Tour avait habité avec lui Edimbourg. Il y avait profité de son temps. Quand le seigneur duc était régent d’Écosse, disait-on, le sieur De la Tour y a semé plusieurs erreurs luthériennesj. » Ce gentilhomme français aurait donc été l’un des premiers réformateurs de l’Écosse. Il ne montrait pas moins de zèle à Paris qu’à Edimbourg, ce qui déplaisait fort aux prêtres. De plus, le duc d’Albany, en faveur auprès du roi, déplaisait lui-même à l’ambitieux chancelier. Un procès fut instruit ; François Ier, qui n’avait plus près de lui son bon génie, ferma les yeux ; le sieur De la Tour et son serviteur, évangélique comme lui, furent condamnés par le parlement pour cause d’hérésie. Puis, le 27 octobre 1527, ces deux pieux chrétiens furent liés sur la même charrette et lentement conduits au marché aux pourceaux, pour y être brûlés. La charrette s’étant arrêtée : « Çà, dirent les bourreaux au serviteur, descends de là. » Ledit serviteur descendit et se tint debout derrière le véhicule. On le dépouilla de ses habits ; on le battit de verges en présence de son maître, et tant et si fort on le frappa, que le pauvre valet déclara se repentir ; en conséquence, on en agit miséricordieusement avec lui, se contentant de lui couper la langue. On espérait ébranler ainsi De la Tour ; mais celui-ci vivement ému, leva ses regards au ciel, promit à Dieu de lui rester fidèle, et aussitôt une joie ineffable remplaça l’angoisse qui l’avait agité. Il fut brûlé vif.

jJournal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, publié par la Société d’histoire, p. 327.

Marguerite dut apprendre à Pau la mort du pieux De la Tour ; quoi qu’il en soit, elle partit pour Paris peu après ses couches, en donnant à ses gens l’ordre de se hâter. Qu’est-ce qui la rappelait si promptement dans la capitale ? Etait-ce la nouvelle de quelque danger qui menaçait l’Évangile ? Un concile était sur le point de se réunir à Paris ; désirait-elle être à portée de détourner les coups qu’il porterait à ses amis ? C’est la raison que donne un historienk. Elle était délibérée de faire diligence » et à peine relevée de ses couches, cette princesse, d’une constitution faible, traversait les sables et les marais des Landes, violemment cahotée, et pressant son courrier d’avancer. Elle se plaint des mauvais chemins dans une lettre écrite de Barbezieux. « Je ne saurais rien trouver difficile, dit-elle, ni faire journées qui me puissent travailler. J’espère être en dix jours à Bloisl. »

k – A. Favin, Histoire de Navarre, 1612.

lLettres de la reine de Navarre, I, p. 236.

Il était temps. La mort de De la Tour n’avait satisfait ni le chancelier ni la Sorbonne. Ils voulaient l’extirpation de l'hérésie et non pas seulement la mort d’un hérétique. Ne l’ayant pas obtenue au moyen de l’impôt du clergé, ils étaient décidés à la chercher d’une autre manière. Duprat écoutait les rapports, prenait note de ce qu’il apercevait dans les rues. Rien ne l’irritait comme de voir des laïques, même des femmes, passer en détournant la tête devant les portiques des églises, se glisser dans des rues solitaires, se réunir dans les caves ou les greniers, où des individus qui n’avaient pas reçu les ordres sacrés, priaient à haute voix et lisaient les saintes Écritures. N’avait-il pas, en 1516, abrogé la pragmatique sanction et dépouillé l’Église gallicane de sa liberté ? Ne parviendrait-il donc pas, avec bien moins de peine, à immoler cette nouvelle Église libre, un pauvre et méprisable troupeau ? Un concile provincial devant se tenir à Paris, Duprat résolut d’en profiter pour frapper les grands coups.

Le 28 février 1528, le concile s’étant ouvert, le cardinal-archevêque s’y rendit avec pompe, puis se leva et dit au milieu d’un grand silence : « Messieurs, une peste terrible, suscitée par Martin Luther, a détruit la foi orthodoxe. Une tempête s’est déchaînée sur la nacelle de saint Pierre, qui ballottée par les vents, est menacée d’un affreux naufragem … Luther ne diffère pas de Manichée… Et pourtant, ô révérends pères ! ses adhérents se multiplient dans notre province ; ils tiennent en beaucoup de lieux des conventicules secrets ; ils se réunissent avec des laïques dans les parties les plus retirées des maisonsn ; ils discutent la foi catholique avec des femmes et des ignorants !… »

m – « Dirum concussae Petri naviculæ naufragium intentari. » (Labbæi Concilia, XIV, p. 432.)

n – « Cum laicis, sese in penetralibus domorum recipere. » (Ibid., p. 442.)

On le voit, ce n’était pas proprement l’hérésie que le chancelier reprochait à la Réformation, c’était la liberté. Une religion qui n’était pas exclusivement dans la main des prêtres, était à ses yeux plus alarmante que l’hérésie. Si l’on tolérait de telles coutumes, ne verrait-on pas un jour, des gentilshommes, des bourgeois et même des gens sortis des rangs du peuple, prétendre avoir quelque chose à dire dans les affaires de l’État ? Les libertés constitutionnelles des temps modernes se trouvaient en germe dans la Réforme ; le premier ministre ne s’y trompa pas. Il voulait du même coup trancher la tête et à la liberté religieuse et à la liberté politique. Il trouva dans les prêtres assemblés à Paris, des complices enthousiastes. Le concile rendit un décret par lequel il ordonna aux évêques et même à tous les habitants des diocèses de dénoncer tous les luthériens de leur connaissance.

Le roi confirmerait-il ce décret ? Duprat était inquiet. Il recueillit ses pensées, arrangea ses arguments, et se rendit au palais avec l’espoir d’entraîner son maître. « Sire, lui dit-il, Dieu pourrait sans votre secours exterminer toute cette cohorte hé rétiqueo ; mais, dans sa grande bonté, il daigne appeler les hommes à son aide. Qui pourrait raconter la gloire et la félicité de tant de princes qui, dans les siècles passés, ont traité les hérétiques comme les grands ennemis de leur couronne, et les ont livrés à la mort ? Si vous voulez obtenir le salut, si vous voulez conserver intacts vos droits souverains, si vous voulez contenir dans la tranquillité les nations qui vous sont soumises, Sire, défendez virilement la foi catholique et domptez par les armes tous ses ennemisp. » Ainsi parla Duprat ; mais François Ier se disait que si ses droits souverains étaient menacés, ce pouvait bien être par la puissance de Rome. Il fit encore le sourd.

o – « Posset sine dubio Deus, absque principibus, universam hæreticorum cohortem conterere ac exterminare. » (Labbæi Concilia, XIV, p. 432.)

p – « Ejus hostes viriliter debellare. » (Labbæi Concilia, XIV, p. 462.)

« Allons plus loin, dit le cardinal à sa chancellerie ; faisons demander l’extirpation de l’hérésie par l’Église tout entière. » Des conciles s’assemblèrent à Lyon, à Rouen, à Tours, à Reims, à Bourges, et l’on se gêna moins encore dans les provinces que dans la capitale. « Ces hérétiques, dirent de fougueux orateurs, invoquent le diable, et le font comparaître au moyen de certaines herbes ou de certains caractères. Ils sont des devins, des en chanteurs, des sacrilègesq !… » Mais tout fut inutile ; François Ier se faisait un plaisir de résister aux prêtres ; et Duprat rencontra bientôt un obstacle non moins puissant. Si les curés devaient dénoncer les enchanteurs, c’était le parlement qui devait les condamner ; or le parlement et le chancelier étaient brouillés. Quand Duprat, alors laïque et premier président du parlement, avait vu mourir sa femme, il avait calculé que cette perte pouvait être un gain, et s’était fait prêtre afin de s’emparer des plus riches bénéfices du royaume. D’abord il avait mis la main sur l’archevêché de Sens, quoique dans l’élection, il y eût vingt-deux voix contre lui, et pour lui une seuler. Peu après, il s’était emparé de la riche abbaye de Saint-Benoît. « C’est à nous seuls, avaient dit les moines, qu’appartient le choix de notre abbé ; » et ils avaient courageusement refusé de reconnaître le chancelier. Duprat, pour toute réponse, les fit mettre sous les verrous. Le parlement, indigné, envoya son huissier aux officiers de l’archevêque et les assigna à comparaître ; ceux-ci sautèrent sur le messager et le rouèrent tellement de coups qu’il en mourut. Le roi donna gain de cause à son premier ministre, et la discorde entre le chancelier et le parlement devint encore plus vive.

q – « Usu herbarum et sacrilego ritu characterum. » (Ibid., p. 426.)

rJournal d'un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 2-29.

Duprat, qui désirait se réconcilier avec cette cour, dont l’influence lui était souvent nécessaire, s’imagina de la gagner au moyen de l’hérésie luthérienne, qu’ils détestaient l’un et l’autre également. Le parlement ne demandait pas mieux, de son côté, que de retrouver la faveur du premier ministre. Ces intrigues réussirent. « Le chancelier et les conseillers se livrèrent les uns aux autres la vérité, qu’ils estimaient n’être qu’un rien, comme qui jetterait une croûte de pain à un chien, » selon l’expression d’un réformateur. Il y eut alors une grande joie dans les sacristies et dans les couvents.

En effet, le chancelier, la Sorbonne et le parlement étant d’accord, il semblait impossible que la Réformation ne succombât pas sous leurs attaques combinées. « Il nous faut, se disaient-ils les uns aux autres, arracher toutes les mauvaises herbes ; » mais ils ne demandaient pourtant pas que l’action s’accomplît en un seul jour. « Si seulement le roi nous accorde quelque petite poursuite isolée, disaient les ennemis de la Réformation, nous engrènerons l’affaire de telle manière que tout le blé finira par tomber entre les meules. »

Cela même, ils ne pouvaient l’obtenir du roi ; les terribles meules étaient oisives et inutiles. L’agitation du clergé n’était aux yeux de François Ier que criailleries de moines ; il voulait protéger les lettres contre les attaques des ultramontains. Il sentait d’ailleurs que le plus grand danger qui menaçait son autorité était la puissance théocratique, et craignait toujours plus les prêtres, si remuants et si criards. La Réformation semblait sauvée, quand une circonstance funeste, inattendue vint la livrer à ses ennemis.

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