Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 15
Calvin appelé à Bourges à l’œuvre évangélique

(1528-1529)

2.15

Calvin près du lit de son père – Sa première lettre – Bèze arrive à Orléans – Calvin se rend à Bourges – Leçons brillantes d’Alciati – Wolmar et Calvin à Bourges – Wolmar l’appelle au ministère évangélique – Le prêtre et le ministre – Hésitation de Calvin – Il évangélise – Il prêche à Lignières – La mort de son père le rappelle – Prédications à Bourges – Tumulte

Un jour, c’était probablement au commencement d’avril 1528, vers les vacances de Pâques. Calvin reçut une lettre de Noyon. Il l’ouvrit : quelle nouvelle ! Son père est grièvement malade ! Bouleversé par cette nouvelle, il se rendit aussitôt chez Duchemin : « Il faut que je parte, » lui dit-il. Cet ami et d’autres encore eussent voulu le retenir dans des lieux où il se rendait si utile ; mais il n’hésita pas. Il doit aller vers son père ; toutefois, il ne restera que le temps nécessaire ; aussitôt qu’il sera mieux, il reviendra. Je vous promets, dit-il à Duchemin, d’être bientôt de retourb. » Calvin dit donc adieu à ses études chéries, à ses précieux amis, à ces familles pieuses où il avançait le règne de Dieu, et arriva en Picardie.

b – « Quod tibi promiseram discedens me brevi adfuturum. » (Calvinus Chemino, 14 mai 1528, manuscrit de Berne.)

Nous avons peu de détails sur ce séjour de Calvin à Noyon. Sans doute sa piété filiale s’abandonnait près du lit de son père à ce qu’on a appelé avec raison la plus douce forme de la reconnaissance. Cependant l’état de faiblesse du secrétaire épiscopal se prolongeait, sans que le danger parût imminent. Une question commença à se poser dans le cœur du jeune homme ; partira-t-il ? restera-t-ilc ? Quelquefois, quand il était assis au chevet du malade, pendant les veilles de la nuit, ses pensées le transportaient à Orléans au milieu de ses éludes et de ses amis ; ii se sentait poussé, comme par une main énergique, vers des lieux qui lui étaient si chers, et il prenait en esprit tous les arrangements nécessaires au retourd… Soudainement le mal du père s’aggrava et le fils ne s’éloigna plus du lit du malade. Le vieux secrétaire, « homme de bon entendement et de bon conseil, » dit Bèze, était fort respecté de tous ceux qui l’entouraient, et l’amour de l’auteur de ses jours était profondément gravé dans l’âme du jeune homme. « Le titre de père appartient à Dieu, disait-il ; quand Dieu le donne à un homme, il lui communique quelques étincelles de sa splendeure. »

c – « Ea me expectatio diutius suspensum habuit. » (Calvinus Chemino.)

d – « Nam dum reditum ad vos meditor. » (Ibid.)

e – Calvini Opera.

Bientôt une crise parut s’opérer ; les médecins donnèrent de l’espérance ; le malade pourra recouvrer une bonne santé, disaient-ilsf. Toutes les pensées de Calvin, tous ses désirs se dirigèrent de nouveau vers Orléans ; il eût voulu s’y rendre à l’instant mêmeg. Mais le devoir fut encore le plus fort ; il résolut d’attendre que la convalescence fût entière. Un jour s’écoulait ainsi après un autre jourh. Hélas ! les médecins s’étaient trompés. « Il n’y a plus d’espérance de guérison, dirent-ils bientôt au jeune homme ; la mort de votre père ne peut être éloignéei. » Calvin résolut alors (14 mai 1528) d’écrire à Duchemin, ce qu’il n’avait point encore fait depuis son départ. C’est la première des lettres du réformateur qui soit parvenue jusqu’à nous. « Vous savez, lui dit-il, que j’ai beaucoup d’exactitude dans ma correspondance et que je la pousse même jusqu’à l’importunitéj. Vous vous étonnez peut-être de ce que j’ai manqué à mon extrême ponctualité, mais quand vous en connaîtrez les motifs, vous me rendrez votre amitié, si toutefois je l’ai perdue. » Il lui apprend l’état de son père et il ajoute : Quoiqu’il en soit, je vous reverraik. » Qu’arrivat-il alors ? Ce point n’est pas très clair. Calvin était à Noyon, nous l’avons vu, le 14 mai 1528. Peut-être y resta-t-il, près du malade, tout l’été. On a conclu de la lettre à Duchemin que Gérard mourut peu après le 14 mai ; l'approche de la mort était alors certaine, selon les médecins ; mais les médecins peuvent se tromper. Selon Théodore de Bèze, Gérard ne mourut que pendant le séjour de son fils à Bourges, neuf ou dix mois plus tard, et un passage de Calvin, que nous citerons ailleurs appuie le témoignage déjà décisif de Bèze.

f – « Sed cum medici spem facerent posse redire in prosperam valetudinem… » (Calvinus Chemino.)

g – « Nihil aliud visum est quam tui desiderium. » (Calvinus Chemino.)

h – « Interim dies de die trahitur. » (Ibid.)

i – « Certum mortis periculum. » (Ibid.)

j – « In litteris missitandis plus satis officiosum, ne dicam importunum. » (Ibid.)

k – « Utcumque res cecidit, ad vos revisam. » (Ibid.)

Une circonstance, qui a quelque intérêt, semble nous indiquer que l’étudiant n’était pas à Orléans dans la dernière partie de cette année. Le 15 décembre 1528ql, huit mois après le départ subit de Calvin, arriva dans cette ville, chez Melchior Wolmar, un garçon de neuf à dix ans. Il avait l’apparence maladive, mais la taille bien prise, l’air fin, l’esprit vif, enjoué et poli. Cet enfant, qui devait être un jour le meilleur ami de Calvin, appartenait à une famille de Bourgogne. Son père, Pierre de Bèze, était bailli de Vézelay, ville fort ancienne, où le garçon était né le 24 juin 1519m et avait reçu le nom de Théodore. Un de ses oncles, nommé Nicolas, célibataire, seigneur de Cette et de Chalonne, et conseiller au parlement, ayant fait visite au bailli quelques mois après la naissance de l’enfant, l’adopta et l’emmena à Paris, quoiqu’il fût encore au sein de sa nourricen. Neuf ans plus tard (1528), sur la recommandation d’un Orléanais, allié aux Bèze, et membre du Conseil royal, l’oncle envoya son neveu à Wolmar, qu’on lui disait être très savant dans le grec et s’entendre admirablement en éducation. Rien dans la biographie de Calvin écrite par Bèze, n’indique que celui-ci ait alors rencontré Calvin à Orléans. Marguerite de Valois, qui était duchesse de Berry, s’efforçant de réunir dans son université de Bourges des hommes savants et pieux, y appela peu après Wolmaro. Ce fut là que le jeune de Bèze vit Calvin pour la première fois.

l – « Factum est ut ad te pervenirem anno Domini 1528, nonis Decembris. » (Epître de Théod. de Bèze à Wolmar, Préface de la Confessio fidei christianæ.)

m – « Anno Domini 1519 die 24 junii, placuit Deo 0. M. ut mundi lucem aspicerem. » (Ibid.)

n – « Ut me quanrvis adhuc a nutricis uberibus pendentem. » (Ibid.)

o – « Aureliæ primum, deinde Biturigibus, quum in eam urbem regina Navarræ te evocasset. » (Épître de Théod. de Bèze à Wolmar, Préface de la Confessio fidei chrislianæ.)

En effet, l’écolier devenu libre par le rétablissement apparent de son père, avait de nouveau tourné ses pensées vers les études. Il désirait profiter des enseignements d’un docteur dont la réputation dépassait même celle de Pierre de l’Étoile. Tout le monde savant parlait beaucoup alors du Milanais Alciati, appelé d’Italie à Bourges par le roi, et aux brillantes leçons duquel la jeunesse académique accourait de toutes parts. Calvin avait encore d’autres motifs pour se rendre dans cette ville. Le Berry était devenu, sous l’influence de Marguerite, un foyer d’évangélisation. Étant donc de retour à Orléans, il y fit connaître son intention de se rendre à Bourges, et les professeurs de l’université où il avait étudié et même enseigné avec éclat, lui offrirent d’une voix unanime le titre de docteur. Il semble que sa modestie ne lui permit pas de l’accepterp.

p – « Eique discedenti doctoratus insignia absque ullo prætio offerentur. » (Bezæ Vita Calvini.)

Il y avait à Bourges moins de ressources qu’à Orléans. « Ne pouvant vivre comme nous voulons, disaient les étudiants, nous vivons comme nous pouvons. » Tout y était cher ; la table seule coûtait cent francs par anq. « La France est vraiment un pays d’or, disait sardoniquement un pauvre écolier suisse, car sans or, on n’y a rien. » Mais l’étudiant de. Noyon ne se souciait pas des aises de la vie ; la richesse intellectuelle et spirituelle lui suffisait. Il s’empressa de se rendre à l’auditoire d’Alciati, et fut un peu surpris de trouver en lui un gros homme, de grande taille, n’ayant pas l’air très intérieur. « Il est grand mangeur, lui dit un de ses voisins, et fort avarer. » Ce n’était pas le sentiment qui dominait chez ce maître, mais l’intelligence et l’imagination ; il était à la fois grand jurisconsulte et grand poète. Mêlant les lettres à l’explication des lois, et substituant un style élégant à la barbarie du langage, il donna à l’enseignement du droit un éclat tout nouveau. Calvin l’écoutait avec admiration. Cinq ans après, Alciati retourna en Italie, alléché par de plus grands gages et de plus grands honneurs.

q – « Conrad Gessner, von Hanhart, p. 22. — Theod. Beza, von Baum, p. 12.

r – « Vir fuit corpulentes, procerae staturse. — Avarior avidus habitus est et cibi avidior. » (Panzivole, De claris legum interpret., lib. II.)

Bientôt Calvin se livra tout entier à d’autres préoccupations. Bourges était devenu, sous le gouvernement de Marguerite, le foyer de la doctrine nouvelle en France ; aussi fut-il frappé du mouvement des esprits autour de lui. On discutait, on pérorait, on courait partout où des sons évangéliques se faisaient entendre. Une foule d’étudiants et de bourgeois se pressaient le dimanche dans deux églises, où prêchaient les docteurs Chaponneau et Michel. Calvin s’y rendit et trouva la vérité chrétienne assez bien exposée au moins pour le tempss. » Pendant la semaine, la vérité évangélique était professée, dans l’université, par Gamaire, prêtre savant, et par de Bournonville, prieur de Saint-Ambroise.

s – Théod. de Bèze, Hist. des Églises réformées, p. 6.

Mais rien n’attirait Calvin comme la maison de Wolmar. Il paraît que ce savant était arrivé à Bourges avant luit. Calvin y vit le jeune Bèze, et ce fut alors que commença dans le cœur de Théodore cette piété filiale qu’il eut toute sa vie, et cette admiration qu’il professa plus tard dans l’une de ses poésies latines, où il appela Calvinu :

tIbid.

u – « Romæ mentis terror ille maximus. » (Bezæ Icones.)

De Rome en son déclin la suprême terreur.

Calvin se préparait en effet à le devenir. Si Wolmar à Orléans avait affermi en lui la foi chrétienne, Wolmar à Bourges devait lui faire entendre la première voix qui l’inviterait distinctement à entrer dans la carrière de réformateur. Le docteur allemand communiquait au jeune homme les livres qu’il recevait d’outre-Rhin, les écrits de Luther, de Mélanchthon et d’autres hommes évangéliquesv. Wolmar, modeste, débonnaire, étranger, ne se croyait pas appelé à faire en France ce que d’illustres serviteurs de Dieu faisaient en Allemagne, mais il se demandait s’il n’y aurait donc pas un Français qui fût appelé de Dieu à réformer la France ; si peut-être le jeune compatriote de Lefèvre, qui joignait à une grande intelligence une âme si pleine d’énergie, ne serait pas celui auquel cette œuvre était réservée ?

v – « Libros quos e Germania acceperat raittebat. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie, II, lib., VII ;)

Wolmar semble avoir été pour Calvin ce que Staupitz fut pour Luther ; l’un et l’autre de ces deux docteurs sentaient le besoin d’esprits d’une forte trempe, pour les grandes choses qui allaient se passer dans le monde. Un jour donc, le professeur invita le disciple à sortir avec lui, et les deux amis quittant cette ville antique, brûlée par César et par Chilpéric, relevée par Charlemagne et agrandie par Philippe-Auguste, s’approchèrent des rives de l’Auron, de son confluent avec l’Yèvre, et se promenèrent çà et là dans les campagnes du Berryw. Après quelques moments, Wolmar dit à Calvin : Que vous proposez-vous de faire, mon ami ? Les Institutes, les Novelles, les Pandectes absorberont-elles votre vie ? La théologie n’est-elle pas la reine de toutes les sciences, et Dieu ne vous appelle-t-il pas à expliquer ses saintes Écrituresx ? » Quelles idées se présentent alors à Calvin ! A Paris il a renoncé au sacerdoce, et à Bourges Wolmar le pousse au ministère ! Que fera-t-il ?

w – « Die quodam cum discipulo, magister, animi gratia, deambulans. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie.)

x – « Ut posito Justiniani Codice ad Theologiæ omnium scientiarum reginæ studium, animum applicaret. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie, liv. VII, cap. 9.) On ne peut se fier à Florimond Rémond, plein de haine pour la Réformation qu’il avait abjurée, quand ses préjugés sont en cause ; mais il doit être cru quand ses prédilections ne l’égarent pas. On ne voit pas dans quel but Rémond aurait inventé cette conversation. « Les calvinistes pour se venger de cet écrivain ont tâché de décrier sa mémoire, » dit Moréri. Le plus sensé est de tenir un juste milieu entre les apologistes romains et les détracteurs protestants.

C’était une tout autre vocation. Le prêtre, dans l’Église théocratique et légale, est le moyen par lequel l’homme est rétabli dans la communion avec Dieu. Le sacerdoce spécial dont il est revêtu est la condition de laquelle dépend la vertu des sacrements et de tous les moyens de grâce. Doué d’un pouvoir magique, il opère à l’autel le plus grand miracle, et quiconque demeure étranger à l’administration de ce sacerdoce ne peut avoir part à la rédemption. La Réformation du seizième siècle, en mettant de côté l’Église légale et théocratique de Rome, qui s’était formée à l’image de la théocratie juive, et en lui substituant l’Église évangélique, conformément aux principes de Christ et de ses apôtres, transformait aussi le ministère. Le service de la Parole en redevenait le centre, le moyen par lequel, avec le travail de l’Esprit de Dieu, s’accomplissent toutes ses fonctions. Ce ministère évangélique ferait aussi des miracles ; mais tandis que ceux du ministère légal proviennent d’une vertu mystérieuse du sacerdoce, et s’accomplissent sur des éléments terrestres, ceux du ministère évangélique s’opèrent librement par la Parole divine, par la foi du cœur au grand amour de Dieu, que le ministère annonce, — miracles étranges, spirituels, qui se font au dedans de l’âme, et qui transformant l’homme et non le pain, en font une nouvelle créature, destinée à habiter éternellement avec Dieu.

Calvin vit-il alors clairement la différence qui existe entre le sacerdoce romain et le ministère évangélique ? nous en doutons. Ce ne fut que plus tard que ses idées s’éclaircirent sur ce point important. Cependant l’idée de laisser non seulement la prêtrise, mais aussi les codes pour l’Évangile, n’était pas nouvelle pour lui. Déjà plus d’une fois, dans la retraite, il s’était dit : N’annoncerai-je pas Christ aux hommes ? Mais humble, timide, il avait reculé devant ce ministère. « Tous n’y sont pas propres, disait-il ; une spéciale vocation est requise, et nul ne doit s’y ingérer follementy. » Calvin, comme saint Augustin, celui des docteurs de l’antiquité avec lequel il eut le plus de ressemblance (sauf les désordres qui marquèrent la jeunesse de l’évêque d’Hippone), craignait de prendre une charge au-dessus de ses forces. Il pensait aussi que jamais son père ne consentirait à ce qu’il quittât le droit et se mît avec les hérétiques. Et pourtant il se sentait toujours plus porté à s’occuper des grandes questions de la conscience et de la liberté chrétienne, de la souveraineté divine et du renoncement à soi-même. « Ah ! dit-il lui-même, un si grand désir d’avancer dans la connaissance de Christ me consumait, alors que je ne m’occupais plus que froidement de mes autres étudesz. » Un événement domestique devait bientôt lui donner la liberté d’entrer dans cette carrière nouvelle à laquelle Dieu et Wolmar l’appelaienta.

y – « Non omnes esse Verbi ministerio idoneos… requiritur specialis vocatio. » (Calv. Opera.)

z – « Tanto proficiendi studio exarsi ut reliqua studia quaravis non abjicerem frigidius tamen sectarer. » (Calv., in Præf. ad Psalm.)

a – « Acriter exhortans ut de reformanda atque illustranda Dei ecclesia cogitationem ac curam serio inciperet. » (Flor. Rémond, Hist. de l’Hérésie.)

Il recevait à Bourges d’autres appels. Wolmar avait parlé de lui, et diverses familles l’invitaient dans leurs maisons pour les édifier. Le jeune homme s’en étonnait comme à Orléans ; il restait muet et plongé dans la multitude de ses pensées. « Je suis tout ébahi, disait-il, de voir que ceux qui ont quelque désir de la pure doctrine se rangent autour de moi pour apprendre, quoique je ne fasse que commencer moi-même ! » Il se décida pourtant à continuer à Bourges l’œuvre d’évangéliste qu’il avait timidement commencée sur les bords de la Loire ; et y mit plus de temps, et plus de décision.

Calvin entra donc en rapport avec des étudiants, des bourgeois, des nobles, des avocats, des prêtres, et des professeurs. Une famille tenait alors dans le Berry un rang considérable, c’était celle des Colladon. Deux frères, Léon et Germain, et deux sœurs, Marie et Anne, furent des premiers à embrasser l’Évangile dans le Berry. Léon et Germain étaient avocats, et l’un de leurs cousins, nommé dans les généalogies Germain II, âgé alors de dix-huit ans, devint plus tard à Genève l’intime ami de Calvin. Ces liens d’amitié avaient probablement commencé à Bourgesb.

b – « Léon Colladon mourut à Genève le 31 août 1552. Son fils Nicolas s’y réfugia en 1553, et succéda en 1566 à Calvin dans la chaire de théologie. Germain II, reçu bourgeois de Genève en 1555, fut le rédacteur du Code genevois. (Galiffe, Généalogie des familles genevoises. — Haag, France protestante, article Colladon.)

L’évangéliste étendit bientôt hors de la ville son activité chrétienne. Plusieurs habitants du Berry, qui l’avaient entendu à Bourges, avaient été ravis de ses discours. « Venez, lui disaient-ils, et prêchez ces belles paroles. » Calvin mit peu à peu de côté sa timidité naturelle ; allègre et disposé à cheminer, il se rendait dans les bourgades et dans les châteauxc. Il s’accointait (se présentait) aimablement en toutes les maisons où il s’adressait. « Une salutation gracieuse, disait-il plus tard, est comme une entrée pour deviser avec les gensd. » Il fit en ces manoirs et en ces bourgs plusieurs sermons.

c – Théod. de Bèze, Hist. des Eglises réformées, p. 7.

d – « Calvin, Commentaire sur Matthieu, chap. X.

Sur les bords de l’Arnon, à dix lieues de Bourges, se trouve une petite ville nommée Lignières, siège alors d’une seigneurie considérablee. Chaque année des religieux venaient prêcher dans l’église paroissiale, et étaient reçus avec bonté au château, où ils se plaignaient du ton le plus piteux de leur grande misère. Ceci révoltait le sire de Lignières, qui n’était pas d’un naturel superstitieux. « Si je ne me trompe pas, disait-il, c’est pour le gain, que ces moines contrefont les marmitons. » Dégoûté de cette hypocrisie, M. de Lignières demanda à Calvin de venir prêcher à la place des moines. L’étudiant en droit parla à une foule immense, avec tant de clarté, de liberté, de profondeur et de vie, que chacun se sentit émuf. « Vraiment, disait le seigneur à sa dame, il me semble que maître Jean Calvin prêche mieux que les moines et qu’il va rondement en besogneg. »

e – Sous Louis XIV cette seigneurie appartint à Colbert.

f – « Nonnullas interdum conciones in agro Biturigum, in oppidulo quod Linerias vocant. » (Bezæ Vita Calvini.)

g – Théod. de Bèze, Hist. des Églises réformées, p. 7.

Les prêtres, voyant le jeune évangéliste si bien reçu, criaient, intriguaient et mettaient tout en œuvre pour le faire jeter en prisonh. Ce fut à Bourges que le jeune homme commença à voir que « tout est parmi les hommes plein de nuisances. Christ, disait-il, par les assauts qu’on leur livre, sonne aux siens la trompette, afin qu’ils s’apprêtent plus allègrement à la bataillei. »

h – « Nisi me ab ipsis prope carceribus mors patris revocasset. » (Calvinus Volmario in 2 Ep. ad Corinth.)

iCommentaire sur Matthieu, chap. X.

Calvin travaillait ainsi dans la ville, dans les bourgades, dans les châteaux ; il s’occupait avec amour des enfants, il prêchait aux adultes, il formait les héros et les martyrs. Mais la même circonstance qui l’avait enlevé à Orléans se représenta tout à coup à Bourges. Un jour, il reçut une lettre de Noyon (probablement de son frère Antoine). Hélas ! son père est mort ! et il était loin de lui, sans pouvoir lui prodiguer les soins de sa piété filiale. Pendant qu’il était à Bourges, dit Théodore de Bèze, son père vint à mourir et il fut obligé de s’en retourner à Noyonj. » Cette mort avait été soudainek. Calvin n’hésita pas ; il dit adieu au Berry, à ces familles pieuses qu’il édifiait, à ses études, à ses amis. « Vous m’avez tendu la main, dit-il à Wolmar, et vous étiez prêt à me soutenir d’un bout à l’autre de ma course ; mais la mort de mon père m’enlève à nos entretiens et à nos leçonsl !… »

j – Théod. de Bèze, Vie de Calvin, en français, p. 11. — « In agro Biturigum… mors patris nuntiata in patriam vocavit. » (Ibid., en latin.)

k – « Repentina mors patris, » dit Bèze. Cette mort subite montre que le père de Calvin ne mourut pas, comme on l’a dit, de la longue maladie décrite dans la lettre à Duchemin.

l – « Dédicace de la 2e aux Corinthiens.

Bourges, après le départ de Calvin, ne retomba pas dans les ténèbres. Un vieux docteur nommé Michel Simon, peut-être ce Michel dont nous avons déjà parlé, montrait, malgré son âge, une sainte hardiesse. Un jour, un cordelier pélagien, comme le sont les docteurs de cet ordre, fut assez effronté, pour oser soutenir que l’homme peut être sauvé par ses seules forces naturelles. Simon le rembarra et obtint que dans les disputes publiques, on ne pût établir sa proposition que par le texte des Écritures. Ceci donna un nouvel élan aux études théologiques. Les prêtres s’entendirent et sans dire mot se tinrent prêts. Le dimanche suivant, le docteur Michel Simon étant monté en chaire, allait commencer son sermon, quand le curé, les vicaires et les chantres entrèrent dans le chœur, chantant à pleine voix l’office des morts. Il était impossible soit de prêcher, soit d’entendre. Les étudiants indignés se précipitèrent dans le chœur, jetèrent çà et là les livres des offices, renversèrent les lutrins et chassèrent les prêtres qui s’enfuirent avec un « grand tumulte. » Simon, demeuré maître du champ de bataille, fit son discours ; et, ô surprise ! il dit à la fin l’Oraison dominicale en français, sans y ajouter l’Ave Maria. Mais on vit alors un homme placé sur un siège apparent (c’était le procureur général du roi) se lever et prononcer d’une voix retentissante : Ave, Maria, gratia » Il ne put achever ; un cri universel l’interrompit, des femmes facilement émotionnées, saisirent leurs petites chaises, entourèrent le procureur général et les brandirent sur sa tête. Ces gens étaient des catholiques dégoûtés des prêtres, non des disciples du Sauveur.

Tandis que l’étudiant de Noyon se livrait à la prédication de l’Évangile, des dangers suprêmes menaçaient celui qui avait été son prédécesseur dans cette œuvre.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant