Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 9
Les placards

(Octobre 1534)

4.9

Les chrétiens de Paris consultent Farel – Tout s’agite en Suisse – On décrète les placards et Fard les écrit – Les évangéliques de Paris les examinent – Ils acceptent les placards et les distribuent – On les affiche et la foule les lit – Le placard – Plus fort si plus modéré

A peine Calvin avait-il quitté Paris, que les nuages s’amoncelèrent sur la petite Église de cette métropole. Il n’y eut aucune année, dit un chroniqueur du seizième siècle en parlant de l’an 1534, où si grandes merveilles advinrent en divers pays ; mais de toutes ces merveilles, aucune n’est plus digne de mémoire que celle qui la fit appeler l’année des placardsa. »

a – Crespin, Martyrol., fol. 3. — Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, liv. VII, ch. 5.

Les chrétiens de Paris se réunissaient fréquemment dans telle ou telle de leurs maisons. « Le Seigneur, disaient-ils, commande à ses disciples et de sortir loin, pour épancher la doctrine du salut de tous côtés du monde. » La ruche essaimait, comme naguère à Poitiers. Le Comte, dont nous avons parlé, quitta ses amis, et après bien des dangers, arriva à Morat près de Farelb pour l’aider dans l’œuvre évangélique. Un autre luthérien, dont le voyage devait avoir des suites incalculables, ne tarda pas à prendre le même chemin.

b – Ruchat, Hist. de la Réformation de la Suisse, tome III, p. 132, d’après un journal manuscrit de Jean le Comte.

Il y avait, nous l’avons vu, deux partis distincts parmi les chrétiens évangéliques de France : celui des temporiseurs et celui des scripturaires. Ils se rencontraient quelquefois, et chacun d’eux soutenait vivement sa manière de voir. Les temporiseurs regardaient à Marguerite, au roi son frère, aux alliances avec Henri VIII et les protestants d’Allemagne ; sachant que François Ier détestait les moines, ils espéraient qu’aidé des du Bellay il donnerait à la France une réforme modérée, et ne voulaient rien faire qui pût lui porter ombrage. Ils attendaient.

Quant aux scripturaires, c’est-à-dire aux évangéliques de l’école de Calvin, la diplomatie les inquiétait, la protection du roi les offusquait, la pensée de reconnaître les évêques et le pape les effrayait. Ils voyaient toutes les superstitions arriver à la suite de la hiérarchie… et ils étaient décidés à s’opposer vigoureusement à tout ce qui pourrait ramener des idoles dans le temple de Dieu…

Ces deux partis ne pouvant s’entendre, ils résolurent d’envoyer l’un des leurs en Suisse, auprès de Farel et des autres réfugiés, afin d’avoir leur avis. Faut-il attendre ou faut-il agir ? telle était la question qu’ils posaient. Ils choisirent, pour cette consultation un chrétien, simple, pieux, intelligent, qui appartenait à la pharmacie royale et se nommait Féret ; il accepta la mission et partit. Nul ne se doutait alors que ce voyage dût amener une explosion qui ébranlerait la capitale, effrayerait la France et perdrait peut-être la cause de la Réformation.

Féret avançait vers la Suisse. A peine eut il passé le Jura, qu’un spectacle étonnant frappa ses yeux. Tout y était en mouvement comme dans une ruche d’abeilles. Farel, Viret, Saunier, Olivétan, Froment, Marcourt, Hollard, le Comte et d’autres encore, venus du Dauphiné, de Bâle, de Paris, de Strasbourg ou appartenant au pays même, y répandaient partout avec hardiesse la doctrine évangélique. A Neuchâtel on avait ôté du culte toute idolâtrie ; de même à Aigle et dans ses quatre mandements. Orbe, Grandson, le pays de Vaud commençaient à se prononcer ; Genève s’ébranlait ; les anciens vaudois du Piémont donnaient la main aux nouveaux réformés. En plusieurs lieux même on démolissait les autels et l’on brisait les statues selon l’ordre du Deutéronomec. Quel contraste avec les précautions méticuleuses des chrétiens de Paris ! Féret en fut frappé ; et cela seul était déjà une réponse.

cDeutéronome 7.5.

Il exposa aux chrétiens vers lesquels il était envoyé l’état bien différent dans lequel se trouvait Paris ; il dit les difficultés de la France, les deux partis qui se trouvaient parmi les réformés et demanda conseil. Farel et ses amis croyaient qu’un sujet ne devait pas s’élever contre son seigneur, mais que si le roi de France commandait une chose défendue par le Roi du ciel, il fallait obéir à celui des deux qui était le maître de l’autre. Ces chrétiens décidés rejetaient tous ces mélanges d’Évangile et de papauté, que voulaient François Ier, Marguerite de Navarre, du Bellay, et même à ce qu’on disait Mélanchthon. « Ces deux (l’Évangile et le pape) ne peuvent subsister ensemble, disaient-ils, non plus que l’eau avec le feu… » La messe surtout, ce point capital de la doctrine romaine, devait selon eux être abolie. Si la hiérarchie papale était l’arbre dont l’ombrage mortel faisait périr les semences vivantes de la Parole, la messe en était la racine. On devait le déraciner et l’empêcher ainsi d’étendre plus longtemps ses branches funestes sur le vaste champ de la chrétienté. Des placards furent proposés.

Que faire en effet ? L’oppression rendait muettes les bouches les plus hardies. Il fallait écrire une protestation énergique contre l’erreur, et la mettre, si possible, au même moment, sous les yeux de toute la France… Farel se chargea du travail ; on pouvait être sûr, qu’il ne craindrait pas un style tranchant et une parole foudroyanted. » Il se recueille, son esprit s’échauffe à la vue des maux de la France. Il trempe dans l’indignation sa plume hardie ; son style est inégal, dur peut-être ; mais mâle, nerveux et plein de flamme. Enfin le manifeste évangélique est composé et Farel le présente à ses frères. Ils l’acceptèrent, jugeant que cette parole devait être comme un marteau qui brise la pierre. L’écrit est porté à l’imprimerie et sort de presse à Neuchâtel, sous deux formes, celle de placards qui devaient être affichés, et celle de petits livrets qui devaient être semés par les ruese. On rassemble les feuilles ; on fait des ballots, on lie de cordes, et on enveloppe de toile ces foudres sorties de la forge de Farelf. Le Parisien Féret se charge de tout ; il part ; il voyage avec ses précieux colis. Personne ne l’arrête à la frontière ; il traverse sans difficulté la Franche-Comté, la Bourgogne, la Champagne, et il arrive à Paris.

d – Crespin, Martyrol, fol. 111.

eIbid.

f – Florimond Rémond, Hist. de l’Hérésie, livre VII, chap. 5. On lit dans l’édition latine : « Famoso libello a Farello, ut creditur composito. (p. 228.)

Les chrétiens évangéliques de la capitale, impatients d’avoir des nouvelles de la Suisse, se hâtèrent de se réunir, et Féret leur présenta le placard. Ces paroles énergiques, écrites au pied du Jura, semblaient étrangement hardies, quand on les lisait près de la Sorbonne, et aux portes du Louvre. Le pieux et vaillant ministre Courault se fit dans l’assemblée l’organe des gens de jugement, comme on les appela plus tard. « Gardons-nous d’afficher ce placard, dit-il ; nous enflammerions ainsi la rage des adversaires, et nous augmenterions la dispersion des fidèles. » Mais ceux qu’effrayaient les transactions de François Ier, pour unir le pape et l’Évangile, étaient au contraire ravis. « Prenons garde de tellement compasser notre prudence, dirent-ils, qu’elle ne nous fasse agir comme des lâches. Si nous regardons timidement d’un côté et de l’autre, pour voir jusqu’à quel point nous pouvons aller sans exposer nos vies, nous abandonnerons Jésus-Christ. » Il s’agissait à leurs yeux de confesser le Seigneur devant la France, et pour le faire, ils étaient prêts, comme les anciens martyrs, à subir la mort. Plusieurs des opposants se rendirent, et la publication du placard fut résolue. Ces chrétiens sincères étaient tellement convaincus de la divinité de leur doctrine et tellement pleins de foi, qu’ils attendaient une intervention de Dieu non miraculeuse sans doute, mais extraordinaire, un vent du ciel « qui soufflât avec véhemence » et « comme des langues de feu » qui embrasassent les cœurs. Dieu, pensaient-ils, ouvrirait à la France, par cette Parole, la porte des trésors spirituels.

La délibération continuait. Où répandra-t-on cet écrit ? disaient quelques-uns. — Dans tout Paris, répondit-on. — Dans toute la France, dirent d’autres. Ce n’étaient point des inconnus qui délibéraient ainsi ; le riche marchand du Bourg et ses amis en étaient, et si Barthélemy Milon ne pouvait agir, il donnait du moins des conseils qu’il devait payer cher. Les amis les plus chauds de la Réformation se partagèrent l’œuvre ; chacun eut son quartier, — sa province. « On se départit le royaume pour faire le pareil dans toutes les villes » dit le catholique Fontaine ; et la nuit du 24 au 25 octobre fut fixée pour cette hardie levée de boucliersg. On distribua les placards à tous ceux qui devaient les afficher ou les répandre. Sachant que si Dieu ne faisait entrer la vérité dans les esprits, ils ne feraient, eux, que battre l’air en vainh, ces hommes pieux s’exhortèrent les uns les autres à prier Dieu de zèle ardent. Puis chacun se retira dans sa maison, emportant avec lui sa liasse de placards et son paquet de traités.

g – C’est la date donnée dans le Journal d’un Bourgeois de Paris, publié par Lalanne, p. 440. — Fontaine, dans son Histoire catholique, dit le 18 octobre.

h – Calvin, passim.

La nuit venue, les hommes choisis sortirent de leurs maisons, et se mirent en route, tenant en main le placard imprimé ; et chacun fit son devoir dans son quartier, silencieusement, mystérieusement. Le fervent chrétien, qui hasardait ainsi sa vie, prenait pourtant quelques précautions ; il écoutait à droite et à gauche pour savoir si personne ne venait ; promptement il appliquait la feuille sur le mur ; puis il se glissait sans bruit jusqu’à quelque autre lieu, où il l’attachait de nouveau. Bientôt les rues, les places, les carrefours furent remplis de la proclamation évangélique, et le Louvre lui-même la portait sur ses murailles. Le jour paraissant, la plupart des afficheurs rentrèrent chez eux ; mais quelques-uns se cachèrent et regardèrent de loin pour voir ce qui allait arriver.

Quelques personnes commençaient à sortir de leurs maisons ; elles s’approchaient et s’arrêtaient devant l’immense pancarte. Peu à peu le peuple s’attroupait, les moines survenaient ; des centaines de gens de toute espèce se pressaient autour de ces affiches étranges. On les lisait, on les commentait, et les sentiments les plus divers éclataient ; chez plusieurs il y avait indignation et menaces ; chez quelques-uns approbation ; dans un grand nombre étonnement. La foule était surtout considérable dans les rues Saint-Denis, Saint-Honoré, à la place Royale, dans la Cité, aux portes des églises et à celles de la Sorbonne et du Louvre. Lisons nous-mêmes le terrible placard, comme on le lisait dans les rues de la capitale. Les gens de notre siècle le trouveront trop dur, trop long peut-être, et nous devrons un peu l’abréger ; mais ceux du seizième le lurent jusqu’au bout, et malgré ses défauts, son action fut puissante. Semblable à une secousse de tremblement de terre, il ébranla violemment toute la France. Il commençait par une invocation solennelle.

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ARTICLES  VÉRITABLES
SUR  LES  HORRIBLES,  GRANDS  ET  IMPORTABLES  ABUS
DE  LA  MESSE  PAPALE
INVENTÉE  DIRECTEMENT  CONTRE  LA  SAINTE  CÈNE
DE  NOTRE  SEIGNEUR
SEUL  MÉDIATEUR  ET  SEUL  SAUVEUR  JÉSUS-CHRIST.
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« J’invoque le ciel et la terre en témoignage de vérité contre cette pompeuse et orgueilleuse messe papale, car le monde (si bientôt Dieu n’y remédie), est et sera par elle totalement désolé, — ruiné, perdu, — abymé ; attendu qu’en elle notre Seigneur est outrageusement blasphémé, et le peuple séduit et aveuglé. Ce que plus on ne doit souffrir.

Premièrement tout chrétien fidèle doit être très certain que notre Seigneur et seul Sauveur Jésus-Christ, le grand évêque et pasteur ordonné de Dieu, a donné son corps, son âme, sa vie, son sang, pour notre sanctification, en sacrifice très parfait. Renoncer à ce sacrifice comme s’il était insuffisant, le remplacer par un sacrifice visible, la messe, comme si Christ n’avait pas satisfait pleinement pour nous à la justice de son Père, et comme s’il n’était point le Sauveur, le médiateur, serait un terrible et exécrable blasphème.

La terre a été, et est encore en plusieurs lieux, chargée de misérables sacrificateurs qui comme s’ils étaient nos rédempteurs, se mettent à la place de Jésus-Christ, et prétendent offrir à Dieu un sacrifice qui lui est agréable, pour le salut tant des vivants que des morts : ces gens-là ne font-ils pas menteurs les apôtres et les évangélistes, et ne se démentent-ils pas eux-mêmes, puisqu’ils chantent tous les dimanches en leurs vêpres que Jésus-Christ est un sacrificateur éternel ?

Oui, par le grand, par l’admirable sacrifice de Jésus-Christ, tout sacrifice extérieur et visible est aboli. Christ, dit l’épître aux Hébreux (que je supplie tout le monde de diligemment considérer), Christ s’est offert une fois. — Nous sommes sanctifiés par l’oblation une fois faite du sang de Christ. Christ offert une fois et non plusieurs fois, vous l’entendez… Si ce sacrifice est parfait, pourquoi le faut-il réitérer ? Mettez-vous donc en avant, ô sacrificateurs ! et si vous avez puissance de répondre…, répondez !

Ce n’est pas tout. Par cette malheureuse messe, on a plongé le monde universel dans une publique idolâtrie. Ne donne-t-on pas faussement à entendre, que sous les espèces du pain et du vin, Jésus-Christ est contenu corporellement, réellement, personnellement, en chair et en os, aussi gros, aussi grand, aussi parfait que quand il était vivant ? Et pourtant la sainte Écriture et notre foi, loin de nous enseigner ces choses, nous enseignent au contraire, que Jésus-Christ, après sa résurrection, est monté au ciel. Saint Paul écrit aux Colossiens : Cherchez les choses qui sont en haut où Christ est assis à la droite de Dieu. Écoutez ! saint Paul ne dit point : Cherchez Christ qui est en la messe, ou dans le sanctuaire, ou dans la boîte, ou dans l’armoire — Il dit : Cherchez Christ qui est au ciel ! Si le corps est au ciel, il n’est point en la terre, et s’il est en la terre, il n’est point au ciel. Jamais un véritable corps n’est qu’en un seul lieu, où il occupe une certaine place d’une certaine grandeur. Il ne peut se faire qu’un homme de vingt ou trente ans soit caché en un morceau de pâte, tel que leur oublie.

Augustin a bien connu ces choses, quand il a écrit : Jusqu’à ce que le monde prenne fin, le Seigneur est en haut ; mais sa divinité est partouti. De même Fulgence quand il écrit : Le Seigneur était absent du ciel, selon la nature humaine, lorsqu’il était sur la terre, et, il délaissa la terre, lorsqu’il monta au ciel. Mais quant à la nature divine, il ne quitta point le ciel, quand il descendit sur la terre, et ne délaissa point la terre, quand il monta au cielj. Quand quelqu’un nous dit : Christ est ici, ou il est là ! les prêtres disent : Il le faut croire. Mais Jésus-Christ dit : Ne le croyez pas (Matthieu 24.23). Ils chantent bien au moment de la communion : Les cœurs en haut ! Sursum corda ! mais ils font le contraire, et exhortent à chercher Christ non pas en haut, mais dans leurs mains, dans leurs boîtes et dans leurs armoires !

i – « … Sursum Dominus est… » (Aug., Ep. ad Dardanum.)

j – « Secundum humanam substantiam dereliquerat terrant cum ascendisset in cœlum… » (Fulg., ad Thrasimundum, lib. II.)

Il y a plus ; ces sacrificateurs aveugles, ajoutant erreur sur erreur, enseignent en leur frénésie, qu’après avoir souillé ou parlé sur le pain, qu’ils prennent entre leurs doigts ; sur le vin qu’ils mettent au calice, il n’y demeure ni pain ni vin ; mais Jésus-Christ y est seul par transsubstantiation… Grands et prodigieux mots… Doctrine des diables, contraire à toute l’Écriture… Je le demande à ces enchaperonnés : où ont-ils trouvé ce gros mot Transsubstantiation ? Saint Matthieu, saint Marc, saint Luc, saint Jean, saint Paul et les anciens Pères n’en ont point parlé. Quand ils ont fait mention de la Cène, ces écrivains sacrés ont ouvertement et simplement nommé le pain et le vin, pain et vin. Saint Paul ne dit point : Mange le corps de Jésus-Christ ; mais : Mange de ce pain. Ah ! l’Écriture n’use point de déception, et il n’y a point en elle de feintise. Le pain est donc pain.

Présomptueux, ennemis de la Parole de Dieu, effrontés, hérétiques, ils ne se contentent pas de prétendre enclore dans leur hostie le corps de Jésus-Christ ; mais voyez dans quelles sottises leur superstition les jette. Ils n’ont pas honte et vergogne de dire que le corps de Jésus se laisse manger des rats, des araignées, de la vermine … Oui, cela est écrit en lettres rouges dans leurs missels, en la vingt-deuxième cautelle qui commence ainsi : Si le corps du Seigneur étant consumé par les souris et les araignées, s’il est réduit à rien ou est fort rongé, si le ver est trouvé tout entier dedans…, qu’il soit brûlé et mis au reliquaire !

O terre ! comment ne t’ouvres-tu pas pour en gloutir ces horribles blasphémateurs ? hommes détestables ! ce corps rongé, est-il vraiment celui de Jésus-Christ le Fils de Dieu ? Le Seigneur se laisserait-il manger des souris et des araignées ?… Lui qui est le pain des anges et de tous les enfants de Dieu, nous est-il donné pour en faire viande aux bêtes ?… Lui, qui est incorruptible, à la droite de Dieu, le ferez-vous sujet aux vers et à la pourriture ? David n’a-t-il pas écrit le contraire en prophétisant de sa résurrection ?… Misérables ! quand il n’y aurait d’autre mal en toute votre infernale théologie, que l’irrévérence avec laquelle vous parlez du précieux corps de Jésus, n’êtes-vous pas des blasphémateurs ! des hérétiques… voire les plus grands et énormes qui aient jamais été au monde ?

Allumez, eh bien oui ! allumez vos fagots, mais pour vous brûler et vous rôtir vous-mêmes… Pourquoi les allumez-vous pour nous ?… Parce que nous ne voulons pas croire à vos idoles, à vos nouveaux Dieux, à vos nouveaux Christs, qui se laissent manger des bêtes… et à vous pareillement, qui êtes pires que des bêtes.

Qu’est-ce que tous ces badinages, que vous faites à l’entour de votre Dieu de pâte, vous jouant de lui comme un chat d’une souris ? Vous le mettez en trois quartiers… et puis vous faites les piteux, comme étant bien attristés ; vous frappez votre poitrine vous l’appelez Agneau de Dieu, et lui demandez la paix. Saint Jean montrait Jésus-Christ toujours présent, toujours vivant, vivant tout entier, — vérité adorable ! Mais vous, vous montrez votre oublie partagée en pièces ; puis vous la mangez, vous faisant donner à boire…

Que pourrait dire un personnage qui n’aurait jamais vu telle singerie ?… Saint Paul, saint Jean ont-ils jamais mangé de cette manière Jésus Christ ? et reconnaîtraient-ils de tels bateleurs pour les serviteurs de Dieu ?

Enfin, l’usage de votre messe est bien contraire à l’usage de la sainte Cène de Jésus Christ !… Certes, ce n’est pas merveille ; car il n’y a rien de commun entre Christ et Bélial.

La sainte Cène de Jésus-Christ nous donne souvenance de la grande charité, dont il nous a tant aimés qu’il nous a lavés par son sang. Elle nous présente de la part du Seigneur le corps et le sang de son Fils, afin que nous communiquions au sacrifice de sa mort et que Jésus soit notre nourriture éternelle. Elle nous appelle à faire protestation de notre foi et de la confiance certaine que nous avons d’être sauvés, Jésus nous ayant rachetés. En nous donnant à tous un seul pain elle nous admoneste de la charité, en laquelle tous d’un même esprit, nous devons vivre. Cette Cène, ainsi bien entendue, réjouit l’âme fidèle, en toute humilité, la fait s’exercer en toute bonté très douce et en aimable charité

Mais le fruit de la messe est tout autre. Par elle la prédication de l’Évangile est empêchée. Le temps est occupé en sonneries, hurlements, chanteries, vaines cérémonies, luminaires, encensements, déguisements et toutes manières de sorcelleries. Et le pauvre monde, tenu pour brebis ou pour moutons, est misérablement trompé, entretenu, promené, que dis-je ? mangé, rongé et dévoré comme par des loups ravisseurs.

Par cette messe ils ont tout empoigné, tout détruit, tout englouti. Par elle, ils ont déshérité princes et rois, seigneurs et marchands, et tout ce qu’on peut dire, soit mort ou vif… — O faux témoins, traîtres, larrons de l’honneur de Dieu et plus détestables que les diables.

En somme, la vérité les pourchasse, la vérité les épouvante, et par la vérité, sous peu leur règne sera détruit à jamais. »

Telle était la proclamation affichée dans Paris et dans le reste de la France. On y retrouve, il faut le reconnaître, la rudesse du langage du seizième siècle, en particulier dans un passage, qui dut surtout exciter la colère du clergé, où parlant du pape, des cardinaux, prêtres et moines, le placard les appelle des faux prophètes, des loups, des séducteurs, et leur donne d’autres noms encore, dont ou ne trouve plus guère l’emploi, de nos jours, que dans les bulles des pontifes romains. On reconnaît dans cet écrit la verve antipapiste dan3 toute sa force primesautière. Sans doute quand il y est dit que la vraie Cène de Christ réjouit l’âme fidèle et lui communique toute bonté très douce et toute aimable charité, on retrouve la saveur de l’Evangile ; mais généralement parlant, ce manifeste est une machine de guerre armée d’une tête d’airain. Si l’on se transporte aux premiers jours de la Réformation, on comprend qu’elle crût devoir employer d’énergiques béliers, pour renverser les murailles séculaires et en apparence inébranlables de la papauté. Tout nous révèle dans cet écrit le charitable, mais aussi le bouillant, et éloquent Farel, franc, net, intrépide entre tous, qui eut le cœur admirable du chevalier sans reproche, sa soif de périls, et qui fut le Bayard des combats de Dieuk. » Tel ouvrier, telle œuvre.

k – M. Michelet.

Cependant, tout en accordant quelque chose au temps où le placard fut écrit et affiché, on peut se demander si cet acte provint uniquement d’un mouvement de l’esprit ou s’il n’y eut pas quelque emportement de la chair, — s’il était au nombre des » armes que les apôtres eussent employées ? En tout cas, il nous semble hors de doute qu’un langage plus modéré eût été réellement plus fort, et que le but eût été mieux atteint. C’est ce que l’événement va montrer.

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