Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 3
Réformes

(Fin de 1529)

6.3

Abus signalés et redressés – Le clergé réforme pour ne pas être réformé – Fisher accuse les Communes, qui le dénoncent – Subterfuge des évêques, rudesse des Communes – Suppression de la pluralité des bénéfices, etc – Insuffisance de ces réformes – Joie du peuple, tristesse du clergé

Cette réponse des prélats, commentée dans la résidence royale, dans la chambre des Communes, dans les lieux de réunion des bourgeois, dans les rues de Londres, et dans les campagnes, causa une vive indignation. « Quoi ! disait-on, les évêques accusent les chrétiens les plus pieux et les plus actifs de l’Angleterre, les Bilney, les Fryth, les Tyndale, les Latimer, de cette oisiveté, de ces dérèglements, dont leurs moines et leurs prêtres offrent continuellement l’exemple. En vain les communes ont-elles solidement établi leurs griefs, les évêques répondent à des faits notoires, en nous débitant leur système scolastique. On poursuit leur pratique et ils se cachent derrière leurs théories ; comme si le reproche qu’on leur fait n’était pas précisément que leur vie est en opposition avec leurs lois. La faute n’est pas à l’Église, disent-ils. — Mais ce sont ses ministres que nous accusons !… »

Le parlement, indigné, prit hardiment la cognée, attaqua l’arbre et en mit bas les branches desséchées et pourries. Coup sur coup, parurent des bills qui irritaient le clergé, mais remplissaient le peuple de joie. Comme les droits exigés en cas d’héritage se débattaient, l’un des députés fit un tableau émouvant de l’avarice et de la cruauté des prêtres. « Ils sont sans compassion, dit-il. Si de malheureux orphelins n’ont pour vivre qu’une chétive vache, seul héritage qu’ils aient de leur père, les prêtres mettent la main sur la bête, plutôt que de se priver d’un gain illégitimei. » Il y eut un frémissement dans l’assemblée ; elle défendit au clergé de rien exiger des pauvres dans les cas de succession.

i – « Rather than to give to them the silly cow. » (Fox, Acts, IV, p. 611.)

« Ce n’est pas tout, dit un autre, les ecclésiastiques accaparent des terres considérables, et er les pauvres se voient contraints de leur payer, pour tout ce qu’ils achètent, des prix exorbitants. Ils sont tout au monde, sauf prédicateurs de la Parole de Dieu et pasteurs des âmes. Ils achètent et vendent de la laine, des draps et autres marchandises. Ils établissent des tanneries ; ils tiennent des brasseries et débits de bière… Au milieu de tous ces trafics, comment s’occuperaient-ils de leurs devoirs spirituels ? » La possession de grandes propriétés les professions de marchand, tanneur, brasseur, etc., furent en conséquence interdites aux ecclésiastiques. En même temps la pluralité des bénéfices (tel prêtre ignorant en possédait dix à douze) fut interdite, et la résidence fut rendue obligatoire. Puis les communes d’Angleterre arrêtèrent que quiconque demanderait à être dispensé de résider (la demande fût-elle faite même au pape) serait puni d’une amende considérable.

Le clergé comprit enfin qu’il fallait réformer ; il interdit aux prêtres « de tenir boutiques et cabarets, de jouer aux dés et autres jeux de hasard, de traverser villes et villages avec des chiens de chasse en laisse, et des oiseaux de proie sur le poing, d’assister à des spectacles déshonnêtes, de passer la nuit dans des lieux suspectsj. » La convocation inquiète prononça des peines contre ces désordres, les doubla pour l’adultère, les tripla pour l’inceste. Les laïques demandèrent comment il se faisait que l’Eglise eût attendu si longtemps, pour prendre ces résolutions ; et si ces scandales ne devenaient criminels que parce que les communes les condamnaient ?

j – « Quod non pernoclent in locis suspectis. Mulierum colloquia suspecta nullatenus habeant » (Wilkins, Concilia, III, p. 717, 722, etc.)

Mais les évêques qui réformaient le bas clergé, prétendaient maintenir leurs propres privilèges. Un jour, un bill concernant les testaments, et qui touchait de près aux gains des prélats, étant présenté à la Chambre haute, l’archevêque de Cantorbéry et tous les évêques fronçaient les sourcils, murmuraient, promenaient autour d’eux des regards inquietsk. Ils s’écriaient que les communes étaient hérétiques, schismatiques ; peu s’en fallut que quelques-uns ne les appelassent impies et athées. En tout lieu, les hommes de bien demandaient que la morale s’unît de nouveau à la religion, et que la piété ne consistât plus seulement dans certains rites, mais dans le réveil de la conscience, une foi vivante, une conduite sainte. Les évêques, ne comprenant point qu’une œuvre de Dieu s’accomplissait alors dans le monde, résolurent de maintenir à tout prix l’ancien ordre de choses.

k – The Archbishop of Canterbury and all the bishops began to frown and grunt. » (Fox, Acts, IV, p. 612.)

Leurs efforts avaient quelque chance de succès, car la Chambre des pairs était essentiellement conservatrice. L’évêque de Rochester, homme sincère, mais d’un esprit étroit, profitant du respect qu’inspiraient son âge et son caractère, se fit hardiment le défenseur de l’Église. « Milords, dit-il, ces bills n’ont d’autre but que la destruction de l’Église ; or si l’Église tombe, toute la gloire du royaume périt avec elle. Rappelons-nous ce qui arriva aux Bohèmes. Nos Communes disent comme eux : A bas l’Église ! D’où vient ce cri ? Uniquement du manque de foi… Milords, sauvez le pays, sauvez l’Église ! »

Ce discours remplit les communes d’indignation ; quelques membres crurent que l’évêque leur refusait le nom de chrétiens. La chambre députa au roi trente de ses principaux membres. « Sire, dit l’Orateur, c’est porter atteinte à l’honneur de Votre Majesté, que de calomnier devant la chambre haute ceux que votre peuple a élus. On les accuse de manquer de foi, c’est dire qu’ils ne valent pas mieux que des Sarrasins, des Turcs et des païens. Veuillez citer devant vous le prélat qui a insulté vos communes. »

Le roi répondit avec grâce à l’Orateurl, et, appelant immédiatement un de ses officiers, fit inviter l’archevêque de Cantorbéry, l’évêque de Rochester et six autres prélats à paraître devant lui.

l – « Gently answered the speaker. » (Fox, Acts, p. 613.)

Ceux-ci arrivèrent assez inquiets de ce que le prince allait leur dire. Ils savaient que, comme tous les Plantagenets, Henri VIII n’entendait pas que son clergé lui résistât. Aussi le roi leur ayant communiqué la plainte des communes, ils en eurent le cœur gros et perdirent courage. Ils ne pensèrent qu’à échapper à la colère du prince, et le plus respecté d’entre eux, Fisher, usant de mensonge, prétendit qu’en parlant d’un manque de foi, il n’avait point en vue les communes d’Angleterre, mais les Bohèmes seulement ; les autres prélats se hâtèrent de confirmer cette inadmissible interprétation. C’était une faute plus grave que la faute elle-même. Aussi cette indigne échappatoire fut-elle pour le parti clérical une défaite dont il ne se releva jamais. Le roi parut accepter l’excuse, mais plus tard il fit sentir aux évêques le peu d’estime qu’il avait pour eux. Quant à la chambre des communes, elle exprima hautement le dédain que lui inspirait le subterfuge des évêques.

Une planche de salut leur restait pourtant encore. Des comités mi-partis de lords et de députés examinèrent les propositions des communes. Les lords, surtout les pairs ecclésiastiques repoussaient les réformes, en invoquant l’usage. « L’usage ! s’écria ironiquement un légiste de Grays’ inn, il est d’usage pour les voleurs de détrousser les passants à Shooter’s-Hill ; donc, cette habitude est légitime et doit être soigneusement maintenue. » Cette parole irrita au plus haut degré les prélats. « « Quoi, disaient-ils, on compare nos actes à des vols !… » Mais le juris-consulte, s’adressant à l’archevêque de Cantorbéry, s’efforça très gravement de lui prouver que les exactions du clergé, dans les affaires de testaments et d’enterrements, étaient évidemment des filouteries. Les lords temporels se rangèrent peu à peu à l’avis des communes.

Au milieu de tous ces débats, le roi ne perdait pas de vue ses intérêts. Six ans auparavant, il avait fait un emprunt à ses sujets ; il pensa que le parlement avait bien le droit de le décharger de sa dette. Les membres les plus dévoués au principe de la Réformation, s’opposèrent à cette demande ; John Petit en particulier, ami de Bilney et de Tyndale, dit au Parlement : « Je donne au roi tout ce que je lui ai prêté ; mais je ne puis lui donner ce que lui ont prêté les autres. » Henri pourtant ne se découragea pas et il obtint finalement l’acte demandé.

Le roi, satisfait des communes, le leur montra bientôt. Deux bills rencontraient de la part des lords une inflexible opposition, c’étaient ceux qui abolissaient la pluralité des bénéfices et la non-résidence ecclésiastique. Ces deux coutumes étaient si avantageuses et si commodes, que le clergé ne se résignait pas à les abandonner. Henri VIII, voyant que les deux chambres ne pouvaient tomber d’accord, résolut de trancher la difficulté. Huit pairs et huit députés des communes se réunirent une après-midi sur sa demande dans la chambre étoilée. Le débat fut animé ; mais les lords temporels, membres de cette conférence, s’étant mis du côté de la chambre basse, les évêques furent obligés de céder. Le lendemain les deux bills passèrent dans la chambre des lords, et reçurent l’assentiment royal. Après cette victoire (c’était vers le milieu de décembre), le roi ajourna le parlement.

Les diverses réformes opérées étaient importantes ; elles n’étaient pas cependant la Réformation. Plusieurs abus étaient corrigés, mais les doctrines restaient les mêmes ; la puissance du clergé était comprimée, mais l’autorité de Christ n’était pas accrue ; les branches sèches de l’arbre étaient retranchées, mais un scion propre à porter des fruits savoureux n’était pas greffé sur le sauvageon. Si on en fût resté là, on eût obtenu peut-être une Église avec des mœurs moins choquantes, mais non avec une saine doctrine et une nouvelle vie. Or la Réformation ne se contentait pas de formes plus décentes, elle voulait une seconde création.

Toutefois le parlement avait fait faire un grand pas à la révolution qui allait transformer l’Église. Une nouvelle puissance venait de prendre sa place dans le monde ; les laïques avaient triomphé du clergé. Sans doute les catholiques honnêtes devaient donner leur assentiment aux lois faites par le parlement de 1529 ; mais elles étaient pourtant une conquête de la Réforme. C’était elle qui avait inspiré aux laïques cette énergie nouvelle ; au parlement, cette marche hardie ; aux libertés de la nation cet élan qui leur avait manqué jusqu’alors. La joie fut grande dans tout le royaume ; et tandis que le roi se rendait à Greenwich et y célébrait les fêtes de Noël par de somptueux festins, des concerts, des danses, des mascarades, les députés des communes étaient accueillis dans les villes, les bourgs et les villages de l’Angleterre par des réjouissances publiquesm. Aux yeux du peuple, les membres du parlement paraissaient des soldats qui venaient de remporter une brillante victoire. Seuls dans l’Angleterre, les évêques étaient tristes, irrités, et en regagnant leurs résidences, ils ne pouvaient cacher l’angoisse que leur inspiraient les dangers de l’Eglise. Les prêtres, qui avaient été les premières victimes immolées sur l’autel des temps nouveaux, inclinaient la têten. Mais si le clergé entrevoyait des jours lugubres, les laïques saluaient avec allégresse l’ère glorieuse des libertés du peuple et de la grandeur de l’Angleterre. Les amis de la Réformation allaient encore plus loin ; ils croyaient que l’Évangile opérerait dans le monde une complète transformation et disaient, à ce que nous apprend Tyndale, que l’âge d’or allait reparaîtreo.

m – « To the great rejoicing of the lay people. » (Fox, Acts, IV, p. 614.)

n – « The great displeasure of spiritual persons. » (Ibid.)

o – « As though the golden world should come again. » (Tyndale, Work, I, p. 481.)

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