Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 2
Le parlement et ses griefs

6.2

Impulsion donnée à la liberté par la Réforme – Les Communes exposent leurs griefs – Exactions, bénéfices, fêtes, emprisonnements – Les Communes défendent les évangéliques – Emotion des évêques. – Leur réponse – Leurs procédés quant à la Réforme

Le 3 novembre au matin, Henri VIII, alors au palais de Bridewell, se revêtait des robes magnifiques en usage pour les grandes cérémonies, et montait avec les seigneurs de sa suite sur la barque de gala qui l’attendait pour le conduire à l’église de Black-Friars, où les membres du Parlement étaient réunis. Après y avoir entendu la messe du Saint-Esprit, le roi, les lords et les communes se rendirent à Westminster ; le roi s’étant assis sur le trône, son nouveau chancelier, Thomas More, exposa les motifs de la convocation. Thomas Audley, procureur du duché de Lancaster, fut nommé Orateur, soit président de la chambre basse.

Le Parlement se contentait en général d’adhérer aux propositions du gouvernement. La grande charte existait, il est vrai, depuis longtemps ; mais jusqu’alors, elle n’avait guère été qu’une lettre morte. La Réformation lui donna la vie. « Christ nous met de servage en liberté par le moyen de l’Évangile, » disait Calvina. Cette émancipation, qui était essentiellement spirituelle, s’étendit bientôt à d’autres sphères, et fit naître dans la chrétienté un élan de liberté. En Angleterre même, une impulsion était nécessaire. Sans doute, sous les Plantagenet et les Tudor, la machine constitutionnelle existait, mais elle ne jouait guère que dans la direction imprimée par la main puissante du maître. Sans la Réformation, l’Angleterre eût pu longtemps dormir.

aIn Johannem, Jean 8.36.

Ce fut dans le parlement de 1529, que l’impulsion donnée par la vérité religieuse aux libertés latentes du peuple, se fit sentir pour la première fois. Les députés élus partageaient les vives préoccupations du peuple, et prenaient place au parlement, avec la ferme décision d’apporter dans les affaires de l’État et de l’Église, les réformes nécessaires. En effet, dès le premier jour, plusieurs membres signalèrent les abus de la domination cléricale, et proposèrent d’exprimer au roi les désirs de son peuple.

Les communes auraient pu se mettre elles-mêmes à l’œuvre, se jeter dans des entreprises hardies, et donner ainsi à la Réforme un caractère de violence qui eût porté le trouble dans l’État ; mais elles préférèrent supplier le roi de prendre les mesures nécessaires pour réaliser les vœux de la nation ; une pétition dont les termes étaient respectueux, mais clairs et forts, fut votée. La Réformation avait commencé en Angleterre, comme en Suisse et en Allemagne, par des conversions personnelles. C’est d’abord l’individu qui se réforme ; mais il faut bien que la société fasse ensuite de même, et les mesures nécessaires pour y parvenir ne pouvaient être prises au seizième siècle, sans la participation de l’autorité. Un peuple allait donc exprimer librement, noblement à son prince, ses griefs et ses désirs.

Un des premiers jours de la session, l’Orateur et quelques membres qui lui avaient été adjoints se présentèrent au palais. « Sire, dirent-ils, il y a eu récemment dans votre royaume beaucoup de mésintelligences et de désordres, et il est à craindre que ces débats ne s’accroissent de jour en jour, et ne portent atteinte à la paix de vos sujets. En voici les causesb. »

b – La pétition se trouve dans les msc. du Roll’s House. (Voir Froude, History of England, I, p. 208, 214.)

Cet exorde ne pouvait manquer d’exciter l’intérêt du roi. L’orateur des communes commença donc à dévoiler hardiment la longue liste des plaintes de l’Angleterre : « Sire, dit-il, les prélats de votre royaume et leur clergé rendent en leur convocation des ordonnances pour lesquelles ils ne demandent, ni votre assentiment, ni celui de votre Parlement.

De plus, un bon nombre de vos sujets, et surtout les plus pauvres, sont chaque jour obligés de comparaître devant les évêques ou leurs commissaires, sur l’accusation de personnes légères, et se voient, pour les causes les plus futiles, excommuniés et condamnés à des charges insupportables.

Les évêques autorisent les prêtres à extorquer des sommes considérables de vos serviteurs, et en cas de refus, interdisent à ceux-ci les sacrements.

Vos prélats confèrent journellement des bénéfices à certains jeunes garçons, qu’ils appellent leurs neveux ou leurs cousins, et qui vu leur âge, ne peuvent s’acquitter de leurs fonctions ; grand dommage pour les pauvres âmes, qui périssent faute d’enseignement ; mais grand profit pour ces prélats qui mettent dans leur poche la rente de ces bénéfices.

On célèbre dans votre royaume un grand nombre de fêtes qui entraînent vos sujets à se livrer à l’oisiveté, à des jeux folâtres, à des vices abominables, exécrablesc… Nous prions Votre Majesté d’en diminuer le nombre. Les évêques font mettre certains de vos sujets en prison, sans que ceux-ci sachent, ni la cause de leur emprisonnement, ni le nom de leurs accusateurs. »

c – « Many great abominable and execrable vices. » (Petition of the Commons, ibid. I, p. 215.)

Jusqu’à ce moment, les communes étaient restées dans des questions déjà plus d’une fois débattues ; elles craignaient d’aborder le sujet de l’hérésie devant le défenseur de la foi romaine. Mais il y avait dans l’assemblée des hommes évangéliques, qui avaient été témoins des souffrances des réformés. Au risque donc d’indisposer le roi, l’Orateur prit hardiment la défense des prétendus hérétiques.

« Comment, dit-il, procède-t-on à leur égard ? Les évêques leur adressent certaines questions subtiles sur les mystères les plus profonds de notre foi, et font tomber ainsi dans le piège des hommes simples, des laïques dépourvus de science théologique. Ils leur font confesser des fautes que ces malheureux n’ont jamais commises ; ils condamnent l’innocence, ou si les accusés nient la faute, les commissaires épiscopaux trouvent moyen de produire contre eux des témoins diffamésd, et livrent la victime aux mains séculières… »

d – « Such witnesses are so sore defamed, of little truth or credence. » (Petition.)

L’Orateur ne se contente pas de signaler le mal : « Votre Majesté, dit-il, est seule capable de porter remède à de tels maux. Faites-le, Sire, et non seulement vous exciterez ainsi en nous un amour merveilleux, mais encore vous ferez l’exploit le plus royale et l’acte le plus charitable, dont jamais prince ait donné l’exemple. »

e – « Ye shall do the most princely feat. » (Ibid.)

Le roi écoutait ce discours avec cette dignité qui le caractérisait, mais aussi avec une certaine bienveillance. Il reconnut dans l’acte de la chambre des demandes équitables, et qui pouvaient appuyer l’indépendance religieuse à laquelle il aspirait. Cependant, ne voulant pas prendre le parti de l’hérésie, il choisit seulement les abus les plus criants, et invita ses fidèles communes à en proposer elles-mêmes le redressement. Puis il envoya la pétition aux évêques, en leur demandant de répondre aux charges portées contre eux ; et il ajouta que son consentement seul pourrait dorénavant donner force de loi à leurs arrêts.

Cette communication royale fut un coup de foudre pour les prélats. Quoi ! les évêques, les successeurs des apôtres, accusés par les représentants de la nation, et invités par le roi à se justifier, comme des criminels… les communes de l’Angleterre oubliaient-elles donc ce que c’est qu’un prêtre ? Ces ecclésiastiques superbes ne pensaient qu’aux vertus indélébiles que la consécration leur avait, selon eux, conférées, et fermaient les yeux sur les vices de leur faillible humanité ; on comprend leur émotion, leur embarras, leur colère. La Réformation, qui avait fait le tour du continent, arrivait aux portes de l’Angleterre ; le roi heurtait avec force à la leur… Que faire ? Ils ne savaient. Ils se réunissaient, lisaient et relisaient le mémoire des communes ; les évêques de Cantorbéry, de Londres, de Lincoln, de Saint-Asaph, de Rochester, l’épiloguaient et le réfutaient. Ils l’eussent volontiers jeté au feu, et selon eux, c’eût été la meilleure réponse ; mais le roi attendait ; l’archevêque de Cantorbéry reçut charge de l’éclairer.

Celui-ci n’appartenait pas au parti le plus fanatique ; il était un homme prudent et, à peine le désir de réforme s’était-il manifesté en Angleterre, qu’inquiet et craintif, il s’était hâté de donner quelque satisfaction à ses ouailles, en réformant des abus sanctionnés par lui pendant trente ansf. Mais il était prêtre, — prêtre romain ; — il représentait une hiérarchie inflexible. Fortifié par les clameurs de ses collègues, il se décida à prononcer le fameux non possumus, moins puissant toutefois en Angleterre qu’à Rome.

f – « Within these ten years I reformed many other things. » (Reply of the Bishops.)

« Sire, dit-il, vos communes nous reprochent une conduite peu charitable à l’égard de vos sujets… Nous les aimons, au contraire, d’une affection cordiale, et nous nous sommes bornés à faire acte de juridiction envers ceux qu’infecte le poison pestilentiel de l’hérésie… Les tolérer, ne serait-ce pas s’opposer à Christ, qui a dit : Je vous apporte non la paix, mais l’épée

Vos communes se plaignent de ce que nous faisons des lois contraires aux statuts du royaume. Nous en sommes affligés autant qu’elles. Mais que Votre Majesté, avec l’assentiment de son peuple, veuille bien mettre d’accord ses lois avec les nôtres, et ainsi il y aura entre vous et nous l’entente la plus complèteg.

g – « Pray that your Highness will temper your gracions law accordingly, whereby shall ensue a most happy conjunction. » (The Answer of the ordinaries, Rolls House, msc, Froude I, p. 225.)

Vos communes nous accusent de mettre en prison, avant même de les avoir convaincues, des personnes suspectes d’hérésie… Est-il mal de punir des moines apostats, des prêtres déréglés, des marchands banqueroutiers, des vagabonds oisifs et débauchés ? Ajoutez-y, si vous voulez, quelques âmes simples et ignorantes qui ont été séduites par eux.

Vos communes se plaignent de ce que deux témoins, fussent-ils même diffamés, suffisent pour exposer la réputation, la fortune, la vie de vos sujets… Sans doute, en général, un juge doit apprécier le caractère moral des témoins ; mais quand il s’agit d’hérésie, cela n’est pas nécessaire ; il suffit que la déposition soit probableh. C’est là une loi universelle de la chrétienté, qui n’a jamais fait de mal.

h – « In heresy no exception is necessary to be considered if their tale be likely. » (Ibid., p. 23.)

Vos communes nous accusent de donner des bénéfices à nos neveux et même à des enfants qui ne parlent pas encore, et de toucher le produit de ces bénéfices pendant la minorité de ces garçons. Quel mal y a-t-il là, si nous l’appliquons à leur éducation, à leur entretien, ou en général au maintien du service de Dieu ?… »

Quant à la vie déréglée des prêtres, les prélats remarquèrent qu’elle était réprouvée par les lois de l’Église, et que par conséquent il n’y avait rien à dire sur ce point.

Enfin, les évêques profitèrent de l’occasion pour prendre l’offensive : « Sire, dirent-ils, réprimez l’hérésie ; nous vous le demandons humblement, à genoux, de toutes nos forces. »

Tel fut, en Angleterre, le plaidoyer du catholicisme romain. Sa défense eût suffi pour le condamner.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant