Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 14
Une héroïque résolution et une heureuse délivrance

(Août et septembre 1534)

7.14

Les de Diesbach de Berne – Mission de Rodolphe de Diesbach en France – Une terrible nécessité – Il faut abattre les faubourgs – Le danger s’approche – Un réfugié d’Avignon – Estrapade à Peney – Effets produits par l’ordonnance de démolition – Opposition des catholiques – De la Maisonneuve est libéré – Séance à la Tour Perse – Les prisonniers rendus à leurs familles – Lettre de François Ier – Furbity demandé et refusé

Les amis de l’indépendance et de la Réformation avaient des inquiétudes plus fondées que celles des nonnes de Sainte-Claire ; ils comprenaient que l’attaque n’était que renvoyée et qu’ils devaient se tenir prêts pour de rudes combats ; Genève rassemblait donc ses forces : « Que tous ceux qui sont dehors viennent ! » dit le conseil. Mais hélas ! deux des plus intrépides étaient dans les prisons du primat de France et près d’être envoyés à l’échafaud. La sentence qui condamnait à mort Baudichon de la Maisonneuve et son ami avait été prononcée, nous l’avons vu. Ils avaient été livrés par les prêtres au bras séculier, et ils allaient être exécutés quand une nouvelle tentative fut faite en leur faveur.

Il y avait à Berne une famille patricienne, illustre par son antique noblesse et sa valeur, et dont quelques membres avaient rendu à la France des services signalés. Au quinzième siècle, l’avoyer Nicolas de Diesbach avait allié cette puissante république avec le roi Louis XI contre Charles le Téméraire, et avait remporté plusieurs victoires sur des bandes bourguignones. Un autre de Diesbach, Jean, avait commandé, à Pavie en 1525, les troupes suisses auxiliaires de la France. Placé à l’aile droite, à la tête de deux mille Helvétiens, il avait d’abord repoussé les fantassins et les cavaliers impériaux. François Ier était sur le point de remporter la victoire ; mais bientôt la gauche avait été anéantie ; de ce côté, Suffolk, héritier de la Rose blanche, le frère du duc de Lorraine, Nassau, Schomberg, La Trémouille, San Sévérino, le vieux La Palisse étaient tombés sur le champ de bataille, et Montmorency avait été fait prisonnier. Néanmoins les Suisses luttaient encore avec courage, quand d’Alençon, beau-frère du roi, s’étant enfui lâchement, en entraînant après lui une partie des gens d’armes de France, avait ébranlé les soldats de Diesbach, qui combattaient à ses côtés et criaient déjà victoire. Dans ce moment les lansquenets, commandés par le redoutable Freundsberg, se jettent sur les Suisses avec fureur et les rompent ; les Helvétiens voyant les Français se retirer, croient qu’ils veulent les sacrifier à la haine des Allemands. En vain Jean de Diesbach les conjure, les menace ; rien ne peut les retenir. Alors ce valeureux capitaine se précipite seul au-devant d’un bataillon de lansquenets et tombe mort. Bonnivet, désespéré, tendant sa gorge aux piques de l’ennemi, expire, et François Ier, enfin, qui est le dernier à combattre, remet en frémissant son épée à Lanoya.

a – Récits de Pescaire, de Fieundsberg. — Histoire de la Suisse, par Jean de Muller, continuée par MM. Gloutt-Blotzheim, J.-J. Hottinger, Monnard et L. Vulliemin.

Jean de Diesbach avait épousé une Française, Mademoiselle de Refuge ; le roi avait assuré à cette dame une dot de 10 000 livres, et plus tard avait donné comme équivalent au sire de Diesbach la seigneurie de Langes que celui-ci avait léguée à sa femme. Mais en 1533, François Ier avait repris cette terre, sans donner les 10 000 livres de dot qu’il avait promises. La veuve du héros de Pavie se voyant ainsi privée de ses biens par celui pour lequel son mari était mort, avait réclamé l’intervention de Berne, et les chefs de cette république avaient chargé un autre Diesbach, Rodolphe, de se rendre à la cour de France pour appuyer la juste réclamation de sa parente. Rodolphe partit le 12 janvier 1594, accompagné de Georges Schœner. Cette mission devait avoir plus d’importance pour Genève que pour Berneb.

b – Chroniques manuscrites de la famille de Diesbach, à Berne.

Rodolphe de Diesbach était lui-même très bien vu en France. Il y avait passé sa jeunesse, avait fait ses études à l’université de Paris, et de 1507 à 1515 il avait pris part aux guerres de Louis XII, et s’y était conduit avec honneur. De retour à Berne, il fut de ceux qui embrassèrent la foi évangélique, et souvent il fut appelé à défendre les intérêts de Genève et de là Réformation. Pendant que Rodolphe était en France, pour plaider la cause de sa cousine ; de la Maisonneuve et Janin furent mis en prison à Lyon, et Diesbach reçut des seigneurs de Berne l’ordre de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour obtenir du roi leur élargissement. Il se mit à l’œuvre avec toute l’énergie d’un Bernois et d’un guerrier ; se rendit à Blois, où François Ier tenait alors sa cour, et sollicita vivementc la délivrance des deux évangéliques. Il voyait dans Baudichon de la Maisonneuve son combourgeois, son coreligionnaire, et comprenait combien sa présence serait utile à Genève. Mais des seigneurs catholiques, des prélats ultramontains insistaient auprès du roi pour que les deux Genevois, condamnés à Lyon, y fussent brûlés. Comment François Ier, devenu récemment ami du pape, et qui avait ordonné de faire et parfaire dans son royaume le procès des hérétiquesd, sauverait-il ceux de Genève ? Les amis ainsi que les ennemis de la Réformation étaient dans l’attente la plus vive. Les semaines, les mois même s’écoulèrent sans qu’on pût obtenir du roi une réponse décisive.

c – Registre du Conseil de Genève, 17 septembre 1534.

d – Lettre à l’évêque de Paris.

Pendant ces longs délais, Genève était fort agité. L’absence des énergiques huguenots n’empêchait pas que l’œuvre ne s’y poursuivît avec résolution. Les magistrats voulaient prendre et exécuter promptement les résolutions suprêmes auxquelles les appelaient les périls de la patrie. Une nécessité terrible et inexorable se présentait toujours de nouveau à leur esprit : Pour sauver Genève, il fallait le détruire.

La ville était alors composée de deux parties : la cité et les quatre faubourgs. Le faubourg du Temple ou des Aigues-Vives (Eaux-Vives) s’étendait sur la rive gauche du lac, et le temple de Saint-Jean-de-Rhodes qui s’y trouvaite, lui avait donné son nom ; le faubourg de Palais s’étendait à gauche sur les bords pittoresques du Rhône ; celui de Saint-Léger allait de la ville jusqu’au pont jeté sur le torrent glacé de l’Arve, et celui de Saint-Victor, où était le monastère de ce nom, allait de Malagnou à Champel. Cette ville extérieure avait autant de maisons que la ville intérieure, occupait un terrain beaucoup plus considérable et comptait plus de 6 000 habitants.

e – Près du Pré-l’Évêque, au delà du Nant.

Le 23 août, les deux cents membres du grand conseil reçurent une convocation portant « à cause des affaires urgentes de la villef. » Chacun comprit de quoi il s’agissait. Le premier syndic proposa de murer une partie des portes, de faire bonne garde, mais il ajouta que ce n’était pas assez, que les faubourgs étant fort étendus, l’ennemi pouvait s’y établir ; qu’il fallait sans hésiter abattre toutes les maisons, les granges, les murailles, en commençant immédiatement par les plus proches. A l’ouïe de cette proposition, plusieurs furent saisis de douleur. Quelle mesure, quel désastre ! Les citoyens détruiront de leurs propres mains ces paisibles foyers où a joué leur enfance, où sont nés, où sont morts ceux qu’ils ont aimés, et une grande partie de la population n’aura plus d’autre abri que la voûte du ciel. Cependant les Deux-Cents n’hésitèrent pas. Les amis de la Réformation, aux yeux desquels l’Évangile avait relui dans tout son éclat, étaient prêts, pour le conserver, aux plus grands sacrifices. Ceux mêmes que ne touchaient pas les motifs religieux étaient entraînés par l’enthousiasme patriotique. « Mieux vaut perdre la main que le bras, — mieux les faubourgs que la ville ! » disaient les citoyens. La résolution fut prise et, sans aucun délai, car il y avait urgence, le même jour, après dîner, les quatre syndics, accompagnés d’Aimé Levet et des cinq autres capitaines de la cité, « allèrent faire commandement d’abattre les faubourgs. » Il y eut çà et là des cris et des pleurs, mais presque tous résolurent de déposer leurs biens, quoique d’une main tremblante, sur l’autel de la patrie et de la foi.

f – Registres du Conseil ad diem.

Il le fallait ; chaque jour le danger semblait s’approcher. Les ambassadeurs genevois à Berne écrivaient au Conseil : « Tenez-vous sur vos gardes ! » Des actes de violence, de petites escarmouches annonçaient de plus graves combats. Le 14 août, Richerme, marchand de Genève, revenant de Lyon, fut enlevé, traîné successivement dans trois châteaux de l’évêque et mis à la torture. Le 25, un autre Genevois, Chabod, fut saisi sur le mont de Sion, conduit au château de Peney, et mis aussi à la question ; mais les juges, voulant faire preuve de débonnaireté, ajoutèrent : « Qu’on la lui donne sans lui rompre les os et sans le mettre en danger de mortg. » On amena bientôt un nouveau prisonnier.

g – Froment, Gestes de Genève, p. 133. — A. Roget, les Suisses et Genève, II, p. 122, d’après les papiers de M. Galiffe.

Il y avait à Avignon un brodeur, « tant superstitieux en jeûnes, » qu’il restait quelquefois plusieurs jours sans boire ni manger. Ce pauvre artisan, ayant reçu l’Évangile, avait cessé d’aller à la messe et fut en conséquence mis en prison. Les hommes d’Église lui demandèrent s’il y avait longtemps qu’il n’avait assisté au sacrifice de l’autel : « Trois ans, dit-il ; et à la mienne volonté, que jamais, moi et mon ménage, nous n’y eussions été ! » L’oyant ainsi parler, les prêtres n’osèrent le faire mourir, car ils le crurent fou. Six mois après, survint une grande peste ; chacun s’enfuyait, et les prisons restèrent même ouvertes ; « ce que voyant le pieux brodeur en sortit. » Il avait soif de l’Évangile ; il savait qu’il y avait de grands prédicateurs dans Genève, il se mit donc en route pour cette ville. Ses frais de voyage n’étaient pas grands ; il avait coutume « d’aller d’Avignon à Lyon, plus de soixante lieues françaises, pour un sol de roi, » dit Froment. Se trouvant enfin dans la vallée du Léman, sur le grand chemin, seul, fugitif, mais avec une joie anticipée des paroles de vie qu’il entendrait bientôt, il se vit tout à coup entouré de cavaliers qui lui dirent brusquement. « Où allez-vous ? — A Genève. — Qu’allez-vous y faire ? » Le brodeur répondit, sans feintise, courtamment et rondement, selon sa coutume : « J’y vais ouïr prêcher l’Évangile. N’y et voulez-vous pas aller pour l’ouïr aussi ? — Nenny, » répondirent ces hommes. Il se mit à les presser : « Allez-y, je vous prie, disait-il. Je suis émerveillé de vous ; vous êtes si près, et moi je viens bien d’Avignon expressément pour cela. Je vous prie que vous y veniez ! — Marche, méchant, lui dirent-ils, et nous t’apprendrons à ouïr ces diables de Genève. » Ils le conduisirent à Peney, et arrivés du château : « Nous te donnerons trois estrapades, lui dirent-ils, au nom des trois diables que tu voulais aller ouïr prêcher. » Lui ayant lié les mains derrière le dos, ils l’enlevèrent au haut d’une longue pièce de bois et le firent tomber avec roideur à deux pieds de terre. Celle-ci, lui cria-t-on, est au nom de Farel ; » puis vint une estrapade pour Viret et une pour Froment. Le pauvre homme, tout brisé, s’étant remis tant bien que mal sur ses jambes, regarda derechef ses bourreaux, et, touché d’amour pour eux, leur répéta d’un ton persuasif : « Venez avec moi ouïr l’Évangile. » Les Peneysans, indignés, répondirent rudement : « Retourne-t’en bien vite d’où tu es venu ; — ce qu’il ne voulut pour chose qu’on lui sût faire. » « Il est hors de sens ! » dirent-ils, et le prenant pour un idiot, ils le relâchèrent. Le pauvre homme arriva à Genève « où fut logé environ deux mois, dit Froment, avec l’auteur de ce livre, à qui racompta toute l’affaireh. »

hActes et Gestes merveilleux de la cité de Genève, p. 171,175.

Ces actes de violence indiquaient aux Genevois qu’il n’y avait pas de temps à perdre. Dès le mois d’août, les décisions du Conseil se succédèrent coup sur coup. Le 18, il arrêta que l’église et le prieuré de Saint-Victor seraient démolis ; le 23, que toutes les maisons, granges et murailles des faubourgs seraient abattues ; le même jour qu’on engagerait un certain nombre d’hommes de guerre suisses qui seraient nourris et logés par les riches à tour de rôle ; le 24, que tous ceux qui étaient dehors seraient sommés de revenir pour défendre Genève ; le 1er septembre, qu’on fortifierait la ville du côté du lac ; le 11, que les arbres autour des murailles qui empêcheraient de voir l’approche des ennemis, seraient coupés, et le 13, que chacun eût à démolir sa maison en deux jours, c’est-à-dire dès le 13 septembrei.

i – Registres du Conseil aux dates indiquées.

La calamité se présenta alors comme imminente, inexorable, et avec toutes ses rudes et lugubres réalités. Le trouble était dans les plus faibles, la colère dans les plus passionnés. Il y avait de grandes clameurs dans les faubourgs. Quoi ! les maisons rasées rez terre, comme ailleurs les demeures des criminels, et cela par les propres mains de ceux qui les habitent ! Les prêtres frémissaient à la pensée que les églises de Saint-Victor, de Saint-Léger, des chevaliers de Rhodes allaient être détruites. Des citoyens aigris montraient froidement la solidité des édifices condamnés et disaient qu’on ne parviendrait pas à les abattre. Enfin les chefs du parti catholique, comprenant que ce qui devait être le salut de la Réforme serait la perte de la papauté, se décidèrent à opposer à cette mesure une vigoureuse résistance.

Trente des plus notables, ayant à leur tête Antoine Fabri, de la famille du fameux évêque Waldemar, et Philippe de la Rive, se rendirent au Conseil. Fabri, chargé de porter la parole, était calme, mais il avait à côté de lui de Muro (du Mur), fort animé. « Nous demandons, dit Fabri, qu’on laisse les faubourgs en leur état, comme beaux, commodes et plus utiles pour la ville que si on les abattait. » Le Conseil, auquel il en coûtait d’imposer un tel sacrifice, se réserva de venir en aide aux plus lésés ; mais il maintint l’arrêt. Je demande congé de sortir de la ville, s’écria de Muro, avec huit cents hommes de nos combourgeois, car cette démolition est un acte d’hostilité envers nousj. »

j – Registres du Conseil du 14 septembre 1534.

Au moment où des citoyens menaçaient de quitter Genève, les amis de l’indépendance désiraient d’autant plus voir revenir ceux qui étaient dehors. Il y en avait un surtout dont chacun appréciait la décision et le courage. Tout à coup, le 16 septembre, le jour même où Muro avait fait entendre des paroles menaçantes, un bruit courut toute la ville : Baudichon de la Maisonneuve et son compagnon sont délivrés !

Rodolphe de Diesbach et Georges Schœner n’avaient cessé d’implorer l’intervention du roi. Ce prince qui, dans quelques mois allait remplir les rues de sa capitale d’estrapades et de bûchers, ne sentait pas des compassions bien vives pour les deux hérétiques. Toutefois, il désirait se concilier la faveur des Suisses, et peut-être même qu’étant peu disposé à rendre à la veuve de Jean de Diesbach ses terres, il n’était pas fâché de donner aux Bernois quelque autre satisfaction. La cause de la justice triompha enfin. Le roi accorda aux vives instances de Diesbach l’élargissement des prisonniers. Les deux Bernois, au lieu de s’amuser à regarder « d’un côté et d’autre aux aides de ce monde, » reconnurent la protection de Dieu. « Nous avons obtenu leur liberté, dirent-ils, Dieu nous les ayant donnésk. » Ils se rendirent aussitôt à Lyon, munis de lettres closes, scellées du sceau de Sa Majesté, et les présentèrent aux autorités sous la garde desquelles les captifs attendaient qu’on les brûlât, selon ce qui se pratiquait alorsl. » Les portes de la prison s’ouvrirent ; de la Maisonneuve et Janin furent remis aux Bernois. A la nouvelle de cet acte inouï, les officiaux, les inquisiteurs, les chanoines de Saint-Jean furent consternés ; tous les prêtres de Lyon en furent bien marris, et l’évêque de Genève encore plus ; mais leur fallut prendre patiencem. » Quant aux prisonniers, ils savaient que si Dieu délivre ses serviteurs, ce n’est pas pour qu’ils abandonnent ce qu’ils ont commencé. Au lieu de dire, en se voyant libres : Demeurons dans l’ombre quelque temps pour ne pas nous exposer à de nouveaux périls, ils voulaient travailler à l’émancipation de leur patrie avec une plus grande ardeur. Ils firent le voyage de Lyon à Genève avec les deux seigneurs de Berne et rentrèrent dans les murs de l’antique cité.

k – « Deo dante illorum relaxationem obtinuerunt. » (Ibid.)

l – Note de Flournois sur le passage correspondant des Registres du Conseil.

m – Froment, Gestes de Genève, p. 84.

On y était encore dans de grandes inquiétudes à leur égard. Aussi, quand, dans la journée du 16 septembre, le bruit se répandit que des ambassadeurs bernois venaient d’arriver à l’hôtellerie de la tour Persen avec Baudichon et le Collonier, plusieurs pouvaient à peine le croire ; Dieu donnait aux Genevois plus qu’ils n’avaient espéré. Quand des amis que l’on croyait perdus sont retrouvés, ceux que leur perte avait mis dans le deuil accourent et éprouvent, en les contemplant, un saisissement inexprimable ; ce fut ce qui arriva lorsque les deux captifs furent de retour dans Genève. Il y eut dans la ville une grande allégresse. Plusieurs rendaient grâce à Dieu de ce que « la course violente des loups, qui voulaient manger les meilleures brebis du troupeau, avait été dissipée, » et louaient le roi de France de ce qu’il estimait les arquebuses des Suisses plus que les patenôtres des prêtres.

n – Registre du Conseil du 17 septembre 1584.

Désireux de donner aux ambassadeurs une marque de gratitude respectueuse, les quatre syndics, les conseillers, leurs huissiers et officiers, se rendirent, le 17 septembre, à la tour Perseo pour y tenir la séance officielle dans laquelle la transmission des prisonniers devait se faire. Les premiers magistrats de la république, ayant pris place dans l’une des salles, selon l’ordre accoutumé, Jean-Rodolphe de Diesbach et G. Schœner entrèrent accompagnés des captifs. Ces nobles seigneurs exposèrent qu’ils venaient de Lyon et de la Cour de France ; qu’avec l’aide de Dieu ils avaient obtenu le relâchement des deux Genevois ; que, selon la règle, ils devaient les remettre entre les mains des magnifiques seigneurs de Berne, à l’intervention desquels leur délivrance était duep ; que toutefois ils se rendaient au désir de Baudichon et du collonier, qui préféraient demeurer dans cette ville de Genèveq ; qu’ils demandaient seulement une garantie comme quoi le Conseil serait prêt à les représenter à Messieurs de Berne si ceux-ci les demandaientr. Les magistrats genevois firent leurs remerciements aux seigneurs de Berne et leur donnèrent par écrit la déclaration voulues.

o – « In domo turris Perse. » (Registre du Conseil, ibid.)

p – « Illos debere magnificis Dominis Bernatibus præsentari. » (Registre du Conseil du 17 septembre 1534.)

q – « Dicti Baudichon et Collonier optant potius in hac civitate exspectare, quod alibi. » (Ibid.)

r – « Petunt cautionem de repræsentendo eosdem. » (Ibid.)

s – « Super quo factum remersiationibus. » (Ibid.)

Enfin, de la Maisonneuve était libre ; il pouvait retourner vers sa femme et ses enfants et converser avec ses amis. Ceux-ci ne pouvaient se lasser de l’entendre ; tous les détails sur sa prison, ses comparutions, ses dangers, avaient pour eux l’intérêt le plus vif. Froment surtout, qui aimait à jasert, lui faisait beaucoup de questions. Comme m’a dit Baudichon (lisons-nous dans ses Gestes) tout cela ne fut pas fait sans grands frais et missions, et sa prise lui coûta mille et cinquante écus au soiu. »

t – Bonnet, Lettres françaises de Calvin, II, p. 575.

u – Froment, Gestes de Genève, p. 244.

Une lettre de François Ier vint couronner cet épisode de l’histoire de la Réformation. Quatre jours après que les deux prisonniers furent rendus à leurs pénates, ce prince écrivit aux syndics de Genèvev :

v – Nous donnons cette lettre inédite telle qu’elle se trouve dans les pièces historiques des Archives de Genève, no 1054, année 1534, en conservant l’orthographe du temps.

« A noz très chers et bons amys les seigneurs de Genesve.

Très chers et bons amys. Vous scavez, comme à vostre grant prière et requeste, et pareillement de noz très chers et grans amys, confédérez, alliez et bons comperes, les seigneurs de la ville et quenton de Berne, nous vous avons rendu et renvoyé certains prisonniers qui avoient tenu en cestuy nostre Royaume, propos de la foy, telz et de telle conséquence, que pource ils avoient esté condampnez à mort. Ce que nous auons bien voulu faire pour l’affection que auons de gratiffier vous et les dicts seigneurs de Berne, tant en cest endroict que en tous autres que nous seront possibles, ayans ceste parfaicte fiance que vous estes pour faire envers nous le semblable. A ceste cause ayans esté advertiz que vous avez faict détenir prisonnier en vostre ville ung Religieux nostre subgect, nommé frere Guy Furbity, de l’ordre des freres prescheurs, pour avoir tenu aucuns propos et dogmatisé choses touchant la foy et l’Église, qui ne vous ont semblé bonnes et pour lesquelles l’on est après à luy faire son procès, nous vous voulions bien prier très affectueusement par la présente que en usant envers nous de plaisir réciproque, vous vueillez incontinant relascher ledict Furbity nostre subgect, sans autrement proceder contre luy, pour rayson de ce que dessus. En quoy faisant, vous nous ferez plaisir très agréable. Priant le Créateur, très chers et bons amys, qu’il vous ayt en sa tressainte garde. Escript à Bloys le XXIe jour de septembre mil Vc XXXIIIj.

Françoys.

Breton. »

François Ier disait : Je vous remets deux prisonniers, remettez-m’en un ; cela semblait juste et naturel, et pourtant la petite république n’accéda pas à la demande du puissant roi de France. Le Conseil voulait suivre consciencieusement la marche légale et les règles diplomatiques. Il trouva que les deux cas n’étaient pas identiques ; et le dominicain ayant été fait prisonnier à l’instance des seigneurs de Berne, il fut arrêté que l’on prendrait d’abord leur avis. La faveur des Valois ne pouvait faire plier Messieurs de Genève, même après la grâce extraordinaire qu’ils venaient de recevoir ; avant tout ils voulaient suivre les principes admis en politique, et faire droit aux Bernois. Furbity fut mis en liberté au commencement de 1536.

C’était une faute d’avoir mis le dominicain en prison pour ses prédications, et c’en était une de l’y garder ; mais dans l’un et l’autre cas, la faute appartenait au siècle. Cette réserve faite, il est permis de rendre au courage des faibles l’honneur qui lui est dû. Il est noble à de petits États de tenir ferme aux principes, en présence de puissants empires, quand ils le font sans jactance. Et non seulement cela est beau, mais cela aussi est salutaire, et les revêt d’une force morale qui garantit leur existence. Les petites républiques de la Suisse, et Genève en particulier, en ont donné des exemples plus notables que celui qui vient d’être rapporté.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant