Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 8
Union de l’Église d’Angleterre avec Les protestants de l’Allemagne

(1534 à 1535)

8.8

Henri VIII accueilli de Mélanchthon – Mélanchthon le repousse – L’électeur et Luther disposés pour Henri – Les erreurs de l’intolérance – Nouvelle ambassade anglaise – L’alliance est signée – Cranmer sauve Marie – Conférence avec Catherine – Décision, ascétisme, maladie de Catherine – Préparatifs de Charles contre l’Angleterre – Testament, adieux, mort de Catherine – Sentiment d’Anne Boleyn à sa mort – L’Angleterre et l’Allemagne cherchent à s’unir – Discussion théologique à Wittemberg – Luther cédera-t-il quelque chose ? – Un maître et des esclaves à la cour d’Angleterre

Henri VIII ayant renversé la colonne de la papauté, — les moines — sentait le besoin de fortifier l’œuvre qu’il avait entreprise, en s’alliant avec les protestants continentaux. Ce n’était pas du côté des Suisses, des Français réformés, qu’il se tournait ; leur peu d’importance politique, ainsi que la décision de leur Réforme et de leur caractère l’éloignaient d’eux. « Ah ! disait Calvin, ce sont des imprudents qui exaltent le roi d’Angleterre. Attribuer en tout, au prince, l’autorité souveraine, l’appeler chef suprême de l’Église, au-dessous de Jésus-Christ, est à mes yeux un vrai blasphèmea ! »

a – « Inconsiderati homines… Dederunt illi (Regi Angliæ), summam rerum omnium potestatem, et hoc me semper graviter vulneravit. Erant… enim blasphemi, quum vocarent ipsum Summum caput Ecclesia sut Christo. » (Calvinus in Amos.7.13.)

Henri espérait davantage de l’Allemagne que de la Suisse. Déjà en 1534, trois sénateurs de Lubeck lui avaient présenté la Confession d’Augsbourg, et proposé une alliance contre le pontife romainb. La reine Anne pressait le roi de s’unir avec les protestants. Au printemps de 1535 Barnes fut envoyé à Wittemberg, et engagea les réformateurs à réclamer la protection de son maître. Mélanchthon, plus porté que Luther à recourir aux princes, puisqu’il ne refusait pas de s’unir à François Ier, ne repoussa pas les avances de Henri VIII : « Sire, lui écrivit-il en mars 1535, c’est maintenant l’âge d’or pour votre Grande-Bretagnec. Déjà à l’époque où les armées des Goths avaient étouffé les lettres en Europe, votre île les rendit à l’univers. Je vous en supplie au nom de Jésus-Christ, plaidez pour nous auprès des rois. » Puis l’illustre docteur dédia à ce prince la nouvelle édition de ses fameux Lieux communs, et chargea un Écossais, Alésius, de la lui présenter, en exprimant le désir de voir l’Angleterre, devenir le salut de beaucoup de nations, et même de toute l’Église de Christd. Alésius, réfugié en Saxe, mais heureux de retourner dans cette île, dont le fanatisme du clergé écossais l’avait obligé de s’enfuir, se présenta devant l’oncle de son roi. Henri, charmé de l’Écossais, lui dit : « Je vous nomme mon écolier ! » et chargea Cromwell d’envoyer à Mélanchthon deux cents couronnes. Il y joignit une lettre pour l’illustre professeur, qu’il signa votre ami Henri VIII.

b – « Fœdus contra romanum pontificem. » (Rymer, Fœdera, VI, 2, p. 214.)

c – « Taie nunc aureum seculum esse tuæ Britanniæ. » (Corp. Ref., II, p. 862.)

d – « Multarum gentium et Ecclesiæ Christianæ salutem. » (Ibid., p. 920.)

Mais bientôt les espérances d’union entre l’Allemagne et l’Angleterre parurent s’évanouir. A peine Mélanchthon venait-il dans sa dédicace à Henri VIII, de vanter la modération du roi, modération digne, avait-il dit, d’un prince sage, qu’il apprit les supplices de Fisher et de Th. More. Il recula d’épouvante. « Morus, s’écria-t-il, a été mis à mort et d’autres avec lui ! » Les cruautés du roi affligeaient le doux Philippe. La pensée que l’on pût faire périr par la main du bourreau des gens de lettres tels que More le scandalisait. Il commença à craindre pour sa vie. « Je suis moi-même, dit-il, dans un grand périle. »

e – « Ego quoque magno in periculo versor. » (Corp. Ref., II, p. 918.)

Henri ne soupçonnait pas l’horreur que son crime causerait sur le continent, et venait de lire avec ravissement un passage de Mélanchthon, où celui-ci l’avait comparé à Ptolémée Philadelphe. Il dit donc à Barnes : « Allez et amenez-le-moi. » Barnes retourna en septembre à Wittemberg, et s’acquitta de son message. Mais jamais le docteur de l’Allemagne n’avait reçu une invitation aussi effrayante ; il n’y vit qu’une ruse perfide : « Ah ! s’écria-t-il, la pensée seule de ce voyage m’accable de douleur ! » Barnes chercha à le rassurer. « Le roi, dit-il, vous donnera une magnifique escorte, et même des otages, si vous en voulezf. » Mélanchthon qui voyait toujours devant lui la tête sanglante de Thomas More, fut inébranlable. Luther aussi ne voyait pas Barnes d’un bon œil, et l’appelait : le noir Anglaisg.

f – « Und auch Geissel dafür anbeüt. » (Luth., Epp., IV, p. 633.)

g – « Ille niger Anglicus. » (Ibid., p. 630.)

L’envoyé fut plus heureux auprès de l’électeur. Jean-Frédéric, apprenant que le roi d’Angleterre désirait s’allier aux princes de l’Allemagne, répondit qu’il leur communiquerait cette importante demande. Puis il donna à Barnes un somptueux repas, lui fit de beaux présents et écrivit à Henri VIII que le désir manifesté par ce prince, de réformer la doctrine religieuse, augmentait l’amour qu’il avait pour lui, car il appartient aux rois, ajouta-t-il, de propager au loin la gloire de Jésus-Christh. »

h – « Ut Christi gloria latissime propagetur. » (Corp. Ref., II, p. 944.)

Luther aussi, mais par d’autres motifs que l’électeur, n’y regardait pas de si près que Mélanchthon ; la suppression des couvents le prévenait en faveur de son ancien adversaire. Les peines dont les chartreux et d’autres avaient été frappés ne l’effrayaient point. Le légat du pape Vergerio étant à Wittemberg au commencement de novembre, et ayant invité Luther à déjeuner chez lui : « Je sais, dit le légat, que le roi Henri tue les cardinaux et les évêques ; mais…, » et se mordant les lèvres, il se contenta de faire de la main un geste hardi, comme s’il voulait couper la tête au roi. En rapportant cette anecdote à Mélanchthon, alors à Iéna, Luther ajouta : « Plût à Dieu que nous eussions plusieurs rois d’Angleterre, pour mettre à mort ces évêques, ces cardinaux, ces légats et ces papes qui ne sont que des voleurs, des traîtres et des diablesi ! » Luther était moins tendre qu’on se plaît à le dépeindre, quand on l’oppose à Calvin. Ces paroles, trop vives, exprimaient au fond la pensée de tous les partis. Il fallait que le levain spirituel de l’Évangile travaillât encore un siècle et plus la pâte dure, dont le cœur de l’homme est fait, avant que les erreurs de la législation romaine, vieilles de mille ans, fussent abolies. Il y eut sans doute un adoucissement immédiat produit par la Réformation ; mais si l’on était venu dire aux hommes du seizième siècle que l’on ne devait pas mettre à mort pour cas d’impiété, ils eussent été aussi étonnés et peut-être plus que ne le seraient les juges de notre temps, si on les attaquait parce que, conformément aux lois, ils punissent le meurtre de la peine capitale. Il est pourtant étrange qu’il ait fallu tant de siècles pour comprendre cette belle parole du Seigneur : Le Fils de l’homme est venu non pour perdre les hommes, mais pour les sauverj.

i – « Reverendissimi cardinales, papæ et eorum legati, proditores, fures, raptores et ipsi diaboli. Utinam haberent plures Reges Angliæ, qui illos occiderent. » (Luth., Epp., IV, p. 655.)

j – Luc.9.54

La condition que les protestants mettaient à leur union avec Henri VIII, rendait cette alliance difficile. « Nous ne demandons qu’une chose, disaient les réformateurs à Barnes, c’est que la doctrine qui est conforme aux Ecritures soit restituée à tout l’universk. » or Henri retenait toujours la doctrine catholique. Mais on lui disait que les luthériens et François Ier, grâce à la médiation de Mélanchthon, allaient peut-être se mettre d’accord, et qu’un concile général devait être convoqué. Quel traitement pouvait-il attendre d’une telle assemblée, lui qui avait si grièvement offensé la papauté ! Voulant donc à tout prix s’opposer au concile, le roi résolut en septembre 1535, d’envoyer aux luthériens une ambassade plus considérable, afin de leur persuader de renoncer à se mettre d’accord avec le pape et de s’allier plutôt avec l’Angleterre.

k – « Pia ac sana doctrina, divinis litteris consentanea ; toti orbi restituatur. » (Corp. Ref., II, p. 969.)

En conséquence Fox, évêque d’Hereford, courtisan violent, orgueilleux, l’archidiacre Heath, homme aimable et éclairé et quelques autres personnages partirent pour l’Allemagne et se joignirent à Barnes et à Mount qui les avaient précédés. Admis le 24 décembre à Smalcalde en présence de l’électeur de Saxe, du landgrave de Hesse et des autres princes et députés protestants : « Le roi notre maître, dirent-ils, a aboli dans son royaume la puissance de l’évêque romain ; il a rejeté ses prétendus pardons et ses contes de vieilles femmesl. Aussi le pape, transporté de fureur, appelle-t-il tous les rois de la terre à prendre les armes contre lui. Mais ni le pape, ni les papistes ne l’épouvantent. Il vous offre, pour combattre la puissance romaine, sa personne, ses richesses, son sceptre. Unissons-nous contre elle, et l’Esprit même de Dieu sera le ciment de notre confédérationm !… » Les princes répondirent à cette éloquente harangue, que si le roi s’engageait à répandre la pure doctrine de la foi, telle qu’elle avait été confessée à la diète d’Augsbourg ; s’il s’engageait comme eux à ne jamais concéder dans ses États aucune juridiction à l’évêque romain, ils le nommeraient Défenseur et Protecteur de leur confédérationn. » Ils ajoutèrent qu’ils enverraient au roi pour conférer avec lui sur ce qu’il faut changer dans l’Église, des députés, parmi lesquels un d’une science excellente ; c’était Mélanchthon. Les Anglais ne cachèrent pas leur joie, mais ce savant avait perdu toute confiance dans Henri VIII. « La mort de Morus m’afflige, disait-il ; je ne me mêlerai pas de cette affaireo. » Néanmoins l’alliance fut signée le 25 décembre 1535p. Le parti catholique, en Angleterre surtout, fut troublé en l’apprenant, et Gardiner, alors ambassadeur en France, se hâta d’écrire pour s’opposer à des desseins qui devaient établir le protestantisme dans l’Église anglicane.

l – Il y a en latin un jeu de mots : Venias vel potius Nenias prorsus antiquavit. » (Corp. Ref., II, p. 1029.)

m – « Dei Spiritum qui utrosque conglutinet. » (Ibid., p. 1032.)

n – « S. M. obtineat nomen defensoris et protectoris. » (Corp. Ref., II, p. 1034.)

o – « Th. Mori casu afficior ; nec me negotiis illis admiscebo. » (Ibid., p. 1028.)

pIbid., p. 1032 à 1036. Les signatures de Fox, Heath, Barnes, envoyés d’Angleterre, précèdent celle de l’électeur de Saxe et du landgrave.

Pendant que le roi s’unissait avec la Confession d’Augsbourg, ses rapports avec les fauteurs les plus décidés de la papauté étaient loin de s’améliorer. Sa fille Marie, qui avait un esprit mélancolique et irritable, ne ménageait ni les amis ni les actes de son père, et refusait de se soumettre à ses ordres. « Je lui commande, dit Henri irrité, de renoncer au titre de princesse, » — Si je consentais à ne pas Être regardé comme telle, répondit Marie, j’agirais contre ma conscience et j’encourrais le déplaisir de Dieuq. » Henri ne voulant plus rien ménager, parlait de faire mettre sa fille à mort et d’épouvanter ainsi les rebelles. Ce malheureux prince avait la disposition étonnante de faire mourir ceux qui lui tenaient de plus près. On peut voir un père donner un soufflet à son enfant ; mais chez cet homme, le coup de la main donnait le coup de la mort. Déjà il était question d’envoyer la princesse à la Tour. L’évangélique Cranmer osa intercéder en faveur de la catholique Marie. Il rappela à Henri qu’il était son père, que s’il lui ôtait la vie, il encourrait la réprobation universelle. Le roi se rendit à ses représentations, mais en prédisant à l’archevêque que cette intercession lui coûterait cher un jour. Et en effet, Marie devenue reine, fit mettre à mort celui qui lui avait sauvé la vie. Henri se contenta d’ordonner que la fille fût séparée de sa mère. Catherine, alarmée, s’efforça de son côté, d’adoucir sa fille : « Obéissez au roi en toutes choses, lui écrivit-elle de Bugden où elle résidait alors, sauf celles qui perdraient votre âme. Parlez peu ; ne vous mêlez de rien ; jouez de l’épinette ou du luth. » Cette malheureuse femme qui avait trouvé dans l’union conjugale tant d’amertume, ajoutait : « Surtout, ne désirez pas un époux ; n’y pensez pas même. Je vous le demande au nom de la passion de Jésus-Christ.

q – Lettre de lady Mary au roi Henri VIII. (Fox, Acts, VI, p. 353.)

Votre mère qui vous aime.

Catherine, Reiner. »

r – Burnet, Records, II, p. 220.

Mais la mère n’était pas moins décidée que la fille à maintenir ses droits ; elle ne voulait pas renoncer à son titre de reine, malgré les ordres de Henri VIII. Une commission, composée du duc de Suffolk, de lord Sussex et d’autres délégués, arriva à Bugden pour l’y engager et toute la maison de cette princesse fut assemblée. Alors l’intrépide fille de Ferdinand et d’Isabelle dit d’une voix ferme : « Je suis reine ; je suis la femme légitime du rois. » Puis, ayant appris qu’on voulait transporter sa résidence à Somersham, pour la séparer de quelques-uns de ses confidents : « Je n’irai pas ! répondit-elle, à moins que vous ne me liiez avec des cordes, et ne m’y traîniez de forcet. » Et pour empêcher qu’on ne l’y menât, elle se mit au lit et refusa de s’habiller, disant qu’elle était maladeu. Le roi lui envoya deux prélats catholiques, l’archevêque d’York et l’évêque de Durham, espérant l’adoucir. « Madame, dit l’archevêque, votre mariage n’étant pas valide… — Il est légitime ! » s’écria Catherine, saisie d’une véhémente colèrev. « Jusqu’à la mort je serai l’épouse de Sa Majesté. — Des membres même de votre conseil, continua l’archevêque, reconnaissent que votre union avec le prince Arthur a été vraiment accomplie… — Ce sont des mensonges ! s’écria-t-elle d’une voix retentissante. — Le divorce a été en conséquence prononcé… — Par qui ? reprit-elle. — Par Milord de Cantorbéry. — Et qui est-il ? s’écria la reine… une ombrew ! Le pape s’est déclaré en ma faveur, et il est lui, le vicaire de Christ ! — Le roi vous traitera comme une sœur chérie, dit l’évêque Tonstallx. — Rien au monde, répondit Catherine, ni la perte de mes biens, ni la perspective de la mort ne me feront abandonner mes droits. »

s – « Persisting in her great stomake and obstinacy, made answer with an open voice. » (State papers, I, p. 415.)

t – « Unless we should bind her with ropes. » (Ibid., p. 417.)

u – « She may faine her self sycke, and kepe her bed, and will not put on her clothes. » (Ibid.)

v – « In great coler and agony and always interrupting our words. » (Ibid., p. 420.)

w – « Lord of Canterbury whom she called a shadow. » (State papers, I, p. 420.)

x – « As your Grace’s most dearest sister. » (Ibid., p. 421.)

En octobre 1535, Catherine était encore à Bugden. Cette femme noble mais exaltée, redoublait de rigidité, se livrait aux exercices les plus rudes de la vie ascétique ; priait fréquemment, les genoux à nu sur la terre ; en même temps une mortelle tristesse ruinait sa santé. Enfin la consomption se prononçay. Cet état demandait un changement d’air ; la reine fut transportée à Kimbolten. Elle désirait la société de sa fille, qui sans doute eût adouci sa douleur, mais en vain demanda-t-elle avec larmes de la voir ; en vain Marie supplia-t-elle qu’on lui permît de se rendre vers sa mère ; le roi resta inflexiblez.

y – « Catharina… animi mœrore confecta, cœpit ægrotare. » (Polydore Virg., p. 690.)

z – « Conjux a viro, mater pro filia inipetrare non potuit. » (Polus. Apol. ad Cæsarem, p. 162.) Ce fait a été révoqué en doute, mais sans produire des témoignages qui l’infirment.

La dureté de Henri VIII envers la tante de Charles-Quint excita au plus haut degré la colère de ce monarque. Il revenait alors victorieux de sa première expédition en Afrique et résolut de ne plus tarder à accomplir la mission qu’il avait reçue du pape. Pour cela il fallait obtenir, si ce n’est la coopération, au moins la neutralité de François Ier. Ce n’était pas facile. Le roi de France avait toujours recherché l’alliance de l’Angleterre : il avait signé un traité avec Henri contre l’Empereur et contre le pape, et venait même de rechercher l’alliance des princes luthériens. Mais l’Empereur savait que l’idée favorite de François Ier était l’acquisition de l’Italie ; au moins de la Lombardie. Charles n’y tenait pas moins, mais il était si impatient de rétablir Catherine d’Aragon sur le trône, et l’Angleterre sous la domination du pape qu’il se décida à sacrifier l’Italie, ne fût-ce qu’en apparence. Sforze, duc de Milan, venant de mourir sans enfant, l’Empereur fit offrir à François Ier le duché de Milan pour son second fils, le duc d’Orléans, s’il voulait ne pas s’opposer à ses desseins contre l’Angleterrea. Le roi de France accepta avec empressement cette proposition, et voulant faire preuve de zèle, il demanda même que le pape sommât tous les princes de la chrétienté d’obliger le roi d’Angleterre à se soumettre au siège de Rome. L’amour qu’il avait pour Milan allait jusqu’à lui faire demander une croisade contre Henri VIII, son allié naturelb.

a – Scribebat se contentari dare ducatum Mediolani Duci Aurelianensi. » (State papers, VII, p. 649.)

b – Mémoires de Du Bellay.

L’affaire devenait sérieuse ; rarement un plus grand danger avait menacé l’Angleterre. Un événement important l’éloigna tout à coup. Au moment où Charles-Quint, aidé de François Ier, voulait soulever l’Europe, pour remettre sa tante sur le trône, elle mourut. Vers la fin de décembre 1535, Catherine tomba sérieusement malade, et comprit que Dieu mettait fin à ses grandes douleurs. Le roi voulant garder les convenances, fit demander de ses nouvelles. La reine, ferme jusqu’à la fin dans ses sentiments, fit venir des hommes de loi et leur dicta son testament : « Je suis prête, dit-elle, à remettre mon âme, à Dieu… Je supplie que cinq cents messes soient dites en ma faveur ; que quelqu’un aille pour moi en pèlerinage à Notre Dame de Walsinghamc. Je lègue mes robes au couvent et mes fourrures à ma fille. » Alors, Catherine pensa au roi ; il était toujours pour elle son mari, et malgré ses injustices, elle ne voulait s’adresser à lui qu’avec respect. Sentant que sa fin n’était plus éloignée, elle dicta la lettre suivante, à la fois si simple et si noble : « Mon très cher seigneur, époux et roi. L’heure de ma mort approche. L’amour que je vous porte me presse de vous rappeler le salut de votre âme. Vous m’avez plongée dans beaucoup de calamités, et vous vous êtes enfoncé vous-même dans beaucoup de troubles ; mais je vous pardonne tout, et je prie Dieu de faire de même, Je vous recommande notre fille, vous suppliant d’être un bon père pour elle. Enfin, j’exprime un dernier vœu : Mes yeux vous désirent par-dessus toutes chosesd. Adieu. » La reine voulait donc faire ses adieux à celui qui lui avait fait tant de mal. Henri fut ému et versa même quelques larmese, mais il ne se rendit pas au désir de la reine ; sa conscience lui reprochait ses fautes. Le 7 janvier, Catherine reçut les sacrements, et, à deux heures, elle expira.

c – « The last will, etc. » (Strype, Records, I, p. 252.)

d – « My eyes desire you above all things. » (Herbert, p. 432.)

e – « Rex ubi literas legit, amanter lacrymavit. » (Polydore Virg., p. 690.)

Anne sentait au fond de son cœur, les droits de cette princesse. Elle avait cédé à son ambition, à la volonté absolue du roi ; son mariage lui avait donné quelques moments de bonheur ; mais souvent son âme était troublée. Elle se disait que la fière Espagnole était celle à laquelle Henri avait donné sa foi ; elle se demandait, si ce n’était pas à la fille d’Isabelle qu’appartenait la couronne. La mort de Catherine dissipa ses inquiétudes : « Maintenant, dit-elle, maintenant je suis vraiment reine. » Elle prit le deuil, mais en jaune, selon la mode française du jour. Les larmes du peuple accompagnèrent dans la tombe une femme malheureuse, superstitieuse, il est vrai, mais tendre mère, épouse généreuse et reine d’une indomptable fiertéf.

f – Le lord chambellan à Cromwell. (State papers, I, p. 452.)

Cette mort allait changer beaucoup de choses en Europe. L’Empereur qui formait une sainte ligue pour remettre sa tante sur le trône et qui avait été pour y parvenir jusqu’à sacrifier le nord de l’Italie, perpétuel objet de son ambition, n’ayant plus rien à faire pour Catherine, remit son épée dans son fourreau et garda Milan. François Ier, irrité de voir échapper de sa main la proie si ardemment convoitée et qu’il croyait déjà tenir, fut dans une grande colère, et se prépara à une guerre à mort. L’Empereur et le roi de France, au lieu de marcher ensemble contre Henri, se mirent, au contraire, à lui faire l’un et l’autre la cour, désireux de l’avoir pour allié dans la lutte violente qui allait commencer.

En même temps, la mort de Catherine facilitait, nous l’avons dit, l’alliance du roi avec les protestants de l’Allemagne, qui s’étaient prononcés pour la validité de son mariage avec la princesse d’Aragon ; un des principaux griefs qu’ils avaient contre Henri VIII avait ainsi disparu. On pensa donc des deux côtés à faire un pas en avant, et à chercher à s’entendre théologiquement. Il y avait, en effet, des points importants, sur lesquels on différait. « Le roi d’Angleterre, disait-on à Wittemberg, veut être pape à la place du pape et il maintient la plupart des erreurs de l’ancienne papauté, les monastèresg, les indulgences, la messe, la prière pour les morts et autres fables romainesh. »

g – Les grands monastères n’étaient pas encore abolis.

hCorp. Ref. III, p. 12.

La discussion commença à Wittemberg. Les tenants du théologique tournoi étaient d’un côté l’évêque Fox et l’archidiacre Heath ; de l’autre, Mélanchthon et Luther. Heath, un des jeunes docteurs que la reine Anne avait entretenus à l’université de Cambridge, plaisait extrêmement à Mélanchthon. « Il excelle, disait-il, en urbanité et en saine doctrine. » L’évêque Fox, au contraire, qui était l’homme du roi, ne montrait du goût, à l’avis de Philippe, ni pour la philosophie, ni pour des conversations aimables et élégantes. La doctrine de la messe fut le point principal des débats. On ne pouvait s’entendre. Luther qui avait cru en avoir seulement pour trois jours, voyant le temps s’écouler, dit à l’électeur : « J’ai fait plus en quatre semaines, que ces Anglais en douze années ; s’ils continuent à réformer sur ce pied-là, l’Angleterre ne sera jamais ni dehors, ni dedansi. » Cette définition de la Réformation anglicane amusa les Allemands. On ne discutait pas ; on se disputait ; c’était une véritable rixej. « Je suis rassasié de ces débats, disait Luther au vice-chancelier Burkhard, j’en ai des nauséesk. » Le doux Mélanchthon lui-même s’écriait : « Vraiment, tout l’univers me semble embrasé de haine et de colèrel. »

i – « Werden sie nimmermehr daraus noch drein kommen. » (Luth., Epp., IV, p. 671.)

j – « Cum Anglicis disputamus, si disputare est rixari. » (Ibid., p. 669.)

k – « Usque ad nauseam. » (Ibid., p. 669.)

l – « Orbis terrarum ardet odiis et furore. » (Corp. Ref., III, p. 53.)

On interrompit donc les contestations théologiques, et les ambassadeurs de Henri VIII furent admis, le 12 mars, en présence de l’électeur. « L’Angleterre est maintenant tranquille, dit l’évêque de Hereford ; la mort d’une femme a mis fin pour jamais à toutes les chicanes ; c’est la cause de Jésus-Christ qui à cette heure touche seule Sa Majesté. Le roi vous demande donc de rendre possible l’alliance entre vous et nous, en adoucissant quelques points de votre confession. » Le vice-chancelier de Saxe s’adressa, en conséquence, à Luther, et lui dit : « Que pouvons nous céder au roi d’Angleterre ? — Rien, répondit le réformateur ; si nous avions voulu céder quelque chose, nous aurions pu tout aussi bien nous mettre d’accord avec le pape. » Après cette déclaration très positive, Luther se radoucit un peu. Il comprit, comme dit un autre réformateur, « qu’il y a des hommes plus débiles que d’autres, et que si on ne les traite pas avec une grande douceur, ils perdent courage et se détournent de la religion ; — que les chrétiens qui sont plus avancés dans la doctrine, sont tenus à soulager l’infirmité des ignorantsm. » Le réformateur saxon, venant donc un peu à résipiscence, écrivit au vice-chancelier : « Il est vrai que l’Angleterre ne peut embrasser tout à coup toute la véritén. » Il crut qu’on pouvait, en certains cas, adopter d’autres expressions, et tolérer quelque diversité d’usages. « Mais, dit-il, toujours ferme dans la foi, les grandes doctrines ne peuvent être ni abandonnées, ni modifiées. S’il faut ou non s’allier avec le roi, que mon très gracieux seigneur en décide ; c’est une affaire séculière. Seulement, il est dangereux de s’unir extérieurement, si les cœurs ne sont pas d’accord. » Les États protestants, assemblés le 24 avril 1536, à Francfort-sur-le-Mein, demandèrent à Henri VIII de recevoir la foi confessée à Augsbourg, et se déclarèrent prêts alors, à le reconnaître comme protecteur de l’alliance évangélique. L’électeur, auquel certains rites anglais déplaisaient fort, ajouta. « Que Votre Majesté réforme décidément en Angleterre l’idolomanie pontificaleo. » Il fut arrêté que Mélanchthon, Sturm, Bucer et Dracon se rendraient à Londres pour achever cette grande œuvre d’union. L’Angleterre et l’Allemagne évangélique allaient se donner la main.

m – Calvin.

n – « In England nicht so plœtzlich kann alles nach der Lehre in’s Werk bracht werden. » (Lettre au vice-chancelier. Luth., Epp., IV, p. 688.)

o – Regia dignitas V. suscipiat emendationem Idolomaniæ pontificiæ. » (Corp. Ref., III, p. 64.)

Cette alliance du roi avec les luthériens irritait profondément les catholiques du royaume, déjà si grièvement offensés par la suppression des monastères et le supplice des deux hommes auxquels Henri, disaient-ils, était le plus redevable. Tandis que le parti romain était plein de colère, le parti politique était étonné de la marche hardie du prince. Mais le coup qui avait frappé deux grandes victimes avait appris qu’il fallait se soumettre à la volonté du monarque ou périr. Les échafauds de Fisher et de More avaient donné une grande leçon de docilité, et façonné tous ceux qui entouraient Henri à cet esprit servile, qui ne laisse plus, dans le palais des rois, qu’un maître et des esclaves.

On allait en voir un illustre exemple dans le procès d’Anne Boleyn.

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