Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 11
Mouvement de réforme après la mort de la reine Anne et réaction catholique et scolastique

(Été 1536)

8.11

Le pape veut s’unir avec l’Angleterre – Deux hommes dans Henri VIII – Pole veut écrire au roi – Les prêtres sont pères, les rois fils – Henri règne en Turc – Pole a l’ordre de maudire Henri – Sentiment du roi – Marie paye cher sa réconciliation avec le roi – Ratification du parlement – Ordre de renoncer au pape – Paroles des mondains et paroles des chrétiens – Assemblée ou convocation du clergé – Discours réformateur de Latimer – Louveteaux dans la convocation – Nécessité de la Réforme – L’élément laïque reparaît – Le clergé dénonce soixante-sept mauvais dogmes – Le prolocuteur à la chambre des évêques – Les deux armées en présence – Un Ecossais à la convocation – L’essentiel selon Cranmer – Fox exalte la Réformation – La Parole de Dieu source de la vie – Alésius est exclu – Nécessité de remplacer la convocation

Après la mort de la reine Anne, les partis s’agitèrent en des sens divers. Les amis de la Réformation voulaient montrer que la disgrâce de cette princesse n’entraînait point celle de la cause qu’ils avaient à cœur, et croyaient, en conséquence, devoir presser le mouvement de la Réforme. Les amis de Rome et de ses doctrines, s’imaginant, de leur côté, que la mort d’Anne avait mis leurs affaires en bon train, croyaient devoir redoubler d’activité pour remporter une victoire complète. Ces derniers semblaient avoir, en effet, des motif d’encouragement. Si la mort de Catherine avait réconcilié Henri VIII avec l’Empereur, au moment où celui-ci menaçait d’envahir l’Angleterre, la mort d’Anne Boleyn paraissait devoir réconcilier ce prince avec Paul III, prêt à lancer sa terrible bulle. Les femmes de Henri jouent un grand rôle dans son histoire privée, mais elles en ont aussi un important dans ses rapports avec les puissances de l’Europe, et surtout avec le pape. Dès que le pontife avait vu Charles-Quint et François Ier se préparer à la guerre, il avait chargé son fils d’insinuer à Da Casale, que la cour de Rome désirait fort rétablir l’ancienne amitié qui l’avait unie à l’Angleterrea. Bientôt ces désirs s’accrurent.

a – « Pristina rediret amicitia. » (Da Casale à Cromwell. State papers, VII, p. 643.)

En effet, le 20 mai, la nouvelle du procès intenté à la reine étant arrivée à Rome, pape et cardinaux furent dans une joie extraordinaire. Les hideuses calomnies dont cette princesse était la victime, servaient trop bien la cause de la papauté, pour qu’elle ne les accueillît pas comme des vérités, et tous étaient persuadés que si Anne tombait du trône, les actes faits à Londres contre la primauté italienne tomberaient avec elle. Quand Da Casale annonça au pape que la reine avait été mise en prison, Paul, ravi, s’écria : « J’ai toujours pensé, en voyant le roi Henri doué de tant de vertus, que le ciel ne l’abandonnerait pas. S’il veut s’unir à moi, ajouta-t-il, j’aurai assez d’autorité pour en joindre à l’Empereur et au roi de France de faire la paix, et le roi d’Angleterre, réconcilié avec l’Église, commandera aux potentats de l’Europe ! Paul III reconnut même s’être trompé, en nommant Fisher cardinal ; et termina cette effusion pontificale par les paroles les plus aimables. Da Casale, fort joyeux de son côté, demanda s’il devait rapporter ces choses au roi : « Dites-lui, répliqua vivement le pape, que Sa Majesté peut, sans aucun doute, attendre tout de moib. » Da Casale fit donc son rapport à Londres, et fit entendre que si Henri donnait le moindre signe de réconciliation, le pape lui enverrait aussitôt un nonce. Ainsi Paul III mettait tout en œuvre pour gagner le roi d’Angleterre. Il exaltait ses vertus, lui promettait la première place en Europe, flattait sa vanité d’auteur, et ne craignait même pas, lui, l’infaillible, d’avouer qu’il s’était trompé. Chacun à la cour de Rome se tenait pour assuré que l’Angleterre allait rentrer dans le giron de l’Église ; le cardinal Campeggi envoya même son frère à Londres pour reprendre possession de l’évêché de Salisbury, dont il avait été privé en 1534c. Jusqu’à la fin de juin, le pontife et les cardinaux redoublèrent de bonté et d’égards pour les Anglais, et entretinrent, quant au retour de l’Angleterre, les plus flatteuses espérances.

b – « Procul dubio, Vestra Majestas omnia de ipso sibi polliceri possit. » Cette lettre du 27 mai, qui se trouve dans Cotton, msc. Vitellius, B. XIV, a souffert du feu, mais est donnée presque entière par Turner, dans une note du second volume de son Histoire, p. 483 à 485.)

c – Lettre de Campeggi au duc de Suffolk, du 5 juin 1536. (State papers, VII, p. 657.)

Seraient-elles réalisées ? Il n’y avait pas dans Henri VIII un seul homme, il y en avait deux ; ses passions domestiques et ses actes publics formaient deux départements bien distincts. Guidé comme individu par la passion, il le fut quelquefois comme roi par des vues justes. Il croyait que ni pape, ni monarque étranger, n’avait le droit d’exercer en Angleterre la moindre juridiction. Il était donc décidé (et ceci sauva la Grande-Bretagne) à maintenir la rupture avec Rome. Une circonstance put lui faire comprendre que, sous tous les rapports, c’était ce qu’il avait de mieux à faire.

Rome a deux voies pour ramener les princes sous son joug, — la flatterie et l’injure. — Le pape avait pris la première ; un homme alors sans influence, un Anglais, parent et protégé d’Henri VIII, Reginald Pole, se chargea de la seconde. Il était en 1535 dans le nord de l’Italie ; et plein d’amour pour la papauté et de haine pour le roi, son bienfaiteur, il écrivit ab irato une défense de l’unité de l’Église, adressée à Henri VIII et remplie de violence. Le sage et pieux Contarini, auquel il la communiqua, le supplia d’adoucir un langage qui pouvait faire beaucoup de mal. Pole s’y refusant, Contarini lui demanda de soumettre au moins son factum au pape ; mais le jeune Anglais, craignant que Paul ne lui demandât de supprimer celle publication malencontreuse, se garda d’accéder à la demande de son ami. Son but n’était pas de convertir le roi, mais de soulever les Anglais contre leur prince légitime, et de les engager à se prosterner devant le pontife romain. Cet ouvrage, terminé dans l’hiver de 1536, avant le procès d’Anne, arriva à Londres dans la première quinzaine de juin. Tonstall, évêque de Durham, ami de Pole, lut d’abord ce livre, où quelques vérités se trouvaient unies à de grandes erreurs ; puis il le communiqua au roi. Jamais monarque aussi orgueilleux n’avait reçu une aussi rude leçon.

« Vous écrirai-je, ô prince, disait le jeune Anglais, ou ne vous écrirai-je pas ? Voyant en vous les signes certains de la plus dangereuse maladie, et assuré, comme je le suis, que je possède les remèdes propres à vous guérir, comment m’abstiendrais-je de prononcer la parole qui seule peut vous rendre la vie ? Je vous aime, Sire, comme jamais un fils n’a aimé son père, et Dieu peut-être fera que ma voix sera comme celle de son propre Fils, que les morts mêmes entendent. O prince ! vous portez à l’Église le coup le plus funeste dont elle puisse être atteinte ; vous lui enlevez le chef qu’elle a sur la terre. Pourquoi le roi qui est le chef suprême dans l’État, occuperait-il la même place dans l’Église ? Si nous devions en croire les arguments de vos docteurs, il faudrait en conclure que Néron a été le chef de l’Églised. Nous ririons certes, si le rire ne devait faire place aux larmes. Il y a autant de distance entre la puissance ecclésiastique et la puissance civile qu’entre le ciel et la terre. Il y a trois états dans la société humaine, d’abord le peuple, ensuite le roi qui est le fils du peuple, et puis le prêtre, qui étant l’époux du peuple, est par conséquent le père du roie. Mais vous, imitant l’orgueil de Lucifer, vous vous placez au-dessus du vicaire de Jésus-Christ !

d – « Quid aliud quam Neronem fuisse caput Ecclesiæ. » (R. Poli, Pro Ecclesiasticæ Unitatis defensione. Libri quatuor, 1555, sans lieu d’impression, fol. 7, verso).

e – « Sacerdos ergo tanquam vir populi erga regem patris personam gerit. » (Ibid., fol. 17, verso 18-20.)

Quoi vous avez déchiré l’Église comme cela ne s’était jamais vu dans cette île, vous l’avez dépouillée, cruellement tourmentée, et vous prétendez, en vertu de tels mérites, être appelé son chef suprême ! Ah ! il y a deux Églises ; si vous êtes chef d’une, ce n’est pas de celle de Christ, mais de celle des méchants ; si vous l’êtes c’est comme Satan, qui est le prince de ce monde, qu’il opprime sous sa tyrannie… Vous régnez, mais à la manière des Turcs. Un simple signe de tête de votre part a plus de puissance que toutes les lois et les droits les plus anciens. C’est le glaive à la main, que vous décidez des controverses religieuses ; cela n’est-il pas tout à fait turc, tout à fait barbaref ?

f – « Atque hoc Turcicum plane et barbarum. » (R. Polus, fol. 71, verso.) Pole oubliait que ce raisonnement s’appliquait encore mieux aux papes qu’à Henri VIII.

O Angleterre ! si tu n’as pas oublié ton antique liberté, de quelle indignation tu dois être saisie, en voyant ton roi dépouiller, condamner, égorger, dissiper toutes tes richesses, et ne te laisser que des larmes ! Prends garde, car si tu fais en tendre quelques soupirs, tu seras frappée de plaies plus profondes encore. O ma patrie ! il est en ta puissance de changer ta grande douleur en une très grande joie. Ni Néron, ni Domitien, ni — j’ose le jurer — Luther lui-même, s’il avait été roi d’Angleterre, n’eussent voulu se venger en faisant mourir des hommes tels que Fisher et Thomas Moreg.

g – « Audeo autem jurare ne Lutherum quidem ipsum, si rex in Anglia fuisset, etc. » (Ibid., fol. 75.)

Quel roi a jamais donné plus de signes de respect au souverain pontife que ce François Ier, qui vous a adressé, ô Henri ! cette parole couverte d’applaudissements par le peuple chrétien : Votre ami, jusqu’aux autels ! Amicus, — usque ad aras. — L’empereur Charles ne vient-il pas de dompter les pirates ? Mais, vous, y a-t-il quelque pirate auquel vous cédiez le pas ? N’avez-vous pas pillé les biens de l’Église, jeté les corps des saints en prison, et réduit les âmes en servitude ? Si j’apprenais que l’Empereur avec toute sa flotte se dirigeât sur Constantinople, — alors me précipitant à ses pieds, je lui dirais, — fût-il même aux passes de l’Hellespont : — O Empereur ! à quoi pensez-vous ? Ne voyez-vous pas qu’un danger beaucoup plus grand que celui des Turcs menace la république chrétienne ? Changez de route. A quoi vous servirait-il de chasser de l’Europe les Turcs, quand de nouveaux Turcs sont éclos parmi nous ? Certes, les Anglais, pour des causes plus légères, ont contraint leurs rois à déposer la couronneh. »

h – « Corona se et sceptro abdicare coegerunt. » (R. Polus, fol. 79, verso.)

Reginald Pole, après cette apostrophe adressée à Charles-Quint, revient à Henri VIII, et s’imaginant être le prophète Élie devant le roi Achab, il lui dit avec une grande hardiesse : « O roi ! le Seigneur m’a ordonné de vous maudire ; mais si vous m’écoutez avec patience, il vous rendra le bien pour le mal. Pourquoi tarder à confesser votre péché ? Ne dites pas que vous avez tout fait d’après les règles de la sainte Écriture. L’Église, qui lui donne son autorité, ne sait-elle pas ce qu’il faut prendre et ce qu’il faut rejeter ? Vous avez abandonné la source de la sagesse. Revenez à l’Église, ô prince ! et tout ce que vous avez perdu, vous le recouvrerez avec plus d’éclat et de gloire.

Mais si quelqu’un entend le son de la trompette et n’y fait pas attention, le glaive est tiré du fourreau, le glaive le frappe, et le sang du coupable demeure sur sa tête. »

Nous avons donné à peine la fleur de ce long plaidoyer écrit dans le style du seizième siècle, et qui divisé en quatre livres, occupe cent quatre-vingt-douze pages in-folio. Il arriva en Angleterre au moment de la condamnation de l’innocente Anne, et Pole, sans s’en douter, protestait contre cet acte, aussi inique, plus même, que les sentences de Fisher et de More. Henri ne lut pas d’abord en entier la philippique de son écolier. Il en vit pourtant assez pour regarder cette lettre comme une insulte, un divorce, que lui envoyait l’Italie. Il ordonna à Pole de revenir en Angleterre ; mais celui-ci se rappelait trop bien la fin de Fisher et de Thomas More, pour s’y hasarder. L’évêque Tonstall, un des ennemis de la Réformation, écrivit pourtant à Pole, que Christ étant le chef de l’Église, la séparer du pape n’était pas la séparer de son chef. Cette réfutation était courte, mais solide.

Le roi était résolu à maintenir son indépendance à l’égard du pape. Quelques-uns ont attribué cette décision à l’écrit de Pole, et d’autres à l’influence de Jeanne Seymour. Ces circonstances ont pu avoir quelque influence sur l’esprit de Henri VIII ; mais la grande cause, nous le répétons, c’est qu’il ne voulait pas en Angleterre un autre maître que lui. Gardiner répondit à Pole par un traité qu’il intitula : De la véritable obéissance, dont Bonner écrivit la préfacei.

iDe vera obedientia.

Paul III ne fut pas seul à entrevoir dans la mort d’Anne le signal du triomphe ; la princesse Marie crut qu’elle allait redevenir héritière présomptive de la couronne. Lady Kingston s’étant acquittée du chrétien message d’Anne Boleyn, la fille de Catherine, fort peu sensible à cette touchante démarche, en profita pour son propre intérêt, et remit à cette dame une lettre adressée à Cromwell, où elle le priait d’intercéder pour elle auprès du roi, de faire que le rang qui lui appartenait lui fût rendu. Henri consentit à recevoir sa fille en grâce, mais non sans condition : « Madame, lui dit Norfolk, envoyé par ce prince, voici des articles qui demandent votre signature. »

La fille de la fière Catherine d’Aragon devait reconnaître quatre points : — la suprématie du roi, l’imposture du pape, l’inceste de sa propre mère, et son illégitimité. — Elle s’y refusa. Norfolk étant inébranlable, elle signa les deux premiers articlesj ; mais posant la plume, elle s’écria : « Quant à ma honte, et à celle de ma mère, jamais ! » Cromwell menaça ; il l’appela une femme opiniâtre, dénaturée, et lui dit que son père allait l’abandonner ; la malheureuse princesse signa tout. Elle rentra en grâce, et reçut dès lors trois mille livres sterlings par an ; mais elle se trompait en croyant que le malheur de sa petite sœur Elisabeth allait la replacer sur les marches du trône.

jState papers, I, p. 459.

Le 8 juin, le parlement s’assembla ; le chancelier annonça que le roi, malgré ses malheurs en mariage, avait cédé aux humbles sollicitations de la noblesse et formé une nouvelle union. Les deux chambres ratifièrent les faits accomplis. Nul n’avait envie de remuer des cendres, d’où des étincelles pouvaient s’échapper, et causer un grand embrasement. A aucun prix, on ne voulait compromettre les personnages les plus élevés du royaume, et surtout le roi. Toutes les allégations, même les plus absurdes, furent admises, on avait hâte d’en finir. On fit plus encore ; le roi fut remercié de la très-excellente bonté qui l’avait engagé à s’unir à une dame, dont l’éclatante jeunesse, la remarquable beauté, la pureté du sang, étaient les gages assurés de l’heureuse issue qu’un mariage avec elle ne pouvait manquer d’avoir. Et ses très respectueux sujets, décidés à ensevelir sous des couronnes les fautes de leur prince, le comparèrent pour la beauté à Absalon, pour la force à Samson, et pour la sagesse à Salomon. Le parlement ajouta que les filles de Catherine et d’Anne étant l’une et l’autre illégitimes, la succession était dévolue aux enfants de Jeanne Seymour. Comme elle pouvait pourtant n’en point avoir, le parlement accorda au roi le privilège d’inscrire à volonté, dans son testament, le nom de son successeur ; prérogative énorme, donnée au plus capricieux des monarques. Quiconque ne prêterait pas serment à ce statut, serait déclaré coupable de crime contre l’État.

Le parlement, ayant ainsi arrangé les affaires du roi, se mit à faire celles du pays. « Milords, dirent les ministres le 4 juillet dans la chambre des pairs, l’évêque de Rome, auquel quelques-uns donnent le nom de pape, voulant avoir de quoi satisfaire son amour du luxe et de la tyrannie, a obscurci la Parole de Dieu, exclu Jésus-Christ des âmes, banni des princes de leurs royaumes, accaparé les esprits, les corps, les biens de tous les chrétiens, et, en particulier, extorqué de l’Angleterre de grandes sommes, par ses rêves et ses superstitions. » Le parlement ordonna que les peines du premunire fussent appliquées à quiconque reconnaîtrait l’autorité du pontife romain, et que tout étudiant, tout ecclésiastique et tout fonctionnaire civil fût tenu de renoncer au pape, par un serment prononcé au nom de Dieu et de tous les saintsk.

k – « So help me God all saints and the holy Evangelist. » (Collyers, II, p. 119.)

Ce bill causa une grande joie en Angleterre ; l’esprit protestant s’agita ; il y eut une explosion de sarcasmes, et l’on put voir que le bourgeois de la capitale n’était pas, de sa nature, ami de la papauté. L’homme est porté à rire de ce qu’il a respecté, quand il reconnaît avoir été trompé, et il range facilement alors parmi les folies humaines ce qu’il avait pris pour la sagesse du Ciel. On vit éclater à Londres ce combat d’épigrammes qui avait eu lieu si souvent à Rome entre Pasquin et Marforio ; peut-être seulement les plaisanteries étaient-elles parfois un peu plus pesantes. « Voyez-vous, disait-on, l’étole que les prêtres portent au cou ? c’est la corde par laquelle le pape les tient et les mène où il veutl. — Les chants des matines, des messes et des vêpres ne sont que hurlements, rugissements, sifflements et mascaradesm. — Un pot d’eau gardé à la maison ou un étang sur la route sont aussi bons pour le baptême que les fonts baptismaux des prêtres. » Bientôt la plaisanterie descendait dans les bas-fonds de la société : — « L’eau bénite est fort utile, disait un habitué des tavernes de Londres, car étant déjà salée, il suffit d’y mettre un oignon pour en accommoder un gigot. — Que dites-vous, répliquait quelque maréchal ferrant, cette eau est une excellente médecine pour un cheval dont le dos se trouve écorchén. » Mais tandis que la légèreté, le désir de faire de l’esprit, fût-il même grossier, produisaient ces sottes plaisanteries qu’assaisonnaient des éclats de rire, l’amour de la vérité inspirait aux chrétiens évangéliques des paroles graves qui irritaient les prêtres plus que les railleries des moqueurs : « L’Église, disaient-ils, n’est pas le clergé ; l’Église est l’assemblée des justes. — Tout ce qui se trouve dans l’Église et qui n’est pas dans l’Écriture doit être supprimé. — Quand le pécheur est converti, toutes les fautes sur lesquelles il verse des larmes lui sont remises gratuitement par le Père qui est au cielo. »

l – « The Stole, about the priest’s neck, is nothing else but the bishop of Rome’s rope. » (Wilkins, Concilia, III, p. 805.)

m – « But a raring, howling, whistling, mumming and jugling. » (Ibid., p. 806.)

n – « A very good medicine for an horse with a galled back. » (Ibid., p. 807.)

o – Wilkins, Concilia, p. 806.

Après les discours des profanes et des hommes pieux, vinrent ceux des prêtres. L’assemblée du clergé fut convoquée à Saint-Paul. Les évêques arrivèrent, prirent leurs places, et chacun put compter les voix que Rome et la Réformation avaient sur le banc épiscopal. Voici pour la Réforme : l’archevêque Cranmer, Goodrich, évêque d’Ely ; Shaxton, de Salisbury ; Fox, d’Hereford ; Latimer, de Worcester ; Hilsey, de Rochester ; Barlow, de Saint-David’s ; Warton, de Saint-Asaph ; Sampson, de Chichester, — neuf voix. — Voilà contre elle : Lee, archevêque d’York ; Stokesley, évêque de Londres ; Tonstall, de Durham ; Longland, de Lincoln ; Vesey, d’Exeter ; Clerk, de Bath ; Lee, de Lichfield ; Salcot, de Bangor ; Rugge, de Norwich. Neuf pour et neuf contre !… Si Gardiner n’était pas en France, il y aurait majorité contre la Réformation. Quarante prieurs et abbés mitrés, membres de la chambre haute, semblaient y assurer la victoire aux partisans des traditions. Ce n’étaient pas même des nuances, mais des couleurs tranchantes, qui se trouvaient rassemblées dans le clergé sous le même drapeau, et l’on se demandait, en voyant cette troupe bigarrée, laquelle des couleurs l’emporterait. Cranmer avait pourvu à ce qu’on ne sortît pas de l’église sans s’être éclairci sur ce point.

L’évêque de Londres ayant chanté la messe du Saint-Esprit, Latimer, désigné par le primat pour édifier l’assemblée, monta en chaire. Doué d’un caractère indépendant, hardi, d’un esprit pratique, pénétrant, qui savait découvrir et signaler tous les travers, il voulait une réforme plus complète même que ne la demandait Cranmer. Il prit pour texte la parabole de l’administrateur infidèlep. « Mes frères, dit-il, vous êtes venus ici en ce jour pour entendre d’importantes vérités. Vous désirez, j’en suis certain, quelque ignorant et quelque indigne que je sois, que je vous apporte des paroles utiles à cette assemblée. Je satisferai votre attente. » Puis, ayant introduit son sujet, Latimer continua. « Un administrateur fidèle ne bat pas de la monnaie nouvelle, mais il emploie celle que son maître a frappée. Or, combien de nos évêques, de nos abbés, de nos curés, qui méprisent comme du cuivre l’or pur du Seigneur, et enseignent, par exemple, que la rémission des péchés vraiment efficace est celle qu’on achète avec de l’argent, et non celle que Christ a acquise par sa mort ! »

pLuc 16.1-8.

Tout le discours de Latimer était de cette nature. Il ne s’en tint pas là et monta de nouveau en chaire l’après-midi. Vous savez, dit-il, le proverbe : Mauvais corbeau, mauvais œufq. Or le diable a engendré le monde, et le monde, à son tour, a eu beaucoup d’enfants : — lord Orgueil, lady Gloutonnerie, Madame Avarice, Madame Impudicité et d’autres. Vous les trouvez maintenant partout, à la cour, dans les couvents, sous des capuchons, sous des surplis… Ne dites pas : Les enfants du monde, ce sont les laïques, et les enfants de lumière, c’est le clergé. Il y a beaucoup d’enfants de lumière parmi les laïques et d’enfants du monde parmi les prêtres. Ils exècrent leur père le monde en parole, mais ils l’accolent et le baisent par leurs œuvresr. Ils affichent la tempérance du Romain Curiuss et vivent chaque jour comme si toute leur vie était un carnaval. Parmi les évêques, les abbés, les prieurs, les archidiacres, doyens et autres de cette espèce qui sont assemblés dans cette convocation, pour s’occuper de ce qui concerne la gloire de Christ et la prospérité du peuple d’Angleterre, j’en vois beaucoup de tels. Le monde nous a envoyé quelques-uns de ses louveteauxt. Qu’avez-vous fait depuis sept ans et plus ? Montrez-nous ce que le peuple d’Angleterre a gagné à vos longues et nombreuses assemblées ? Est-il devenu meilleur de l’épaisseur d’un cheveu ? Au nom de Dieu, qu’avez-vous fait ? — Vous tous, pères si puissants, si nombreux, qu’avez-vous fait ? — Vous avez fait deux choses. Vous avez brûlé un homme mort (William Tracy), c’est la première ; et vous avez voulu brûler un homme vivant (Latimer lui-même), c’est la seconde. Vous avez eu de nombreuses délibérations, mais qu’en est-il résulté ? Rien. En est-il une seule par laquelle Christ ait été plus glorifié et le peuple de Christ plus sanctifié ? J’en appelle à vos propres consciences.

q – « An evil crow, an evil egg. » (Latimer’s Sermons, p. 42.)

r – Wilkins, Concilia, p. 43.

s – « Curius Dentatus. — Incomptis Curium capillis. » (Hor.)

tWhelps, petits de certains animaux de proie (Latimer’s Sermons, p. 44.)

Et d’où cela vient-il ? C’est que les enfants du monde, plus nombreux dans votre congrégation, — ou du moins plus habiles que les enfants de lumière, ont la ruse du renard et la cruauté du lionu.

u – « Wordly policy, foxly craft, lion-like cruelty. » (Latimer’s Sermons, p. 47.)

Chers pères et frères, pour l’amour de Dieu, si nous sommes prélats quant à l’honneur, montrons que nous le sommes aussi quant à la sainteté, à la bienveillance, à la diligence et à la sincérité. Levez vos têtes, portez partout vos yeux, examinez les choses qui doivent être réformées dans l’Eglise d’Angleterre. »

Ici, Latimer se mit, comme l’avait fait Luther dans son Appel à la noblesse allemande, à passer en revue les abus et les erreurs du clergé ; — la cour des arches, les consistoires épiscopaux, les cérémonies, les jours des saints, les images, les vœux, les pèlerinages, certaines veilles qu’il appela des bacchanales, le mariage, le baptême, la messe, les reliques.

Après ce sévère tableau, l’évêque s’écria : « Eh bien ! retournerons-nous comme des mondains dans nos maisons ? Recommencerons-nous à battre nos compagnons de service, à manger et à boire avec des ivrognes ? — Si nous le faisons, Dieu viendra, oui, et il ne tardera pas. Il viendra et nous mettra en prison. Telle sera la fin de notre tragédiev. Et ces dents qui s’attaquent ici à des morceaux délicats, — là, dans l’enfer, — grinceront, se briseront et se broieront.

v – « Let there be the end of our tragedy if ye will. » (Latimer’s Sermons, p. 57.)

Ah ! si vous ne voulez pas mourir éternellement, ne vivez pas sur la terre mondainement. Prêchez la Parole de Dieu selon la vérité. Paissez avec tendresse le troupeau de Jésus-Christ. Marchez dans la lumière, afin que dans le monde à venir, vous brilliez comme le soleil. »

Une action pleine de simplicité et de ferveur avait accompagné ces fermes et courageuses paroles du réformateur. Les révérends personnages de la convocation avaient trouvé leur homme, et le discours leur paraissait plus amer que l’absinthe. Toutefois ils n’osaient faire éclater leur colère, car derrière Latimer était Cranmer, et ils craignaient que derrière Cranmer ne se trouvât le roi.

Bientôt le clergé reçut, sans oser se plaindre, une autre mortification. Le bruit se répandit que Cromwell serait dans l’assemblée le représentant de Henri VIII : « Quoi, disait-on, un laïque ! un homme qui n’a jamais pris aucun grade dans aucune université ! » Mais quelle ne fut pas la stupeur des prélats en voyant paraître, non Cromwell lui-même, mais son secrétaire, le Dr Petre, l’un des visiteurs des couvents, et le primat faire asseoir à côté de lui ce délégué d’un délégué ! Le 21 juin, Cromwell vint lui-même et s’assit au-dessus de tous les prélats. L’élément laïque prenait d’un pied hardi une place dans cette église, dont il était depuis si longtemps banni.

Chacun pouvait s’attendre à ce que les champions du moyen âge n’essuyeraient pas de tels affronts et surtout une décharge aussi terrible que celle de Latimer, sans démasquer à leur tour leurs batteries et chercher à démonter celles de leurs adversaires. Ils comprenaient qu’ils ne pouvaient soutenir la suprématie du pape et attaquer celle du roi, mais ils savaient que Henri tenait à la transsubstantiation et à d’autres doctrines superstitieuses du moyen âge ; ils se promirent d’attaquer par cette brèche non seulement Latimer, mais tous les fauteurs de la Réformation. Le catholicisme romain n’entendait pas tomber sans défense ; il se décida, pour se maintenir en Angleterre, à une vigoureuse charge. La chambre basse ayant élu pour son prolocuteur Richard Gwent, archidiacre de l’évêque Stokesley et zélé ultramontain, la cabale se mit à l’œuvre, et les paroles de Wycleff, des lollards, des réformateurs, et même des bourgeois égayés, étant soigneusement recueillies, Gwent proposa à la chambre basse de dénoncer à la chambre haute soixante-sept mauvaises doctrines, Mala dogmata. Il n’avait rien oublié, pas même le dos écorché du cheval ! En vain remarqua-t-on que ce qu’il y avait de blâmable dans ce catalogue n’était que paroles indiscrètes, échappées à des hommes illettrés, et que la folie de leur imagination leur avait seule fait lancer ces sarcasmes acérésw. En vain rappela-t-on que, même dans les courses de chevaux, les cavaliers, pour être sûr d’atteindre le but, le dépassent. Le dénombrement des Mala dogmata fui arrêté, sans en omettre un seul article.

w – « Indiscret expression of illiterate persones. » (Burnet, I, p. 202.)

Le 23 juin, le prolocuteur se présenta à la chambre haute avec sa longue liste. « Il est, dit-il, certaines erreurs qui causent du trouble dans le royaume. » Puis il lut les soixante-sept Mala dogmata. « On affirme, dit-il, qu’aucune doctrine ne doit être crue, à moins qu’elle ne soit prouvée parla sainte Ecriture ; que Christ, ayant répandu son sang, nous a pleinement rachetés, en sorte que nous n’avons maintenant qu’à dire : J’invoque, ô Dieu ! ta Majesté, afin que tu abolisses mon iniquitéx. On dit que le sacrement de la messe n’est autre chose qu’un morceau de pain ; que la confession auriculaire a été inventée par les prêtres pour connaître les secrets des cœurs et mettre de l’argent dans leur bourse ; que le purgatoire est une déception ; que ce que l’on appelle habituellement l’Église n’est que la vieille synagogue, et que l’Église véritable est l’assemblée des justes ; que la prière a autant d’efficace en plein air que dans un temple ; que les prêtres peuvent se marier. — Et non seulement ces hérésies sont prêchées, mais encore imprimées dans des livres qui portent avec privilège, cum privilegio, et les ignorants s’imaginent que cela signifie l’approbation du roiy. »

x – « Deprecor Majestatem tuam, ut tu Deus, deleas iniquitatem meam. » (Wilkins, Concilia, ?. 806.)

y – Voir dans Collier le catalogue des Mala dogmata.

Les deux armées étaient en présence, et à peine le parti du moyen âge eut-il lu son manifeste, qu’on en vint aux mains. Et « quels tiraillements on vit alors entre les opinions contrairesz ! » On se sépara sans avoir rien décidé. Chacun se demandait quel parti il fallait donc prendre : « Ni l’un ni a l’autre, » dirent ceux qui se croyaient les plus habiles. « Quand deux vigoureux voyageurs se rencontrent face à face en un sentier étroit et escarpé, ils se serrent de telle manière que chacun d’eux cède une moitié du chemin et garde l’autrea. Ces deux partis de la convocation doivent faire de même ; il ne doit y avoir ni vainqueurs ni vaincus. » Il fallait admettre dans l’Église, colonne de la vérité, le blanc et le noir, le oui et le non. — « Triste compromis, s’écrie un historien, qui, s’il ne sauve pas les consciences, sauve au moins les positionsb ! »

z – « Oh what tugging was here, between these opposite sides ! » (Fuller, p. 213.)

a – « When two stout and sturdy travellers meet toghether… they so shove and shoulder one another that dividing the way… » (Ibid.)

b – « A middle religion to save if not the conscience, — the credit of both sides. » (Ibid.)

Cranmer et Cromwell résolurent de profiter de l’occasion pour faire pencher la balance du côté évangélique. Ils se rendirent à la convocation. Comme il était dans la rue, Cromwell aperçut un étranger. C’était un Écossais nommé Alésius, qui avait dû se réfugier en Allemagne pour avoir professé le pur Évangile, et il s’y était particulièrement lié avec Mélanchthon ; Cranmer ainsi que Cromwell, désirant avoir en Angleterre un homme si évangélique, parfaitement d’accord avec les protestants de l’Allemagne, et dont l’anglais était la langue maternelle, l’avaient invité à se rendre à Londresc. Mélanchthon lui avait donné pour le roi une lettre qui accompagnait son commentaire sur l’Épître aux Romains. Henri fut si charmé de l’Écossais, qu’il lui donna le titre d’écolier du roi. Alésius demeurait à Lambeth dans le palais de l’archevêque. Cromwell, l’apercevant fort à propos, l’appela et l’invita à l’accompagner à Westminster. Il pensait qu’un homme de cette force pouvait lui être utile ; il se peut même que la rencontre fortuite eût été préparée d’un commun accord. L’Anglais et l’Écossais entrèrent ensemble dans la salle où les évêques étaient assis autour d’une table, avec un certain nombre de prêtres debout autour d’eux. Au moment où le vicaire général et Alésius, inconnu de la plupart d’entre eux, se présentèrent, tous se levèrent et rendirent hommage au représentant du roi. Cromwell les salua, fit asseoir l’exilé à la première place, en face des deux archevêques, et prenant la parole, dit : « Sa Majesté ne se reposera pas que, d’accord avec la Convocation et le Parlement, elle n’ait mis fin aux débats qui ont eu lieu, non seulement dans ce royaume, mais parmi toutes les nations. Discutez donc ces questions avec charité, sans criaillerie, sans querelle, et décidez-les par la Parole de Dieud. Établissez la vérité divine et parfaite telle qu’elle se trouve dans l’Écriture. »

c – Préface du traité d’Alésius sur l’Autorité de la Parole de Dieu. — Voir aussi Anderson, Bible Annals, I, p. 451. Nous retracerons dans l’histoire de la Réformation d’Ecosse les traits remarquables de la vie d’Alésius.

d – « Ye will conclude all things by the word of God, without all brawling or scolding. » (Anderson, Bible Annals, I, p. 499.)

Cromwell voulait la soumission de tous aux révélations divines ; le parti traditionnel lui répondit en mettant en avant des doctrines humaines et des autorités humaines. L’évêque de Londres, Stokesley, prit la parole et s’efforça de prouver, par certaines gloses et par certains passages des scolastiques, qu’il y avait sept sacrements ; l’archevêque d’York et d’autres l’appuyèrent par leurs sophismes et par leurs cris. « Ces disputes de mots, ces cris, dit Cranmer, ne conviennent pas à des hommes graves. Cherchons la gloire de Christ, la paix de l’Église, le moyen par lequel les péchés sont pardonnés. Demandons comment on apporte la consolation aux âmes agitées, comment on donne l’assurance de l’amour de Dieu aux consciences que trouble le souvenir de leurs péchés. Reconnaissons que ce n’est pas l’usage extérieur des sacrements qui justifie l’homme, et que notre justification vient uniquement de la foi au Sauveure. » Le primat parlait admirablement et selon l’Écriture ; il fallait appuyer cette belle confession. Cromwell, qui tenait en réserve son Écossais, le présenta alors au clergé, comme « l’écolier du roi, » et lui dit : Que pensez-vous de cette dispute ? » Alésius, prenant la parole au milieu de cette assemblée d’évêques, montra qu’il n’y avait que deux sacrements, le baptême et la cène, et qu’aucune cérémonie ne devait être mise sur le même rang. L’évêque de Londres, courroucé, s’impatientait sur son siège. Serait-ce un simple Écossais, chassé de son pays, fêté par les protestants allemands, qui ferait la leçon aux prélats de l’Angleterre ? Indigné, il s’écria : « Tout cela est faux ! » Alésius se déclara prêt à prouver ce qu’il avait dit par la sainte Écriture et aussi par les anciens docteurs. Alors Fox, évêque d’Hereford, qui revenait de Wittemberg, où il avait été envoyé par le roi, et où sa conversation avec Luther et Mélanchthon l’avait éclairé, se leva et fit entendre de nobles paroles. « Christ a répandu maintenant dans la chrétienté tant de splendeur, dit-il, que le flambeau de l’Évangile a mis en fuite les ténèbres. Le monde ne se laissera plus séduire par tous ces fatras scolastiques, dont les prêtres remplissaient jadis leur imagination et leurs discours » : — ceci était à l’adresse de l’évêque Stokesley et de ses, amis. — « En vain résistons-nous au Seigneur ; sa main chasse les nuages. Les laïques connaissent maintenant les saints Livres mieux que plusieurs d’entre nousf. Les études que les Allemands ont faites de la langue grecque et de la langue hébraïque ont rendu le texte de la Bible si facile, que des femmes, des enfants même le comprennent, et plusieurs laïques lisent les Écritures dans les langues originales. C’est grandement se tromper que de s’imaginer qu’ils se laisseront mener plus longtemps par ces artifices qui ont eu tant d’effet dans des siècles d’ignorance. Prenez garde de vous exposer aux mépris du monde. Si vous résistiez à la voix de Dieu, vous donneriez à croire qu’il n’y a pas en vous une étincelle, ni de science, ni de piété. Une éloquence fardée, une autorité inflexible, une force brutale ne remportent pas toujours la victoire. La vérité a tant de force qu’on ne peut l’étouffer ; aussi, après qu’elle s’est longtemps voilée, la voit-on maintenant lever partout la tête, et nul ne peut la contraindre à se cacher. » Tels étaient les discours éloquents et chrétiens par lesquels des évêques mêmes s’efforçaient de faire triompher en Angleterre cette Réformation, que l’on s’est plu à présenter comme étant simplement le produit d’un caprice amoureuxg. » Alésius, ému par ces chrétiennes paroles, s’écria : « Oui, c’est la Parole de Dieu qui apporte la vie ; c’est la Parole de Dieu qui est l’âme et le corps même du sacrement. C’est elle qui nous rend sûrs de la bonne volonté de Dieu pour sauver nos âmes : la cérémonie extérieure n’est qu’un signe du feu vivifiant, que nous recevons en nous par la foi à la Parole et à la promesse du Seigneur… » A ces mots, l’évêque de Londres ne put se contenir : La Parole de Dieu, s’écria-t-il, oui ! à la bonne heure ! Mais vous vous trompez fort si vous vous imaginez qu’il n’y a pas d’autre parole de Dieu, que celle que tout tailleur et tout savetier peut lire au coin du feu dans sa langue maternelle. » Stokesley croyait à une autre parole de Dieu que la Bible ; il pensait, comme un peu plus tard le concile de Trente, qu’il faut embrasser avec un pareil respect et une égale piété les saintes Écritures et la traditionh. » Il était midi ; Cromwell leva la séance.

e – « Whether the outward work of them doth justify man, or whether me receive our justification through faith. » (Bible Annals, I, p. 499. — Todd’s Life of Cranmer, I, p. 163.)

f – « The lay people do now know the Holy Scriptures better than many of us. » (Burnet, I, p. 205. — Anderson, Bible Annals, I, p. 502.)

g – Audin, Histoire de Henri VIII, Préface.

h – Concile de Trente, quatrième séance, 8 avril 1546.

Le débat avait été vif. Le parti sacerdotal, sacramentel, ritualiste, avait été battu ; les évangéliques voulaient confirmer leur victoire.

Alésius, de retour à Lambeth, se mit à composer un mémoire ; Stokesley s’occupa, de son côté, à ourdir une conjuration contre Alésius. Le lendemain, les évêques, arrivés les premiers à Westminster, s’entretinrent de la séance de la veille, et s’indignèrent fort de ce qu’on eût fait siéger et parler dans l’assemblée un étranger, un Écossais. Stokesley invita Cranmer à s’opposer à cette énormité. L’archevêque, toujours un peu faible, y consentit, et peu de temps après Cromwell, étant entré avec son second, un archidiacre vint dire à celui-ci que sa présence déplaisait aux évêques. « Il vaut mieux céder, dit Cromwell à Alésius, je ne veux pas vous exposer à la colère des prélats ; quand une fois ils ont un mauvais sentiment envers un homme, ils n’ont plus de repos qu’ils ne l’aient mis hors de leur chemin. Que de chrétiens ils ont déjà fait mourir, pour lesquels le roi avait beaucoup d’estime ! » Alésius se retira et la discussion s’ouvrit. « Y a-t-il sept sacrements, n’y en a-t-il que deux ? » demandait-on. Il fut impossible de s’entendre.

La Convocation, vieux corps clérical, dans lequel se trouvaient réunis les partisans les plus décidés des abus, des superstitions, des doctrines du moyen âge, était en Angleterre la véritable forteresse de Rome. Prétendre y faire pénétrer la lumière et la vie de l’Évangile était une entreprise téméraire, impossible. Le chef divin de l’Eglise l’a lui-même déclaré : Personne ne met une pièce d’un vêtement neuf à un vieux vêlement. Personne ne met le vin nouveau dans de vieux vaisseaux. Il n’y avait qu’une chose à faire. Supprimer cette assemblée et en former une nouvelle, composée de membres et de ministres de l’Église, qui ne reconnussent d’autre base, d’autre règle que la Parole de Dieu. Le vin nouveau doit être mis dans des vaisseaux neufs. Tel était l’acte qui contribuerait puissamment à réformer réellement, complètement, l’Église d’Angleterre.

Mais cet acte ne fut pas fait.

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