Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 13
Insurrection du nord de l’Angleterre pour rétablir la papauté et anéantir la Réformation

(Octobre 1536)

8.13

Agitation dans les comtés du nord – Fermentation dans les campagnes – Émeute en Lincolnshire – Vingt mille hommes en révolte – Menaces du roi – Le pèlerinage de grâce – Discours de Latimer et d’Aske – Les nobles. Northumberland – Effroi de Henri et de Londres – Bassesse des insurgés – Le héraut du roi devant les chefs rebelles – L’armée rebelle marche sur Londres – Proclamation royale – Conditions des rebelles – Ils se dispersent – Révoltes et répressions postérieures

Le système bâtard d’un catholicisme sans pape, préconisé par le roi, ne jouissait pas d’une grande faveur, et la Réforme évangélique gagnait toujours plus d’adhérents. Le système papiste, plus conséquent, prétendait lui tenir tête. Il y avait encore beaucoup de partisans de Rome dans l’aristocratie et parmi les populations du nord. Un effort puissant allait être fait pour chasser soit le protestantisme de Cranmer, soit le catholicisme du roi, et rétablir la papauté dans ses privilèges. Une grande révolution ne s’accomplit guère, sans que les amis de l’ancien ordre de choses se coalisent pour l’arrêter.

Plusieurs membres de la chambre des lords voyaient avec alarme la chambre des communes acquérir une influence qu’elle n’avait point jusqu’alors possédée, et prendre l’initiative de réformes qui n’étaient pas, pensaient-ils, de son ressort. Elevés dans la haine de l’hérésie, ces nobles seigneurs s’indignaient de voir des hérétiques revêtus de la dignité épiscopale, et un laïque, Cromwell, prétendre gouverner la Convocation du clergé. Quelques-uns d’entre eux formèrent une ligue, et lord Darcy, qui était à leur tête, conféra sur le sujet avec l’ambassadeur de Charles-Quint. Ce prince lui assura que l’aide ne lui manquerait pasa. Les Anglais, partisans du pape, aidés des Impériaux, suffiraient amplement, pensait-on, pour rétablir l’autorité du pontife de Rome.

a – « That he should lack no help. » (State papers, I, p. 558.)

L’agitation était grande, surtout parmi les habitants des villes et des villages du nord ; ceux des comtés d’York et de Lincoln, trop éloignés de Londres pour en subir l’influence, d’ailleurs ignorants et superstitieux, étaient soumis aux prêtres comme aux représentants de Dieu même. Les noms des réformateurs, Luther, Mélanchthon, Œcolampade, Tyndale étaient connus de leurs prêtres, qui leur apprenaient à les détester. Tout ce qu’ils voyaient les irritaient. S’ils voyageaient, les couvents qui étaient leurs hôtelleries habituelles n’existaient plus. S’ils travaillaient dans leurs champs, ils voyaient venir quelque moine déguenillé, la barbe et les cheveux en désordre, l’œil hagard, sans pain pour se nourrir, sans toit pour s’abriter, et à qui la haine donnait pourtant la force de se plaindre et de maudire. Ces malheureux, errants çà et là, allaient frapper de porte en porte ; les paysans les recevaient comme des saints, les faisaient asseoir à leur table et se privaient pour eux de leur nourriture. « Voyez, disaient ces religieux en montrant leurs lambeaux aux gens qui les entouraient, voyez dans quel état se trouvent les membres de Jésus Christ ! Un prince schismatique, hérétique, nous a chassés des maisons du Seigneur. Mais le saint-père l’a excommunié, détrôné ; nul ne doit plus lui obéir. » Ces paroles faisaient effet.

Quand l’automne fut arrivé (c’était en 1536), la fermentation augmenta au milieu des habitants des campagnes, qui n’avaient plus les travaux des champs pour les distraire. Ils se réunirent alors en grand nombre autour des couvents pour voir ce que le roi en voulait faire. Ils regardaient de loin, et suivaient des yeux avec colère les commissaires qui se comportaient parfois avec violence, se livraient à des exactions, ou faisaient tomber l’une après l’autre les pierres de l’édifice, si longtemps vénéré, sous le marteau des démolisseurs. Un autre jour, ils voyaient l’agent de quelque lord s’établir avec sa femme, ses enfants, ses domestiques dans le monastère ; ils entendaient ces profanes laïques franchir, en babillant et en riant, les portes sacrées, dont les sandales des moines taciturnes avaient seules jusqu’alors touché le seuil. Le bruit se répandit bientôt que les monastères encore debout allaient être aussi supprimés. Le Dr Makerel, ancien prieur de Barlings, déguisé en artisan, et un moine (quelques-uns disent un cordonnier), nommé Melton, qui reçut le nom de Capitaine savetierb, s’efforcèrent d’enflammer les esprits et de les pousser à la révolte. Partout le peuple prêtait l’oreille aux agitateurs. Bientôt le haut clergé lui-même parut dans l’ordre de bataille. Sa Majesté le roi, dit-il, ni aucun laïque ne peut être chef de l’Église. Le pape de Rome est le vicaire de Christ et doit être seul reconnu comme chef suprême de la chrétientéc. »

b – Captain Cobler. (State papers, I, p. 462.)

c – Wilkins, Concilia, III, p. 812.

Le lundi, 2 octobre 1536, la commission ecclésiastique devait faire la visite de la paroisse de Louth en Lincolnshired. Le clergé du district y était convoqué. Peu de jours auparavant un monastère voisin avait été supprimé et deux des agents de Cromwell s’y étaient établis pour en faire la clôture. La veille de l’inspection (c’était un dimanche), une troupe de gens de la ville s’empara d’une grande croix d’argent qui appartenait à la paroisse, en s’écriant : « Suivez tous la croix ! Dieu seul sait si nous le pourrons longtemps encore ! » Puis la procession parcourut la ville, ayant Melton en tête. Quelques-uns se rendirent à l’église, s’emparèrent des joyaux sacrés et restèrent en armes pour les garder, de peur que les commissaires royaux ne les enlevassent. Le lundi matin, un de ces commissaires, qui ne se doutait de rien, entrait tranquillement à cheval dans la ville suivi d’un seul domestique. Tout à coup le tocsin sonne, et une foule d’hommes armés remplissent les rues. Le commissaire épouvanté se sauve dans l’église, croyant y trouver un asile inviolable ; mais ces furieux le saisissent, le traînent sur la place, lui mettent une épée sur la poitrine et lui disent : « Prête serment de fidélité à la commune, ou la mort ! » Toute la ville jura d’être fidèle au roi, à la commune et à la sainte Église. Le mardi matin le tocsin sonna de nouveau ; le savetier et un tailleur nommé le grand Jacques se mirent en marche, suivis d’une foule d’hommes à pied et à cheval. Des paroisses arrivaient, les prêtres en tête, et marchaient avec la bande. Les moines priaient tout haut pour le pape, et criaient que si les gentilshommes ne se joignaient pas à eux, il fallait les pendre tous ; mais des gentilshommes et des shérifs même vinrent grossir ces troupes tumultueuses. Vingt mille hommes du Lincolnshire étaient en armes. L’Angleterre, comme l’Allemagne, avait sa révolte de paysanse ; mais tandis que Luther s’y était opposé, l’archevêque d’York, des abbés et des prêtres l’encourageaient en Angleterre.

dState papers, I, p. 462.

e – Les State papers contiennent plusieurs documents qui se rapportent à cette insurrection. (Vol. I, p. 462 à 534). D’autres sont dans les Chapter House.

Les insurgés ne tardèrent pas à faire entendre leurs griefs. Ils déclarèrent que si les monastères étaient rétablis, les hommes de petite naissancef renvoyés du conseil, les évêques hérétiques destitués, ils reconnaîtraient le roi comme chef de l’Égliseg. Le mouvement était suscité par les moines, plus que par le pape. De grands désordres furent commis.

f – « Counsellors of mean birth. » (Cromwell surtout.) — Herbert, p. 474.)

g – « They might accept his Grace to be supreme Head of the Church » (Ibid.)

Cette révolte plongea la cour dans la consternation. Le roi, qui n’avait pas d’armée permanente, sentit sa faiblesse, et sa colère ne connut pas de bornes. « Quoi ! dit-il aux traîtres (c’était le nom qu’il leur donnait), vous, grossiers habitants d’un comté, et encore du comté le plus abruti et le plus brutal de tout le royaumeh, vous prétendez gouverner votre roi ! Retournez dans vos maisons, livrez à nos lieutenants cent de vos chefs, et préparez-vous vous-mêmes à subir les châtiments dont nous vous jugerons dignes, sinon vous exposerez vos vies, vos femmes, vos enfants, vos terres, vos biens, non seulement à la colère de Dieu, mais encore à une destruction totale par la puissance de l’épée. »

h – « The rude commons of one shire and that one of the most brute and beastlie of the whole Realm. » (State papers, I, p. 463.)

Ces menaces ne firent qu’accroître l’agitation : « Le christianisme va être aboli, disaient les prêtres au peuple ; vous allez vous trouver sous le glaive des Turcs ! Mais quiconque répandra son sang avec nous héritera une gloire éternelle. » — On accourait de toutes parts. Lord Shrewsbury, envoyé par le roi contre la rébellion, n’ayant pu réunir que trois mille hommes et ayant à en combattre au moins dix fois autant, s’était arrêté à Nottingham. Londres croyait déjà voir les rebelles arriver ; on fit de puissants efforts. Sir John Russel et le duc de Suffolk s’avancèrent avec des corps équipés à la hâte.

Les insurgés étaient soixante mille, mais sans chef capable et sans approvisionnement. Deux opinions se formèrent parmi eux : les gentilshommes et les fermiers disaient : « A la maison ! » les prêtres et le peuple criaient : « Aux armes ! » Le parti des amis de l’ordre ne cessait de s’accroître ; à la fin, il prévalut ; le duc de Suffolk entra dans le Lincolnshire le 13 octobre, et les rebelles se dispersèrenti.

iState papers, I, p. 462, 471.

Un danger plus grand menaçait l’ordre établi. Les hommes du nord étaient plus ultramontains que ceux de Lincoln. Le 8 octobre, une émeute eut lieu à Beverley, dans le Yorkshire. Un avocat de Westminster, Robert Aske, qui avait passé ses vacances à la chasse, retournait à Londres ; il fut arrêté par les rebelles, qui le proclamèrent leur chef. Le 15 octobre, Aske marcha sur York et y remit les moines en possession de leurs monastères. Lord Darcy, ancien soldat de Ferdinand d’Espagne et de Louis XII, ardent partisan du pape, quitta son château de Pomfret pour se joindre à l’insurrection. Les prêtres soulevaient le peuplej, et bientôt l’armée, qui montait à quarante mille hommes, forma une longue procession, — le Pèlerinage de Grâce, » — qui parcourut le comté d’York. Chaque paroisse marchait sous un capitaine, les prêtres portant en tête la croix de l’église en guise de drapeau. Une grande bannière, qui flottait au milieu de cette multitude, représentait d’un côté Christ sur la croix avec les cinq plaies, et de l’autre une charrue, le calice, le saint ciboire, et un cor de chasse. Sur la manche de chaque pèlerin étaient représentées les cinq plaies avec le nom de Jésus au milieu. Les insurgés avaient un millier d’arcs et de hachesk et bien d’autres armes, mais à peine un seul pauvre Testament de Christ. « Ah ! disait Latimer prêchant dans le Lincolnshire même, je veux vous apprendre, moi, quel est le véritable pèlerinage du chrétien. Il s’y trouve, nous a dit le Sauveur, huit stations différentes. » Puis il décrivait de la manière la plus évangélique les huit béatitudes : les pauvres en esprit, ceux qui pleurent, qui sont doux, qui ont faim et soif de la justice, et les autresl.

j – « Certain abbots moved to insurrection. » (Coverdale, Remains, p. 329.)

k – « A thousand bows and as many bills. » (Bale, Works, p. 327. Bale était évêque d’York en 1553.)

l – « A sermon made at the time of the insurrection in the north. » (Latimer, Sermons, p. 327.)

Mais Aske voulait un tout autre pèlerinage, et s’adressant au peuple de ces contrées, il disait : « Seigneurs chevaliers, maîtres et amis, des personnes mal disposées ont rempli l’esprit du roi d’inventions nouvelles ; le corps sacré de l’Église a été dépouillé. Nous avons donc entrepris ce pèlerinage pour obtenir le redressement des griefs et le châtiment des hérétiquesm. Si vous ne venez pas avec nous, nous combattrons contre vous. » De grands feux étaient allumés sur toutes les collines pour appeler le peuple aux armes. Partout où les nouveaux croisés paraissaient, les moines étaient rétablis dans leurs monastères, et les paysans contraints à se joindre au pèlerinage, sous peine de voir leurs maisons rasées, leurs biens confisqués et leurs corps livrés à la merci des capitaines.

mState papers, I, p. 467. Le Dr Lingard dit que cette entreprise fut plaisamment nommée, « le pèlerinage de grâce. » Il se trompe : les rebelles eux-mêmes l’appellent sérieusement de ce nom six fois dans leur proclamation.

Il y eut une différence notable entre la révolte de l’Allemagne et celle du nord de l’Angleterre. En Allemagne, quelques nobles seulement se joignirent au peuple et furent contraints à le faire. En Angleterre, les seigneurs du nord accoururent presque tous de leur plein gré. Le comte de Westmoreland, lord Latimer, lord Lumley, les comtes de Rutland et de Huntington, lord Scrope, lord Conyers et les représentants de plusieurs autres grandes familles suivirent l’exemple du vieux lord Darcy. Un seul seigneur, Percy, comte de Northumberland, demeura fidèle au roi. Malade depuis l’inique jugement qui avait frappé la loyale épouse d’Henri VIII, jugement auquel il avait refusé de se joindre, Northumberland était alors dans son château, couché sur un lit de douleur qui devait être bientôt son lit de mort. Les rebelles entourèrent sa demeure et le firent sommer d’adhérer à l’insurrection. Il eût pu alors venger le crime commis par Henri VIII contre Anna Boleyn ; il s’y refusa. Des voix sauvages criaient : « Coupez-lui la tête et faites Sir Thomas Percy comte à sa place ! » Mais cet homme noble et courageux dit tranquillement à ceux qui l’entouraient : « Je ne puis mourir qu’une fois ! qu’ils me tuent ! ils mettront ainsi fin à mes peinesn. »

n – Interrogatoire de Stapleton.

Le roi, bien plus effrayé de cette révolte que de la première, se demandait avec effroi si son peuple voulait le contraindre à se remettre sous le joug détesté du pape. Il déploya alors une grande activité. Il fit écrire à Cromwell de Windsor, où il était, lettre sur lettreo, « Je vendrai toute mon argenterie, dit-il. Allez à la Tour, prenez les joyaux de la couronnep, frappons monnaie ! » Henri ne montra pas moins d’intelligence que de décision ; il nomma, pour commander sa petite armée, un serviteur dévoué, mais qui était le chef du parti ultramontain à la cour, le duc de Norfolk. Déjà, pour condamner la protestante Anne Boleyn, Henri avait choisi ce chef du catholicisme. Cette fine politique réussit également au roi dans ces deux affaires.

o – Les 17 et 18 octobre. Lettres LIV à LVIII, p. 473 à 478 des State papers, Ier volume.

pState papers, I, p. 478, 482.

Londres, Windsor et tout le midi de l’Angleterre était dans une grande agitation. On s’imaginait que la papauté, portée sur les bras vigoureux des hommes du nord, allait rentrer en triomphe dans la capitale ; que peut-être le roi catholique d’Ecosse, neveu de Henri, y entrerait avec elle et remettrait l’Angleterre sous le sceptre papal. Les amis de l’Évangile étaient profondément émus. Le prince de la puissance de l’air, disait Latimer dans les chaires de Londres, a de grandes bouches à feu avec lesquelles il tire contre le peuple du Seigneur. Ces hommes du nord, qui étalent la croix et les plaies du Seigneurq, marchent contre Celui qui a vraiment porté la croix et à qui les plaies ont été faites. Ils se lèvent, disent-ils, pour soutenir le roi, et ils combattent contre lui. Ils se présentent au nom de l’Église et marchent contre l’assemblée des croyants. Combattons avec l’épée de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu. »

q – « These men in the north… wear the cross and the wounds before and behind. » (Latimer, Sermons, p. 29.)

Les rebelles, loin de s’apaiser, se montraient, au moins en partie, animés des sentiments les plus vils. Une troupe d’insurgés avait investi le château de Skipton, seule place qui, dans le comté d’York, tînt encore pour le roi. La femme et les filles de lord Clifford et d’autres dames qui l’habitaient, se trouvaient dans une abbaye peu éloignée, au moment où le château fut cerné. Les insurgés firent savoir à lord Clifford que s’il ne se rendait pas, sa femme et ses filles seraient amenées le jour suivant devant le château, au pied des murs, et livrées aux valets. Au milieu de la nuit, Christophe, frère de Robert Aske, mais resté fidèle, se glissa à travers le camp des assiégeants, prit des chemins non fréquentés, et parvint à ramener dans le château toutes ces dames, qu’il sauva ainsi des derniers outragesr.

r – Ce fait est rapporté dans un des procès-verbaux du jugement qui suivit la révolte. (Interrogatoire de Christophe Aske.)

Robert Aske, lord Darcy, l’archevêque d’York, et plusieurs autres chefs avaient leur quartier général au château de Pomfret. Le héraut de Lancaster, envoyé par le roi, s’y présenta le 21 octobre. Ayant traversé plusieurs troupes d’hommes armés, d’un aspect farouches, il fut enfin introduit devant le grand capitaine. Voyant devant lui l’archevêque et lord Darcy, personnages plus importants que l’avocat de Westminster, le héraut leur adressa la parole. Aske choqué, se leva et lui dit avec fierté que c’était à lui qu’il devait s’adresser. Le messager s’acquitta de sa mission. Il représenta aux chefs de la rébellion qu’ils n’étaient qu’une poignée devant la grande puissance de Sa Majestét, et que le roi n’avait rien fait quant à la religion, que ce que le clergé d’York et celui de Cantorbéry avaient reconnu conforme à la sainte Parole de Dieu. Ce discours fini, Aske, comme s’il eût méprisé les paroles du héraut, lui dit rudement : « Montrez-moi voire proclamation. » « Certes, pensait l’envoyé, on le prendrait pour un grand prêtre, ou plutôt pour un tyran. — Héraut, dit Aske, cette proclamation ne sera lue ni sur la place ni ailleurs. Nous voulons le redressement de nos griefs, ou mourir en combattant pour l’obtenir. » Le héraut demanda quels étaient ces griefs. « Moi et tous les miens, reprit le chef, nous nous rendons à Londres en pèlerinage auprès de Sa Majesté, pour chasser du conseil le sang vil qui s’y trouve, et y faire rentrer le sang nobleu ; et pour obtenir la pleine restauration de l’Église chrétienne. — Veuillez me donner cela par écrit, » dit le héraut. Aske lui fit remettre le serment que prêtaient les rebelles, et en même temps étendant la main sur ce papier : « Ceci est mon acte, dit-il d’une voix retentissante ; je mourrai pour le défendre, et tous mes gens mourront avec moi. » Le héraut, intimidé par le ton d’autorité du chef, fléchit les genoux devant le capitaine rebelle (il fut l’année suivante poursuivi pour ce fait), « Qu’une garde de quarante hommes l’accompagne ! » dit Aske.

s – « Very cruel fellows. » (Lancaster Herald’s Report. — State papers, I, p. 485.)

t – Le héraut ajouta : « They shall be constrained the next year to eat their own fingers. » (State papers, I, p. 476.)

u – « To have all vyle blood of his counsell put from him and all noble blood set up again. » (Lancaster Herald’s Report, p. 486.)

Aussitôt trente mille hommes bien armés, dont douze mille cavaliers, se mirent en marche sous les ordres d’Aske, de lord Darcy, et d’autres nobles du pays. Norfolk n’avait à leur opposer qu’une petite troupe, dont il n’était même pas sûr ; aussi les rebelles étaient-ils convaincus, que quand ils paraîtraient, les soldats du roi, et peut-être le duc lui-même, se joindraient à eux. L’armée catholique-romaine arriva sur les bords du Don, de l’autre côté duquel (à Doncaster), se trouvait la troupe du roi. Ces hommes ardents qui étaient six contre un, enflammés par des moines fort impatients de rentrer dans leurs nids, se proposaient de passer le Don, de culbuter Norfolk, d’entrer à Londres, de dicter au roi la mort de tous les partisans de la Réformation, et de restaurer le pouvoir papal en Angleterre. La crue des eaux, augmentées par de grandes pluies, ne leur permit pas de franchir la rivière. Chaque heure de délai était un gain pour la cause royale ; les insurgés n’ayant pas pris de provisions, durent se débander pour chercher ailleurs leur nourriture. Norfolk profita aussitôt de cet avantage pour répandre à profusion une adresse au milieu des rebelles : « Malheureux ! y était-il dit, comment est-il possible que vous vous leviez contre la majesté de ce prince avec lequel vous avez remporté de grandes victoires ? Fi ! hontev ! Comment ne craignez-vous pas d’offenser celui qui vous aime plus que tous ses sujets ? Si vous ne retournez chacun dans vos maisons, nous vous traiterons avec la plus rude courtoisie, que l’on ait jamais montrée à des hommes, aimés autant que nous vous aimons. Mais si vous regagnez vos foyers, vous aurez en nous de chauds et nombreux intercesseurs auprès de Sa Majesté. » Cette proclamation était signée par les lords Norfolk, Shrewsbury, Exeter, Rutland, Huntington, tous catholiques et les plus grands noms de l’Angleterre.

v – Fye ! for shame ! » (State papers, I, p. 495.)

Les révoltés se trouvaient ainsi dans la position la plus difficile. Ils devaient attaquer les soutiens de leur propre cause. Si les chefs qui avaient signé la proclamation étaient tués, l’Angleterre devait perdre ses meilleurs conseillers, ses plus grands généraux, et l’Église était privée des catholiques les plus zélés. La force de l’Angleterre serait immolée et le pays ouvert à ses ennemis. Le vieux lord Darcy était pour l’attaque ; le jeune Robert Aske pour la négociation. Le samedi 28 octobre, des commissaires des deux partis se rendirent sur le pont qui conduisait à Doncaster. Ceux des rebelles consentirent à mettre bas les armes, pourvu que les hérésies de Luther, Wicleff, Huss, Mélanchthon, Œcolampade, et les œuvres de Tyndale fussent détruites et annulées ; — que la suprématie fût rendue au siège de Rome ; — que les abbayes supprimées fussent rétablies ; — que les évêques et les lords hérétiques fussent punis par le feu, ou autrement, et que le parlement fût promptement réuni à Nottingham ou à Yorkw. »

w – Ces articles sont pins ou moins nombreux selon les diverses sources.

Il n’y avait donc pas de doute ; le but de l’insurrection était d’écraser la Réformation. Les noms de la plupart des réformateurs étaient cités dans les articles, et le feu ou le fer devaient faire justice des plus illustres de leurs adhérents. Le même soir on remit à Henri VIII une lettre qui avait pour adresse : A son Altesse le Roi. Doncaster, samedi à onze heures de la nuit. — Hâte, poste, hâte, hâte, hâtex ! Les insurgés avaient eux-mêmes une telle hâte, qu’ils n’attendirent pas davantage. Le lendemain, 29 octobre, les lieutenants du roi lui annoncèrent à une heure après midi, que les rebelles s’étaient dispersés et étaient retournés dans leurs maisonsy. Deux chefs des insurgés cependant devaient porter au roi les conditions stipulées, et Norfolk devait les accompagner. Ce catholique zélé n’était peut-être pas sans espoir que la pétition amenât le roi à se réconcilier avec le pape. Il se trompait fort.

xState papers, I, p. 496.

yIbid., p. 497.

Ainsi Dieu avait dissipé les forces de ceux qui campaient contre Wicleff, Huss, Luther. Le royaume reprit sa tranquillité ordinaire. Plus tard les hommes du nord, soulevés par les intrigues du pape et de Reginald Pole, fait cardinal, prirent de nouveau les armes ; mais ils furent battus ; soixante et dix d’entre eux furent pendus aux murailles de Carlisle, et les lords Darcy et Hussey, plusieurs barons, abbés, prieurs, et un grand nombre de prêtres furent exécutés en divers lieux ; l’habile archevêque d’York échappa seul, on ne sait comment. Les cabanes, les cures, et les châteaux du nord furent remplis d’angoisse et d’effroi. Henri, qui faisait couper la tête à ses amis les plus intimes et à ses femmes les plus aimées, ne pensait pas à ménager des rebelles. La leçon fut terrible, mais pas très efficace. Les prêtres ne perdirent pas courage et demandèrent toujours de nouveau le rétablissement du pape, la mort des luthériens, et l’anéantissement de la Réforme. Un événement qui arriva à cette époque semblait devoir favoriser leurs désirs. Un grand coup allait être porté à la Réformation. Mais les voies de Dieu ne ressemblent pas aux nôtres, et de ce qui semble devoir compromettre sa cause, il fait souvent sortir son triomphe.

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