Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 9
David Beaton établit son influence – La persécution se ranime

(1530)

10.9

Le cardinal David Beaton – Il prend un plein empire sur le roi – Guerre aux riches – La rançon de Balkerley – Nombreux emprisonnements – Henri VIII surveille l’Écosse, – Le drame audacieux de Killon – Procès de Killon et de Thomas Forret, – Leur supplice – Buchanan en prison – Il s’échappe – Kennedy et Jérôme Russel – Leur emprisonnement – Leur jugement – Leur courage – Leur martyre

Un homme que nous connaissons déjà devait, pendant huit années, jouer un grand rôle en Écosse, et y combattre avec énergie la Réformation : c’était l’un des membres de la famille de Fife, David Beaton, neveu de l’archevêque James. Il était de ces esprits qui se rangent avec enthousiasme sous un pouvoir absolu et en deviennent les plus redoutables instruments. Très habitué et accrédité à la cour de France, c’était lui qui avait négocié le mariage du roi, d’abord avec Madeleine de Valois, puis avec Marie de Lorraine ; mais il entendait employer sa vie à une union plus sublime, celle de l’Écosse et de la papauté. Animé d’une vive sympathie pour Grégoire VII, Boniface VIII, Innocent III, il croyait comme eux que Rome autrefois maîtresse du monde païen, devait l’être maintenant du monde chrétien. D’elle émanait à ses yeux tout pouvoir, et il était décidé à lui consacrer sa vie, ses forces, tout ce qu’il possédait. Voulant combattre avec des armes charnelles, il lui fallait une dignité qui lui donnât le pouvoir d’en faire usage. Il parvint promptement à ses fins. Paul III, effrayé de voir l’Angleterre se séparer de Rome, et craignant que l’Écosse qui avait pour roi un neveu de Henri VIII ne fit de même, désirait avoir dans ce pays un homme qui lui fût complètement dévoué. David Beaton s’offrait lui-même. Le pape le fit cardinal en décembre 1538, et le rouge, couleur qui lui était fort sympathique, devint dès lors la sienne et comme son symbole. Ce n’est pas qu’il fût un fanatique religieux ; il n’était fort ni en théologie, ni en morale. C’était un fanatique hiérarchique. Deux choses surtout le heurtaient dans les hommes évangéliques : l’une qu’ils ne fussent pas soumis au pape, l’autre qu’ils censurassent l’immoralité du clergé, car ses désordres faisaient tomber ces reproches sur lui-même. Il voulait être en Écosse une espèce de Wolsey, seulement avec plus de violence et de sang, L’important à ses yeux était que tout pliât dans l’État et dans l’Église sous un double despotisme, et, doué d’une grande intelligence, d’une habileté consommée, d’une énergie indomptable, il ne lui manquait rien pour parvenir au but vers lequel son esprit était toujours tendu sans jamais s’en laisser distraire ; passionné pour ses projets, il était peu sensible aux maux qui devaient en résulter ; une seule chose le préoccupait : l’anéantissement de toute liberté. La papauté le devina et le fit cardinal.



David Beaton

Pour supprimer le christianisme évangélique qui soutenait l’autorité suprême de la parole divine en présence de la tiare et de ses oracles, Beaton avait besoin du roi ; la première chose pour lui était donc de s’en rendre maître. Ce n’était pas difficile. La noblesse avait des droits qu’elle prétendait faire respecter et que la couronne voulait lui ravir. Le roi et le cardinal furent portés naturellement à s’unir contre les évangéliques et contre les nobles. D’ailleurs Jacques V, prince naturellement bien doué quant au corps et quant à l’esprit, d’un caractère ouvert et doux, avait une forte inclination pour les plaisirs des sens. Les courtisans et la régente, pour l’éloigner des affaires, avaient favorisé en lui l’amour des intrigues et des aventures galantes, mal dont il ne se corrigea jamais, même quand il fut mariéa. Homme débauché, roi prodigue, catholique superstitieux, il devait tomber aisément sous la domination des esprits habilesb, surtout s’ils lui promettaient de l’or, et c’est ce que Beaton sut faire.

a – « Most vicious prince we shall call, for he neither spaired manis wieff, nor madyn, no more after his mariage, than he did before. » (Knox, Ref. in Scotland, works 1846, I, p. 66.)

b – « His velut machinis admotis, quum regis animum, superstitionibus obnoxium labefactassent. » (Buchanan, lib. XIV, ann. 1535.)

Henri VIII qui avait habituellement besoin d’argent comme son neveu, en avait cherché dans les trésors des monastères et dans d’autres institutions ecclésiastiques. Le roi d’Écosse pouvait être tenté de suivre cet exemple. Beaton et les autres dignitaires ecclésiastiques qui entouraient le prince trouvèrent un moyen sûr de l’empêcher. Au lieu de prendre l’argent du clergé, que le roi, dirent-ils, prenne celui des évangéliques ; que les biens de ceux qui seront condamnés à mort pour leur foi, et même de ceux qui, après avoir embrassé la Réforme, l’abjureront, soient confisqués au profit de Sa Majesté. Cette idée était d’autant plus séduisante qu’en assurant au clergé ses biens, on enlevait aux amis de la Réformation les leurs. C’était faire d’une pierre deux coups. Ceci donne un caractère particulier aux persécutions écossaises. Le cruel Gardiner disait en Angleterre que quand on était à la chasse aux cerfs, il fallait tirer à celui qui était à la tête du troupeau, et qu’il fallait en faire de même en faisant la chasse aux évangéliques. On convint en Écosse, de ne pas troubler les chrétiens pauvres qui ne laissaient rien après leur mort. Pourquoi saisir ces maigres brebis ? C’est sur les grosses et grasses, celles qui ont une riche toison qu’il faut porter le couteau. Guerre aux riches ! tel fut le cri que poussa le parti persécuteur. Depuis quatre ans environ, le glaive n’avait pas été tiré de son fourreau. L’horreur que la persécution de 1534 avait produite l’avait, à ce qu’il semble, suspendue. L’Évangile en avait profité ; le nombre de ceux qui confessaient Christ comme leur seul Sauveur s’était augmenté, aussi l’irritation des prêtres s’était bientôt réveillée.

Martin Balkerley, riche bourgeois d’Édimbourg, fut enfermé au château au moment où David Beaton allait être fait cardinal à Rome. Celui-ci avait déjà une grande influence. Coadjuteur de l’archevêque de Saint-André son oncle, alors âgé et malade, et auquel il devait succéder, l’administration de toutes les affaires ecclésiastiques était déjà en ses mainsc. Balkerley, mis en prison comme lisant des livres prohibés, se plaignit ainsi : « Je n’ai fait autre chose, dit-il, que de refuser à l’official mon livre de matines. » Le roi le renvoya à Beaton qui déféra la cause au conseil privé. Les lords qui le composaient promirent la liberté à l’accusé moyennant une caution de mille livres sterling, somme énorme, vu la valeur de l’argent à cette époque. Cette caution fut livrée le 27 février 1539. Mais Balkerley resta en prison. Ce n’était pas assez. Beaton, alors cardinal depuis un ou deux mois, demanda une nouvelle caution d’une double valeur. Trois riches Écossais se portèrent caution le 7 mars, assurant que le prisonnier ferait la volonté du roi. Cinq jours après il fut mis en liberté. Plus d’un million de francs, valeur actuelle, fut enfin trouvé suffisant pour expier la faute d’avoir lu l’Évangile.

c – Spotswood, Church of Scotland, p. 67.

Beaton crut n’avoir plus besoin désormais d’avoir recours aux lords du conseil privé. Son arrogance s’était accrue : il affichait des manières hautaines. Comme les consuls de l’ancienne Rome avaient des licteurs qui portaient devant eux leurs faisceaux, symbole de leur puissance, le cardinal partout où il allait faisait porter devant lui la croix, et ce symbole de l’amour de Dieu qui signifie pardon, signifiait quand il précédait Beaton condamnation et jetait en tout lieu l’épouvante. Le cardinal prétendait être maître des âmes et disposer de la vie des hommes. L’argent qu’il avait si honteusement acquis ne fit qu’accroître en lui le désir d’en acquérir encore par les mêmes moyens. Des citoyens riches et éminents, Walter Stewart, fils de lord Ochiltree ; Robert Forester, frère du laird d’Arngibbon ; David Graham, John Steward, fils de lord Methorn ; d’autres encore appartenant à l’élite de l’Écosse furent jetés en prison. Dans les châteaux, dans les villes de Stirling, Edimbourg, Perth, Dundee, de nombreuses familles étaient dans la désolationd.

dCriminal Trials. — Anderson, Bible Annals, p. 498.

Henri VIII vit dans ces actes du gouvernement de son neveu le signe d’une attaque prochaine et envoya l’un des plus grands seigneurs de sa cour, le duc de Norfolk, à Berwick et à Carlisle pour surveiller l’Écosse. Norfolk examina avec attention l’état de ce pays et y reconnut deux courants contraires : « Les prêtres, écrivit-il à Londres, craignent tellement de voir le roi Jacques faire en Écosse ce que le roi Henri fait en Angleterre, qu’ils mettent tout en œuvre pour pousser le jeune prince à faire la guerre à son oncle ; mais une grande partie des laïques désirent au contraire que le roi écossais suive notre exemple, et je demande à Dieu de lui donner la grâce de le fairee. » Bientôt Norfolk apprit que Jacques V préparait ses canons, qu’une proclamation faite à Edimbourg et dans toute l’Écosse ordonnait à tout homme de seize à soixante ans de se tenir prêt à partir et que le fanatique cardinal s’était retiré sur le continent pour s’assurer du secours que l’Écosse pouvait espérer, soit du roi de France, soit du pape. Norfolk ne tarda pas à voir de ses propres yeux les tristes effets des machinations du clergé. Il ne se passait pas de jour que des gentilshommes et des prêtres obligés de fuir l’Écosse, parce qu’ils avaient eu l’audace de lire la sainte Écriture en anglais, ne vinssent lui demander un refuge. « Ah, lui disaient-ils si nous étions pris nous serions mis à mortf ! » Au milieu de ces persécutions et de ces préparatifs de guerre, Jacques instruit dans l’art de la politique romaine, affectait les sentiments les plus pacifiques. « Soyez sûr, disait-il à l’un des agents de Tudor, que jamais je ne romprai avec le roi mon oncle ; » Mais Norfolk ne prenait pas le change, il se défiait excessivement de l’influence de Marie de Guise. « La jeune reine, écrivait-il à Cromwell, est toute papisteg. » Cet infortuné mariage unissait à ses yeux la famille et le royaume des Stuarts à la France et à la papauté.

e – Norfolk à Cromwell, 29 mars 1539. (State papers, V, p. 154.)

f – « Daily commeth unto me some gentlemen and some clerks » (Ibid.)

g – « « The young Queen is all papist. » (Ibid.)

Norfolk n’avait pas tort. Le cardinal ayant gagné le roi par la flatterie et les riches amendes extorquées aux évangéliques, s’empressait d’en profiter pour anéantir la Réforme et satisfaire quelques vieilles rancunes. Un moine nommé Killon, doué d’un talent poétique, avait, selon l’usage dû temps, composé une tragédie sur la mort de Christ Le matin d’un vendredi saint, probablement en 1536, un nombreux auditoire s’était réuni à Stirling pour l’entendre ; le roi lui-même et la cour y assistaient. La pièce offrait un tableau vivant de l’esprit et de la conduite du clergé romain. L’action était animée, les caractères bien frappés, les paroles fortes et parfois rudes. Des sacrificateurs fanatiques, des pharisiens endurcis poussaient le peuple à demander la mort de Jésus et obtenaient de Pilate sa condamnation. Il y avait dans cette œuvre un dessein si marqué que les plus simples se disaient l’un à l’autre : « Il en est de même chez nous ; les évêques et les moines font persécuter ceux qui aiment Jésus-Christh. » Le clergé s’abstint pour le moment d’inquiéter Killon, mais il prit note de son drame audacieux.

h – « The verray sempill people understood that as the preastis and pharisyes… » (knox, Ref. in Scotland, I, p. 62.)

Un autre évangélique avait aussi laissé de très mauvais souvenirs dans l’esprit de Beaton ; c’était le bon doyen Forret qui avait audacieusement dit n’avoir jamais trouvé ni une mauvaise épître, ni un mauvais évangile. Le cardinal n’attendait qu’une occasion pour l’arrêter, lui, Killon, et quelques autres. Elle ne tarda pas à se présenter. Le vicaire de Fullybody près Stirling s’étant marié, Forret et Killon avaient assisté au mariage ainsi qu’un moine nommé Beverage, sir Duncan Sympson prêtre, un gentilhomme nommé Robin Forrester et trois ou quatre autres personnes de Stirlingi. Au repas de noce, au commencement du carême, ils avaient mangé de la viande, selon cette parole de saint Paul : Mangez de tout ce qui se vend. Le 1er mars 1539, d’autres disent le dernier jour de févrierj, ils furent tous saisis et conduits devant le cardinal et les évêques de Glasgow et de Dunkeld, qui avaient des habitudes beaucoup plus criminelles que de manger ce que Dieu a créé pour cela.

i – « Because they were at the bridai and marriage of a priest. » (Fox, Acts, V, p. 623.)

j – 1er mars 1539 accusatio hereticorum et eorum combustio. » (Archeologia, v. XXII, p. 7.) — « The last day of februar. » (Knox, Ref. of Scot., p. 63.)

L’accusateur d’office, John Lancier, créature de Beaton, s’adressant rudement à Forret lui dit : « Perfide hérétique, tu as dit qu’il n’est pas permis aux ecclésiastiques de prendre les dîmes et les offrandes. » Et le doyen Forret de répondre : « J’ai seulement affirmé qu’ils ne doivent pas dépenser le patrimoine de l’Église comme ils le font, dans des repas déréglés, avec de belles femmes, et aux jeux de cartes ou de dés, tandis qu’ils négligent d’instruire le peuple. »

L’accusateur : « Lorsqu’un de tes paroissiens meurt, tu rends à sa veuve la plus belle de ses vaches et ses derniers vêtements qu’on est tenu de donner au prêtre ? »

Le doyen : « Parce qu’ils en ont plus besoin que moi. »

L’accusateur : « Perfide hérétique ! Tu apprends à tes paroissiens à dire en anglais : Notre Père, le Symbole des apôtres et les Dix commandements. »

Le doyen : « Les voyant ignorants, et surtout du latin, je leur ai fait apprendre en anglais le Credo, afin que leur foi soit en Dieu, en Jésus-Christ son fils, en sa mort, en sa résurrection ; les dix commandements, afin qu’ils les observent, et la propre prière du Seigneur, afin qu’ils sachent comment il faut prier. »

L’accusateur : « Notre saint-père le pape te l’avait-il ordonné ? »

Le doyen : « Notre Sauveur Jésus-Christ me l’a ordonné, et aussi saint Paul qui dit : J’aime mieux prononcer dans l’Église cinq paroles de manière à être entendu, que dix mille paroles en une langue inconnue. »

L’accusateur : « Où trouves-tu cela ? »

Le doyen : « Ici, dans le livre qui est dans ma manche. »

A ces mots l’accusateur s’élançant d’un bond sur le doyen lui arracha le Nouveau Testament, et l’élevant : « Voyez, Messieurs, s’écria-t-il d’une voix retentissante, il a le livre d’hérésie dans sa manche. C’est de ce livre que vient toute la bagarre dans laquelle notre Église se trouvek. »

k – « That makes all the din and play in our kirk. » (Bible Annals, II, p. 501.)

Le doyen : « N’appelez pas l’Évangile de Jésus-Christ le livre d’hérésie. »

« Il y a là de quoi te brûler, » dit froidement l’accusateur.

Cinq de ces hommes pieux furent immédiatement condamnés à mort et conduits le même jour sur la colline du château où les bûchers étaient prêts ; et le roi, d’après l’exemple de François Ier, assista avec sa cour à cette cruelle exécutionl. Les premiers qui montèrent sur l’échafaud consolèrent pieusement et merveilleusement ceux qui allaient les suivre. « Au commencement de 1539, dit Buchanan, plusieurs suspects de luthéranisme furent saisis ; cinq furent brûlés à la fin de février, neuf se rétractèrent, et d’autres furent condamnés à l’exilm. Le même jour, il fut ordonné de confisquer les biens de ceux qui avaient été déclarés hérétiquesn. Le roi, le cardinal et leurs serviteurs se payaient de leurs peines.

l – « Eorum combustio apud Edinburgh rege presente. » (Archeologia, XXII, p. 7.)

m – « Lutheranismo suspecti complures cœpissent quinque cremati. » (Buchanan, Res Scotiæ, p. 509.)

n – Lord Treasurer’s Accounts.

L’illustre Buchanan lui-même était alors en prison. Il avait trente-deux ans et, après un séjour à l’université de Paris, il était revenu en Écosse et avait été nommé précepteur d’un fils naturel de Jacques V, le comte de Murray. Il était poète aussi bien qu’historien, et son génie grandissait et se développait sous le souffle de la poésie classique qui charmait ses loisirs. Il avait dans son esprit quelque chose de mordant, de particulièrement propre à la satire, aussi n’avait-il pas ménagé le clergé dans son Rêve (Somnium), sa Palinodie, et surtout dans la satire contre les Franciscains. Ce fut pour ce dernier poème qu’il fut emprisonné. Les cohortes des moines avaient vivement ressenti ses sarcasmes, et il n’y avait pas en Écosse un homme dont le parti romain désirât plus la mort ; on a dit que le cardinal offrit au roi une somme considérable pour l’obtenir. Quoi qu’il en soit, il était alors captif et soigneusement surveillé dans la prison de Saint-André ; des gardes même passaient la nuit dans sa chambre. Le jeune et déjà illustre écrivain savait que l’on en voulait à sa vie ; la mort des cinq martyrs lui révélait assez le sort qui l’attendait lui-même. Une nuit il s’aperçut que ses gardes s’endormaiento. Il s’avance sur la pointe des pieds vers la fenêtre, s’accroche à la muraille, parvient, quoique avec peine, à franchir cette haute ouverture, passe, surmonte d’autres difficultés non moins grandesp, et, Dieu l’aidant, et le désir de sauver sa vie l’animant, il échappa à la rage de ceux qui voulaient son sangq. Il se rendit en France, enseigna pendant plusieurs années dans le collège de Guyenne, à Bordeaux, puis dans un collège de Paris. Henri Étienne, en publiant dans cette dernière ville la première édition de sa paraphrase des Psaumes l’appelle sur le titre du livre le Prince sans contredit des poètes de notre siècler. Cette évasion eut lieu, à ce qu’il paraît, en mars 1539. Plusieurs évangéliques, comme nous l’avons dit, suivirent dans ce même mois son exemple. Quant à lui, il semble n’avoir guère été à cette époque que l’un de ces poètes et prosateurs si nombreux qui attaquaient alors les vices et les ridicules du clergé romain. Mais en attaquant la superstition, Buchanan ne tomba pas comme plusieurs dans l’incrédulité, il s’attacha franchement plus tard à la réforme évangélique, et Knox lui rend un beau témoignages.

o – « Sopitis custodibus. (Ibid.)

p – « Per cubiculi fenestram evaserat. »

q – « He eschaped (albeit with great difficulties) the rage of those that sought his blood. » (Knox, Ref. in Scotland, p. 71.)

r – « Poetarum nostri sæculi facile princeps. »

s – Knox, Ref. in Scotland, p. 71.

Beaton, en immolant plusieurs victimes ; avait allumé un feu en un lieu élevé afin que les autres évêques le voyant de loin ne montrassent pas moins de zèle « pour éteindre la lumière divinet. » Ce signal ne fut pas donné en vain. Dans la ville d’Ayr, au milieu des riches plaines de son fertile comté, était un jeune gentilhomme de dix-huit ans environ, nommé Kennedy, qui avait reçu une éducation libérale, et avait goûté l’Évangile sans cependant parvenir à une foi très affermie, ce que sa jeunesse explique. Doué de quelque talent poétique, il n’avait pas ménagé l’ignorance des prêtres. Kennedy fut saisi et mis en prison.

t – « To the effect that the rest of the Bischoppes mycht schaw thame selfis no less fervent to suppress the light of God. » (Knox, Ibid., p. 63.)

Dans le même diocèse (celui de Glasgow) vivait, dans un couvent de cordeliers, un de ces moines éclairés et pieux qui brillaient comme des étoiles dans la nuit profonde du siècle. Il se nommait Jérôme Russel, avait un bon caractère, un esprit prompt et de belles connaissances littéraires. Wharton, écrivant à lord Cromwell en novembre 1538, parle d’un frère Jérôme, homme très instruit, qui, mis en prison à Dumfries à la demande des évêques, y avait été chargé de chaînes, parce qu’il professait sur la loi de Dieu les mêmes opinions que l’on avait en Angleterreu. C’est sans doute de Russel qu’il s’agit. Dumfries n’est pas loin d’Ayr.

u – « One frère Jérôme, a well learned man lyeth in sore yerons. » (State papers, V, p. 141.)

L’archevêque de Glasgow, Gawin Dunbar, n’avait pas l’esprit aussi persécuteur que Beaton et, comme lord chancelier, il était revêtu de la première autorité dans l’État. On était alors dans l’été 1539 et Beaton, quoique nommé cardinal, n’avait pas encore reçu l’acte pontifical qui lui conférait cette dignité, et il n’eût osé se présenter dans le diocèse de Glasgow en faisant porter sa croix devant lui. Mais il ne lui suffisait pas que le savant Russel et l’intéressant Kennedy fussent en prison, il fallait les brûler. Il envoya en conséquence à Glasgow son agent favori Lander, qui savait affecter des manières insinuantes et afficher des prétentions exagérées pour parvenir à ses fins. L’habile notaire André Oliphant et le zélé moine Mortman l’accompagnaient, chargés d’obtenir de l’archevêque qu’il « plongeât ses mains dans le sang des amis de Dieu ; » aussi Knox appelle-t-il ces trois hommes les sergents de Satan.

Une fois à Glasgow, les trois sangsues rampent autour du prélat chancelier, lui demandent bien au delà de ce qu’il pouvait légitimement accorder ; il ne doit pas seulement faire examiner les deux évangéliques, il faut les mettre à mort. Quels reproches mériterait-il s’il protégeait des hérétiques ! et quelles louanges n’obtiendra-t-il pas s’il est ardent à servir l’Église ! Gawin céda, et Russel et Kennedy furent mis en cause. Ils parurent devant la cour présidée par l’archevêque lui-même et le procès commença. Grâce au zèle inventif de Lander et de ses collègues, des charges nombreuses furent produites contre les accusés ; Kennedy avait une âme droite, mais plutôt une disposition à la foi que la foi elle-même. La cour était présidée par l’archevêque. Le déploiement imposant des pompes judiciaires, la gravité des accusations, la rigueur du supplice qui se préparait et l’horrible agonie qui devait le précéder, tout agitait le jeune homme ; il se troubla et, vivement pressé de rétracter ce qu’il avait écrit, il s’intimida et broncha.

Russel, au contraire, dont la foi, résultat d’un examen attentif de la Parole de Dieu, était développée et affermie par de longues études, se montra plein de décision. Il répondit avec sagesse à ses accusateurs, défendit par des preuves puissantes les doctrines qu’il professait et repoussa avec calme, dignité et intrépidité les fausses accusations de ses ennemis. Ses paroles eurent un effet inattendu : elles réveillèrent la conscience de son jeune compagnon. L’Esprit de Dieu, qui est l’Esprit de toute consolation, agit au dedans de lui. La vie chrétienne à peine commencée en son cœur s’épanouit. Il sentait comme s’il devenait une nouvelle créature ; une foi vivante remplissait son cœur ; son âme était transformée ; il s’affermissait dans ses résolutionsv. Dès lors, il n’hésita plus à donner sa vie pour la vérité. Le bonheur qu’il avait perdu lui revint ; son visage était éclairé, sa langue était déliée, il y avait un rayonnement dans toute sa personne, et, tombant à genoux, il s’écria avec joie :

v – « He felt himself, as it were a new creature ; his mind was changed. » (Scot’s Worthies, p. 24.)

« O Dieu éternel ! combien est admirable cet amour que tu as eu pour l’homme, pour moi misérable créature, plus misérable que toutes les autres ! En ce moment même où j’étais près de te renier toi et ton fils notre Seigneur Jésus-Christ, mon unique Sauveur ! où j’allais ainsi me précipiter dans la condamnation éternelle, toi, Seigneur ! de ta propre main tu m’as tiré des profondeurs de l’enfer, et m’as donné cette consolation céleste, qui a dissipé cette crainte impie dont j’étais accablé. Maintenant je défie la mort ! » Puis se relevant, il se tourna vers ses persécuteurs et dit : « Faites maintenant de moi ce que vous voulez. Je suis prêt, grâces à Dieuw ! »

w – Knox, Ref., p. 65. Spotswood, p. 67. Petrie, Hist. of the Church, p. 180.

La prière de Kennedy toucha l’archevêque de Glasgow, il fut ébranlé : « Il vaut mieux faire grâce à ces hommes, dit-il ; des exécutions telles que celles qui ont eu lieu naguère font tort à la cause qu’elles sont destinées à servir. » Les agents du cardinal résolurent d’épouvanter le prélat dont ils connaissaient la faiblesse et s’écrièrent hardiment : « Prenez garde à ce que vous faites, Monseigneur. Condamneriez-vous ce que le lord cardinal et les autres évêques ont fait ? En ce cas nous vous déclarons ennemi de la sainte Église. » La peur s’empara de l’archevêque ; réprimant la compassion qu’il avait éprouvée, faisant taire sa conscience pour conserver sa réputation et sa vie commode et facile, il céda.

Russel était resté calme jusqu’alors, mais irrité des calomnies de ses ennemis, indigné de la faiblesse de l’archevêque, fier de son innocence, il dit avec dignité : « C’est ici votre heure et la puissance des ténèbres. Vous siégez maintenant comme juges et nous sommes ici debout comme accusés, et près d’être condamnés injustement. Mais le jour viendra où notre innocence paraîtra, et où vous serez couverts d’une confusion éternelle. Remplissez la mesure de votre iniquité. » Russel et Kennedy, condamnés aux flammes, furent remis immédiatement au pouvoir séculier.

Le jour suivant, comme ils étaient conduits au lieu de l’exécution, Russel crut apercevoir quelque appréhension chez son ami : « Frère, lui dit-il, Celui qui est en nous est plus puissant que celui qui est dans le monde. La peine que nous souffrirons sera courte et légère ; mais notre consolation et notre joie ne finiront jamais. » Ceux qui l’entendaient étaient merveilleusement émus. Arrivés près du bûcher les deux martyrs s’agenouillèrent et prièrent, puis, s’étant relevés, ils se laissèrent attacher au poteau sans ouvrir la bouche, et supportèrent le feu avec patience, ne donnant aucun signe d’effroi. Ils remportaient la victoire sur la mort, « attendant avec foi, dit un historien, les demeures éternelles. »

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