Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 10
Tergiversations du roi Jacques V – Négociations avec Henri VIII – Elles échouent

(1540 à Janvier 1542)

10.10

Nouvelles dispositions du roi d’Écosse – Il censure les évêques – Habileté du cardinal – Colloques d’évêques à Saint-André – Le roi se retourne du côté de Rome – Naissance de son fils – Naissance d’un second fils – Ses remords – Un songe – Mort de ses deux fils – Nouvelles tentatives de Henri VIII – Projet d’entrevue à York – Le roi d’Angleterre se rend à York – Efforts des évêques pour empêcher l’entrevue – Jacques V manque au rendez-vous

Le parti romain n’était pas encore satisfait. « Il ne rêvait que meurtres dans tous les quartiers du royaume, » dit Knox. Jacques était entouré de gens qui le poussaient dans cette voie. Plusieurs de ses courtisans, compagnons de ses désordres, l’excitaient à la persécution, pensionnés dans ce but par les prêtresx. Olivier Synclair était le principal de ces instruments secrets du clergé. Un événement vint alors augmenter l’influence du cardinal. L’archevêque James Beaton mourut dans l’automne de 1539, après avoir assisté comme témoin au baptême du fils aîné du roi. Il laissait par son testament son archevêché de Saint-André à son neveu David qui, confirmé par le roi, fut dès lors à la fois cardinal et primat d’Écosse.

x – « For many of his minions were pensioners to priests. » (Knox, Ref., p. 67.)

Ces circonstances engagèrent Henri VIII à faire de nouvelles démarches pour gagner son neveu. Il connaissait le cardinal et savait ses rapports avec la France et la papauté. Sir R. Sacklen fut envoyé en Écosse au commencement de 1540y. Le moment était bien choisi. Jacques V était alors assez disposé à la paix avec son oncle. Les lords Murray, Huntley, Bothwell étaient en disgrâce, et Jacques écrivait à Henri VIII comme à son « très cher oncle et Frère, et se recommandait très cordialement et affectueusement à lui. » Henri lui envoya des cadeaux et les messages les plus gracieux, s’informant avec empressement de sa santé, et Jacques recevait tout cela le plus aimablement du monde. Cependant Henri voulait aller au fond, et Thomas Eure, l’un de ses envoyés, s’efforçait de connaître quelles étaient les dispositions du roi d’Écosse à l’égard de l’évêque de Rome et de la Réformation. Un des conseillers, Ballenden, lui répondit avec beaucoup de grâce : « Le roi d’Écosse et ses conseillers temporels sont tout à fait disposés à réformer les évêques, moines et prêtres du royaume et leur mauvaise conduitez. » Jacques en donna même alors des preuves. Le jour de l’Epiphanie, 6 janvier 1540, il y eut grande fête à la cour, on donna une représentation dramatique dans le palais de Linlithgow. Le roi, la reine et tous les conseillers spirituels et temporels étaient présents et le but de toute la pièce était de mettre en évidence la présomption des évêques, les iniquités des cours spirituelles, la mauvaise conduite des prêtres, en un mot, le néant de la religion telle qu’elle existait alors. Peut-être le roi avait-il voulu faire entendre aux évêques un sermon à sa mode ; il semble peu probable qu’on eût osé sans son autorisation donner un tel spectacle. Quoi qu’il en soit, Jacques en fut frappé, et, la pièce étant terminée, il fit appeler l’archevêque de Glasgow, chancelier du royaume, et les autres évêques dont on peut s’imaginer les pensées et les craintes pendant la représentation. « Je vous exhorte, leur dit le roi, à réformer vos mœurs et vos manières de vivre. Si vous ne le faites pas, j’enverrai six des plus orgueilleux d’entre vous à mon oncle d’Angleterrea, et après qu’il les aura mis à l’ordre, j’en ferai autant des autres s’ils ne sont pas corrigés. » Le chancelier consterné répondit très humblement : « Une parole de la bouche de Votre Majesté suffit pour que nous lui obéissions aussitôt. » Jacques repartit instantanément et avec colère : « Je serai fort content de prononcer de ma bouche toute parole capable de vous corriger. » L’idée de s’adresser à Henri VIII pour redresser ses évêques était originale, et les prélats d’Écosse sachant que ce précepteur n’épargnait pas la verge et même le glaive, tremblaient jusqu’à la moelle des os. Ballenden confirmant les nouvelles dispositions de Jacques, dit à Thomas Eure : « Le roi est décidé à bannir tous les ecclésiastiques de tout office, soit dans sa maison soit ailleurs. » Il paraît que l’auteur du drame et en partie du changement opéré dans le prince, était sir David Lindsay, qui avait été à la fois gardien et compagnon du roi pendant son enfance. Ce littérateur hardi composa plusieurs satires contre les superstitions du temps et surtout contre l’ignorance et l’immoralité du clergé ; mais le roi ne permit jamais que le cardinal lui fit le moindre mal.

yState papers, V, p. 174.

z – « The king of Scots himself with all his temporal consaile was gretely given to the reformation of Bishops, » etc. (State papers, V, p. 170.)

a – « He would send six of the proudest of them to his uncle ot England. (State papers, p, 170.)

Les convictions de Jacques n’étaient pas bien profondes et sa vie n’était pas de nature à lui donner le droit de critiquer celle de ses évêques. Le cardinal semble s’être abstenu de démonstrations hostiles à la réforme de l’Église pendant que durait cette humeur libérale du prince. Il était sûr de l’en faire revenir et ne s’inquiétait pas des comédies, bien décidé à y répondre par des tragédies. Il ne tarda pas à montrer son inflexibilité, et l’humeur capricieuse du roi dut plier de nouveau sous son inébranlable fermeté. D’autres hommes ont été nommés grands, justes, débonnaires. Beaton a mérité d’être appelé persécuteur. Ce surnom, que l’histoire lui inflige comme une flétrissure, il sembla l’ambitionner comme une gloire.

Beaton convoqua à Saint-André les prélats et les nobles qui avaient sa confiance. Un siège élevé lui était préparé dans la cathédrale, il s’y assit en sa qualité de primat et de cardinal. Les comtes de Huntley, Arran, Montrose, Marshall, les lords Erskine, Lindsay, Fleming, Seaton et plusieurs autres barons et hommes de qualité, l’archevêque de Glasgow et chancelier Gawin, les évêques d’Aberdeen, de Galloway, d’autres évêques encore, des abbés et des prieurs, des doyens et des docteurs en théologie l’entouraient. David Beaton, fier de voir au-dessous de lui cette illustre et brillante assemblée, prit la parole : Il exposa avec chaleur les dangers auxquels la multiplication des hérétiques exposait la foi romaine ; la hardiesse avec laquelle ils professaient leurs opinions, même à la cour, où ils trouvent trop d’appui, ajouta-t-il, faisant ainsi allusion à la fameuse représentation dramatique dont Jacques avait été si frappé. Puis impatient de montrer le sérieux de ses paroles, il annonça qu’il avait cité devant cette assemblée sir John Borthwick, frère du lord du même nom, prévôt de Linlithgow, et qui probablement avait eu quelque part au drame satirique. « Cet hérétique prétend, dit-il, que le pape n’a pas plus d’autorité que les autres évêques, que ses indulgences n’ont d’autre effet que de tromper le peuple, que les ordres religieux doivent être abolis, que tous les ecclésiastiques peuvent se marier, enfin, que les Écossais aveuglés par leur clergé ne professent pas la foi véritable. Il lit et répand le Nouveau Testament en anglais et divers traités de Mélanchthon, Œcolampade et Érasme, et refuse de se soumettre au siège de Rome. »

Borthwick, au lieu de se rendre à Saint-André, partit en toute hâte pour l’Angleterre et y fut bien reçu par Henri VIII qui l’employa plus tard comme l’un de ses commissaires auprès des princes de l’Allemagne. Mais si Beaton ne pouvait envoyer l’agneau à la boucherie, il sut trouver moyen d’avoir au moins sa toison. Le 28 mai, la confiscation des biens de sir John fut prononcée et son effigie fut brûlée à Saint-André et, deux jours après, à Édimbourg. Les flammes ne lui faisaient pas grand mal, mais elles donnaient du moins une certaine pointe au discours du cardinalb.

b – Spotswood, p. 70. Petrie, p. 180.

Le roi s’était de nouveau, sous le souffle du cardinal, retourné du côté de Rome. Ce prince léger, bouillant, violent, sans principes, cédait à tout vent, changeant d’opinion et de volonté sur une parole de ceux qui l’entouraient. Il lui fallait de l’argent, et il l’eût accepté d’un parti comme de l’autre, des nobles comme des prêtres ; mais ceux-ci étaient plus persévérants, plus habiles à dénicher les écus dont il avait besoin. « Ils sont toujours à l’oreille du roi, » disait Sadler, un des envoyés de Henri VIII. Sir James Hamilton, son trésorier, était à l’oreille gauche, et Beaton, le cardinal, à l’oreille droite. Le trésorier avait reçu alors pour le roi de bonnes sommes du cardinal, et Jacques, gagné par cet argument, se prononçait contre les amis de la Réformation, avec la même colère dont il avait usé auparavant envers ses prélats. Sir James Hamilton, frère du comte d’Arran, homme d’un caractère peu honorable, cruel, meurtrier du comte de Lennox, fut revêtu alors par les ordres du roi de fonctions semblables à celles d’un inquisiteur. Je vous charge, lui dit Jacques, de saisir toutes les personnes suspectes d’hérésie, et de leur infliger après jugement les peines qu’elles auront méritées. » Dans l’excès de son zèle papiste, il s’écria : « Nul de cette espèce ne trouvera grâce auprès de moi, non pas même mon fils, s’il était prouvé qu’il fût au nombre des coupables. » Cette parole en effraya plusieurs. Il devait y avoir une cour inquisitoriale et déjà Hamilton préparait tout à cet effet. Mais inopinément il fut jeté lui-même dans les prisons où il voulait enfermer les amis de la Réformation. Accusé justement ou injustement de trahison, même d’un complot contre la vie du roi, il fut arrêté, et Jacques, dans sa colère, le fit mettre à mort en août 1540.

Jacques parlait de son fils ; il en avait un en effet, mais qui n’était pas d’âge à lui inspirer des craintes quant à ce qu’il appelait l’hérésie. L’enfant était né le 22 mai 1540 et avait été nommé Jacques comme son père. « Il est beau et aimable, écrivit-il à son oncle Henri VIII, et nous succédera dans ce royaumec. » Très fier de ce fils et se voyant un héritier, il crut sa couronne plus ferme que jamaisd et se mit à mépriser les nobles. « Ils n’oseront plus, disait-il, rien entreprendre contre ma maison. »

cState papers, V, p. 177.

d – « Rex, provisis jam heredibus de sua salute securior. » (Buchanan, p. 510.)

Le baptême eut lieu le 28 mai et, le lendemain, le roi s’embarqua. Nul ne savait expliquer ce brusque départ. Les uns disaient qu’il allait en France, d’autres en Irlande, où les hommes les plus notables, disait-on, le demandaient pour roie. « Je veux seulement visiter les îles pour y mettre tout en bon ordre, » écrivit-il à Henri. Le cardinal et les prélats résolurent de profiter de son absence. Le roi se montrait mal disposé à l’égard des nobles, il fallait se défaire de tous ceux qui étaient suspects quant à la doctrine. Mais un homme sage, Jacques Kirkealdy de Grange, lord trésorier, ayant eu connaissance de ce projet, en informa le roi et lui représenta tous les maux auxquels il s’exposerait s’il donnait la main à ce complot. Jacques, tournant de nouveau, fut irrité de cette intrigue ourdie en son absence. Le cardinal accompagné de plusieurs évêques vint au palais d’Holyrood pour le saluer, et lui présenta un papier sur lequel se trouvaient les noms des nobles soupçonnés d’hérésie et dont il était bon de se défaire. Il insistait même sur le profit qui en résulterait pour la couronne. Jacques dit avec vivacité : « Allez-vous-en, faux dévots que vous êtesf. Remplissez vos devoirs, réformez vos propres vies ; ne soyez pas des instruments de discorde entre ma noblesse et moi ; autrement, j’en prends Dieu à témoin, je vous réformerai par de rudes châtiments. »

e – « Take hym for thayre kynge. » (State papers, V, p. 178.)

f – « Pack you Jefwellis. » (Knox, Ref., p. 82.) Il est difficile de dire ce que ce mot jefwellis signifie exactement. Un autre manuscrit dit : Josrellis ; un autre : Jeffels ; un autre : Jésuites ; ce dernier mot est peu probable. Les Jésuites n’avaient été confirmés par le pape que l’année précédente et leur nom n’était pas encore un nom d’injure.

Les prélats ébahis de cette apostrophe se retirèrent tout troublés et renoncèrent à leur projet pour quelque temps.

Un second fils naquit à Jacques dans la ville de Stirling en avril 1541 et vint augmenter sa joie et son orgueil ; toutefois son bonheur était souvent troublé. Certaines gens cherchaient sans cesse à le tromper. Odieux délateurs, ils lui dénonçaient tel de ses comtes, de ses barons, et d’autres de ses sujets comme en voulant à sa vie, et le jetaient ainsi dans de grandes appréhensions. D’un autre côté quelques-uns de ses favoris l’entraînaient à des actes coupables. Il payait chèrement ses fautes, et il était puni par ses crimes mêmes. Souvent il avait l’esprit sombre et rêveur. Thomas Scott de Pitgorno, courtisan qui avait eu ses bonnes grâces et avait été nommé par lui lord de Lefries, puis élevé à une place supérieure dans l’administration de la justiceg, s’était rendu coupable de plusieurs méfaits ; on l’accusait entre autres d’avoir dépouillé de prétendus luthériens et l’on ajoutait que le roi en avait profité. Les remords tourmentaient ces deux malheureux. Une nuit que Jacques était à Linlithgow, il lui sembla voir Scott venir à lui entouré d’une compagnie de diables et lui dire d’une voix sépulcrale : « Malheur au jour où je t’ai connu et où je suis entré à ton service ; c’est contre Dieu, contre « ses serviteurs, contre la justice, que j’ai été ton « ministre ; aussi me voici maintenant livré aux tourments de l’enfer. » Le roi effrayé se réveilla. Il demanda à grands cris des flambeaux, — il était minuit, — fit lever tous ceux qui étaient dans le palais et leur dit : « Thomas Scott est mort ! Il m’est apparu, » et il raconta son horrible songe. La même nuit Thomas Scott alors à Édimbourg était pris d’une grande angoisse. « Je suis damné, disait-il, je suis damné ! C’est le juste jugement de Dieu ! Justi Dei judicio condemnatus sum. » Il mourut au milieu de ces tourments. Jacques apprit cette mort le lendemain matin et fut encore plus épouvanté. Voilà ce que rapportent les chroniqueurs et les historiens de l’Écosseh. Cela est étonnant sans doute, mais on a vu des coïncidences plus étranges.

g – Les State papers, V, p. 125, contiennent une lettre de lui adressée à lord Cromwell sur un objet politique et suggérant que Henri VIII donne à son neveu un jeune lion comme preuve d’amitié. « He saw one zoung lyoun in Flandris. » Le roi d’Écosse le désirait et Scott pense qu’il faut complaire à ce désir.

h – Knox, Ref. in Scotland, p. 69. Spotswood, p. 71.

Jacques avait encore d’autres causes d’inquiétudes. Ses insomnies nocturnes étaient troublées, sombres, agitées, et la lumière même du matin ne dissipait pas ses ténèbres intérieures. La mort d’Hamilton qu’il avait fait exécuter à la hâte, sur quelques soupçons, l’angoissait souvent. Ce malheureux seigneur avait fait du prince tout ce qu’il avait voulu et celui-ci se demandait s’il avait bien fait de se priver d’un secrétaire si dévoué. Il était innocent peut-être… on l’avait calomnié… Une nuit, étant à Linlithgow, Jacques vit en songe Hamilton, un glaive nu à la main, se précipiter sur lui, lui couper le bras droit, puis le bras gauchei et lui dire : « Prends cela ! Tu recevras bientôt le salaire de toute ton impiété et tu perdras la vie. » Jacques se réveilla tout tremblant et se demanda ce que ce songe voulait dire ; son imagination en était frappée. Il méditait tristement sur cette vision étrange et s’attendait à ce que quelque grand coup le frappât. Il était dans ces dispositions quand un message de Stirling lui apprit que son fils Arthur venait de mourir ; peu après arriva un autre messager venant de Saint-André, chargé de lui annoncer que son fils Jacques venait d’expirer. Ces deux jeunes princes, son espoir, sa joie et sa gloire, n’étaient plus. A vingt-quatre heures de distance, d’autres disent à la même heure, ils lui avaient été enlevés. Il comprit alors son rêve : ses deux bras lui sont coupés ; il ne lui reste qu’à perdre sa propre vie, et tout sera accompli. Rien ne pouvait distraire ce prince coupable à la fois de dissolution et de persécution ; rien ne pouvait tromper sa douleur. Il avait le cœur brisé, l’esprit égaré.

i – « J. Hamiltonium ense stricto in se ruentem. » (Buchanan, p. 512.)

Il s’enfermait et la seule personne qu’il pût voir, c’était sa mère. Malheureux père, malheureux roi ! La reine douairière faisait tout ce qu’elle pouvait pour consoler son fils et sa belle-fille : « Je ne m’éloigne jamais d’eux, écrivait-elle à son frère Henri VIII, le 12 mai 1541, je suis toujours dans leur compagnie. » Il semble que cette grande tristesse réveilla chez le roi les affections naturelles. Il écrivit à son oncle qu’il désirait voir la bienveillance, l’amitié et la paix la plus parfaite régner entre euxj.

jState papers, V p. 188-190.

Pendant que Jacques n’était plus occupé que de son angoisse, la doctrine de la Réformation faisait des progrès, et si on lui accordait seulement la liberté, elle semblait devoir triompher bientôt en Écosse. Une grande multitude de gens du peuple, soit dans les campagnes, soit dans les villes, formaient des réunions plus ou moins secrètes où on entendait lire et même expliquer la Parole sainte. Plusieurs hommes éminents avaient reçu la doctrine évangélique en 1540. Les comtes d’Errol et de Glencairn, les lords Ruthven, Kilmaurs, et leurs enfants ; sir David Lindsay, sir James Sandislands, Melville de Raith et un bon nombre d’autres personnages influents paraissaient attachés à l’Évangile par des convictions sincères.

Henri VIII, informé de cet état de choses, crut devoir en profiter. Son idée fixe était d’engager le roi d’Écosse à rendre son pays indépendant de Rome, et Jacques étant son neveu, il ne désespérait pas de réussir. Dès 1535, il lui avait envoyé Barlow avec des livres contre l’autorité du pape ; l’affaire avait échoué. Alors il avait député à Jacques encore célibataire lord Howard pour lui proposer la main de sa fille Marie et avec elle la perspective de la couronne d’Angleterre, s’il établissait la suprématie royale dans l’Église. Nouveau revers. En 1540, Henri avait chargé sir Ralph Sadler d’exposer à Jacques les avantages qu’il recueillerait d’une réformation et de lui offrir une entrevue. Sadler, pour prévenir l’influence du cardinal, présenta au roi d’Écosse des lettres de ce prélat au pape, interceptées par les Anglais, et d’où il résultait que Beaton voulait subordonner l’Etat à l’Église romaine ; le prince répondit en souriant que le cardinal lui avait déjà communiqué ces lettresk.

kState papers, V, p. 168.

Tous les efforts de l’envoyé anglais étaient restés inutiles. Au fond, le but que poursuivait Beaton, c’était la ruine de Henri VIII, et afin de pouvoir mieux l’atteindre, il ambitionnait d’être légat a latere, ce qui lui donnerait en Écosse des pouvoirs extraordinaires qu’il obtint en effet. Il faisait tout pour amener à bonne fin l’alliance contre l’Angleterre, projetée auparavant par le pape. Le conseil anglais du nord (the Council of the North), écrivait à Cromwell : « Le cardinal entend faire prochainement un voyage à Rome, et il paraît d’après la lettre ci-jointe saisie sur un navire échoué à Bamborough, que les Écossais trament quelque mystère avec leurs alliésl. » Henri, alarmé par cette nouvelle, fit faire auprès de son neveu de nouvelles instances. Ses ambassadeurs promirent à Jacques que s’il se rendait à York pour y conférer avec son oncle, cela aurait pour lui les plus heureuses conséquences et lui donnerait la preuve la plus positive de l’amour que le roi Henri lui portaitm. Il paraît même que l’un d’eux alléguant la faible santé du prince Édouard fit briller aux yeux de Jacques Stuart la perspective de la couronne d’Angleterre, ne tenant aucun compte de Marie ni d’Élisabeth. Les nobles d’Écosse, ennemis naturels des prêtres, pressaient le roi de s’entendre avec son oncle. Des articles furent rédigés au commencement de décembre 1541, par les commissaires d’Écosse et d’Angleterre. Ils portaient que le roi Jacques se rencontrerait avec son cher oncle le roi d’Angleterre, le 15 janvier 1542, dans la cité d’York pour de mutuelles communications tendant à accroître leur cordial amour, à resserrer les liens du sang et à augmenter la prospérité de leurs royaumesn. Ces articles mirent Henri au comble de ses vœux, et il prit aussitôt les mesures nécessaires pour donner à cette entrevue une solennité et un éclat extraordinaires. Cette conférence des deux rois faisait grand bruit en Écosse et l’on s’y préparait aussi. Henri VIII partit et se rendit à York plein d’espérance. L’oncle et le neveu allaient enfin se voir, s’entendre, et chacun comprenait que cette rencontre aurait des suites importantes. Jamais l’Écosse ne fut plus près d’avoir une réforme à la Henri VIII.

l – « The cardinal entendithe to take his journey towards Rome. » (State papers, V, 168.)

m – « Ac prolixe de sui regis amore et benevolentia erga eum sponderent. » (Buchanan, p. 516.)

n – Voir ces articles State papers, V, p. 198.

Nul ne le comprenait mieux que Beaton. Ce qui l’effrayait par-dessus tout, c’était que la puissance de la hiérarchie romaine fût abolie et l’Évangile mis à sa place. Le cardinal, pour la première fois dans sa vie, avait été devancé, surpassé en habileté et en influence ; mais il ne perdit pas courage, et lui et tous les gens de son parti avec lui se mirent à l’œuvre de toute leur âme. Ils semaient la haine entre le roi et les nobles. Ils employaient tous les moyens imaginables pour détourner le roi de ce rendez-vous funeste. Ils cherchaient d’abord à l’épouvanter. « Aller à York, lui dit le cardinal, c’est vous rendre suspect à l’empereur, c’est vous faire un ennemi de votre ancien allié, le roi de France, c’est vous attirer la disgrâce du pape. Enfin (et ceci était ce qui avait le plus alarmé Jacques) vous vous exposez aux plus grands dangers ; ce roi perfide vous retiendra prisonnier en Angleterre, comme on le fit jadis au roi Jacques Ier. » Jacques répondait qu’il avait donné sa parole, que le roi l’attendait, que manquer à son rendez-vous, c’était la guerre avec l’Angleterre et il n’avait pas les moyens de la soutenir. Le cardinal était étonné de cette indépendance du roi, il n’y était pas accoutumé. Comprenant toujours plus la grandeur du danger, ses évêques et lui se dirent qu’un seul remède était capable de faire renoncer Jacques à sa résolution. Ce prince manquant toujours d’argent, ils cherchèrent à le gagner par d’immenses largesseso. Cet argument ne manqua pas son effet. Ils l’abordèrent donc de nouveau et lui dirent : « Sire, il y a beaucoup d’argent en Écosse, et il est facile de s’en procurer. Si la guerre éclate, le clergé vous donnera trente mille couronnes par an et vous pourrez en avoir cent mille de plus en confisquant les biens des hérétiques, si vous voulez seulement autoriser à procéder contre eux un juge que nous vous nommerons et qui est très apte à la chose. Épargneriez-vous ces méchants. Ne lisent-ils pas l’Ancien et le Nouveau Testament ? Ne se rebellent-ils pas contre l’autorité du pape et contre la majesté royale ? N’ont-ils pas, par de nouvelles et détestables erreurs, troublé les Églises, détruit la piété, renversé les institutions établies depuis tant de siècles. Ils refusent aux prêtres, que Dieu a consacrés, toute obéissance et tout respect ; mais il ne faut aucun délai. » — Jacques céda : il donna aux évêques l’inquisition qu’ils demandaient, et envoya sir James Lermouth, un des officiers de sa cour, présenter ses excuses à son oncle. De toutes les évolutions de Jacques, celle-ci était la plus périlleuse.

o – « Si animum regis largitionibus immensis aggrederentur. » Buchanan, Rerum Scoticarum Historia, p. 510. D. de Foe, Church of Scotland, p. 9. Spotswood’s Hist., p. 70,71. Pétrie, Hist., p. 181. Knox, Réf., p. 77.

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