Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 11
Guerre entre l’Angleterre et l’Écosse – Mort de Jacques V

(1542)

10.11

Colère de Henri VIII – Escarmouches – Craintes de Jacques V – Henri VIII aspire à la couronne d’Écosse – Norfolk envahit l’Écosse – L’armée écossaise refuse de marcher – Les évêques dressent une liste de proscription – Ils font alliance avec le roi – Ils lèvent une nouvelle armée – Olivier Synclair nommé chef de l’armée – Honteuse déroute – Anxiété de Jacques V – Son abattement – Son désespoir – Naissance de Marie Stuart – Mort du roi – Il meurt d’un cœur brisé

On peut comprendre quel fut le courroux de Henri VIII en se trouvant seul à York. Il a fait un pacte avec son neveu. Il a quitté Londres pour avoir une entrevue avec lui, il a fait de grands préparatifs, il s’est rendu dans le nord, et ce jeune homme manque au rendez-vous ! La colère dont il fut enflammé le mit hors de lui-même. Sa sœur, la mère de Jacques, était morte à la fin de novembre 1541 ; mais, eût-elle vécu, il est peu probable que son influence eût apaisé la fureur du roi. Il était outré, non seulement de ce que son projet favori échouait au moment où il croyait le voir aboutir, mais encore de l’affront sanglant que le roi d’Écosse venait de lui faire. Il ne pouvait le supporter et il jura de laver de cette insulte son nom et sa mémoire par une éclatante vengeance. Il écrivit à Jacques des lettres pleines des plus vifs reproches et des plus violentes menaces. « J’ai encore en mains, lui disait-il, la même verge qui a châtié votre père ! » Cette verge, c’était le duc de Norfolk qui, comme comte de Surrey, avait commandé à Flodden, où Jacques IV était mort. Henri autorisa aussitôt des pirateries sur mer et des invasions sur les frontières de l’Écosse ; mais ces pirates et ces bandes n’étaient que les avant-coureurs des châtiments qu’il préparait.

Jacques fut effrayé, et, comme c’était pour plaire à ses prélats qu’il n’avait pas tenu sa promesse, il voulut que les frais de la guerre retombassent sur eux. Il leur dit que grâce à eux il allait avoir la guerre avec le roi d’Angleterre, et leur demanda les subsides qu’ils avaient promis : « Si vous ne me les fournissez pas, ajouta-t-il, je devrai m’entendre avec mon oncle et satisfaire à ses désirs. » Cette menace épouvanta les prélats ; ils eussent préféré aller en enfera. Que dirait la France ? que dirait le pape ? pensait le cardinal. Les évêques promirent des monts d’or. Après en avoir délibéré, ils convinrent de donner au roi 50 000 couronnes par an, aussi longtemps que la guerre durerait. Ils ajoutèrent que leurs serviteurs et autres personnes dépendant d’eux, qui étaient exempts de service, prendraient les armes. Ces promesses remplirent d’assurance et d’orgueil le cœur du jeune et imprudent monarque. Des troupes furent envoyées à Jedborough et à Kelso et l’on vit les prêtres et tout leur parti se targuer de leur richesse, de leur puissance, et ne parler que de leur victoire ; ils étaient fous de joie, et s’imaginaient déjà ramener l’Angleterre sous la domination du pape ; on put croire un moment qu’ils n’avaient pas tort. Le parlement d’Angleterre ne s’était pas montré si empressé que le clergé d’Écosse, et avait fermé l’oreille aux demandes d’argent de Henri VIII, ce qui ralentit les préparatifs de guerre. Il y avait pourtant quelques troupes sur la frontière ; elles formèrent le dessein de s’emparer de Jedborough. Le comte d’Angus et sir George Douglas, son frère, exilés d’Écosse depuis plusieurs années, se joignirent à ces gens de guerre qui étaient au nombre de quatre mille hommes. Mais les Écossais avaient pris leurs mesures. Lord Huntley, à la tête d’un corps considérable, rencontra la troupe anglaise le 24 août à Haliden. Le combat était déjà engagé quand une autre troupe écossaise parut. Les Anglais, voyant qu’ils allaient être environnés, se retirèrent. Il y eut peu de morts, mais beaucoup de prisonniersb.

a – « For rather would they have gone to hell. » (Knox, Ref., p. 77.

b – « Cæsi non adeo multi, plurimi capti. » (Bachanan, p. 512.)

Il n’y eut alors plus de borne à la joie des prélats et des prêtres. Ils encourageaient le roi, ils se glorifiaient comme s’ils avaient en personne remporté une victoire. Dans les palais des évêques, dans les cures des prêtres et les couvents des moines, on n’entendait que des cris de triomphe. « Tout est à nous, disaient-ils, tous ces gens ne sont que des hérétiques ; quand nous ne serions que mille et qu’ils seraient dix mille, ils n’oseraient pas nous attaquer. La France entrera en Angleterre d’un côté ; nous, nous entrerons de l’autre, ainsi dans un an, ce royaume sera conquisc. »

c – « All is ours ; they are but heretick’s. » (Knox, Ref., p. 78.)

Jacques, malgré son imprudence, ne se laissait pas aller à ces folles illusions. Il savait que Henri VIII était plus fort que lui ; le coup que lui avait donné la colère de son oncle le fit retourner de gauche à droite. Il voulut profiter du léger avantage d’Haliden pour se réconcilier avec l’Angleterre. La persécution cessa en Écosse, la liberté de conscience fut plus largement accordée. Le lendemain de l’engagement, et n’en connaissant même pas encore le résultat, il avait déjà écrit à Henri et lui avait demandé des passe-ports pour ses plénipotentiaires. Le 1er septembre il lui écrivit de nouveau : « Je vous assure, mon cher oncle, lui disait-il, qu’il n’y a dans notre royaume, ni ecclésiastique, ni séculier, qui puisse changer notre faveur et notre amitié à votre égardd. » Mais Henri n’était pas de si bonne composition, il avait sur le cœur l’affront d’York, et il entendait en tirer vengeance. Il défendit aux ambassadeurs de son neveu de dépasser cette ville. Pendant ce temps il réunissait toutes sortes de munitions, et en très grand nombre. Il rassemblait une armée telle que l’Écosse n’en avait pas vu depuis longtemps à ses portes, et en donnait le commandement à ce duc de Norfolk qui devait battre le fils comme il avait battu le père. Le roi d’Angleterre voulait être aussi roi d’Écosse et que la Grande-Bretagne tout entière appartînt au même prince, (le rêve devait être un jour réalisé, mais avec cette grande différence que ce ne serait pas le roi d’Angleterre qui serait roi d’Écosse, mais le roi d’Écosse qui deviendrait roi d’Angleterre. Nous trouvons dans les papiers d’État la dépêche suivante, adressée par le conseil privé d’Angleterre à l’archevêque d’York : « Désirant voir les titres de Sa Majesté au royaume d’Écosse plus pleinement et plus clairement exposés devant le monde entier afin que la justice de notre querelle et de notre demande paraisse avec évidence, nous avons désigné certains savants pour s’en occuper. Et comme nous nous rappelons que Votre Seigneurie a fait dans les temps passés quelques travaux sur ce sujet, nous vous prions de faire faire des recherches dans tous vos anciens registres et autres places où pourraient se trouver les titres de Sa Majesté au royaume du nord. Vous nous ferez connaître ces documents, et en même temps vous nous indiquerez quelles sont les anciennes chartes et monuments que vous avez examinés à cet effete. » Pour n’avoir pas fait la visite promise, Jacques devait perdre la couronne. Une fois que le roi d’Angleterre se serait emparé de l’Écosse, grâce à ses soldats, sans doute, plus qu’à ses chartes et monuments, il en bannirait le papisme et établirait à sa place ses évêques, mais surtout sa papauté.

dState papers, V, p. 207,209. « That may or shall change our favour and kindness toward you. »

e – « The Privy Council to the archbishop of York. » (State papers, V, p. 212.)

Henri publia un manifeste dans lequel il déclarait que son neveu avait été l’agresseur. Il réclamait pour les Tudors la couronne des Stuarts. Il ressentait toujours aussi vivement la blessure reçue à York, et la vengeance qu’il comptait en tirer devait être mémorable, révolutionnaire, cruelle. Autant le neveu avait de faiblesse, autant l’oncle avait d’énergie, et, quand Jacques écrivait encore tout naïvement : « Je vous aime ; » Henri répondait fièrement : « Je te hais. »

Norfolk, impatient de prendre sa revanche de la retraite de Haliden, résolut de faire une invasion en Écosse avant que toute l’armée fût réunie. Il partit de Berwick, à l’extrémité nord-est de l’Angleterre, dévasta les campagnes, prit plusieurs places de peu d’importance, s’attira quelques mauvaises affaires, annonça qu’il se trouverait très incessamment à Édimbourg et se retira huit ou dix jours après avoir franchi les borders. Ce n’était qu’une visite sans cérémonie pour annoncer la grande, l’officielle.

Pendant ce temps, Jacques se mettait en mesure de recevoir galamment cette visite, et rassemblait son armée devant Edimbourg. Il avait là environ vingt mille hommes, plus dix mille sur la frontière, commandés par le comte Huntley. Mais la discorde était au camp. Les uns, peu amateurs de la vieille doctrine, désiraient par-dessus tout briser le joug de fer du cardinal ; d’autres, attachés aux Douglas et aux Angus qui se trouvaient dans l’armée anglaise, ne se souciaient pas de les combattre ; d’autres enfin, sentant l’infériorité de l’armée écossaise, ne cessaient de répéter qu’on devait simplement se tenir sur la défensive. Tout à coup, les Écossais campés à Fala apprennent que les Anglais manquant de provisions de bouche se retiraient sur la Tweed. Aussitôt Jacques, facile à enflammer, rassembla ses lords et s’écria : « En avant, suivez-moi en Angleterre. » Mais un morne silence accueille ces paroles. « Nous sommes prêts, Sire, lui dirent quelques seigneurs, à exposer notre vie et nos biens pour défendre votre personne et votre royaume, mais nous ne voyons pas de motifs suffisants pour attaquer l’Angleterre. Nos provisions sont épuisées, nos chevaux sont harassés, et, quant à nous, il y a si longtemps que nous avons quitté nos maisons qu’il est bien temps d’y retourner. »

Jacques dissimula son chagrin, il eut même l’air d’approuver la prudence des seigneurs. Mais il frémissait en voyant son autorité royale foulée aux pieds par ses sujets. Il n’était plus le maître. Son asservissement aux prêtres l’avait perdu. Les nobles et les hommes du peuple, au lieu de courir sur les Anglais, rentrèrent en effet chacun dans leurs demeures, et le roi, abandonné, presque isolé, dévoré par le profond chagrin qui le minait peu à peu, retourna tristement à Edimbourg.

C’était le 2 ou le 3 novembre. Il assembla aussitôt un conseil au palais d’Holyrood ; mais irrité contre les nobles, il n’y appela que les évêques, les prêtres, leurs partisans, tous ceux qui faisaient métier de servir les passions du prince, et n’avaient d’autre but que de faire triompher le clergé. S’apercevant de l’abattement de Jacques et de sa colère contre les nobles, ils se dirent que c’était le moment d’en finir avec leurs ennemis. Cela, pensaient-ils, ne leur serait pas difficile. Ces hommes flétris par l’opinion publique ne se souciaient pas de fournir la preuve de leurs dénonciations ; la seule peine qu’ils se donnassent c’était d’ôter aux innocents tout moyen de se justifier. Ils pensèrent qu’il leur suffirait dans ce moment, pour être écoutés, d’accuser quelque noble d’hérésie, et de présenter comme témoins certains hommes infâmes payés par eux. Tous, d’un commun accord, ils s’efforcèrent donc de chauffer le roi contre la Réformation et ses amis. Parmi les laïques, se distinguait Olivier Synclair ; parmi les ecclésiastiques, Beaton. « Le cardinal et les prêtres, dit-on, jetèrent de toutes leurs forces des fagots dans le feuf. » Ils rédigèrent une liste contenant les noms de tous ceux dont ils voulaient se défaire. Il y avait les noms d’environ cent nobles, parmi lesquels était lord Hamilton, première personne du royaume après le roi, les comtes de Cassilis, de Glencairn, de Marshal et d’autres nobles tous bien disposés pour la Parole de Dieug. Ceci montre les progrès que la Réformation avait faits en Écosse. Sans doute la plupart de ces suspects n’étaient pas des hommes évangéliques décidés, mais ils penchaient de ce côté-là. Jacques avait déjà une fois refusé d’accepter une telle liste. Il n’en fut pas de même alors, il l’agréa aussitôt et exprima aux prélats ses regrets d’avoir si longtemps écarté leurs conseils. « Je vois clairement à cette heure que vous avez raison, dit-il, les nobles ne se soucient ni de mon honneur ni de la continuation de mon règne, ils n’ont pas voulu faire un mille à la poursuite de mes ennemis. Trouvez-moi les moyens de faire en Angleterre et sans qu’ils y aient part, une incursion qui soit à moi, et je m’unis à vous pour toujours. »

f – « The cardinal and the priests cast fagots in the fire with all their force. » (Knox, Ref., 81.)

g – Sadler’s Papers, I, p. 94. Knox, Ref., p. 81.

La joie du cardinal et des siens fut sans bornes ; ils se félicitaient mutuellement, ils frappaient des mainsh, la partie était gagnée ; ils se promettaient l’un à l’autre diligence, discrétion, fidélité. Cependant ils rencontraient bien quelques difficultés ; le roi demandait avant tout une invasion, et il voulait pouvoir dire aux nobles : « Là où vous avez reculé, moi j’ai avancé et j’ai été vainqueur. » Comment faire pour assurer le succès de l’entreprise ? On résolut de choisir pour champ de bataille non l’Est, le côté de Berwick, où étaient les forces de Henri VIII, mais la partie nord-ouest, qui était dégarnie, sans armée, presque sans garnison. Carlisle serait bientôt prise et Jacques triompherait à la fois de ses nobles et du roi d’Angleterre.

h – « There were gratulations and clapping of hands. » (Knox, Ref., p. 84)

Il attachait la plus grande importance à ce fait d’armes. La bannière royale fut secrètement sortie. Des lettres furent adressées aux hommes du choix des prêtres et ils furent invités à rencontrer le roi tel jour, à telle place. Les évêques se chargeaient des frais de l’affaire. Le cardinal et le comte d’Arran, pour faire diversion, se rendirent à l’Est, comme si les Écossais se proposaient de franchir cette frontière, où avaient eu lieu de fréquents combats entre les Écossais et les Anglais. Le roi satisfait de tous ces préparatifs, et ne doutant pas du succès, accepta la fatale liste présentée par le cardinal et la mit dans sa poche. Aussitôt après son triomphe et au milieu de sa gloire, tous les suspects seraient arrêtés, exécutés ; la Réformation serait éteinte, et Rome régnerait définitivement. Tout devait se faire dans le plus grand secret. La nuit qui précéda le jour fixé pour se mettre en marche, Jacques coucha à Lochmabeni, où se trouvait un château royal. Il était là, sans courir aucun danger, le plus près possible des exploits dont il voulait recueillir tout l’honneur. Des troupes arrivaient de tous côtés, sans savoir ce qu’on voulait d’elles. Au jour fixé, à minuit, les trompettes sonnent, les compagnies se forment, et l’ordre est donné de marcher en avant, « à la suite du roi, » que l’on pensait être de l’expédition. Au point du jour la campagne qui doit livrer l’Écosse aux mains cruelles du cardinal commence. Les Écossais s’approchent du territoire de l’Angleterre, ils passent l’eau sans qu’on leur oppose de résistance, mettent le feu aux maisons et aux champs de blé qu’ils rencontrent, et les pauvres habitants de ces campagnes, réveillés en sursaut, voient devant eux, à leur grand ébahissement, une armée de dix mille hommes et des flammes qui s’élèvent de tous côtés. Ils tremblent d’abord d’effroi et se laissent aller au désespoir, se demandant comment cette armée a pu s’avancer sans qu’ils en eussent le moindre soupçon. D’où vient-elle ? d’où sort-elle ? est-ce du gouffre de l’enfer ?

i – Knox, Ref., p. 89.

Tout était en effet extraordinaire dans cette expédition, et les Écossais eux-mêmes ne savaient pas qui la commandait. Lord Maxwell, gardien des marches occidentales, était présent, et c’était à lui que cette fonction revenait naturellement ; mais ni lui, ni la troupe ne savaient rien à ce sujet. A dix heures un coup de théâtre s’accomplit. Les Écossais se trouvant sur terre anglaise à Solway, les trompettes sonnent, l’armée s’arrête, la bannière royale se déploie et flotte au milieu d’eux. Le misérable Olivier Synclair monte sur une espèce de pavois formé par des lances que quelques soldats portaient sur leurs épaules. Il présente des lettres qui lui avaient été remises par le roi. Ce prince, persuadé que ce vil courtisan était un grand capitaine, l’avait nommé commandant en chef. Ces lettres furent lues à l’armée et le favori se fit proclamer lieutenant général, avec ordre de lui obéir comme au roi lui-même. Au dire des courtisans, mettre Synclair à la tête des soldats c’était rendre la victoire infaillible. Jacques ne voulait se fier à aucun de ses nobles ; aucun d’eux ne devait avoir la gloire de cette expédition, elle devait être l’exploit de Jacques à qui le commandement appartenait. Maxwell était présent à cette cérémonie, il vit tout, entendit tout, en fut ébahi, et pensa beaucoup mais ne dit rienj. Les autres lords présents firent de même. A peine cette proclamation eut-elle été lue que le murmure, le découragement, le désordre, se répandirent dans l’armée. En même temps, les Anglais prenaient les armes en toute hâte ; il y en avait dix dans un groupe, vingt dans un autre ; Carlisle fermait ses portes, et bientôt cinq cents cavaliers environ paraissaient sur les hauteurs voisines dans le but de reconnaître la force des Écossaisk. Ceux-ci crurent que c’était l’avant-garde de l’armée du duc de Norfolk et, frappés d’une terreur panique, plusieurs rompirent les rangs ; les uns voulaient combattre, les autres voulaient fuir ; il n’y avait que désordre et confusion. Ils se débandèrent et s’enfuirent dans toutes les directions. Lord Maxwell qui, dès le premier moment, avait prévu la fin de cette folle affaire, était descendu de cheval et parlait avec quelques amis. « Montez à cheval et sauvez-vous, lui dirent ceux-ci. — Non, répondit-il, j’aime mieux me remettre dans les mains de Dieu qui m’enverra où il voudra que de retourner chez moi pour y être pendul. » Les Écossais, cavaliers, fantassins, jetaient leurs armes en courant de toutes leurs forces. Un grand nombre furent faits prisonniers par les gens de Henri VIII ; quelques-uns furent pris par des aventuriers écossais et vendus aux Anglaism. Les soldats de Jacques avaient tellement perdu tout courage que ceux qui ne tombaient pas entre les mains des hommes couraient dans les maisons et se rendaient à des femmesn. Il fallait passer l’eau. La marée était haute, la rivière profonde ; plusieurs furent noyés et beaucoup de ceux qui échappèrent au fleuve s’enfoncèrent dans les marais. Olivier Synclair qui fuyait très virilemento, fut pris sans avoir frappé un seul coup. On vit les nobles les plus distingués de l’Écosse, les comtes de Cassilis, de Glencairn, les lords Sommerville, Grey, Oliphant, rendre leurs armes. Maxwell trouva ainsi le sort qu’il avait désiré. Ces lords et gentilshommes furent envoyés à Londres et enfermés à la Tour. Deux jours après, Henri ordonna qu’ils traversassent Londres à pied, exposés en spectacle au peuplep, comme les captifs qui ornaient les triomphes des généraux romains ; arrivés au palais, ils y furent reçus par le lord chancelier qui leur adressa de vifs reproches les accusant d’avoir violé les traités, et exalta la bonté et la clémence de Henri VIII qui les distribua dans diverses maisons.

j – « But he thought more than he spoke. » (Knox, Réf., p. 86.

k – « Quum circiter 500 equites angli in propinquis collibus cernerentur. » (Buchanan, p. 513.)

l – Knox, Ref., p. 87.

m – « Plures a scotis latronibus capti et Anglis divenditi. » (Buchanan, p. 513.)

n – « Some ran to houses and rendered themselves to women. » (Knox, Ref., 88.)

o – « Fleeing full manly. » (Ibid.)

p – « Velut ad publicum spectaculum per ora vulgi traducti. » (Buchanan, p. 516.) Leurs noms et leurs fortunes se trouvent State papers, p. 232-235.)

Pendant la bataille, si l’on peut employer ce mot, Jacques, qui s’était bien gardé d’y prendre part, était caché dans son château de Lochmaben, au nord-est de Dumfriesq. C’était là qu’il attendait le résultat de cette fameuse expédition, qui devait être son titre de gloire. Il comptait enlever du premier coup Carlisle située à quelques milles de la frontière, jadis un des principaux postes militaires des Romains, où aboutissait alors le mur d’Adrien, et qui plus d’une fois avait été assiégée et prise. De là, il espérait arriver à York, et y faire à son cher oncle une visite armée. Il attendait la nouvelle de son triomphe, quand des fuyards lui firent connaître la complète déroute de son armée. Saisi de surprise et de crainte, il pouvait à peine prononcer quelques mots. Il était nuit quand il apprit sa défaite, et, n’osant s’aventurer avant le jour dans des chemins peu connus, peu frayés, il se mit au lit, mais sans y trouver le moindre repos. Sa tristesse était sans bornes, il éprouvait de douloureuses angoisses, pouvait à peine respirer et ne faisait entendre que quelques cris. La manière dont son indigne favori avait déçu son attente, la défaite, la fuite de ce faux brave, l’agitaient autant que la victoire des Anglais. Il sortait du lit, se promenait dans sa chambre, se plaignait, s’écriait : « Oh ! Olivier a-t-il fui ? Olivier est-il pris ? Olivier a-t-il fui ?r… » Il était atteint d’une espèce de catalepsie. La constante contemplation de cette défaite extraordinaire, de la conduite de l’homme méprisable dans lequel il avait mis son espoir, avait en quelque sorte suspendu ses sensations, et il fut comme dans une longue et douloureuse extase jusqu’à sa mort, ne cessant de répéter : « Oh ! Olivier a-t-il fui ? »

q – Lesley dit qu’il était à Carlaverok, mais Knox, p. 89, et Pittscottie, p. 174, disent Lochmaben, ce qui semble fondé.

r – « His continual complaint was : Oh ! fled Oliver ? is Oliver taken ? Oh ! fled Oliver ? » (Knox, Ref., p. 89.)

Le lendemain matin 25 novembre 1542, le roi retourna à Édimbourg. Il avait peine à cacher sa honte dans son splendide palais. Il apprit une nouvelle qui augmenta encore sa douleur. Le 14 novembre, deux envoyés du duc de Norfolk y étaient arrivés avec une lettre adressée au roi. Le cardinal avait répondu qu’il était allé chasser dans le comté de Fife, et dix jours plus tard, le jour fatal de Solway vers le soir, comme les envoyés anglais sur leur retour approchaient de Dunbar, l’un d’eux, J. Ponds, héraut de Somerset, fut attaqué par deux hommes et assassiné. Jacques l’apprit à son retour, et en fut consterné. Cela pouvait grandement aggraver la situation déjà si déplorable. Malgré le triste état dans lequel il se trouvait, il écrivit aussitôt à son oncle : « Soyez assuré que la punition sera en rapport avec le crime, et qu’il n’y a pas un prince maintenant vivant qui serait plus affligé que nous s’il restait impuni. » Il offrait d’envoyer des ambassadeurs et des hérauts pour expliquer cet acte coupables. Ce fut là probablement la dernière lettre écrite par le roi.

sState papers, V, p. 225 à 228.

Jacques eut une douloureuse entrevue avec le cardinal, qui put comprendre à quel état sa haine de la Réformation et son ambition avaient réduit le roi et le royaume. Jacques, qui se croyait poursuivi par un fatal destin, étant resté seul fit tristement le compte de ses trésors et de ses joyaux, puis, honteux, mélancolique, craignant de se montrer à qui que ce fût dans sa capitale, il partit secrètement pour le comté de Fife et s’arrêta aux Hallyards où il fut reçu avec empressement par lady de Grange, femme respectable et pieuse dont le mari était alors absent. Cette dame chrétienne remarquant au souper que le prince était plongé dans une sombre mélancolie, chercha à le consoler et l’exhorta à accepter avec résignation la volonté de Dieu. « Ma part a dans ce monde sera courte, répondit tristement Jacques, dans quinze jours je ne serai plus avec vous. » Quelque temps après un des officiers de sa cour lui ayant dit : « Sire, Noël s’approche, en quel lieu votre Majesté désire-t-elle célébrer cette fête ? » Jacques répondit avec un sourire dédaigneux : « Je ne saurais vous le dire ; choisissez le lieu qui vous plaira. Ce que je puis vous déclarer, c’est que ce jour-là vous serez sans maître et le royaume sans roi. »

Poursuivi par ses pensées, le roi se rendit de là au château de Carwey, puis à son palais de Falkland, où il se mit au lit. Il eût été naturel qu’il allât à Linlithgow, auprès de la reine qui était près de donner le jour à un enfant ; il préféra s’établir loin d’elle. Les mauvaises mœurs excluent le bonheur domestique. Aucun symptôme n’annonçait que sa mort fût prochaine ; toutefois Jacques ne cessait de répéter : « Avant tel jour je ne serai plus. » Ses courtisans étonnés, affligés, se disaient l’un à l’autre que si la reine lui donnait un fils, ce bonheur tant désiré le relèverait ; mais le 8 décembre 1542, elle accoucha d’une fille, — la célèbre Marie Stuart. Ayant appris que l’enfant nouveau-né était une fille, Jacques, frappé de nouveau dans ses plus vifs désirs, se tourna vers la muraille, s’éloignant ainsi de ceux qui lui avaient appris la triste nouvelle. « Que le d… l’emporte ! Cela finira comme cela a commencé. Le royaume est venu avec une femme, il s’en ira avec une femme. Fi !…t » Il voyait sa famille éteinte, la couronne perdue. D’autres Stuarts l’ont portée après Marie. L’Écosse et l’Angleterre en savent malheureusement quelque chose. Mais cette circonstance, — la privation d’un fils qui remplaçât les deux qu’il avait perdus, — fut un nouveau et dernier coup pour l’infortuné Jacques :

t – « De devil go with it ! It will end as it began. » (Spotswood, p. 71. Knox, Ref., p. 91.)

De douleur en douleur il traversait la vie.

Le cardinal se présenta au château ; sa visite était naturelle en ce moment ; toutefois ce prélat ambitieux, croyant la mort du roi prochaine, venait non pour le consoler, mais pour assurer sa position. Le roi, dans l’état grave où il se trouvait, ayant de la peine à entendre, le primat lui cria à l’oreille : « Sire, mettez ordre aux affaires du royaume. Qui gouvernera pendant la minorité de votre fille ? Mes services vous sont connus, que faudra-t-il faire ? N’y aura-t-il pas quatre régents et ne serai-je pas le principal ? » L’habile prélat parvint à faire rédiger un document qui lui était favorable. Le roi s’éteignait. Mais le souvenir de Solway revenait encore sans cesse à son esprit et agitait ses derniers moments. « Fi ! s’écriait-il, Olivier a-t-il pris la fuite ? Olivier est-il pris ? Tout est perdu ! » Le 14 décembre 1542, à l’âge de trente-deux ans, six jours après la naissance de Marie Stuart, Jacques V rendit l’esprit. En le déshabillant on trouva dans sa poche la fameuse liste de proscription. Qu’en va-t-il advenir maintenant ?

Jacques fut enseveli à Holyrood, le 8 janvier, et le cardinal qui l’avait poussé dans la voie funeste où il devait trouver la mort, présida à la cérémonie.

Ce prince, enlevé à la fleur de l’âge, mourut, non de maladie, mais d’un cœur briséu. La tristesse de ce monde produit la mort. Il avait de l’esprit, mais un esprit peu cultivé, il était sobre quant à la table, mais on l’avait jeté dès son adolescence dans d’autres désordres dont il ne sortit jamais. On pouvait le voir, par l’hiver le plus âpre, à cheval nuit et jour, s’efforçant de surprendre les brigands dans leur retraite, et les pauvres avaient auprès de lui un accès facile. Mais réfléchissant peu, sans principes fermes, il était sans cesse ballotté entre les nobles et les prêtres, et le plus adroit de ces deux partis prenait facilement le dessus. Il avait fait beaucoup de mal et peut-être lui en avait-on fait encore plus.

u – « Rege in ætatis flore non tam morbo quam mœroris vi extincto. » Buchanan, p. 515.)

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