Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 14
Wishart, son ministère et son martyre

(Été de 1544 à Mars 1546)

10.14

Wishart prêche à Dundee – On lui ferme les églises – Il prêche en plein air – La peste le ramène à Dundee – Un prêtre tente de l’assassiner – On lui tend des pièges – Il annonce sa mort prochaine – Knox s’attache à Wishart – Wishart se rapproche d’Édimbourg – Son zèle redouble – Ses amis l’abandonnent – Sa dernière prédication – Il est arrêté – Il est livré au cardinal – Le régent s’oppose à son jugement – Le cardinal passe outre – La cour ecclésiastique – L’accusateur Lander – Outrages – Calomnies – Condamnation – Le sacrement est refusé au condamné – Une vraie cène – Wishart parle au peuple – Wishart, à son tour, prononce une sentence – Son corps est réduit en cendres

Peu après les événements dont nous venons de parler, dans l’été de 1544, revint d’Angleterre en Écosse un homme pieux, Georges Wishart, frère du laird de Pittarrow dans le comté de Maims. Étant à Montrose en 1538, et y lisant le Nouveau Testament grec avec des jeunes gens qu’il instruisait, il avait été sommé par l’évêque de Brechin de comparaître devant lui. Wishart s’était retiré à Cambridge où il s’était livré à l’étude pendant six années. En 1544, des commissaires écossais venus en Angleterre pour le traité avec Henri VIII, le prirent avec eux et le ramenèrent en Écosse. Il se rendit d’abord à Montrose, son ancien séjour, et de là à Dundee où il désirait annoncer la Parole de Dieu. Tout, dans sa personne, prévenait en sa faveur ; il était aimable, humble, poli ; son plus grand bonheur était d’apprendre et d’enseigner. Il était grand, ses cheveux noirs étaient coupés, sa barbe longue ; sa physionomie indiquait plutôt un tempérament mélancolique ; il avait un chapeau français de la meilleure étoffe, une robe qui tombait jusqu’aux talons, et un pourpoint noir ; toute sa personne respirait la bienséance et la grâce. Il parlait avec modestie et avec une grande gravité. Il couchait sur la dure, et sa charité n’avait de fin, ni nuit, ni jour. Il aimait tous les hommes. Il donnait, consolait, aidait, il étudiait tous les moyens de faire du bien à tous et de ne faire du mal à personne. Il distribuait aux pauvres diverses pièces de ses vêtements, « sauf son chapeau français que je lui ai toujours vu tout le temps que j’ai été avec lui, » dit un étudiant de Cambridge qui a tracé ce portrait de Wishart peu avant que celui-ci partît pour l’Écossea.

a – « Emery Tylney’s Account. » (Fox, Acts, V, p. 626.)



G. Wishart (1513-1546)

La réputation de Wishart l’ayant précédé, un grand nombre d’auditeurs se réunirent à Dundee autour de lui. Il y exposait la doctrine du salut d’une manière suivie, d’après l’épître aux Romains, et chacun admirait son savoir et son éloquence. Mais les prêtres disaient partout que s’il continuait, le système romain tomberait inévitablement en ruine ; ils réclamèrent le secours d’un laïque influent, Robert Mill, qui, après avoir professé la vérité, l’avait abandonnée. Un jour, comme Wishart finissait son discours, Mill se leva dans l’église et lui défendit au nom de la reine et du régent de les troubler davantage. Wishart garda quelque temps le silence, puis, levant les yeux vers le ciel et les portant ensuite tristement sur l’assemblée, il dit : « Dieu m’est témoin que je ne suis pas venu apporter le trouble mais la paix, et si vous rejetez la Parole de Dieu soyez sûrs que cela vous plongera dans beaucoup de troubles. C’est au péril de ma vie que j’ai prêché parmi vous la Parole du salut. Convertissez-vous à Dieu, car il est plein de grâce, mais si vous ne vous tournez pas vers lui, il vous visitera avec le feu et avec l’épée. » Ayant ainsi parlé, il descendit de la chaire et se rendit dans la partie occidentale de l’Écosseb.

b – Scot’s Worthies, p. 28.Spotswood, p. 76. Knox, Hist. of the Ref., p. 127.

Étant arrivé dans la ville d’Ayr, il y prêcha à de grandes assemblées qui recevaient avec joie ses paroles. Dunbar, évêque de Glasgow, en étant instruit, accourut avec un grand nombre de gens et occupa l’église pour empêcher Wishart d’y prêcher. Les amis du réformateur en furent indignés et le comte de Glencairn, le laird de Loch-Norrisc et divers gentilshommes de Kyle se rendant vers Wishart lui proposèrent de prendre possession de l’église, et de le faire monter en chaire. « Non, répondit sagement l’évangéliste, le sermon de l’évêque ne fera pas grand mal, et, si vous le permettez, je prêcherai moi-même à la Croix du marché. » Il le fit et avec tant de décision et de vie que plusieurs de ses auditeurs, ennemis jusqu’alors de la vérité, la reçurent avec joie. Pendant ce temps, l’évêque se trouvait dans l’église assez mal entouré. Il n’y avait guère là que quelques gens de la sacristie et des pauvres entretenus. On s’attendait à un sermon mais il avait oublié d’en mettre un dans sa poche. Il s’excusa comme il put. « Tenez-nous toujours pour votre évêque, dit-il, et nous vous promettons d’être mieux fourni une autre fois. » Puis il quitta promptement la ville un peu honteux de son expéditiond.

c – Ou Leifnorris (Laing), note sur la page 127 de Knox.

dIbid.

Wishart continua son œuvre, et sa réputation se répandant tout à l’entour, les gens de Manchlin vinrent lui demander de leur prêcher l’Évangile le dimanche suivant. Mais le shérif d’Ayr l’ayant appris, envoya pendant la nuit une troupe qui se posta autour de l’église. « Nous y entrerons de force, dit Hugues Campbell à Wishart. — Frères, leur dit l’évangéliste, la parole que je prêche est une parole de paix, il ne faut pas que le sang coule pour elle. Christ a prêché plus souvent lui-même dans le désert ou sur le bord de la mer que dans le temple de Jérusalem. » Il se dirigea vers la campagne, disant à la foule qui l’entourait que le Seigneur était aussi puissant là que dans l’église. Il monta sur un tertre élevé, le temps était splendide ; il parla plus de trois heures. Un homme qui avait toujours mené une vie profane, Laurence Ranken, laird de Shield, fut frappé de ce qu’il entendait ; les larmes coulaient de ses yeux avec tant d’abondance que chacun en était étonnée. Converti par ce discours, le laird de Shield montra par toute sa vie que sa conversion était véritable. Wishart prêcha avec le même succès dans toute la contrée. La moisson était grande, dit un historien.

e – « The tears ran from his eyes in such abundance that all men wondered. » (Knox, p. 44. Scot’s Worthies, p. 20. Hist., p. 129.

Le réformateur apprit tout à coup que la peste avait éclaté à Dundee quatre jours après son départ, et qu’elle y sévissait avec fureur. Il résolut aussitôt de s’y rendre. « Ils ont besoin d’être consolés, disait-il à ceux qui voulaient le retenir, et la main de Dieu qui les châtie leur fera peut-être recevoir maintenant cette parole que la crainte des hommes leur a fait rejeter. »

Arrivé en août 1544, il annonça le matin même qu’il prêcherait. Il fallait séparer ceux qui étaient pestiférés de ceux qui ne l’étaient pas, et il en trouva le moyen en s’établissant sur la porte orientale de la ville ; les gens en santé se tenaient en dedans et les malades en dehors de la cité ; jamais auditoire n’avait été peut-être ainsi distribué. Ouvrant la Bible, il lut ces paroles : « Il envoie sa parole et les guérit. » (Psa.107.20) « La miséricorde de Dieu, dit-il, se répand aussitôt sur quiconque se tourne vers lui, et il n’est pas possible à la malice des hommes d’agrandir ou de diminuer son amourf. — Nous ne craignons plus la mort, disaient plusieurs de ses auditeurs, et nous trouvons que ceux qui partent sont plus heureux que ceux qui restent. » Cette porte orientale (Cowgate) fut laissée debout en mémoire de Wishart, quand les murailles de la ville furent abattues à la fin du dix-huitième siècle, et aujourd’hui encore on l’entretient avec soin.

f – « The malice of men can neither eik nor pair (ajouter ou diminuer.) » (Knox, Ref., p. 130.)

Wishart ne se contentait pas de parler, il visitait les malades ; il s’exposait sans crainte à l’infection dans les cas mêmes les pins dangereux. Il prenait soin que les malades eussent ce qui leur était nécessaire, et les pauvres étaient aussi bien fournis de tout que les riches.

La ville se trouvait dans une telle détresse qu’on n’osait fermer cette bouche de laquelle découlait tant de douceur.

Cependant, à l’instigation du cardinal, dit Knox, un prêtre nommé Wighton prit une épée, la cacha sous sa robe, se mêla à la foule comme s’il était un simple auditeur et se posta au bas de l’escalier par lequel Wishart devait descendre. Le discours étant terminé, le peuple se retira ; mais Wishart, dont le regard était vif et le jugement prompt, remarqua, en descendant les degrés, un ecclésiastique tenant sa main sous sa robe, et au moment où il passait devant lui : « Mon ami, lui dit-il, que penses-tu « faire ? » Et en même temps il saisit sa main et lui arracha son glaive. L’assassin tomba à ses pieds, confessa sa faute. En un instant le bruit se répandit qu’un prêtre avait voulu tuer le réformateur, et les malades qui l’avaient entendu, rebroussant chemin, s’écrièrent : « Livrez-nous le traître ou nous le prenons de force ! » En effet, ils se précipitèrent sur lui ; Wishart mit ses bras autour de l’assassin. « Tout le mal que vous lui ferez, vous le ferez à moi-même, dit-il, il ne m’a point blessé. » Ses amis insistèrent pour qu’à l’avenir l’un d’eux, étant armé, l’accompagnât partout où il iraitg.

g – Knox, Ref., p. 131.

Quand la peste eut cessé à Dundee, Wishart pensa que, puisque Dieu avait mis fin à cette bataille, il l’appelait à une autre. Il était en effet question pour lui d’une dispute publique ; il demanda aux évêques où il devait être entendu. Il se rendit d’abord à Montrose « pour y saluer l’Église, » et, tout en y prêchant l’Évangile, il était nuit et jour en prières et en méditations intimesh, voulant se préparer à des luttes nouvelles. Il y reçut une lettre qu’il pouvait croire écrite par son ami le baron Kynneir qui, étant malade, l’aurait appelé vers luii. C’était un artifice du cardinal ; soixante cavaliers armés l’attendaient derrière une colline pour le faire prisonnier. Il partit sans défiance. Arrivé à quelque distance, il s’arrêta tout à coup au milieu des amis qui l’accompagnaient et parut plongé dans une profonde rêverie. Puis il se retourna et rebroussa chemin. « Que faites-vous ? lui dirent ses amis étonnés. — Je n’irai pas plus loin, répondit-il, Dieu me le défend ; il y a ici trahison. » Puis, montant la colline : « Que quelques-uns de vous se rendent à cet endroit, ajouta-t-il, et me disent ce qu’ils y trouveront. » — Ces braves gens rapportèrent en toute hâte ce qu’ils avaient vu : « Je sais dit-il, que cet homme sanguinaire m’ôtera la vie ; mais ce ne sera pas de cette manière. » Peu après il prit la route d’Édimbourg, malgré les instances du laird de Dundee, et vint coucher à Innergowrie chez un pieux chrétien, James Watson. Un peu après le milieu de la nuit, deux hommes de bien qui étaient dans la maison, W. Spalding et John Watson, l’entendirent ouvrir sa porte et descendre. Ils le suivirent secrètement, le virent entrer dans le jardin et se promener quelque temps dans une allée. Wishart, convaincu qu’il approchait de sa fin et connaissant l’horreur du martyre et sa propre faiblesse, était vivement agité et sentait le besoin de crier à Dieu afin qu’il ne bronchât pas au milieu du combat. On l’entendait pousser des soupirs, puis, le jour commençant à poindre, on le vit tomber à genoux, mettre sa face en terre, et pendant une heure entière les deux amis entendirent le son confus de sa prière interrompue de temps en temps par des larmes. A la fin il parut se calmer et avoir trouvé du repos pour son âme. Il se leva et rentra doucement dans sa chambre. Le matin, ses amis inquiets lui demandèrent ce qu’il avait eu ; il éluda la question. « Ouvrez-vous à nous, lui dirent-ils, nous avons entendu vos soupirs ; nous vous avons vu prosterné en terre. — Vous auriez mieux fait d’être dans vos lits, dit-il, à peine ai-je fait quelque chose de bon. » Et comme ils insistaient, il leur parla de sa mort prochaine et du besoin qu’il avait du secours de Dieu. Fort attristés, ils versèrent des larmes. — « Dieu, leur dit Wishart, vous enverra la consolation quand je ne serai plus. Ce royaume sera tout illuminé de la lumière de l’Évangile de Christ. Il y aura ici plus de clarté qu’il n’y en a eu en aucun royaume depuis le jour des apôtres. La maison de Dieu y sera édifiée et quoique l’ennemi fasse, la vraie pierre du faîte n’y manquera pasj. — Ce qui veut dire, ajoute Knox, que la maison de Dieu y parviendra à la plénitude de la perfection. » Wishart reprit : « Ceci n’est pas éloigné et il n’y en aura pas beaucoup qui souffrent après moi, jusqu’à ce que la gloire de Dieu apparaisse et triomphe en dépit de Satan. Mais hélas, si le peuple devient ensuite ingrat, les plaies dont il sera frappé seront terribles. » Peu après Wishart se rendit dans le Loihian, c’est-à-dire dans les comtés de Linlithgow, d’Édimbourg et d’Haddington.

h – « So earnest in secret meditation that night and day he would consume in it. » (Knox, Ref., p. 131.

i – Knox, Ref., p. 130, 131 Scot’s Worthies, p. 29, 30. Spotswood, p. 77.

j – « It shall not want the very cope stone (la pierre de la tête). » (Knox, Ref., p. 133.) Des msc portent cape stone, keapestone, keepestone. (Spotswood, p. 77.)

Un tel homme appartient certes bien à l’histoire de la Réformation. Cependant, si nous racontons ces faits, un autre motif encore nous y engage. Le grand réformateur de l’Écosse se formait à l’école de Wishart. Parmi ceux qui le suivaient dans les divers lieux où il portait l’Évangile, se trouvait John Knox. Il avait quitté Saint-André, ne pouvant supporter ni la superstition du culte romain ni le despotisme du cardinal, et, s’étant rendu dans le sud de l’Écosse, il avait été quelque temps précepteur dans la maison de Douglas de Longniddry. Il avait professé franchement la doctrine évangélique. Le clergé, irrité, l’avait déclaré hérétique et dépouillé du sacerdoce. Knox, touché par la parole et la vie de Wishart, s’attacha à lui et devint son disciple bien-aimé ; outre ses discours publics qu’il écoutait avec avidité, il en recevait des instructions particulières. Il remplissait auprès de Wishart une fonction dangereuse, mais dont il s’acquittait avec joie. Il veillait pendant les courses évangéliques de Wishart à la sûreté de sa personne, et portait le glaive que ses amis avaient adopté depuis qu’un prêtre de Dundee avait voulu l’assassiner. Knox allait bientôt porter un autre glaive, l’épée de l’Esprit, comme son maître.

Le comte de Cassilis et quelques autres amis de Wishart lui avaient donné rendez-vous à Leith, et comme cette ville est très près d’Édimbourg, ils lui avaient recommandé de ne pas se montrer jusqu’à leur arrivée. Ayant dû attendre un jour ou deux, il tomba bientôt dans une grande tristesse. « Quelle différence y a-t-il entre moi et un mort, disait-il, si ce n’est que je bois et je mange ? J’ai toujours cherché à dissiper les ténèbres et maintenant je me cache moi-même. — Vous savez, lui dirent ses amis, à quels dangers une prédication vous exposerait. — Laissez le Seigneur, répondit-il, pourvoir à ce qui me regarde comme il lui plaira. » Il prêcha le dimanche suivant, quinze jours avant Noël, sur la parabole du semeurk. De Leith, il se rendit à Brownston, Longniddry, Ormisten, et prêcha le dimanche à Javernek soit avant, soit après midi, à un grand concours de peuple. Deux moines franciscains, debout des deux côtés de la porte, parlaient tout bas à ceux qui entraient pour les détourner. Wishart l’ayant remarqué, dit à ceux qui étaient près de la chaire : « Veuillez, je vous prie, faire place à ces deux messieurs, qui viennent peut-être ici pour s’instruire. » Puis s’adressant aux moines : « Approchez-vous, leur dit-il, et la parole de la vérité sera ce jour même votre salut ou votre condamnation. » — Il continue son discours ; mais les deux moines qui avaient pris place, ne cessaient de chuchoter à droite et à gauche et de troubler ceux qui les entouraient. Wishart se tourne vivement vers eux et leur dit : « Serviteurs de Satan, qui ne voulez ni entendre la vérité de Dieu, ni permettre à d’autres de l’entendre, allez et sachez que Dieu dévoilera votre hypocrisie et que vos demeures seront désolées… » Puis il continua son discours et prêcha avec tant de puissance, que sir Georges Douglas, frère du comte d’Angus, qui était dans l’assemblée, dit publiquement après le sermon : « Je sais que le régent et le cardinal (ils étaient alors à Edimbourg) apprendront que j’ai été au milieu de vous. Dites-leur de ma part que je maintiendrai de tout mon pouvoir non seulement la doctrine que j’ai entendue, mais encore le docteur qui l’a exposée. » Ceux qui étaient présents se réjouirent fort de ces paroles prononcées par un seigneur si influent. Quant à Wishart, il lui suffisait de savoir que Dieu garde les siens jusqu’à ce qu’il les appellel. Il prêcha en d’autres lieux devant de grandes foules, et avec d’autant plus de zèle qu’il savait et répétait que le jour de sa fin était proche.

k – Knox, Ref., p. 134. Scot’s Worthies, p. 31.

l – Knox, Ref., p. 135. Scot’s Worthies, p. 31.

Il passa après Noël dans le comté d’Haddington. Le cardinal informé de son dessein en avait prévenu le comte de Bothwell, qui fit aussitôt savoir soit dans la ville, soit dans les campagnes, que nul ne devait aller entendre cet hérétique sous peine de son déplaisir. Les ordres de ce seigneur redouté eurent leur effet. Le premier jour, Wishart avait réuni une grande assemblée, mais le lendemain ses auditeurs furent très peu nombreux. Une nouvelle épreuve vint l’affliger ; ses amis de l’ouest de l’Écosse lui avaient promis de se rendre à Édimbourg pour conférer avec lui sur les moyens d’avancer la cause de l’Évangile ; or le troisième jour de son arrivée dans le comté d’Haddington, étant déjà dans l’église, près de monter en chaire, un messager s’approcha et lui remit une lettre ; il l’ouvrit : ses amis d’Ayr et d’autres lieux lui écrivaient que des obstacles les empêchaient de tenir leurs promesses. Saisi de douleur, il appela Knox qui ne le quittait pas depuis qu’il était dans le Lothianm. « Je suis las du monde, lui dit-il, puisque je vois que les hommes commencent à être las de Dieu. » Knox étonné de ce que Wishart entrait en conversation avec lui avant le sermon, ce qu’il ne faisait jamais : « Monsieur, lui dit-il, le temps du sermon approche ; je vous laisserai à vos méditations, » et prenant la lettre, il se retira.

m – « He called for John Knox who had waited upon him carefully from the time he came to Lothian. » C’est ici la première fois que Knox se nomme dans son histoire (p. 137).

Wishart resté seul, se mit à marcher lentement derrière le grand autel ; il allait et revenait sur ses pas, la tristesse peinte sur ses traits, et tout, en lui, décelait la profonde douleur de son âme. Cela dura une demi-heure. Enfin il monta en chaire ; l’auditoire était peu nombreux comme le jour précédent. Il n’eut pas la force de traiter le sujet qu’il s’était proposé ; son cœur était pesant, et il avait besoin de le décharger devant Dieu. « Seigneur, dit-il, combien de temps encore ta sainte Parole sera-t-elle méprisée et les hommes ne se soucieront-ils pas de leur salut ? O Haddington ! j’ai entendu dire de toi, qu’il se trouvera dans tes murs deux ou trois mille personnes pour assister à quelque pièce frivole jouée par des clercs, et il s’en trouve à peine cent dans toute la ville pour écouter le message du Dieu éternel. Tu seras frappée de plaies terribles, parce que tu ne connais pas le temps de ta Visitation. » Ayant dit ces mots, il fit une courte paraphrase de la seconde table de la loi. Il exhorta à la patience, à la crainte de Dieu, aux œuvres de miséricorde, et pénétré du pressentiment que c’était pour la dernière fois qu’il se trouvait en chaire, il fit pour ainsi dire son testament en déclarant que c’était l’esprit de vérité et de jugement qui avait été dans son cœur et sur ses lèvresn.

n – Knox, Hist. of Ref., p. 138. Scot’s Worthies, Spotswood.

Il quitta l’église, fit ses adieux à ses amis, puis s’apprêta à sortir de la ville. « Je ne veux pas vous laisser seul, » lui dit Knox ; mais Wishart, ne cessant d’avoir devant les yeux sa fin prochaine, lui dit : « Non, retourne à tes élèves et que Dieu te bénisse. Un seul suffit pour le sacrifice. » Il lui fit déposer le glaive et se sépara de lui. Le laird d’Ormiston, qui était alors avec Wishart, l’avait invité à la campagne chez lui. Ils partirent avec quelques nobles des environs. Le froid étant vif, ils firent le chemin à pied. Pendant le souper Wishart parla de la mort des enfants de Dieu. Puis il dit en souriant : « Il me semble que j’ai sommeil. Chantons un psaume. » Il indiqua le 51e et l’entonna lui-même. Fais-moi grâce, grand Dieu, dans ta miséricorde. Le psaume fini, il passa dans sa chambre et se coucha.

Un peu avant minuit, une troupe d’hommes armés s’approchait en silence, entourait la maison pour que personne n’échappât, et demandait Wishart ; mais ni promesses, ni menaces, ne pouvaient engager Ormiston à livrer son hôte. On alla donc chercher le comte de Bothwell qui était le lord le plus puissant du pays. Bothwell vint et dit au laird : « Toute résistance est inutile, le régent et le cardinal s’approchent avec toutes leurs forces. Mais si vous me livrez cet homme, je vous promets sur mon honneur qu’il sera sain et sauf. Il n’est pas au pouvoir du cardinal de lui faire quelque mal. » Ormiston se fiant à cette promesse, dit à Wishart ce qui arrivait : « Ouvrez les portes, répondit-il aussitôt, et que la volonté de mon Dieu se fasse. » Bothwell entra avec quelques gentilshommes qui l’accompagnaient. « Je loue Dieu, milord, lui dit Wishart, de ce que c’est dans les mains d’un homme aussi honorable que je me remets à cette heure en présence de ces nobles. Vous ne permettrez pas que l’on agisse envers moi autrement que conformément à « la loi. » Le comte répondit : « Je préserverai votre corps de toute violence ; ni le régent, ni le cardinal n’auront rien à faire avec vous. Je vous garderai chez moi, jusqu’à ce que je puisse vous rendre la liberté. » Aussitôt après cette promesse, le comte partit avec Wishart pour Elphinston. Le cardinal voulant avoir les amis de Wishart, envoya 500 cavaliers à Ormiston pour en saisir le laird, ainsi que le laird de Brunston et le laird de Calder. Brunston s’enfuit à travers les bois, mais les deux autres furent conduits au château d’Édimbourg. Wishart fut transporté au grand et fort château de Hailes sur les bords de la Tyne, principale résidence de Bothwell dans le Lothiano.

o – Knox, Ref., p. 142. Diurnal of occurrents, p. 41.Spotswood, p. 78.

Cela ne satisfaisait pas le cardinal, qui voulait avant tout Wishart. La reine-mère Marie de Guise, qui était en froid avec Bothwell, lui promit son appui s’il voulait livrer l’évangéliste ; le cardinal de son côté donna beaucoup d’or. « L’or et les femmes ont dès le commencement corrompu tout homme mondain et charnel, » dit Knoxp. Le comte fit pourtant quelques difficultés ; « mais un homme faible, ajoute Knox, ne peut longtemps résister aux assauts d’une reine. » Wishart fut d’abord transporté au château d’Édimbourg, et à la fin de janvier 1546, le régent le livra au cardinal qui le fit enfermer à Saint-André, dans la tour de la mer. L’assistance d’un juge civil était, à ce qu’il semble, nécessaire pour la validité du jugement. Le cardinal en demanda un à Arran, mais un des conseillers de celui-ci, Hamilton de Preston, lui dit : « Quoi, livrer aux méchants ceux dont les ennemis mêmes reconnaissent l’intégrité, mettre à mort ceux qui n’ont commis d’autres crimes que de prêcher l’Évangile de Christ ! quelle ingratitude envers Dieu ! »

p – Knox, Ref., p. 143. Spotswood, p. 79.



Marie de Guise

Le régent écrivit en conséquence au cardinal qu’il ne consentirait pas à ce qu’on fît aucun mal à cet homme sans que sa cause fût examinée avec soin. Le cardinal, en recevant cette lettre, entra dans une violente colère. « Ce n’est que par civilité, dit-il, que j’ai fait cette demande. Moi et mon clergé, nous avons assez de pouvoir pour infliger à Wishart le châtiment dont il est digne. » Il invita l’archevêque de Glasgow, tous les évêques et autres dignitaires de l’Église à se réunir à Saint-André, le 27 février, pour délibérer sur ce sujet, quoique la chose fût déjà bien décidée dans son espritq.

q – Knox Ref., p. 144. Buchanan, p. 556. Spotswood, p. 79. Fox, Acts, V, 626. Scot’s Worthies, p. 33.

Le lendemain, le doyen de Saint-André se rendit dans la prison de Wishart et l’invita, au nom du cardinal, à paraître le jour suivant devant les juges. « Il est étrange, répondit le prisonnier, que le cardinal m’invite à paraître, tandis qu’il me tient ici étroitement lié avec des chaînes de fer. Au lieu d’une invitation il serait plus conséquent qu’il me fît amener de force. » Le 1er mars, le cardinal ordonna à toute la domesticité de son palais de se mettre sous les armes. On sait que le pouvoir civil avait refusé sa participation. Beaton y suppléa. Ses gens prirent aussitôt lances, glaives, haches, havre-sacs et autres appareils de guerre ; on eût dit qu’il s’agissait d’une action militaire et non d’une assemblée de prêtres qui prétendaient s’occuper de l’Église de Dieu. Ces champions armés, au nombre de cent, se mirent en ordre de bataille, conduisirent d’abord les évêques avec grand honneur à l’église de l’abbaye, puis, allant chercher Wishart et le capitaine du château se mettant à leur tête, ils le menèrent au « sacrifice comme un agneau. » Il jeta sa bourse en entrant dans l’abbaye à un pauvre infirme, et se trouva enfin devant la grande et brillante assemblée. Pour donner à l’action une certaine forme, Beaton avait fait construire deux estrades, l’une en face de l’autre. Wishart fut placé sur l’une et l’accusateur Lander se plaça sur l’autre. Le doyen Winrymer monta alors dans la chaire. Cet ecclésiastique estimable, chargé de faire le discours d’usage, était en secret favorable à l’Évangile. Il lut la parabole de la bonne semence et de l’ivraie (Matth.13.24-30), et présenta de pieuses considérations plus contraires aux juges qu’à l’accusé, et que celui-ci écoutait avec joie. Winryme termina pourtant en disant que l’ivraie était l’hérésie et que les hérétiques devaient être réprimés dans cette vie par le magistrat civil ; il avait pourtant dans son texte : Laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson. Il restait à savoir qui étaient les hérétiques : les juges ou l’accusés.

r – Fox dit Winryme. Scot’s Worthies, p. 34 : Winram. Buchanan : Viniramus.

s – Fox, Acts, V, 627.

Le sermon fini, les évêques ordonnèrent à Wishart de se tenir debout sur son estrade pour entendre l’accusation. Puis l’accusateur John Lander, prêtre que le chroniqueur appelle un monstre, et qui était en face de lui, se leva, déroula un long papier plein de menaces et de diaboliques malédictions, et adressant à l’innocent évangéliste des paroles cruelles, lança impitoyablement toutes les foudres de la papauté. Le peuple ignorant qui l’entendait, croyait voir la terre s’ouvrir pour engloutir le malheureux réformateur. Mais celui-ci demeurait tranquille, écoutant avec une grande patience et sans changer de visage, les violentes accusations de son adversaire. Quand Lander eut terminé avec grand renfort de voix la lecture de son menaçant réquisitoire, il tourna vers Wishart sa face toute dégoûtante de sueur, dit le chroniqueur, et, de sa bouche qui écumait comme celle d’un sangliert, il lui jeta à la face ces paroles : « Renégat, traître, « larron, que réponds-tu à tous ces faits que nous « avons prouvés par de suffisants témoignages ? »

t – « His face running down with sweat and frothing at the mouth like a boar. » (Fox, Acts, V, p. 628. Knox, Ref., p. 152.)

Wishart s’agenouilla, invoqua le secours de Dieu, et s’étant relevé, répondit avec douceur : « Messeigneurs, veuillez m’écouter avec calme, en sorte qu’au lieu de me condamner injustement au grand péril de vos âmes, vous puissiez reconnaître que j’ai enseigné la pure parole de Dieu et vous la receviez vous-mêmes comme la source de laquelle jailliront pour vous la santé et la vie. J’ai expliqué à Dundee l’épître de saint Paul aux Romains, et je vous exposerai fidèlement la manière dont je l’ai fait sans aucune crainte des hommes… »

A ces mots, l’accusateur l’interrompit et cria de toutes ses forces : « Hérétique ! renégat, traître, larron. Il ne t’est pas permis de prêcher, et tu l’as fait déjà trop longtemps. » Et tous les prélats, effrayés à la pensée qu’il allait donner au vaste auditoire qui l’écoutait la substance et la moelle de son enseignement, se disaient l’un à l’autre : « Il est si habile et si savant dans les Écritures qu’il convaincra le peuple qui l’écoute et le soulèvera contre nous ! » — Wishart, comprenant qu’il ne trouverait aucune équité devant cette cour ecclésiastique, dit : « J’en appelle de Monseigneur le cardinal à Monseigneur le régent. — Quoi, répliqua Lander, Monseigneur le cardinal n’est-il pas la seconde personne du royaume, chancelier d’Écosse, archevêque de Saint-André, évêque de Mirepoix en France, abbé commandataire d’Arbroath, légat né, légat a latere… » Il débitait tant de titres, dit le chroniqueur, qu’on en eût chargé un navireu. « Qui veux-tu donc pour juge ? » cria Lander.

u – Knox, Hist. of the Ref., p. 154.

Wishart répondit humblement : « Je demande que la Parole de Dieu soit mon juge. Je ne récuse pas Monseigneur le cardinal, mais étant le prisonnier de Monseigneur le régent, je demande que l’autorité temporelle se joigne à quelques-uns des seigneurs ecclésiastiques ici présents. » Mais les prêtres se moquèrent de lui et dirent : « Ah ! ah ! tel homme, tel juge ! » Selon eux, les laïques qu’on lui eût donnés pour juges eussent été hérétiques comme lui.

Le cardinal allait sans plus de retard faire prononcer la sentence de condamnation, mais des assistants lui conseillèrent de faire lire les chefs d’accusation, en permettant à Wishart de répondre, afin que le peuple ne pût dire qu’il avait été condamné sans avoir été entendu.

Lander commença donc : « Hérétique, dit-il, renégat, traître, larron, trompeur du peuple, tu méprises la sainte Église et l’autorité du régent, car quand il t’ordonna de cesser tes prédications à Dundee et que l’évêque de Brechin te livra aux mains du diable, tu continuas à parler.

Wishart : Les menaces des hommes, disent les apôtres, ne doivent pas nous faire abandonner la prédication de l’Évangile.

Lander : Hérétique ! tu as prétendu que le prêtre disant la messe à l’autel, ressemble à un renard qui fait mouvoir sa queue au mois de juilletv.

v – « Was like a fox wagging his tail in July. » (Fox, Acts, V, p. 630.)

Wishart : Non, voici ma parole : Les mouvements extérieurs du corps, sans le mouvement intérieur du cœur, ne sont que le jeu d’un singe et non le vrai culte de Dieu.

Lander : Hérétique, traître, larron ! tu as dit que le sacrement de l’autel n’est qu’un morceau de pain cuit sur la cendre.

Wishart : Descendant un jour le Rhin dans une barque, un Juif s’y trouvait avec moi. Je lui prouvai par la prophétie que le Messie était venu — Jésus de Nazareth. Il répondit : Vous adorez un morceau de pain cuit sur la cendre et dites que c’est votre Dieu. J’ai raconté cette parole, mais je ne l’ai jamais prononcée comme étant de moi-même. Voici ce que je crois… » A ces mots, les prélats branlant la tête, crachant par terre et criant, montrèrent de toutes manières qu’ils ne voulaient pas l’entendre.

Lander : « Hérétique ! renégat ! tu as dit que tout laïque est un prêtre et que le pape n’a pas plus de pouvoir qu’un autre homme.

Wishart : J’ai lu dans saint Jean : Il nous a faits rois et sacrificateurs, et dans saint Pierre : Vous êtes sacrificateurs et rois. C’est pourquoi j’ai affirmé que tout homme qui a la vraie foi en Jésus-Christ, a une puissance qui lui vient de Dieu. — J’ai dit, d’un autre côté, que tout homme qui ne connaît pas la Parole de Dieu et n’est pas ferme dans la foi, quel que soit son rang, fût-ce le pape même, n’a pas le pouvoir de lier et de délierw. »

w – « He wanteth the instrument by which he bindeth or looseth, that is to say the word of God. » (Fox, Acts, V, p. 631.)

Ces paroles amusèrent fort la compagnie, les révérends et révérendissimes éclataient de rire, se moquaient de Wishart, le taxaient d’imbécile. Un laïque avoir une puissance que n’avait pas le saint-père, cela leur semblait le comble de la folie. « Bien, milords, leur dit le messager de Christ, liez à votre aise. Ces paroles vous semblent impertinentes, mais elles sont, pour moi, vraies et d’un grand prix, parce qu’elles sont à la gloire de Dieu. »

Des hommes pieux qui se trouvaient dans l’assemblée, étaient indignés de la folie des prélats et touchés de l’invincible patience de Wishart. Mais d’autres s’écriaient avec force : « Pourquoi le laisserait-on parler ? » Un nommé John Scot, qui se tenait derrière Lander, lui dit : « Ne le laissez pas répondre, car il nous est aussi impossible de l’entendre qu’au diable de voir le signe de la croixx. » Il n’y eut ni forme de jugement, ni libres débats, dit Buchanan, mais grand bruit de voix, cris d’improbation, odieuses paroles. L’accusateur tonnait du haut de sa tribune, mais c’était touty. Les évêques s’écrièrent unanimement que le pieux Wishart devait être brûlé. — Tombant à genoux, Wishart s’écria : « O Dieu immortel, combien de temps encore ces hommes cruels exerceront-ils leur fureur contre ceux qui publient cette vérité par laquelle tu t’es manifesté au monde ? Nous souffrons volontiers la persécution pour l’amour de toi, dans cette vie qui « n’est qu’une ombre ; mais défends contre eux, Seigneur, ton assemblée que tu as élue avant le commencement du monde. »

x – « No more than the devil may abide the sign of ihe cross. » (Fox Acts, Y, p. 633.)

y – « Nulla judicii aut liberæ disceptationis ibi forma fuit : accusator enim… cum summa verborum acerbitate detonabat. » (Buchanan, p. 538. Spotswood, p. 80, 81.)

La sentence devait être prononcée, mais les évêques craignirent de le faire devant le peuple ; ils donnèrent l’ordre de faire évacuer l’église, ce qui ne s’opéra que lentement, car beaucoup de gens qui désiraient entendre Wishart, ne s’éloignèrent qu’avec peine. Enfin, les prélats et leurs associés se trouvèrent presque seuls, la sentence de mort fut prononcée, et le cardinal ordonna à ses gardes de reconduire Wishart au château. Enfermé dans la chambre du capitaine, il passa la plus grande partie de la nuit en prières. Le lendemain matin, les évêques lui envoyèrent deux moines qui lui demandèrent s’il ne voulait pas de confesseur. « Je n’ai rien à faire avec les moines, répondit-il, mais si vous voulez m’obliger, envoyez-moi celui qui a prêché hier matin. » Winryme étant venu, ils conférèrent quelque temps ensemble, puis le doyen dit : « Désirez-vous recevoir le sacrement de la Cène ? — Assurément, répliqua Wishart, s’il est administré selon l’institution du Seigneur, avec le pain et le vin. » Winryme se rendit vers le cardinal et lui dit que cet homme était innocent. Beaton, enflammé de colère, répondit : « Et toi, il y a longtemps que nous savons ce que tu es ! » Winryme ayant demandé s’il pouvait donner le sacrement au prisonnier : « Non, répondit le cardinal, il ne convient pas d’accorder aucun des bienfaits de l’Église à un hérétiquez. »

z – « Non videri aequum ut pertinax hereticus… ullis ecclesiæ beneficiis frueretur. » (Buchanan, p. 538.)

Le lendemain matin, à neuf heures, le capitaine du château apprit à Wishart que la communion lui était refusée, puis, comme il allait déjeuner avec ses employés et ses domestiques, il l’invita à prendre ce repas avec eux. « Très volontiers, répondit-il, je l’accepte, surtout parce que je sais que vous et les vôtres êtes des gens de bien et qui appartenez au « corps de Jésus-Christa. »

a – Scot’s Worthies, p. 35, 86. « Viros vos esse bonos et in eodem Christi corpore mecum esse sociatos. » (Buchanan, p. 539.)

La table étant couverte et les gens de la maison s’étant placés à l’entour : « Permettez, dit-il au capitaine, que, pour l’amour du Sauveur, je fasse une courte exhortation. » C’était à ses yeux l’occasion de célébrer une vraie cène. Il rappela l’institution du repas sacré et la mort du Seigneur. Il exhorta ceux qui étaient assis à table avec lui, à rejeter toute haine, à s’aimer les uns les autres et à mener une vie sainte. Puis, ayant rendu grâces, il prit le pain, le rompit, le distribua à ceux qu’il savait disposés à communier, les conjura de se nourrir spirituellement de Christ. Il prit ensuite une coupe, leur rappela le sang versé en rémission des offenses, but et leur donna à boire. « Je ne boirai plus de cette coupe, dit-il alors, et je ne mangerai plus de ce pain dans cette vie, un breuvage plus amer m’est réservé parce que j’ai prêché Christ. Priez que je reçoive avec patience ce calice comme me venant de la main du Seigneur. » Il termina par de nouvelles actions de grâces, et se retira dans sa chambre.

Il y avait alors, sur un terrain situé à l’occident du château, près du prieuré, des gens en grande activité, préparant, les uns un bûcher, les autres un gibet. Des hommes d’armes entouraient le lieu de l’exécution, et des artilleurs mettaient les canons en place et se tenaient derrière, prêts à faire feu ; on eût dit les préparatifs d’un siège. Le cardinal avait donné ces ordres dans la crainte que les nombreux amis de Wishart ne l’enlevassent, mais plus encore peut-être pour faire étalage de sa puissance. En même temps, on garnissait les fenêtres de la cour du château de tapis, de draperies de soie et de riches coussins, afin que le cardinal et les prélats pussent jouir à leur aise de la vue du bûcher et des tourments qu’ils allaient faire subir à cet homme justeb.

b – « Fenestra… tapetibus, stragulis sericis et pulvinis ornabatur. » (Buchanan, p. 559.)

Tout étant prêt, deux des bourreaux entrèrent dans la prison de Wishart ; l’un d’eux lui mit une robe de drap noir, l’autre lui attacha à toutes les parties du corps de petits sacs pleins de poudre. Puis ils lui lièrent fortement les mains derrière le dos, lui mirent une corde au cou et une chaîne autour de la ceinture, et, le plaçant au milieu d’une troupe de soldats, ils partirent. Arrivé devant le bûcher, Wishart se mit à genoux et pria. Puis, s’étant relevé, il dit au peuple : « Frères et sœurs, c’est avec une grande joie que je donne ma vie pour l’amour de Christ. Que les tourments que je vais subir ne vous fassent pas abandonner la bonne parole de Dieu. Aimez-la comme l’instrument de votre salut, et souffrez tout patiemment et avec joie, et vous trouverez un bonheur éternel. Ce ne sont pas des fables de vieilles femmes que je vous ai enseignées, mais le véritable Évangile ; Dieu m’appelle à être consumé par les flammes. Je ne les crains pasc. Je sais que ce soir même, je souperai avec mon Sauveur Jésus-Christ, pour lequel je souffre. — O Père céleste, pardonne à ceux qui, par ignorance, m’ont condamné à mort ! » Le bourreau se mit à genoux et lui dit : « Je vous en prie, pardonnez-moi ! — Approche-toi, répondit Wishart, et lui ayant donné un baiser, il ajouta : Voilà le gage de mon pardon. Fais ton devoir, mon enfant. » — On l’attacha au poteau avec des cordes et il dit : « Sauveur du monde ! aie pitié de moi. Père céleste ! je remets mon esprit en tes mains. » Le bourreau mit le feu. Le cardinal et les siens contemplaient des fenêtres le martyr et les flammes qui le consumaient. Le capitaine voyant les flammes qui entouraient Wishart, lui cria : « Ayez bon courage. — Wishart répondit : Ceci fait du mal au corps, mais non à l’âme ; » puis, voyant le cardinal à la fenêtre avec ses courtisans, il ajouta : « Celui qui me contemple avec complaisance d’un lieu élevé, sera dans peu de jours étendu à la même place avec autant d’ignominie qu’on l’y voit se prélassant avec orgueild. » Quelques auteurs regardent ces paroles rapportées par Buchanan, comme un exemple de cette seconde vue dont l’on prétend que les Écossais sont doués. Toutefois, sans avoir besoin d’une révélation extraordinaire, Wishart savait que le méchant périt dans sa voie. A peine avait-il dit ces mots que la corde qu’il avait au cou fut fortement serrée, en sorte qu’il perdit l’usage de la parole. Le feu réduisit son corps en cendres, et les évêques, toujours pleins de haine contre ce serviteur de Dieu, firent publier le même soir, dans toute la ville, la défense, sous les peines les plus graves, de prier pour lui. Ils savaient le respect que lui portaient bien des catholiques même.

c – « This grieve fire, I fear not. » (Fox, Acts, p. 635.)

d – « At qui nos tam superbe despicit, intra paucos aies non minus ignominiose jacebit quam nunc arroganter cubat. » (Buchanan, p. 540.)

Il est des gens qui disent que la religion est une fable ; une vie et une mort comme celles de Wishart montrent qu’elle est une grande réalité.

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