Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 15
Soulèvement contre Beaton – Sa mort

(Mars à Mai 1546)

10.15

Le cardinal triomphe – Ses ennemis conspirent sa mort – Ils se rassemblent à Saint-André – Ils s’emparent du château – Ils chassent les serviteurs du cardinal – Ils le mettent à mort – La sentence de Wishart – Les conjurés sont assiégés dans le château – Ils capitulent – Pourquoi la Réforme triompha en Écosse – Deux rois et deux royaumes – Prêtre et pasteur

La mort de Wishart suscita en Écosse des sentiments bien divers. Les évêques et leurs partisans portaient aux nues le cardinal qui, sans se soucier de l’autorité du régent et comprimant l’insolence du peuple, s’était fait le défenseur de Rome et des prêtres. « Ah ! disaient-ils, si l’Église avait eu auparavant de tels champions, elle tiendrait tout sous sa puissance, par la force et par le poids de sa majestéa. »

a – « Sure majestatis vi ac pondere cætera sub se omnia contineret. » (Buchanan, p. 540.)

Les simples chrétiens pleuraient sans penser à la vengeance, mais une partie du peuple, et aussi plusieurs des hommes les plus notables, condamnaient hautement, à table et ailleurs, la cruauté du cardinal, s’écriant que le sang répandu demandait vengeance. Ceux même qui, sans partager les croyances de Wishart, étaient animés de sentiments justes et généreux, se demandaient quelles espérances ils pouvaient avoir de maintenir leurs libertés sous le plus cruel des tyrans, sous un prélat qui faisait la guerre aux hommes et à Dieu, qui poursuivait de sa haine quiconque possédait quelques biens ou était animé de quelque piété et l’immolait à ses caprices comme une bête prise dans l’étableb, qui fomentait à la fois la guerre civile et la guerre étrangère, qui sanctionnait des liaisons avec de viles maîtresses et rompait à son gré des mariages légitimes, qui chez lui se vautrait dans la débauche avec des courtisanes et au dehors répandait dans sa furie le sang des innocentsc. Voilà le portrait de Beaton fait par Buchanan.

b – « Velut pecus ex hara suæ libidini mactaret. » (Ibid.)

c – « Domi enui seortis volutetur ; loris in cade innoxiorum ei sanguine hæreticorum debaccharetur. » (Ibid.)

Le cardinal n’ignorant pas ces discours, voulut affermir son pouvoir par de nouvelles alliances. Il maria l’une de ses filles, Marguerite Beaton, qu’il avait eue de Marie Ogilvy fille de sir James Ogilvy, avec David Lindsay fils du comte de Crawford, lui donna une dot de quatre mille marcs, et fit célébrer la noce avec une magnificence presque royale. Un prêtre célébrant avec tant d’apparat la noce de sa fille, montrait qu’il n’avait pas cette honte honnête excitée par l’appréhension de ce qui blesse la décence. Il se croyait à lui seul plus fort que toute l’Écosse, et son despotisme ne cessait d’accroître le nombre de ses ennemis. Parmi ceux qui l’avaient servi avec le plus de zèle se trouvait Norman Lesley, frère du comte de Rothes. Lesley ayant rappelé au cardinal certaines promesses que celui-ci lui avait faites, ils en vinrent aux injures et se séparèrent ennemis mortelsd. Dès lors Lesley fut le chef des mécontents, et rappelant à ses amis l’intolérable orgueil du cardinal, il les entraîna dans une conjuration destinée à lui ôter la viee. Son oncle, John Lesley, ne craignait pas de dire devant tous, eu frappant de sa droite sur son épée : « Cette main mettra cette flamberge au vent, et ce sont elles deux qui seront les confesseurs du cardinal, c’est-à-dire qu’elles l’enverront dans l’autre monde. » On répéta ces paroles à Beaton, mais il les méprisa, se croyant en parfaite sûreté dans l’espèce de forteresse qu’il s’était bâtie. « Je me moque de tout ce bruit, disait-il, et je ne donnerais pas un zest pour ces fanfaronnades. Ne suis-je pas maître de Monseigneur le régent ? N’ai-je pas comme otage son fils aîné, qui dîne chaque jour à ma table ? La reine (Marie de Guise) n’est-elle pas entièrement à ma dévotion ? La France n’est-elle pas mon amie, ne suis-je pas son ami ? quel danger pourrais-je donc craindre ? » Toutefois Beaton, dans l’intention de se défaire de ceux qui le gênaient, ordonna à toutes ses créatures du comté de Fife de le rencontrer à Falkland, le lundi 30 mai. Les Lesley et un certain nombre de leurs amis devaient être faits prisonniers et mis à mort. De leur côté, Lesley et les autres conjurés n’avaient point de scrupules embarrassants. Le droit du plus fort était encore souvent invoqué dans cet âge à demi barbare ; un coup d’État avec actes de violence, était chose assez ordinaire. Ces nobles regardaient la mort de Wishart, sans la participation des juges, refusés par le gouvernement légal, comme un meurtre, et ils pensaient que puisque Beaton était meurtrier, il devait être lui-même mis à mort. Ils ne réfléchissaient pas qu’ils se rendaient coupables de la même faute que Beaton avait commise, celle de se substituer aux juges réguliers. Le droit de la guerre entre seigneurs, reconnu encore dans ce temps-là, suffisait pour les justifier à leurs yeux. Il fut convenu que Norman Lesley, son frère et quatre de ses amis se rendraient à Saint-André, résidence du cardinal, qu’ils logeraient dans l’hôtellerie où ils avaient coutume de descendre, de manière à ne faire naître aucun soupçon. Ils entrèrent en effet sans crainte dans cette ville qui était pourtant pleine des amis, des clients et des créatures du puissant primat. Des habitants qui étaient dans les mêmes sentiments qu’eux, se tenaient prêts au premier signal à leur prêter main-forte. On convint de s’emparer du château de grand matin, avant que les domestiques fussent levés.

d – « Discesserant utrimque animis infensissimis. » (Buchanan, p. 541)

e – « Leslius ad suos rediit, intolerandam cardinalis superbiam iis exposuit : facile omnes in caedem ejus conjureront. » (Buchanan, p. 541. Knox, Hist. of Ref., p. 172, 173.)

Le vendredi 28 mai, Norman Lesleyf arriva le soir à Saint-André et y trouva William Kirkaldy de Grange qui l’attendait. John Lesley, sur lequel se portaient surtout les soupçons du cardinal, arriva le dernier. Les conjurés tinrent conseil pendant la nuit, et le samedi 29 mai, à trois heures du matin, seize hommes se mirent en route pour prendre le château fort où il y avait plus de cent hommes propres à leur résister. Ils arrivèrent de divers côtés et se réunirent sur le cimetière de l’abbaye, près du château. Beaton, connaissant l’indignation que sa conduite soulevait en Écosse, même chez ceux qui le flattaient, avait résolu de faire de sa demeure une citadelle capable de soutenir un siègeg. On était à l’œuvre, et ce fut précisément ce qui facilita l’action hardie que ses ennemis méditaient. Le primat pressait tellement l’ouvrage qu’on y travaillait presque nuit et jour. En conséquence, les portes étaient ouvertes de grand matin, et le pont-levis baissé pour laisser les ouvriers introduire pierres, mortier, et autres matériaux nécessaires à la construction. Les Lesley, qui s’étaient cachés dans une petite maison près des portes avec quelques-uns de leurs compagnons, avaient envoyé du lieu où ils étaient cachés William Kirkaldy et six autres des leurs. Ceux-ci franchissant la porte abordèrent le portier et lui dirent : « Milord cardinal est-il réveillé ? — Non, » répondit-il. Marie Ogilvy, mère de Marguerite et de deux fils, David et Alexandre Beaton, avait passé la nuit au château. On l’avait vue s’échapper de grand matin par la poterne secrèteh. Le cardinal, au moment où les Lesley et leurs amis arrivaient, était plongé dans un profond sommeil. Tandis que William Kirkaldy parlait avec le portier et que celui-ci s’apprêtait à lui montrer le chemin, Norman et John Lesley arrivèrent successivement avec quelques armes. Le portier alarmé voulut alors se mettre sur la défensive ; mais un des conjurés lui brisa la tête, lui prit ses clefs et jeta son corps dans le fossé. En ce moment les ouvriers, au nombre de plus de cent, se sauvèrent à toutes jambes par le guichet, et William Kirkaldy prit possession de la poterne secrète, « de peur que le renard ne s’échappât aussi. » N’étant que seize, ils sentirent qu’ils devaient s’y prendre avec habileté. Les chefs envoyèrent quatre des leurs, parmi lesquels étaient un grand et fort gentleman Pierre Carmichaël, et James Melville de Gambec, pour garder la porte du cardinal et empêcher que nul ne l’avertît du danger. D’autres conjurés, qui connaissaient les lieux et les gens, furent chargés des chambres à coucher des officiers et serviteurs du cardinal. Se partageant en petits groupes, ils y entrèrent successivement, trouvèrent ceux qui les habitaient à moitié endormis, et leur dirent : « Si vous poussez le moindre cri vous êtes mortsi. » Ces gens effrayés, se vêtirent à la hâte et furent conduits hors du château, sans qu’on leur fît aucun mal et sans qu’il y eût aucun bruit. La seule personne qu’ils laissèrent dans le château fut le fils aîné du régent. John Lesley étant seul avec ses amis dans cette vaste demeure, frappa fortement à la porte du cardinal. « Que veut dire ce bruit ? cria celui-ci. — Nous sommes maîtres du château, répondit-on. Ouvrez. » A ces mots Beaton courut vers la poterne, mais s’apercevant qu’elle était gardée, il revint promptement dans sa chambre, prit son épée à deux mains et dit à son valet de barricader la porte. « Ouvrez, » cria-t-on encore. Le cardinal répondit : « Qui êtes-vous ? — Mon nom est Lesley. — Est-ce Norman ? — Non, je m’appelle John. » Le cardinal qui se souvenait des paroles de John, cria : « Je veux avoir Norman, car il est mon ami. — Contentez-vous de ceux qui sont ici, » répliqua John. Et les coups frappés à la porte redoublèrent. Le cardinal saisit une boîte d’or et la mit dans une cachette ; puis il dit : « Voulez-vous me sauver la vie ?… — Il est possible que nous le voulions, dit John. — Jurez-le-moi par les plaies du Seigneur, reprit Beaton, et je vous ouvrirai. »

f – Knox fait de Norman l’oncle de John, p. 173, mais M. Laing l’appelle neveu (p. 172, note 1). Spotswood, p. 82 : « John Lesley his uncle. »

g – « Cardinalis arcem suam in usum belli communiebat. » (Buchanan, p. 542.)

h – « Marion Ogilvy, who was espied to depart from him, by the private postern, that morning. » (Knox, Ref., p. 174.)

i – « Eos quum semisomnes sigillatim evocassent mortem præsentem si quisquam motiret, comminati. » (Buchanan, XV, p. 545.)

Alors John Lesley cria : « Apportez du feu ! » La porte étant trop forte pour l’enfoncer, on lui présenta une grille pleine de charbons ardents, et il allait mettre le feu quand le cardinal fit ouvrir la porte. Lesley et ses compagnons se jetèrent promptement dans la chambre et trouvèrent Beaton assis dans un fauteuil. Lesley se précipita violemment sur lui. « Ne me tuez pas, s’écria le cardinal. Je suis un prêtre ! Je suis un prêtre ! »

Mais Lesley le frappa de son épée, et Carmichaël plein de colère fit de même. Melville, homme d’un caractère doux et sérieux, dit Knoxj, voyant ses compagnons dans une grande irritation, les arrêta. « C’est ici, dit-il, le jugement de Dieu et quoi qu’il ne s’exécute pas publiquement et solennellement, il faut y procéder avec gravité. » Melville et d’autres, par suite de l’ignorance et des préjugés du temps, croyaient sincèrement à la vertu légale de l’institution mosaïque, abolie par l’Évangile, qui accordait à de certaines personnes le droit de faire mourir le meurtrier, mais qui établissait en même temps des villes de refuge où celui qui avait le droit de faire la vengeance du sang ne pouvait l’atteindrek.

j – Knox, Hist. of the Ref., p. 177.

k – Livres de Moïse, Nombres, ch. 35.

Melville oubliait qu’il n’y avait pas de ville de refuge pour Beaton. Le regardant comme un meurtrier, et croyant qu’en le tuant il ne se rendait pas coupable de meurtre, il lui présenta la pointe de son épée et lui dit gravement : « Repens-toi de la méchante vie que tu as menée jusqu’à cette heure, et en particulier du meurtre de cet excellent serviteur de Dieu, Wishart. Je proteste devant Dieu que ce n’est ni la haine pour ta personne, ni le désir de tes richesses, ni la crainte de quelque mal que tu pourrais me faire qui m’animent, mais Dieu nous envoie pour te punir. » Et il le frappa de son épée.

Le cardinal tomba sous ces coups répétés sans qu’on entendît sortir de sa bouche d’autres paroles que celles-ci : « Je suis un prêtre ! je suis un prêtre ! Fi ! fi ! Tout est perdu !…l »

l – Knox, Hist. of the Ref., p. 177.

On sut bientôt dans toute la ville que le château avait été pris. Les amis et les créatures du cardinal sortant de leurs lits assez mollement, dit Buchanan, s’armèrent et peu à peu une grande foule environna les fossés. Ces gens criaient de toutes leurs forces, prononçaient des menaces, des injures, demandaient des échelles, et tout ce qui était nécessaire pour donner l’assaut. « Vous faites inutilement beaucoup de bruit, leur dit-on du château, le mieux pour vous c’est de retourner dans vos maisons. »

La foule répondait : « Qu’avez-vous fait de Monseigneur le cardinal ? Nous voulons voir Monseigneur le cardinal ! — L’homme que vous appelez cardinal, leur répondit-on, a reçu sa récompense et ne troublera plus le monde. » Mais ses partisans crièrent encore plus fort. « Nous ne nous en irons pas que nous ne l’ayons vu, » croyant toujours qu’il était plein de vie. Alors, un ou deux hommes prirent le cadavre et l’étendant sur la fenêtre même d’où peu auparavant Beaton avait contemplé avec joie et comme en triomphe le supplice du pieux Wishart, ils l’exposèrent ainsi aux yeux de tousm. Les amis de Beaton et la populace frappés d’étonnement et d’effroi à ce spectacle inattendu et se rappelant la prophétie de Wishart, se dispersèrent abattus et consternés.

m – « Cadaver exanimatum oculis omnium exponunt, in illo ipso loco unde ipse non multo ante Georgii (Wishart) supplicium tam lætus spectaverat. » (Buchanan, p. 542.)

La nouvelle de cette mort se répandit en un moment dans tout le pays, les uns la maudissant, les autres la saluant comme l’acte qui rendait l’Écosse à la liberté. Quelques-uns même, comme l’avait fait James Melville, la tenaient pour un acte légitime. Mais même parmi les adversaires du cardinal, il y eut des hommes sages et modérés qui regardèrent le meurtre avec horreur ! Un historien remarque que, de ceux qui y avaient pris part, peu échappèrent au jugement de Dieu qui punit les transgresseurs de ses commandements en les frappant du même coup dont ils ont eux-mêmes frappé les autresn.

n – Spotswood, p. 84.

Les Lesley et leurs amis restèrent maîtres du château et gardèrent avec eux James lord Hamilton, plus tard comte d’Arran, fils aîné du régent, que Beaton retenait comme son otage et qui, dès lors, fut le leur. Un de ceux qui croyaient avoir fait une action digne de louange en délivrant l’Écosse du tyran, William Kirkaldy, se rendit à Londres, et Henri VIII, qui considéra aussi la prise du château et ce qui l’avait accompagnée comme une révolution légitime, se déclara prêt à prendre tout le parti sous sa protection, à condition toutefois que le contrat de mariage entre Edouard et Marie fût maintenu. Les communications étant faciles entre le château et Londres, au moyen de la mer, des navires anglais y apportaient tout ce dont on avait besoin.

Hamilton, frère bâtard du régent, fut nommé par celui-ci archevêque de Saint-André et confirmé par le pape Paul III. Ce prélat énergique demanda aussitôt à son frère que le château fut assiégé et que tous ceux qui s’en étaient emparés fussent punis ; d’autres l’appuyaient fortement. Un corps d’armée partit, à cet effet, d’Edimbourg, le 23 août 1546 ; mais, à la fin de juillet 1547o, désespérant de s’emparer de la forteresse, il capitula avec les assiégés à des conditions qui leur étaient avantageuses, mais que ni les uns ni les autres n’avaient l’intention d’observer. Ce moment est une époque importante où nous devons suspendre notre récit.

o – Juillet 1547 (Spotswood, p. 88). The last of juillet (Knox, p. 205). Buchanan place la prise du château ou la capitulation au mois d’août 1547 : « Hæc in mensem Augusti anni MDXLVII inciderunt. » (p. 543.)

Nous avons vu le ministère et le martyre de Patrick Hamilton et de George Wishart. Nous aurons à voir plus tard, si Dieu nous est en aide, l’action puissante du troisième et du plus grand des réformateurs de l’Écosse, de John Knox.

Le temps dont nous avons jusqu’à présent retracé l’histoire, fut celui d’une vive persécution ; il nous reste à raconter le combat contre la papauté, où la noblesse écossaise fut vivement engagée, et la victoire de la Réformation. Sans entrer dès aujourd’hui dans le récit des faits, nous jetterons, avant de finir, un regard en avant pour marquer ce qui devait donner la victoire au christianisme évangélique. Ce ne furent certes pas des actes tels que la prise du château et la mort violente du persécuteur ; de tels faits sont plus propres à perdre une cause qu’à la sauver. La vie et la mort chrétienne de Wishart furent bien plus puissantes que la mort de Beaton, pour avancer le règne de Dieu. L’histoire de la réformation écossaise est utile pour montrer le néant d’une allégation faite souvent par les ennemis de la Réforme.

D’après eux, la Réforme n’aurait triomphé que dans les pays où les princes l’ont protégée. C’est une grande erreur. Ce ne fut pas le sanguinaire Philippe II qui établit la Réformation dans les provinces unies des Pays-Bas ; ce ne furent ni le faible Jacques V, ni la papiste Marie Stuart, qui la firent triompher en Écosse. Cette digne nièce des Guises ne chercha qu’à l’écraser. Un bras plus fort que le leur combattit contre ces puissants et donna la victoire aux faibles. Les ennemis de la Réformation employèrent en Écosse les mêmes armes qui, en Italie, en Espagne et ailleurs, arrêtèrent le mouvement régénérateur. On y brûlait aussi les réformés ; mais la Réforme y ressortait de leurs cendres. Ce ne fut pas non plus à leur caractère, à leur force naturelle que les Écossais attribuèrent ce triomphe. Ils savaient que Jésus est le roi de l’Église et que c’est lui qui la sauve. C’est là le trait qui distingua entre toutes (nous le verrons) la réforme écossaise. André Melville disait à Jacques VI : « Sire, il y a deux rois et deux royaumes en Écosse. Il y a le roi Jacques qui est le chef de l’État, et il y a Jésus-Christ qui est le roi de l’Églisep. » Au roi qui siège à Rome, la réformation écossaise opposa le roi qui siège au ciel, et c’est à lui qu’elle attribua la victoire.

p – Melville’s Diary, p. 276 à 278. W Crie, Audré Melville, II, p ; 66.

Mais, en proclamant cette autorité suprême, la réformation de l’Écosse établit aussi les devoirs et les droits des chrétiens. Ce fut à des assemblées générales provenant du libre choix du peuple évangélique qu’elle confia le soin, de conduire l’Église conformément à la loi de Dieuq. Le clergé avait régné en Écosse pendant le quatorzième siècle, pendant le quinzième et la première partie du seizième ; la Réformation délivra le pays de cette domination cléricale et lui donna la première de toutes les libertés, — celle de la foi. Il y avait eu en Écosse, depuis des siècles, trois pouvoirs, — le roi, les nobles et les prêtres, — et ceux-ci avaient eu la haute main. Après la Réformation, il y eut encore le roi, encore les nobles, mais le peuple prit la place du clergé. Ce fut sous une forme populaire, — le presbytérianisme, — que l’Église d’Écosse se constitua. Les châteaux eurent quelque temps encore une action puissante sur les destinées du pays, mais le flot national et chrétien ne cessa de s’élever tout à l’entour de leurs murailles et dépassa bientôt les vieux créneaux, découpés au sommet de ces antiques manoirs. Les laïques, députés du peuple, avaient leurs voix dans les presbytères, dans les synodes, dans les assemblées générales, et, peu à peu, l’influence de la Réforme, en Écosse, plaça la force principale du pays dans la voix de la nation.

q – Second Book of discipline.

C’est une grave erreur que d’attribuer comme on l’a fait aux pasteurs protestants en Écosse, une « domination incompréhensible, une action qui ne le cède en rien à celle qu’eurent les prêtres catholiques » et de les représenter comme « l’obstacle le plus insurmontable aux progrès du peupler. » Rien n’a moins ressemblé à ce qu’étaient les superbes prélats catholiques de Saint-André, de Glasgow et des autres diocèses, qu’un ministre écossais. La Réformation a donné à l’Écosse non seulement la vérité chrétienne, mais encore la liberté religieuse et politique. Elle a ôté aux prêtres, là comme partout, la magie et la domination qui avaient été leurs deux grands attributs dans le moyen âge. Les ministres qu’elle leur a substitués, n’ayant plus la puissance merveilleuse de transformer un morceau de pain et d’en faire le Dieu créateur, ces disciples de Jésus ne siégeant pas sur le trône despotique du confessionnal pour donner le pardon des péchés, sont devenus de simples hérauts de la Parole divine. C’est cette Parole sainte qui est placée dans toutes les familles et règne en souveraine dans l’Église, et dès lors, les ministres ont cessé d’être des maîtres et sont devenus des serviteurs. Le vrai tort de ces pasteurs écossais, aux yeux de leurs détracteurs, c’est d’avoir toujours été un grand obstacle, non aux progrès du peuple et de la civilisation, comme on l’a dit, mais à ceux de l’incrédulité et du matérialisme. Or, ces doctrines délétères sont les mortels ennemis de la liberté et de la prospérité des nations.

r – Buckle, Histoire de la civilisation en Angleterre, ch. XVI.

[Le morceau qu’on vient de lire s’arrête à l’année 1546. Le programme que l’auteur s’était proposé de remplir porte comme devant prendre place au volume suivant : L’Écosse de 1546 à 1560. Malheureusement ce travail n’a pas été fait. L’Histoire de la Réformation en Écosse ne sera donc pas continuée. (Éditeur.)]

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