Histoire de la Réformation du seizième siècle

8.12

Attaque d’Hoffman – Deuil et joie en Allemagne – Mandement de l’évêque – Archétélès – L’évêque s’adresse à la Diète – Défense d’attaquer les moines – Déclaration de Zwingle – Les nonnes d’Œtenbach – Adresse de Zwingle à Schwitz

Cette fermeté inébranlable du réformateur réjouissait les amis de la vérité, et particulièrement les chrétiens évangéliques de l’Allemagne, si longtemps privés, par la captivité de la Wartbourg, du puissant apôtre qui avait le premier levé la tête au sein de l’Église. Déjà des pasteurs et des fidèles fugitifs, à la suite du décret impitoyable que la papauté avait obtenu à Worms, de Charles-Quint, trouvaient un asile dans Zurich. « Oh ! comme je me réjouis, écrivait à Zwingle, Nesse, ce professeur de Francfort, que Luther visita en se rendant à Worms, d’apprendre avec quelle autorité vous annoncez Jésus-Christ ! Affermissez par vos paroles ceux que la cruauté des mauvais évêques oblige à fuir loin de nos églises en deuila. »

a – « Et ut ils qui ob malorum episcoporum sævitiam a nobis submoventur prodesse velis. (Zw. Ep., p. 208.)

Mais ce n’était pas seulement en Allemagne que les adversaires tramaient des complots funestes contre les amis de la Réformation. Il ne se passait pas d’heure où on ne s’entretînt à Zurich des moyens de se débarrasser de Zwingleb. Un jour il reçut une lettre anonyme, qu’il communiqua aussitôt à ses deux vicaires. « De tous côtés des embûches vous entourent, lui disait-on ; un poison mortel est prêt pour vous ôter la viec. Ne mangez que dans votre maison, et que du pain fait par votre propre cuisinière. Les murs de Zurich renferment des hommes qui machinent votre ruine. L’oracle qui me l’a révélé est plus véritable que celui de Delphes. Je suis des vôtres ; vous me connaîtrez plus tard. »

b – « Nulla præteriat hora in qua non fierent consultationes insidiosissimæ. » (Osw. Myconius, Vita Zwinglii.)

c – « Ἕοσιμα φάρμακα λυγρά (Zw. Ep., 199)

Le lendemain du jour où Zwingle reçut cette mystérieuse épître, au moment où Stäheli allait entrer dans l’église de l’Eau, un chapelain l’arrêta, et lui dit : « Quittez en toute hâte la maison de Zwingle ; une catastrophe se prépare. » Des séides, désespérant de voir la Réformation arrêtée par la parole, s’armaient du poignard. Lorsque de puissantes révolutions s’accomplissent dans la société, des assassins jaillissent ordinairement du fond impur des populations émues. Dieu garda Zwingle.

Tandis que les meurtriers voyaient échouer leurs trames, les organes légitimes de la papauté s’agitaient de nouveau. L’évêque et ses conseillers résolurent de recommencer la guerre. De toutes parts la nouvelle en parvint à Zwingle. Le réformateur, s’appuyant sur la parole de Dieu, dit avec une noble fierté : « Je les crains… comme un rivage escarpé craint les ondes menaçantes… — σὺν τῷ θεῷ — avec Dieu ! » ajouta-t-ild. Le 2 mai l’évêque de Constance publia un mandement où, sans nommer ni Zurich ni Zwingle, il se plaignait de ce que des gens artificieux renouvelaient des doctrines condamnées, et de ce que savants et ignorants discutaient en tous lieux sur les plus redoutables mystères. Le prédicateur de la cathédrale de Constance, Jean Wanner, fut le premier attaqué : « J’aime mieux, dit-il, être chrétien avec la haine de plusieurs que d’abandonner Christ pour l’amitié du mondee. »

d – « Quos ita metuo, ut litus allum fluctuum undas minacium. » (Zw. Ep., p. 203.)

e – « Malo esse christianus cum multorum invidia, quam relinquere Christum propter mundanorum amicitiam. (Ibid., p. 200, du 22 mai.)

Mais c’était à Zurich qu’il fallait écraser l’hérésie naissante. Faber et l’évêque savaient que Zwingle avait plusieurs ennemis parmi les chanoines. On voulut se servir de cette haine. Vers la fin de mai arriva à Zurich une lettre de l’évêque, adressée au prévôt et à son chapitre. « Fils de l’Église, disait le prélat, que ceux qui veulent périr périssent ! mais que personne ne vous enlève à l’Églisef. » En même temps l’évêque sollicitait les chanoines d’empêcher que les coupables doctrines qui enfantaient des sectes pernicieuses ne fussent prêchées auprès d’eux et discutées, soit en particulier, soit en public. Cette lettre ayant été lue dans le chapitre, tous les yeux se fixèrent sur Zwingle. Celui-ci, comprenant ce que ce regard signifiait : « Vous pensez, dit-il, je le vois, que c’est moi que cette lettre concerne ; veuillez me la remettre, et, Dieu aidant, j’y répondrai. »

f – « Nemo vos, filios Ecclesiæ, de Ecclesia tollat ! » (Zw. Op., III, 33.)

Zwingle répondit dans son Archétélès, mot qui signifie commencement et fin ; — « car, dit-il, j’espère que cette première réponse sera aussi la dernière. » Il y parlait d’une manière très respectueuse de l’évêque, et rejetait sur quelques intrigants toutes les attaques de ses ennemis. « Qu’ai-je donc fait ? disait-il ; j’ai appelé tous les hommes à la connaissance de leurs propres plaies ; je me suis efforcé de les amener au seul vrai Dieu et à Jésus-Christ, son Fils. Je me suis servi pour cela, non d’exhortations captieuses, mais de paroles simples et vraies, telles que les fils de la Suisse peuvent les comprendre. » Puis, passant de la défense à l’attaque : « Jules César, ajoutait-il avec finesse, se voyant frappé à mort, s’efforça de rapprocher les bords de son vêtement, afin de tomber avec décence. La chute de vos cérémonies est proche ! faites du moins qu’elles tombent convenablement, et que la lumière soit partout promptement substituée aux ténèbresg. »

g – « In umbrarum locum, lux quam ocissime inducatur. » (Zw. Op., III, p. 69.)

Ce fut là tout le succès qu’obtint la lettre de l’évêque au chapitre de Zurich. Puisque toutes les remontrances amicales étaient vaines, il fallait frapper des coups plus décisifs. Faber et Landenberg portent ailleurs leurs regards ; c’est vers la Diète, vers le conseil de la nation helvétique, qu’ils se tournent enfinh. Des députés de l’évêque y arrivent ; ils exposent que leur maître a défendu par un mandement à tous les prêtres de son diocèse d’innover dans les choses de doctrine ; que son autorité étant méconnue, il invoque le secours des chefs de la Confédération, pour l’aider à maintenir dans l’obéissance les rebelles et défendre l’antique et véritable foii. Les ennemis de la Réformation dominaient dans cette première assemblée de la nation. Déjà, peu auparavant, elle avait rendu un arrêté qui interdisait la prédication à tous les prêtres dont les discours portaient, disait-on, la discorde parmi le peuple. Cet arrêté de la Diète, qui pour la première fois s’occupait de la Réformation n’avait pas eu de suite ; mais maintenant, voulant sévir, cette assemblée cita devant elle Urbain Weiss, pasteur de Fislispach, près de Bade, que le bruit public accusait de prêcher la nouvelle foi et de rejeter l’ancienne. Weiss fut relâché pour quelque temps, sur l’intercession de plusieurs et sous la caution de cent florins, que ses paroissiens présentèrent.

h – « Nam er ein anderen weg an die Hand ; schike seine Boten… etc. » (Bullinger, msc.)

i – « Und den wahren alten glauben erhallten. » (Ibid.)

Mais la Diète avait pris parti ; elle venait d’en faire preuve : partout le courage revenait aux moines et aux prêtres. A Zurich, déjà après le premier arrêté de cette assemblée, on les avait vus se montrer plus impérieux. Plusieurs membres du conseil avaient l’habitude de visiter, matin et soir, les trois couvents, et même d’y prendre leur repas. Les moines endoctrinaient ces bénévoles commensaux, et les sollicitaient de faire rendre au gouvernement un arrêté en leur faveur. « Si Zwingle ne veut pas se taire, disaient-ils, nous crierons encore plus fort ! » La Diète s’était rangée du côté des oppresseurs. Le conseil de Zurich ne savait que faire. Le 7 juin il rendit une ordonnance par laquelle il défendit de prêcher contre les moines : mais à peine l’arrêté était-il rendu, « qu’il se fit dans la chambre du conseil un bruit soudain, dit la chronique de Bullinger, en sorte que chacun se regardaj. » La paix ne se rétablit point ; le combat qui se livrait du haut de la chaire s’échauffait toujours plus. Le conseil nomma une députation qui fit comparaître, dans la demeure du prévôt, les pasteurs de Zurich et les lecteurs et prédicateurs des couvents ; après une vive discussion, le bourgmestre enjoignit aux deux partis de ne rien prêcher qui pût troubler la concorde. « Je ne puis accepter cette injonction, dit Zwingle ; je veux prêcher l’Évangile librement et sans condition aucune, conformément à l’arrêté qui a été rendu précédemment. Je suis évêque et pasteur de Zurich ; c’est à moi que le soin des âmes a été confié. J’ai prêté serment, et non les moines. Ce sont eux qui doivent céder, et non pas moi. S’ils prêchent des mensonges, je les contredirai, et jusque dans la chaire de leur propre couvent. Si moi-même je prêche une doctrine contraire au saint Évangile, alors je demande à être repris, non seulement par le chapitre, mais encore par quelque citoyen que ce soitk ; et de plus à être puni par le conseil. » — « Nous, dirent les moines, nous demandons qu’il nous soit permis de prêcher les doctrines de saint Thomas. » La commission du conseil, ayant délibéré, ordonna « qu’on laissât là Thomas, Scot et les autres docteurs, et qu’on ne prêchât que le saint Évangile. » Ainsi, la vérité avait encore une fois remporté la victoire. Mais la colère des partisans de la papauté s’en accrut. Les chanoines ultramontains ne pouvaient cacher leur colère. Ils regardaient Zwingle dans le chapitre avec impudence, et semblaient de leurs yeux demander sa viel.

j – « Liess die Rathstuben einen grossen Knall. » (Bullinger, msc.)

k – Sondern von einem jedem Bürger wyssen. » (Bullin., msc.)

l – « Oculos in me procacius torquent, ut cujus caput peti gauderent. » (Zw. Op., III, p. 29.)

Ces menaces n’arrêtaient pas Zwingle. Il y avait un lieu dans Zurich où, grâce aux dominicains, la lumière n’avait point encore pénétré : c’était le couvent de femmes d’Œtenbach. Les filles des premières familles de Zurich y prenaient le voile. Il parut injuste que ces pauvres personnes, renfermées dans les murs de leur monastère, fussent les seules à ne point entendre la Parole de Dieu. Le grand conseil ordonna à Zwingle de s’y rendre. Le réformateur monta dans cette chaire, livrée jusqu’alors aux dominicains, et y prêcha « sur la clarté et la certitude de la Parole de Dieum. » Il publia plus tard ce discours remarquable, qui ne demeura pas sans fruit, et qui irrita encore plus les moines.

m – « De claritate et certitudine Verbi Dei. » (Zw. Op., I, p. 66.)

Une circonstance vint étendre cette haine et la porter dans beaucoup d’autres cœurs. Les Suisses, ayant à leur tête Stein et Winkelried, venaient d’essuyer à la Bicoque une sanglante défaite. Ils s’étaient élancés avec impétuosité sur l’ennemi ; mais l’artillerie de Pescaire et les lansquenets de ce Freundsberg que Luther avait rencontré à la porte de la salle de Worms, avaient renversé et chefs et drapeaux, et l’on avait vu tomber et disparaître tout à la fois des compagnies entières. Winkelried et Stein, des Mulinen, des Diesbach, des Bonstetten, des Tschoudi, des Pfyffer, étaient restés sur le champ de bataille. Schwitz, surtout, avait été moissonné. Les débris sanglants de cet affreux combat étaient rentrés en Suisse, portant partout le deuil sur leurs pas. Un cri de douleur avait retenti des Alpes au Jura, et du Rhône jusqu’au Rhin.

Mais personne n’avait ressenti une peine aussi vive que Zwingle. Il écrivit aussitôt une adresse à Schwitz pour détourner les citoyens de ce canton du service étranger. « Vos ancêtres, leur dit-il avec toute la chaleur d’un cœur suisse, ont combattu leurs ennemis pour défendre leur liberté ; mais ils n’ont jamais mis des chrétiens à mort pour gagner de l’argent. Ces guerres étrangères attirent sur notre patrie d’innombrables calamités. Les fléaux de Dieu châtient nos peuples confédérés, et la liberté helvétique est près de se perdre entre les caresses intéressées et les haines mortelles de princes étrangersn. » Zwingle donnait la main à Nicolas de Flue, et renouvelait les instances de cet homme de paix. Cette exhortation ayant été présentée à l’assemblée du peuple de Schwitz y produisit un tel effet, qu’il y fut arrêté de s’abstenir provisoirement pendant vingt-cinq ans de toute capitulation. Mais bientôt le parti français fit révoquer cette résolution généreuse, et Schwitz fut dès lors le canton le plus opposé à Zwingle et à son œuvre. Les disgrâces mêmes que les partisans des capitulations étrangères attiraient sur leur pays ne faisaient qu’accroître la haine de ces hommes contre le ministre courageux qui s’efforçait d’éloigner de sa patrie tant d’infortunes et de honte. Il se forma de plus en plus dans la confédération un parti violent contre Zurich et contre Zwingle. Les coutumes de l’Église et les pratiques des embaucheurs, ensemble attaquées, s’appuyaient mutuellement pour résister au souffle impétueux de la réforme qui menaçait de les abattre. En même temps les ennemis se multiplièrent au dehors. Ce ne fut plus seulement le Pape, mais ce furent encore les autres princes étrangers, qui jurèrent une haine impitoyable à la Réformation. Ne prétendait-elle pas leur enlever ces hallebardes helvétiques auxquelles leur ambition et leur orgueil avaient dû tant de triomphes ? Mais il resta à la cause de l’Évangile Dieu et les plus excellents du peuple : c’était assez. D’ailleurs, de diverses contrées la Providence divine amenait à son aide des hommes poursuivis pour leur foi.

n – « Ein göttlich Vermanung an die cersamen, etc., eidgnossen zu Schwyz. (Zw. Op., I, 2e partie, p. 206.)

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