Histoire de la Réformation du seizième siècle

9.7

Fausse Réforme – Les nouveaux prophètes – Les prophètes à Wittemberg – Mélanchthon – l’électeur – Luther – Carlstadt et les images – Désordres – On appelle Luther – Il n’hésite pas – Dangers

Cependant des hommes prévenus eussent pu ne voir dans l’œuvre qui s’accomplissait que l’effet d’un vain enthousiasme. Les faits mêmes devaient prouver le contraire et démontrer qu’il y a un abîme entre une réformation fondée sur la Parole de Dieu et une exaltation fanatique.

Lorsqu’une grande fermentation religieuse s’accomplit dans l’Église, quelques éléments impurs se mêlent toujours aux manifestations de la vérité. On voit surgir une ou plusieurs fausses réformes provenant de l’homme, et qui servent de témoignage ou de contre-seing à la réforme véritable. Ainsi plusieurs faux Messies attestèrent au temps de Christ que le vrai Messie avait paru. La Réformation du xvie siècle ne pouvait s’accomplir sans présenter un tel phénomène. Ce fut dans la petite ville de Zwickau qu’il se manifesta.

Il s’y trouva quelques hommes, qui, agités par les grands événements qui remuaient alors la chrétienté, aspirèrent à des révélations directes de la Divinité, au lieu de rechercher avec simplicité la sanctification du cœur, et qui prétendirent être appelés à compléter la Réformation, faiblement ébauchée par Luther. « A quoi bon, disaient ils, s’attacher si étroitement à la Bible ? La Bible ! toujours la Bible ! La Bible peut-elle nous parler ? N’est-elle pas insuffisante pour nous instruire ? Si Dieu eût voulu nous enseigner par un livre, ne nous eût-il pas envoyé du ciel une Bible ? C’est par l’Esprit seul que nous pouvons être illuminés, Dieu lui-même nous parle. Dieu lui-même nous révèle ce que nous devons faire et ce que nous devons dire. » Ainsi, comme les partisans de Rome, ces fanatiques attaquaient le principe fondamental sur lequel toute la Réformation repose, la pleine suffisance de la Parole de Dieu.

Un simple fabricant de drap, nommé Nicolas Storck, annonça que l’ange Gabriel lui était apparu pendant la nuit, et qu’après lui avoir communiqué des choses qu’il ne pouvait encore révéler, il lui avait dit : « Toi tu seras assis sur mon trônea. » Un ancien étudiant de Wittemberg, nommé Marc Stubner, s’unit à Storck, et abandonna aussitôt ses études ; car il reçut immédiatement de Dieu, dit-il, le don d’interpréter les saintes Écritures. Marc Thomas, fabricant de drap, vint grossir leur nombre ; et un nouvel adepte, Thomas Munzer, homme d’un esprit fanatique, donna une organisation régulière à cette secte nouvelle. Storck, voulant suivre l’exemple de Christ, choisit parmi ses adhérents douze apôtres et soixante et douze disciples. Tous annoncèrent hautement, comme l’a fait une secte de nos jours, que des apôtres et des prophètes étaient enfin rendus à l’Église de Dieub.

a – Advolasse Gabrielem Angelum. (Camerarii Vita. Mel. p. 48.)

b – Breviter, de sese prædicant viros esse propheticos et apostolicos. (Corp. Ref. I. 514.) L’auteur fait allusion aux disciles d’Irving. (ThéoTEX)

Bientôt les nouveaux prophètes, prétendant marcher sur les traces des anciens, firent entendre leur message : « Malheur ! malheur ! disaient-ils. Une église gouvernée par des hommes aussi corrompus que le sont les évêques, ne peut être l’Église de Christ. Les magistrats impies de la chrétienté vont être renversés. Dans cinq, six ou sept ans, une désolation universelle éclatera dans le monde. Le Turc s’emparera de l’Allemagne ; tous les prêtres seront mis à mort, même ceux qui sont mariés. Nul impie, nul pécheur, ne demeurera vivant ; et après que la terre aura été purifiée par le sang, Dieu y établira un royaume ; Storck sera mis en possession de l’autorité suprême, et remettra à des saints le gouvernement des peuples. Alors il n’y aura plus qu’une foi et qu’un baptême. Le jour du Seigneur est proche, et nous touchons à la fin du monde. Malheur ! malheur ! malheur ! » Puis, déclarant que le baptême reçu dans l’enfance était de nulle valeur, les nouveaux prophètes invitèrent tous les hommes à venir recevoir de leurs mains le baptême véritable, en signe d’introduction dans la nouvelle Église de Dieu.

Ces prédications firent une vive impression sur le peuple. Quelques âmes pieuses furent émues à la pensée que des prophètes étaient rendus à l’Église, et tous ceux qui aimaient le merveilleux se précipitèrent dans les bras des hommes excentriques de Zwickau.

Mais à peine cette vieille hérésie, qui avait déjà paru aux temps du montanisme et dans le moyen âge, eut-elle retrouvé des sectateurs, qu’elle rencontra dans la Réformation un puissant adversaire. Nicolas Haussmann, à qui Luther rendait ce beau témoignage : « Ce que nous enseignons, il le faitc, » était pasteur de Zwickau. Cet homme de bien ne se laissa pas égarer par les prétentions des faux prophètes. Il arrêta les innovations que Storck et ses adhérents voulaient introduire, et ses deux diacres agirent d’accord avec lui. Les fanatiques, repoussés par les ministres de l’Église, se jetèrent alors dans un autre excès. Ils formèrent des assemblées où des doctrines subversives étaient professées. Le peuple s’émut, des troubles éclatèrent ; un prêtre qui portait le saint sacrement fut assailli de coups de pierresd ; l’autorité civile intervint et jeta les plus violents en prisone. Indignés de cet acte, et impatients de se justifier et de se plaindre, Storck, Marc Thomas et Stubner se raidirent à Wittembergf.

c – Quod nos docemus, ille facit.

d – Einen Priester der das Venerabile getragen mit Steinen geworfen. (Seck. p. 482.)

e – Sunt et illic in vincula conjecti. (Mel. Corp. Ref. I. 513.)

f – Huc advolarunt tres viri, duo lanifices, literarum rudes, literatus tertius est. (Ibid.)

Ils y arrivèrent le 27 décembre 1521. Storck marchait en tête avec la démarche et le maintien d’un lansquenetg. Marc Thomas et Stubner le suivaient. Le trouble qui régnait dans Wittemberg favorisait leurs desseins. La jeunesse académique et la bourgeoisie, profondément émues et déjà en fermentation, étaient un sol bien préparé pour les nouveaux prophètes.

g – Incedens more et habitu militum istorum quos Lanzknecht dicimus. (L. Epp. II. 245).

Se croyant sûrs de leur appui, ils se rendirent aussitôt vers les professeurs de l’université, afin d’obtenir leur témoignage. « Nous sommes, dirent-ils, envoyés de Dieu pour instruire le peuple. Nous avons avec le Seigneur des conversations familières ; nous connaissons les choses à venirh ; en un mot, nous sommes apôtres et prophètes, et nous en appelons au docteur Luther. » Ce langage étrange étonna les docteurs.

h – Esse sihi cum Deo familiaria colloquia, videre futura… (Mel. Electori. 27 déc. 1521. Corp. Ref. I, p. 514.)

« Qui vous a ordonné de prêcher ? demanda Mélanchthon à Stubner son ancien étudiant, qu’il reçut dans sa maison. — Notre Seigneur Dieu. — Avez-vous écrit des livres ? — Notre Seigneur Dieu me l’a défendu. » Mélanchthon est ému, il s’étonne et s’effraye…

« Il y a, dit-il, des esprits extraordinaires dans ces hommes ; mais quels esprits ?… Luther seul peut en décider. D’un côté, prenons garde d’éteindre l’Esprit de Dieu : et de l’autre, d’être séduits par l’esprit du diable. »

Storck.d’un caractère remuant, quitta bientôt Wittemberg. Stubner y demeura. Animé d’un ardent prosélytisme, il parcourait toute la ville, parlant tantôt à l’un, tantôt à l’autre ; et plusieurs le reconnaissaient comme prophète de Dieu. Il s’adressa surtout à un Souabe, nommé Cellarius, ami de Mélanchthon, qui tenait une école où il instruisait dans les lettres un grand nombre de jeunes gens, et qui bientôt admit pleinement la mission des nouveaux apôtres.

Mélanchthon était de plus en plus incertain et inquiet. Ce n’étaient pas tant les visions des prophètes de Zwickau qui l’agitaient, que leur nouvelle doctrine sur le baptême. Elle lui semblait conforme à la raison, et il trouvait qu’il valait la peine d’examiner la chose ; « car, disait-il, il ne faut rien admettre ni rien rejeter à la légèrei. »

i – Censebat enim neque admittendum neque rejiciendum quicquam temere. (Camer. Vita Mel. p. 49.)

Tel est l’esprit de la Réformation. Il y a, dans ces hésitations et ces angoisses de Mélanchthon, une preuve de la droiture de son cœur, qui l’honore plus, peut-être, qu’une opposition systématique n’eût pu le faire.

L’électeur, que Mélanchthon nommait « la lampe d’Israëlj, » hésitait lui-même. « Des prophètes, des apôtres, dans l’électorat de Saxe, comme autrefois à Jérusalem ! C’est une grande affaire, dit-il ; et comme laïque je ne saurais la comprendre. Mais plutôt que d’agir contre Dieu, je prendrais un bâton à la main, et j’abandonnerais mon trône. »

j – Electori lucernæ Israel. (Camer. Vita Mel. p. 513.)

Enfin il fit dire aux docteurs, par ses conseillers, qu’on avait à Wittemberg assez d’embarras sur les bras ; qu’il était fort probable que les prétentions des hommes de Zwickau n’étaient qu’une séduction du diable, et que le parti le plus sage lui semblait être de laisser tomber toute cette affaire ; néanmoins, qu’en toute circonstance où Son Altesse verrait clairement la volonté de Dieu, elle ne prendrait conseil ni de frère, ni de mère, et qu’elle était prête à tout souffrir pour la cause de la vériték.

k – Darüber auch leiden was S. C. G. leiden sollt. (Ibid. p. 537.)

Luther apprit à la Wartbourg l’agitation qui régnait à la cour et à Wittemberg. Des hommes étranges avaient paru, et l’on ne savait d’où venait leur message. Il comprit aussitôt que Dieu avait permis ces tristes événements pour humilier ses serviteurs, et pour les exciter par l’épreuve à rechercher davantage la sanctification.

« Votre Grâce Électorale, écrivit-il à Frédéric, a fait chercher pendant longues années des reliques en tous pays. Dieu a exaucé vos désirs et vous a envoyé sans frais et sans peine une croix tout entière, avec des clous, des lances et des fouets… Grâce et prospérité pour la nouvelle relique !… Seulement que Votre Altesse étende sans crainte ses bras, et laisse les clous s’enfoncer dans sa chair !… Je me suis toujours attendu à ce que Satan nous enverrait cette plaie… »

Mais, en même temps, rien ne lui parut plus urgent que d’assurer aux autres la liberté qu’il réclamait pour lui-même. Il n’avait pas deux poids et deux mesures. « Qu’on se garde de les jeter en prison, écrit-il à Spalatin ; que le prince ne trempe pas sa main dans le sang de ces nouveaux prophètesl ! » Luther devança de beaucoup son siècle, et même plusieurs autres réformateurs, au sujet de la liberté religieuse.

l – Ne princeps manus cruentet in prophetis. (L. Epp. II. 135.)

Les circonstances devenaient de plus en plus graves à Wittembergm.

m – Ubi fiebant omnia in dies difficiliora. (Camer. Vita Mel. p. 49.)

Carlstadt rejetait plusieurs des doctrines des nouveaux prophètes, et en particulier leur anabaptisme ; mais il y a dans l’enthousiasme religieux quelque chose de contagieux, dont une tête comme la sienne ne pouvait aisément se défendre. Dès que les hommes de Zwickau furent arrivés à Wittemberg, Carlstadt précipita sa marche dans le sens des réformes violentes. « Il faut, disait-il, fondre sur toutes les coutumes impies et les renverser en un journ. » Il rappelait tous les passages de l’Écriture contre les images, et s’élevait avec une énergie croissante contre l’idolâtrie de Rome. « On s’agenouille, on rampe devant ces idoles, s’écriait-il ; on leur allume des cierges, on leur présente des offrandes… Levons-nous et arrachons-les de leurs autels ! »

n – Irruendum et demoliendum statim. (Ibid.)

Ces paroles ne retentirent pas en vain aux oreilles du peuple. On entra dans les églises, on enleva les images, on les brisa, on les brûlao. Il eût mieux valu attendre que leur abolition eût été légitimement prononcée ; mais on trouvait que la lenteur des chefs compromettait la Réformation elle-même.

o – Die Bilder zu stürmen und aus den Kirchen zu werfen. (Math. p. 81.)

Bientôt, à entendre ces enthousiastes, il n’y eut plus dans Wittemberg de vrais chrétiens que ceux qui ne se confessaient pas, qui poursuivaient les prêtres, et qui mangeaient de la viande les jours de maigre. Quelqu’un était-il soupçonné de ne pas rejeter comme invention du diable toutes les pratiques de l’Église, c’était un adorateur de Baal. « Il faut, s’écriaient-ils, former une Église qui ne soit composée que de saints ! »

Les bourgeois de Wittemberg présentèrent au conseil quelques articles auxquels il dut adhérer. Plusieurs de ces articles étaient conformes à la morale évangélique. On demandait en particulier que l’on fermât toutes les maisons de divertissement public.

Mais bientôt Carlstadt alla plus loin encore : il se mit à mépriser les études ; et l’on vit le vieux professeur conseiller, du haut de sa chaire, à ses étudiants de retourner chez eux, de reprendre la bêche, de pousser la charrue et de cultiver tranquillement la terre, puisque c’était à la sueur de son front que l’homme devait manger son pain. Le maître d’école des garçons à Wittemberg, George Mohr, entraîné par le même vertige, criait, de la fenêtre de son école, aux bourgeois assemblés, de venir reprendre leurs enfants. A quoi bon les faire étudier, puisque Storck et Stubner n’avaient jamais été à l’université, et que pourtant ils étaient prophètes ?… Un artisan valait donc autant, et mieux peut-être, que tous les docteurs du monde pour prêcher l’Évangile.

Ainsi s’élevaient des doctrines directement opposées à la Réformation. La renaissance des lettres l’avait préparée ; c’était avec les armes de la science théologique que Luther avait attaqué Rome ; et les enthousiastes de Wittemberg, comme les moines fanatiques qu’Érasme et Reuchlin avaient combattus, prétendaient fouler aux pieds toutes les connaissances humaines. Si le vandalisme venait à s’établir, l’espérance du monde était perdue ; et une nouvelle invasion des barbares allait étouffer la lumière que Dieu avait rallumée dans la chrétienté.

On vit bientôt les effets de ces étranges discours. Les esprits étaient préoccupés, agités, détournés de l’Évangile ; l’académie était désorganisée ; les étudiants démoralisés se débandaient et se dispersaient ; et les gouvernements de l’Allemagne rappelaient leurs ressortissantsp. Ainsi les hommes qui voulaient tout réformer, tout vivifier, allaient tout détruire. Encore un dernier effort, s’écriaient les amis de Rome, qui de tous côtés reprenaient courage ; encore un dernier effort, et tout sera gagnéq !…

p – Etliche Fürsten ihre Bewandten abgefordert. (Corp. Ref. I. 560.)

q – Perdita et funditus diruta. (Camer. Vit. Mel. p. 52.)

Réprimer promptement les excès des fanatiques, était le seul moyen de sauver la Réforme. Mais qui pouvait le faire ? Mélanchthon ? Il était trop jeune, trop faible, trop agité lui-même par ces étranges apparitions. L’électeur ? Il était l’homme le plus pacifique de son siècle. Bâtir ses châteaux d’Altenbourg, de Weimar, de Lochau et de Cobourg, orner ses églises des beaux tableaux de Lucas Cranach, perfectionner le chant de ses chapelles, faire fleurir son université, rendre heureux son peuple, s’arrêter même au milieu des enfants qu’il rencontrait jouant sur la route et leur distribuer de petits présents, telles étaient les plus douces occupations de sa vie. Et maintenant, dans son âge avancé, il en viendrait aux mains avec des hommes fanatiques ! il opposerait la violence à la violence ! Comment le bon, le pieux Frédéric, eût-il pu s’y résoudre ?

Le mal continuait donc, et personne ne se présentait pour l’arrêter. Luther était absent de Wittemberg. Le trouble et la ruine avaient envahi la cité. La Réformation avait vu naître dans son sein un ennemi plus redoutable que les papes et que les empereurs. Elle se trouvait sur le bord de l’abîme.

Luther ! Luther ! s’écriait-on unanimement à Wittemberg. Les bourgeois le demandaient avec instance ; les docteurs réclamaient ses conseils ; les prophètes eux-mêmes en appelaient à lui. Tous le suppliaient de revenirr.

r – Lutherum revocavimus ex heremo suo magnis de causis. (Corp. Ref. I. 566.)

On peut comprendre ce qui se passait dans l’esprit du Réformateur. Toutes les rigueurs de Rome n’étaient rien en comparaison de ce qui maintenant affligeait son âme. C’est du milieu de la Réformation même que sortent ses ennemis. Elle déchire ses propres entrailles ; et cette doctrine, qui seule a rendu la paix à son cœur agité, devient pour l’Église l’occasion de troubles funestes.

« Si je savais, avait-il dit, que ma doctrine nuisît à un homme, à un seul homme simple et obscur (ce qui ne peut être, car elle est l’Évangile même), plutôt dix fois mourir que de ne pas la rétracters. » Et maintenant toute une ville, et cette ville est Wittemberg, tombe dans l’égarement ! Sa doctrine n’y est pour rien, il est vrai ; mais de tous les points de l’Allemagne, des voix s’élèvent pour l’accuser. Des douleurs plus vives que toutes celles qu’il a jamais ressenties l’assaillent alors, et des tentations toutes nouvelles l’agitent. « Serait-ce donc là, se dit-il, la fin à laquelle devait aboutir l’œuvre de la Réformation ?… » Mais non ; il rejette ces doutes : Dieu a commencé… Dieu accomplira. « Je me traîne en rampant vers la grâce de l’Éternel, s’écrie-t-il, et je lui demande que son nom demeure attaché à cette œuvre, et que s’il s’y est mêlé quelque chose d’impur, il se souvienne que je suis un homme pécheurt. »

s – Möchte ich ehe zehn Tode leyden. (Wieder Emser. L. Opp. XVIII. 613.)

t – Ich krieche zu seiner Gnaden. (L. Opp. XVIII. 615.)

Ce qu’on écrivait à Luther de l’inspiration des nouveaux prophètes et de leurs entretiens sublimes avec Dieu, ne l’ébranla pas un moment. Il connaissait les profondeurs, les angoisses et les humiliations de la vie spirituelle ; il avait fait à Erfurt et à Wittemberg des expériences de la puissance de Dieu, qui ne lui laissaient pas croire si facilement que Dieu apparût à la créature et s’entretînt avec elle. « Demande-leur, écrivit-il à Mélanchthon, s’ils ont éprouvé ces tourments spirituels, ces créations de Dieu, ces morts et ces enfers qui accompagnent une régénération véritableu… Et s’ils ne te parlent que de choses agréables, d’impressions tranquilles, de dévotion et de piété, comme ils disent, ne les crois pas, quand même ils prétendraient avoir été ravis au troisième ciel. Pour que Christ parvint à sa gloire, il a dû passer par la mort ; ainsi le fidèle doit passer par l’angoisse du péché avant de parvenir à la paix. Veux-tu connaître le temps, le lieu, la manière dont Dieu parle avec les hommes ? Écoute : Il a brisé tous mes os comme un lion : je suis rejeté de devant sa face, et mon âme est abaissée jusqu'aux portes de l'enfer… Non ! la majesté divine (comme ils l’appellent) ne parle pas à l’homme immédiatement, en sorte que l’homme la voie ; car nul homme, dit-elle, ne peut me voir et vivre. »

u – Quæras num experti sint spirituales illas angustias et nativitates divinas, mortes infernosque. (L. Epp. II. 215.)

Mais la conviction de l’erreur où se trouvaient les prophètes, ne faisait qu’augmenter la douleur de Luther. La grande vérité d’un salut par grâce a-t-elle donc si promptement perdu ses attraits, que l’on s’en détourne pour s’attacher à des fables ? Il commence à éprouver que l’œuvre n’est pas si facile qu’il l’avait cru d’abord. Il se heurte contre cette première pierre que les égarements de l’esprit humain viennent placer sur sa route ; il s’afflige, il est dans l’angoisse. Il veut, au prix de sa vie, l’ôter du chemin de son peuple, et se décide à retourner à Wittemberg. De grands dangers le menaçaient alors. Les ennemis de la Réformation se croyaient près de la détruire. George de Saxe, qui ne voulait ni de Rome, ni de Wittemberg, avait écrit, dès le 16 octobre 1521, au duc Jean, frère de l’électeur, pour l’entraîner dans les rangs des ennemis de la Réforme. « Les uns, lui avait-il dit, nient que l’âme soit immortelle. D’autres (et ce sont des moines !) traînent les reliques de saint Antoine avec des grelots et des cochons, et les jettent dans la bouev. Et tout cela provient de la doctrine de Luther ! Suppliez votre frère l’électeur ou de punir les auteurs impies de ces innovations, ou de faire connaître publiquement le fond de sa pensée. Nos barbes et nos cheveux qui blanchissent, nous avertissent que nous avons atteint le dernier quartier de la vie, et nous pressent de mettre fin à tant de maux. »

v – Mit Schweinen und Schellen… in Koth geworfen. (Weimar. Ann. Seck. p. 482.)

Puis George partit pour siéger au sein du gouvernement impérial établi à Nuremberg. A peine arrivé, il mit tout en œuvre pour lui faire adopter des mesures sévères. En effet, ce corps rendit, le 21 janvier, un édit où il se plaignait amèrement de ce que des prêtres disaient la messe sans être revêtus de l’habit sacerdotal, consacraient le saint sacrement en langue allemande, le donnaient sans avoir reçu la confession nécessaire. le plaçaient dans des mains laïques, et ne s’inquiétaient pas même si ceux qui se présentaient pour le prendre étaient à jeunw.

w – In ihre laïsche Hände reiche. (L. Opp. XVIII. 285.)

Le gouvernement impérial sollicitait eu conséquence les évêques de rechercher et de punir avec rigueur tous les novateurs qui pourraient se trouver dans leurs diocèses respectifs. Ceux-ci s’empressèrent de se conformer à ces ordres.

Tel était le moment que Luther choisissait pour reparaître sur la scène. Il voyait le danger, il prévoyait d’immenses désastres. « Il y aura bientôt dans l’Empire, disait-il, un tumulte qui entraînera pêle-mêle princes, magistrats, évêques. Le peuple a des yeux ; il ne peut être mené par la force. L’Allemagne nagera dans son sangx. Plaçons-nous comme un mur pour sauver notre nation, dans ce jour de la grande fureur de l’Éternel. »

x – Germaniam in sanguine natare. (L. Epp. II. 157.)

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