Histoire de la Réformation du seizième siècle

11.2

Caresses du pape – Progrès de la Réforme – L’image de Stadelhofen – Sacrilège – Les ornements des saints

La Réformation l’emportait ; elle devait maintenant hâter ses conquêtes. Après cette bataille de Zurich où les plus habiles champions de la papauté étaient demeurés muets, qui aurait encore le courage de s’opposer à la doctrine nouvelle ?… Cependant on essaya d’autres armes. La fermeté de Zwingle et ses allures républicaines imposaient à ses adversaires ; aussi recourut-on, pour le subjuguer, à des moyens particuliers. Tandis que Rome poursuivait Luther de ses anathèmes, elle s’efforça de gagner par la douceur le réformateur de Zurich. A peine la dispute était-elle terminée, que Zwingle vit arriver le capitaine des gardes du pape, fils du bourgmestre Roust, accompagné du légat Einsius, chargé pour lui d’un bref pontifical, où Adrien VI appelait Zwingle son fils bien-aimé, et lui faisait connaître sa faveur toute particulièrej. » En même temps le pape faisait presser Zink de gagner Zwingle. « Et qu’est ce que le pape vous charge donc de lui offrir ? » demanda Oswald Myconius. « Tout, répondit Zink, excepté le siège pontificalk. »

j – Cum de tua egregia virtute specialiter nobis sit cognitum. (Zw. Epp. p. 266.)

k – Serio respondit: Omnia certe præter sedem papalem. (Vita Zwingli, per Osw. Myc.)

Il n’y avait pas de mitre et de crosse, il n’y avait pas de chapeau de cardinal, au prix duquel le pape n’eût voulu gagner le réformateur zuricois. Mais Rome se faisait sur son compte d’étranges illusions ; toutes ces offres étaient inutiles. L’Église romaine avait en Zwingle un ennemi plus impitoyable encore que Luther. Il se souciait moins que celui-ci des idées et des rites des siècles antérieurs ; et il lui suffisait qu’à une coutume, innocente en elle-même, se trouvât attaché quelque abus, pour faire main basse sur elle. La Parole de Dieu, pensait-il, devait seule demeurer debout.

Mais si Rome avait si peu l’intelligence des choses qui se passaient alors dans la chrétienté, elle trouvait des conseillers qui cherchaient à la remettre dans la voie.

Faber. irrité de voir le pape s’abaisser ainsi devant son adversaire, se hâta de l’éclairer. Homme de cour, ayant toujours le sourire sur les lèvres, des paroles mielleuses dans la bouche, il était, à l’entendre, l’ami de tout le monde, et de ceux même qu’il accusait d’hérésie. Mais ses haines étaient mortelles. Aussi, jouant sur le nom de Faber, le réformateur disait-il : « Le vicaire de Constance est un forgeron… de mensonges. Qu’il coure franchement aux armes et qu’il voie comment Christ nous défendl. »

l – Prodeant volo, palamque arma capiant. (Zw. Epp. p. 292.)

Ces paroles n’étaient pas une vaine bravade ; car tandis que le pape parlait à Zwingle de ses éminentes vertus et de la confiance particulière qu’il avait en lui, les ennemis du réformateur se multipliaient en Suisse. Les anciens soldats, les grandes familles, les pâtres des montagnes, unissaient leurs haines contre cette doctrine qui contrariait leurs goûts. A Lucerne, on annonçait le spectacle pompeux de la Passion de Zwingle ; en effet, on traînait au supplice un mannequin qui représentait le réformateur, en criant qu’on allait mettre à mort l’hérétique ; et saisissant quelques Zuricois qui étaient à Lucerne, on les obligeait à être spectateurs de cette ridicule exécution. « Ils ne troubleront pas ma paix, dit Zwingle ; Christ ne manquera jamais aux siensm. » La diète elle-même retentissait de menaces contre lui. « Chers confédérés, disait aux cantons le conseiller de Mullinen, opposez-vous à temps à la cause luthérienne… A Zurich on n’est déjà plus maître dans sa maison ! »

m – Christum suis nunquam defecturum. (Ibid. p. 278.)

Cette agitation des adversaires annonçait ce qui se passait dans Zurich, mieux encore que toutes les proclamations n’eussent pu le faire. En effet, la victoire portait ses fruits ; les vainqueurs prenaient peu à peu possession du pays, et chaque jour l’Évangile faisait de nouveaux progrès. Vingt-quatre chanoines, un grand nombre de chapelains, vinrent eux-mêmes demander au conseil une réforme de leurs statuts. On résolut de substituer à ces prêtres paresseux, des hommes pieux et savants, chargés de donner à la jeunesse zuricoise une instruction chrétienne et libérale, et d’établir, à la place de leurs vêpres et de leurs messes latines, une explication quotidienne d’un chapitre de la Bible, d’après les textes hébreu et grec, d’abord pour les savants, puis, aussitôt après, pour le peuple.

Il y a malheureusement, dans toutes les armées, de ces enfants perdus qui se détachent des corps de bataille et portent trop tôt l’attaque sur des points qu’il fallait encore respecter. Un jeune prêtre, Louis Hetzer, ayant publié en allemand un livre intitulé : « Jugement de Dieu contre les images, » cet écrit produisit un grand effet, et les images devinrent la préoccupation constante d’une partie de la population. Ce n’est qu’au détriment des choses essentielles qui doivent l’occuper, que l’homme se préoccupe de choses secondaires. Un crucifix ciselé avec soin et richement orné était placé en dehors de l’une des portes de la ville, au lieu appelé Stadelhofen. Les hommes les plus ardents de la Réforme, choqués des superstitions auxquelles cette image donnait lieu, ne pouvaient plus passer près d’elle sans exprimer leur indignation. Un bourgeois nommé Claude Hottinger, homme honnête, dit Bullinger, et bien instruit dans la sainte « Écriture, » ayant rencontré le meunier de Stadelhofen, auquel le crucifix appartenait, lui demanda quand il ferait abattre ces idoles. « Personne ne t’oblige à les adorer, avait répondu le meunier. — Mais ne sais-tu pas, avait repris Hottinger, que la Parole de Dieu nous défend d’avoir des images taillées ? — Eh bien, reprit le meunier, si tu es autorisé à les abattre, je te les abandonne. » Hottinger se crut en droit d’agir, et peu après, c’était un des derniers jours de septembre, on le vit sortir de la ville avec une compagnie de bourgeois. Arrivés près du crucifix, ils creusèrent tranquillement tout alentour, jusqu’à ce que l’image cédât à leurs efforts et tombât à terre avec bruit.

Cette action hardie répandit partout l’effroi ; on eût dit qu’avec le crucifix de Stadelhofen la religion même avait été renversée. « Ce sont des sacrilèges ! Ils sont dignes de mort ! » s’écriaient les amis de Rome. Le conseil fit saisir les bourgeois iconoclastes.

« Non, » dirent alors du haut des chaires, Zwingle et ses collègues, Hottinger et ses amis ne sont pas coupables envers Dieu et dignes de mortn. Mais ils peuvent être châtiés pour avoir agi avec violence et sans l’autorisation des magistratso. »

n – On peut voir l’exposition des mêmes principes dans les discours de MM. de Broglie et Royer-Collard, lors des fameux débats sur la loi du sacrilège.

o – Dorum habend ir unser Herren kein rächt zu inen, sy zu töden. (Bull. Chron. p. 127.)

Cependant des actes semblables se multipliaient. Un vicaire de l’église de Saint-Pierre, voyant un jour devant l’église beaucoup de pauvres sans vêtements et sans nourriture, dit à l’un de ses collègues, en portant les yeux sur les images pompeusement parées des saints : « Je voudrais dépouiller ces idoles de bois, pour revêtir ces pauvres membres de Jésus-Christ. » Peu de jours après, à trois heures du matin, les saints et tous les ornements disparurent. Le conseil fit jeter le vicaire en prison, bien qu’il déclarât n’être point coupable de ce fait. « Eh quoi ! s’écria le peuple, est-ce des morceaux de bois que Jésus nous a ordonné de vêtir ? Est-ce à l’occasion de ces images qu’il dira aux justes : J'étais nu et vous m'avez vêtu ?… » Ainsi la Réformation repoussée s’élevait avec d’autant plus de force ; et plus on la comprimait, plus elle s’élançait avec violence et menaçait de tout renverser.

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