Histoire de la Réformation du seizième siècle

14.2

Le couronnement – L’Empereur sert la messe – L’Église et l’Etat dans la Papauté – Malaise du Pape – Alarmes et courage des Protestants – Avis de Luther et de Brück – Départ de l’Électeur et des théologiens – Luther à Cobourg – Charles à Innsbrück – Deux partis à la cour – Opinion de Gattinara – Trois princes ultramontains.– Caractère de l’Électeur – Manœuvres des ultramontains – Premier échec

Charles-Quint, comme jadis Charlemagne et plus tard Napoléon, voulait être couronné par le Pape, et avait d’abord pensé à se rendre, dans ce dessein, à Rome ; mais les lettres pressantes de Ferdinand lui firent choisir Bolognef. Il fixa le 22 février pour recevoir la couronne de fer comme roi de Lombardie, et résolut de recevoir la couronne d’or comme empereur des Romains le 24 du même mois, jour qui était à la fois celui de sa naissance et l’anniversaire de la bataille de Pavie, et qu’il pensait lui être toujours favorableg.

f – Sopravennero lettere di Germania che lo sollicittavano a transferirsi in quella provincia. (Guicciardini, L. 20.)

g – Natali suo quem semper felicem habuit. (Seckend. 2, p. 150.)

Les fonctions d’honneur qui appartenaient aux électeurs de l’Empire avaient été données à des étrangers ; dans le couronnement de l’Empereur d’Allemagne, tout était espagnol ou italien. Le sceptre était porté par le marquis de Montferrat, le glaive par le duc d’Urbin, et la couronne d’or par le duc de Savoie. Un seul prince allemand de peu d’importance, le comte palatin Philippe, était présent : il portait le globe. Après ces seigneurs, venait l’Empereur lui-même entre deux cardinaux ; puis les membres de son conseil. Toute cette procession défilait sur un pont magnifique établi entre le palais et l’église. Au moment où l’Empereur arrive à l’église de San-Petronio, où le couronnement devait se faire, l’échafaudage craque derrière lui et s’écroule, en sorte que plusieurs personnes de sa suite sont blessées, et que la multitude s’enfuit pleine d’effroi. Charles, tranquille, se retourne et sourit, ne doutant pas que sa bonne étoile ne l’ait sauvé.

Enfin Charles-Quint est devant le trône où siégeait Clément VII. Mais, avant que d’être fait empereur, il devait être promu aux ordres sacrés. Le Pape lui présenta le surplis et l’aumusse pour le faire chanoine de Saint-Pierre et de Saint-Jean de Latran, et aussitôt les chanoines de ces deux églises le dépouillèrent de ses ornements royaux et le revêtirent des habits sacrés. Le Pape monta à l’autel et commença la messe, et le nouveau chanoine s’approcha pour la servir. Après l’offertoire, l’Empereur-diacre présenta l’eau au pontife : puis il se mit à genoux entre deux cardinaux, et communia de la main du Pape. Alors l’Empereur étant revenu près de son trône, les princes le revêtirent du manteau impérial apporté de Constantinople, et tout étincelant de diamants. Charles se mit humblement à genoux devant Clément VII.

Le pontife l’ayant oint d’huile et lui ayant remis le sceptre, lui présenta l’épée nue, et lui dit : « Servez-vous-en pour la défense de l’Église contre les ennemis de la foi. » Ensuite, saisissant le globe d’or semé de pierreries que tenait le comte palatin : « Gouvernez le monde, dit-il, avec piété et avec fermeté. » Alors s’approcha le duc de Savoie, qui portait la couronne d’or enrichie de diamants ; le prince baissa la tête, et le pontife le couronna en disant : « Charles, empereur invincible, recevez cette couronne que nous vous mettons sur la tête, en témoignage à toute la terre de l’autorité qui vous est confiée. »

Alors l’Empereur, baisant la croix blanche brodée sur la pantoufle rouge du Pape, s’écria : « Je jure d’employer à jamais toutes mes forces à défendre la dignité pontificale et l’Eglise de Romeh. »

h – Omnibus viribus, ingenio, et facultatibus suis Pontificue dignitatis et Romanæ Ecclesiæ perpetuum fore defensorem. (Cœlestin. Hist. Commit. Aug. 16.)

Puis, les deux princes s’étant assis sous un même dais, mais sur des trônes inégaux, celui de l’Empereur étant plus bas d’un demi-pied, le cardinal-diacre proclama au peuple « l’invincible empereur, défenseur de la foi ; » et pendant une demi-heure on n’entendit que le bruit de la mousqueterie, des trompettes, des tambours, des fifres, des cloches de toute la ville et des cris de la multitude. Ainsi était de nouveau proclamée l’union intime de la politique et de la religion. Le grand Empereur transformé en diacre romain, et servant humblement la messe comme chanoine de Saint-Pierre, avait figuré et constaté l’union indissoluble de l’Église romaine et de l’État.

C’est l’une des doctrines essentielles de la Papauté, et l’un des caractères les plus marquants qui la distinguent de l’Église évangélique et chrétienne.

Néanmoins, durant toute cette cérémonie, le Pape semblait mal à son aise, et soupirait dès que les regards ne se portaient pas sur lui. Aussi l’ambassadeur français écrivit-il à sa cour que ces quatre mois que le Pape et l’Empereur avaient passés ensemble à Bologne, porteraient des fruits dont le roi de France n’aurait certes pas à se plaindrei.

i – Lettre à M. l’Admiral du 25 février. Legrand, Histoire du divorce, III, p. 386.

A peine Charles-Quint s’était-il relevé de l’autel de San-Petronio, qu’il se dirigea vers l’Allemagne, et parut sur les Alpes comme l’oint de la Papauté. La lettre de convocation, si indulgente et si bénigne, semblait oubliée : on ne pensait dans la caravane impériale qu’à des mesures de rigueur, et le légat Campeggi ne cessait de souffler d’irritantes paroles à l’oreille de Charles. « Au premier bruit de l’orage qui les menace, dit Granvelle, on verra les Protestants s’enfuir chacun de son côté, comme de timides colombes sur lesquelles fond l’aigle des Alpesj. »

j – Tanquam columbæ, adveniente aquila, dispergentur. (Rommel Anmerkungen, p. 236.)

La terreur fut grande dans l’Empire ; déjà même le peuple effrayé, et appréhendant les plus grands désastres, répétait partout que Luther et Mélanchthon étaient morts. « Hélas ! disait, en apprenant ces discours, Mélanchthon consumé de tristesse, ce bruit n’est que trop véritable, car je meurs tous les joursk. » Mais Luther, au contraire, levant courageusement vers le ciel le regard de la foi, s’écriait : « Nos ennemis triomphent, mais pour bientôt périr. » En effet, les conseils de l’Électeur déployaient une audace inouïe : « Rassemblons nos soldats, disaient-ils, marchons sur le Tyrol, et fermons à l’Empereur le passage des Alpesl. » Philippe de Hesse, en apprenant ces paroles, jeta un cri de joie : enfin l’épée de Charles a réveillé les indolents Saxons. Aussitôt de nouveaux courriers envoyés par Ferdinand partent pour presser l’arrivée de Charles, et l’Allemagne est dans l’attente.

k – Ego famam de qua scribis intelligo nimis veram esse, morior enim quotidie. (Corp. Ref. 2, p. 122.)

l – Cum copiis quas habitant per Tyrolensem ditionem incedenti occurrere et Alpium transitum impedire. (Seckend. 2, p. 150.)

Avant que d’accomplir ce gigantesque dessein, l’Électeur voulut encore une fois consulter Luther. Il lui fit donc demander s’il était permis de résister à Sa Majesté Impériale dans le cas où elle voudrait contraindre quelqu’un pour cause de conscience.

L’Empereur n’était au milieu des Électeurs que le premier entre ses égaux, et il était permis à des princes indépendants de résister à un autre prince, fût-il même plus élevé qu’eux. Mais Luther, craignant par-dessus tout le bras séculier, répondit, le 6 mars : « Les sujets de nos princes sont aussi sujets de l’Empereur, et le sont même plus qu’ils ne le sont des princes. Protéger, les armes à la main, les sujets de l’Empereur contre l’Empereur, ce serait comme si le bourgmestre de Torgau voulait, avec les armes, protéger ses bourgeois contre l’Électeur.

Que faut-il donc faire ? — Le voici, répond Luther. Si l’Empereur veut marcher contre nous, qu’aucun prince ne prenne notre défense : Dieu est fidèle, il ne nous délaissera pas. »

Les préparatifs de guerre furent aussitôt abandonnés, le Landgrave poliment éconduit, et la confédération dissoute. Dieu voulait que sa cause se présentât devant l’Empereur sans ligue et sans soldats, n’ayant que la foi pour triompher.

Jamais peut-être on ne vit tant de hardiesse dans des hommes faibles et désarmés ; mais jamais aussi, quoique sous une apparence d’aveuglement, tant de sagesse et d’intelligence.

On examina alors dans les conseils de l’Électeur s’il se rendrait à la Diète ; la plupart de ses conseillers s’y opposaient. « N’est-ce pas tout hasarder, disaient-ils, que d’aller s’enfermer dans les murs d’une ville avec un puissant ennemi ? »

Bruck et le Prince électoral furent d’un avis contraire. Le devoir était, selon eux, un meilleur conseiller que la crainte. « Quoi ! disaient-ils, l’Empereur n’insisterait tant sur la présence des princes à Augsbourg que pour les attirer dans un piège ?… Nous ne pouvons lui imputer une telle perfidie. » Le Landgrave, au contraire, appuya l’avis de la majorité. « Souvenez-vous de Plaisance, dit-il : telle circonstance imprévue peut engager l’Empereur à prendre d’un coup de filet tous ses ennemis. »

Le Chancelier tint ferme. « Que les princes se comportent seulement avec courage, s’écria-t-il, et la cause de Dieu est sauvée ! » On se décida pour le parti le plus noble.

Cette Diète devait être un concile laïque, ou tout au moins une convention nationalem. Les Protestants prévoyaient qu’on leur ferait d’abord quelques concessions peu importantes, et puis qu’on leur demanderait de sacrifier leur foi. Il fallait donc établir quels étaient les articles essentiels de la vérité chrétienne, afin de savoir si, comment et jusqu’à quel point on pourrait, en bonne conscience, s’entendre avec les adversaires. L’Électeur fit en conséquence écrire, le 14 mars, aux quatre principaux théologiens de Wittemberg pour leur demander ce travail, toute affaire cessante. Ainsi, au lieu de rassembler des soldats, ce prince recueillait des articles. C’était le meilleur armement.

m – Cum hæc comitia pro concilio aut conventu nationali haberi videantur. (Seck., II, p. 17. Lettre de l’Électeur. — Corp. Ref., II, p. 26.)

Luther, Mélanchthon et Jonas (Poméranus restant à Wittemberg), arrivèrent à Torgau dans le cours de la semaine de Pâques, et demandèrent de remettre eux-mêmes leurs articles à Charles-Quintn. « A Dieu ne plaise ! répondit l’Électeur ; je veux aussi, moi, confesser mon Seigneur. »

n – On retrouve divers projets dans Forstenmanns UrkunHenbuch, I, p. 63 à 108, et dans le Corpus Reform., IV, p. 973 et suiv. Les articles qui furent présentés sont sans doute les Articuli non concedendi : articles sur lesquels il ne faut pas céder. Ils traitent des deux espèces, du célibat, de la messe, des ordres, du pape, des couvents, de la confession, de la distinction des viandes, et des sacrements. (Corp. Réf., IV, p. 981.)

Puis Jean, ayant confié à Mélanchthon la rédaction définitive de la confession et ordonné des prières générales, se mit en route le 3 avril, avec cent soixante cavaliers couverts de riches casaques d’écarlate brodées d’or.

Chacun comprenait quels dangers menaçaient l’Électeur et la cause de l’Évangile ; aussi plusieurs, dans son escorte, marchaient-ils l’œil morne et l’âme abattue. Mais Luther, plein de foi, relevait le courage de ses amis, en composant et chantant de sa belle voix le cantique devenu dès lors si fameux : Ein' veste Burg ist unser Gott. « C’est une forte forteresse que notre Dieuo. » Jamais une âme qui connaît sa faiblesse, mais qui, regardant à Dieu par la foi, méprise toutes les terreurs, ne trouva de si nobles accents :

o – C’est de la deuxième strophe que nous donnons une très faible traduction.

Le néant… voilà notre état,
La mort… voilà notre conquête ;
Mais un homme, pour nous, combat,
Dont Dieu même couvre la tête.
Quel est son nom ? C’est Jésus-Christ,
Qui du ciel commande l’armée.
Seul il reste, par son Esprit,
Sur le champ couvert de fumée.

On chanta ce cantique pendant la Diète, non seulement à Augsbourg, mais encore dans toutes les églises de la Saxe ; et souvent l’on vit ces énergiques accords relever et enthousiasmer les esprits les plus abattusp.

p – Qui tristem etiam et abjectum animum erigere et exhalirare, et velut ἐνθουσιάζειν possent. (Scult., V. p. 370.)

La veille de Pâques, la caravane arriva à Cobourg ; le 23 avril, l’Électeur se remit en marche ; mais, au moment du départ, Luther reçut l’ordre de demeurer. « Il s’est trouvé quelqu’un qui m’a dit : Tais-toi, tu as la voix aigre, » écrivit-il à l’un de ses amisq. Il se soumit toutefois sans hésiter, donnant l’exemple de cette obéissance passive qu’il prêchait si fort. L’Electeur craignait que la présence de Luther n’exaspérât encore plus ses adversaires, et ne portât Charles à quelque extrémité ; la ville d’Augsbourg lui avait écrit dans ce sens. Mais, en même temps, Jean tenait à conserver le Réformateur à sa portée, de manière à pouvoir prendre ses avis. Luther s’établit donc dans le château de Cobourg, bâti sur une hauteur d’où l’on domine la ville et la rivière de l’Itz, et se logea dans l’étage supérieur, du côté du midi. C’est de là qu’il écrivit ses nombreuses lettres datées de la région des oiseaux ; c’est là aussi que, pendant plusieurs mois, il eut à soutenir avec son ancien ennemi de la Wartbourg, Satan, des luttes si pleines de ténèbres et d’angoisses.

q – Sed erat qui diceret : Tace tu, habes malam vocem. (L. Epp., IV, p. 2.)

Le 2 mai, l’Électeur arriva à Augsbourg. On avait cru qu’il s’abstiendrait, et, au grand étonnement de tous, il était le premier au rendez-vousr. Il envoya aussitôt Dolzig, maréchal de sa cour, au-devant de l’Empereur pour le complimenter. Le 12 mai, Philippe de Hesse, qui s’était enfin décidé à ne pas se séparer de son allié, arriva aussi, entouré de cent quatre-vingt-dix cavaliers. Presque en même temps l’Empereur entra dans Innsbrück, en Tyrol, accompagné de son frère, des reines de Hongrie et de Bohême, des ambassadeurs de France, d’Angleterre et de Portugal, de Campeggi, légat du Pape, d’autres cardinaux, et de plusieurs princes et seigneurs d’Allemagne, d’Espagne et d’Italie.

r – Mirantibus hominibus. (Seck., II, p. 153).

On ne tenait pas à faire monter les hérétiques sur l’échafaud, mais on voulait faire en sorte qu’infidèles à leur foi, ils fléchissent les genoux devant le Pape. Charles s’arrêta à Innsbrück pour assurer la réussite de ses projets.

A peine eut-on appris son arrivée, qu’une foule de princes, de seigneurs, de prêtres, accoururent de tous côtés, et plus de 270 000 écus, prélevés en Italie, servirent à faire comprendre aux Germains la justice de la cause de Rome. « Tous ces hérétiques, disait-on, vont tomber en terre, et ramper aux pieds du Papes. »

s – Zum Kreutz kriechen werden. (Mathesius Pred., p. 91.) Il s’agit de la croix brodée sur la pantoufle du pape.

Charles ne pensait pas de même. Il était, au contraire, étonné de voir la puissance que la Réformation avait acquise. Il eut même un moment l’idée de laisser là Augsbourg, et d’aller droit à Cologne y proclamer son frère roi des Romainst. Ainsi l’intérêt religieux eût cédé le pas à l’intérêt dynastique ; au moins le bruit en courut-il. Mais Charles-Quint ne s’arrêta pas à cette pensée. La question de la Réformation était là, grossissant d’heure en heure, et l’on ne pouvait l’éluder.

t – Iter Coloniam versus decrevisse. (Epp. Zw. May 13.)

Deux partis se partageaient la cour impériale. L’un, nombreux et actif, demandait que l’Empereur annulât simplement l’édit de Worms, et, sans entendre les Protestants, condamnât leur causeu. A la tête de ce parti se trouvait le Légat. « N’hésitez pas, disait-il à Charles, confisquez leurs biens, établissez l’inquisition, et punissez avec le fer et le feu ces hérétiques obstinésv. » Les Espagnols, qui appuyaient fort ces exhortations, ne laissaient pas que de se livrer à la débauche, en sorte que plusieurs d’entre eux furent arrêtés pour séductionw. C’était un triste échantillon de la foi qu’ils voulaient imposer à l’Allemagne. Rome a toujours fait bon marché des mœurs.

u – Alii censent Cæsarem debere, edicto proposito, sine ulla cogitatione damnare causam nostram. (Corp. Ref. 2, p. 57.)

vInstructio data Casari, dal Reverendissimo Campegio (Ranke, 3, p. 288.)

w – Sich die Spanier zu Inspruck unflathig gehalten. (Corp. Ref. 2, p. 56.)

Gattinara, quoique malade, s’était traîné à la suite de Charles pour paralyser l’influence du Légat. Adversaire prononcé de la politique romaine, il pensait que les Protestants pouvaient rendre de grands services à la chrétienté. « Il n’y a rien que je désire autant, disait-il, que de voir l’Électeur de Saxe et ses alliés persévérer courageusement dans la profession de l’Évangile, et réclamer un concile pieux et libre. S’ils se laissent arrêter par des menaces ou des promesses, j’hésite moi-même, je chancelle, et je doute de la voie du salutx. » Les hommes éclairés et honnêtes de la Papauté (et il y en a toujours eu un certain nombre) sympathisent nécessairement avec la Réforme.

x – Semper vacillaturum de vera et certa salutis adipiscendæ ratione. (Seck. 2, p. 57.)

Charles-Quint, exposé à ces influences contraires, désirait ramener l’Allemagne à l’unité religieuse par son intervention personnelle ; il se crut un moment sur le point d’y réussir.

Parmi les personnages accourus à Innsbrück, se trouvait le malheureux Christian, roi de Danemark, beau-frère de Charles. En vain avait-il offert à son peuple, pour expier les cruautés dont on l’accusait, de faire un pèlerinage à Rome ; ses sujets l’avaient chassé. Arrivé en Saxe, chez son oncle l’Électeur, il y avait entendu Luther, et avait embrassé la doctrine évangélique, au moins quant à la profession extérieure. Le pauvre roi détrôné ne résista pas à l’éloquence du puissant monarque des deux mondes, et Christian, gagné par Charles-Quint, se remit publiquement sous le sceptre de la hiérarchie romaine. Tout le parti papal poussa un cri de triomphe : rien n’égale sa crédulité, et l’importance qu’il attache à des accessions sans valeur. « Je ne puis décrire l’émotion dont cette nouvelle m’a rempli, » écrivit Clément VII à Charles-Quint, d’une main que la joie rendait tremblante. « L’éclat des vertus de Votre Majesté commence enfin à dissiper les ténèbres. Cet exemple va entraîner des conversions sans nombre. »

On en était là, quand arrivèrent précipitamment à Innsbrück le duc George de Saxe, le duc Guillaume de Bavière et l’électeur Joachim de Brandebourg, les trois plus grands ennemis de la Réformation parmi les princes de l’Allemagne. La tranquillité de l’Électeur, qu’ils avaient vu à Augsbourg, les avait effrayés, car ils ne connaissaient point la source où Jean puisait son courage ; ils s’imaginèrent qu’il roulait dans sa tête de perfides desseins. « Ce n’est point sans raison, dirent-ils à Charles, que l’électeur Jean s’est rendu le premier à Augsbourg, et qu’il y paraît avec une suite si considérable ; il veut s’assurer de votre personne. Agissez donc avec énergie, et permettez que nous offrions à Votre Majesté une garde de six mille chevauxy. » On tint aussitôt conférence sur conférence. Les Protestants furent effrayés. « On tient diète à Innsbrück, dit Mélanchthon, sur le meilleur moyen d’avoir nos têtesz. » Mais Gattinara obtint que Charles maintint sa neutralité. Pendant que l’on s’agitait ainsi dans le Tyrol, les chrétiens évangéliques, au lieu de courir sur les places d’armes, comme on les en accusait, faisaient monter leurs requêtes vers le ciel, et les princes protestants se préparaient à rendre compte de leur foi.

y – Ut mascule ageret, sex mille equitum præsidium ei offerentes. (Seck. 2, p. 156.)

z – Ibi habentur de nostris cervicibus comitia. (Corp. Ref. 2, p. 45.)

L’électeur de Saxe tenait le premier rang parmi eux. Plein de cordialité, droit et chaste dès sa jeunesse, dégoûté de bonne heure des brillants tournois auxquels il avait d’abord pris part, Jean de Saxe avait salué avec joie le jour de la Réformation, et la lumière évangélique avait peu à peu pénétré son esprit grave et recueilli. Son plaisir était de se faire lire les saintes Écritures, durant les dernières heures du jour. Il est vrai que, parvenu à un âge avancé, le pieux Électeur s’endormait quelquefois ; mais bientôt il se réveillait en sursaut, et répétait à haute voix le dernier passage. Modeste, ami de la paix, il y avait pourtant en lui une énergie qu’excitaient puissamment les grands intérêts de la foi. Il n’est aucun prince, dans le seizième siècle, et peut-être depuis les premiers temps de l’Église, qui ait fait autant que Jean de Saxe pour la cause de l’Évangile. Ce fut sur lui aussi que se dirigèrent les premiers efforts des Papistes.

On voulait, pour le gagner, suivre une tactique toute différente de celle qu’on avait mise auparavant en œuvre. A Spire, les Évangéliques n’avaient trouvé partout que des regards irrités ; à Augsbourg, au contraire, les Papistes leur faisaient bonne mine : ils représentaient comme de pures bagatelles les différences qui séparaient les deux partis, et glissaient, dans des entretiens intimes, des paroles pleines de douceur, « cherchant ainsi à faire mordre à l’appât les Protestants crédules, » dit un historiena. Ceux-ci se laissèrent prendre à ces habiles manœuvres.

a – Seckendorf.

Charles-Quint était convaincu que les simples Allemands ne pourraient résister à son étoile.« Le roi de Danemark s’est bien converti, lui disait-on : pourquoi l’Électeur ne suivrait-il pas son exemple ? Attirons-le dans l’atmosphère impériale. » Aussitôt on fit inviter Jean à venir s’entretenir familièrement avec l’Empereur à Innsbrück, l’assurant qu’il pouvait compter sur la faveur particulière de Charles.

Le prince électoral Jean-Frédéric, qui, en voyant les avances des Papistes, s’était d’abord écrié : « Nous nous comportons avec tant de maladresse, que cela fait pitié ! » se laissa lui-même tromper par cette ruse. « Les princes papistes, dit-il à son père, mettent tout en œuvre pour vous noircir. Allez à Innsbrück, afin de dissiper ces sourdes pratiques ; ou, si vous y répugnez, envoyez-moi à votre place. » Cette fois-ci le prudent Électeur modéra la précipitation de son fils. Il répondit aux ministres de Charles qu’il ne convenait pas de traiter les affaires de la Diète dans un autre lieu que celui que l’Empereur avait lui-même désigné, et qu’il priait en conséquence Sa Majesté de hâter son arrivée. Ce fut le premier échec de Charles.

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