Histoire de la Réformation du seizième siècle

14. La confession d’Augsbourg

1530

14.1

Deux grandes leçons – Charles-Quint en Italie – Les trois députés allemands – Hardiesse des députés – Présent du Landgrave à Charles – Les députés aux arrêts – Ils sont délivrés – Rencontre de Charles et de Clément – Proposition d’un concile libre – La guerre est imminente – Objections de Luther – Le sauveur vient – Le prophète Daniel – Invitation conciliante de Charles

La Réformation s’était accomplie au nom d’un principe spirituel. Elle avait proclamé comme enseignement la parole de Dieu ; comme salut, la foi ; comme roi, Jésus-Christ ; comme arme, le Saint-Esprit ; et par là même elle avait repoussé les éléments du monde. Rome avait été établie par la loi d'une ordonnance charnelle ; la Réformation l’était par la puissance d'une vie qui ne doit point finira.

aHébreux 7.16.

S’il est un dogme qui distingue le christianisme de toutes les religions, c’est celui de sa spiritualité. Une vie céleste apportée à l’homme, voilà son œuvre ; aussi l’opposition de l’esprit de l’Évangile avec l’esprit du monde fut-il le grand fait qui signala l’entrée, du christianisme parmi les peuples. Mais ce que le chef avait séparé, s’était rapproché ; l’Église était retombée dans les bras du monde, et cette union criminelle l’avait réduite à l’état déplorable où elle se trouvait au temps de la Réformation.

Aussi l’une des plus grandes tâches du seizième siècle était-elle de rétablir dans ses droits l’élément spirituel. L’Évangile des Réformateurs n’avait rien à faire avec le monde et la politique. Tandis que la hiérarchie romaine était devenue une affaire de diplomatie et une intrigue de cour, la Réformation ne devait exercer sur les princes et sur les peuples d’autre influence que celle qui provient de l’Évangile de paix.

Si la Réformation, parvenue à un certain point, devenait infidèle à sa nature, se mettait à parlementer, entrait en pour-parler avec le monde, et cessait ainsi de demeurer conséquente au principe spirituel qu’elle avait si hautement proclamé, elle faisait défaut à Dieu, et se faisait défaut à elle-même.

Dès lors sa chute était prochaine.

Il est impossible qu’une société prospère, si elle n’est pas fidèle au principe qu’elle établit. Ayant abandonné ce qui faisait sa vie, elle ne peut trouver que la mort.

Dieu voulut que cette grande vérité fût inscrite sur le seuil même du temple qu’il élevait alors dans le monde ; et un contraste étonnant devait la faire ressortir avec éclat.

Une partie de la Réforme devait rechercher l’alliance du monde, et dans cette alliance trouver une ruine pleine de désolations.

Une autre partie devait, en regardant à Dieu, rejeter hautement le bras de la chair, et, par cet acte de foi, remporter un magnifique triomphe.

Si trois siècles se sont égarés, c’est pour n’avoir pas su comprendre cette leçon si grave et si solennelle.

C’était au commencement de septembre 1529 que Charles-Quint, vainqueur du Pape et du roi de France par les batailles et les traités, avait abordé à Gênes. Les acclamations des peuples espagnols l’avaient salué à son départ de la Péninsule ibérique ; mais l’œil morne, la tête baissée, les lèvres muettes des populations italiennes livrées entre ses mains, l’accueillirent seuls au pied des Apennins. Tout faisait croire que Charles se dédommagerait sur ces peuples de l’apparente générosité avec laquelle il avait traité le Pape.

On se trompait. Au lieu de ces chefs barbares des Goths et des Huns, ou de ces superbes et farouches empereurs, qui plus d’une fois, traversant les Alpes, s’étaient jetés sur l’Italie, l’épée à la main et avec des cris de vengeance, les Italiens voyaient paraître au milieu d’eux un jeune prince rempli de grâce, d’une figure pâle, d’un corps délicat, d’une voix faible, de manières prévenantes, ayant l’air d’un courtisan plus que d’un soldat, remplissant avec exactitude les devoirs de la religion romaine, et traînant à sa suite, non les terribles cohortes de Barbares germains, mais un cortège brillant de nobles espagnols, qui étalaient avec complaisance l’orgueil de leur race et la magnificence de leur nation. Vainqueur de l’Europe, Charles ne parlait que de paix et d’oubli ; et le duc de Ferrare lui-même, qui de tous les princes italiens avait le plus à craindre, lui ayant remis à Modène les clefs de sa ville, entendit de sa bouche bienveillante les encouragements les plus inattendus.

D’où venait cette étrange conduite ? Charles avait assez montré, lors de la captivité de François Ier, que la générosité envers ses ennemis n’était pas sa vertu dominante. Ce mystère ne tarda pas à s’expliquer.

Presque en même temps que l’Empereur, étaient arrivés en Italie, par Lyon et par Gênes, trois bourgeois de l’Allemagne, n’ayant que six chevaux pour tout équipageb. C’étaient Jean Ehinger, bourgmestre de Memmingen, qui portait la tête haute, prodiguait l’argent autour de lui, et ne se piquait pas d’une grande sobriété ; Michel Caden, syndic de Nuremberg, homme honnête, pieux et courageux, mais haï du comte de Nassau, le plus influent des ministres de Charles ; et enfin Alexis Frauentraut, secrétaire du margrave de Brandebourg, qui, ayant pris une religieuse pour femme, était très mal vu des Catholiques romains. Tels étaient les trois hommes que les princes protestants réunis à Nuremberg envoyaient porter à l’Empereur la fameuse protestation de Spire. On avait choisi des députés d’une condition peu élevée, dans l’idée qu’ils courraient moins de dangerc. Porter un tel message à Charles-Quint était, à dire vrai, une mission dont peu de gens se souciaient. Aussi une pension extraordinaire avait-elle été assurée aux veuves des députés, en cas de malheur.

b – Legatis attribuerunt equos sex. (Seckend. 2, p. 134.)

c – Ut essent tutiores. (Seckend. 2, p. 133.)

Charles, se rendant de Gènes à Bologne, se trouvait dans les murs de Plaisance, quand les trois députés protestants l’atteignirent. Ces simples Germains faisaient un singulier contraste au milieu de cette pompe espagnole et de cette ferveur romaine qui entouraient le jeune prince. Le cardinal Gattinara, chancelier de l’Empereur, qui souhaitait sincèrement une réformation de l’Église, leur procura, pour le 22 septembre, une audience de Charles-Quint ; mais on leur recommanda d’être sobres de paroles, car il n’y avait rien que l’Empereur redoutât comme un sermon protestant.

Les députés ne se laissèrent point arrêter par ces insinuations. Après qu’ils eurent remis à Charles la protestation de Spire, Frauentraut prit la parole, et lui dit : « C’est au Juge suprême que chacun de nous doit rendre compte, et non à des créatures qui tournent à tout vent ; la puissance humaine ne peut ni nous sauver ni nous perdre ; mieux vaut tomber dans les nécessités les plus cruelles, que d’encourir la vengeance de Dieu. Nos peuples n’obéiront pas à des décrets qui reposeront sur d’autres bases que les saintes Écritures. Il n’est ni du devoir ni du pouvoir des princes de contraindre leurs sujets à des choses criminellesd. »

d – Neque suarum esse virium aut officii, ut eos ad impossibilia et noxia adigant. (Ibid. 134.)

Tel était le noble langage que ces bourgeois d’Allemagne faisaient entendre à l’empereur d’Occident. Charles ne dit mot : c’eût été leur faire trop d’honneur ; mais il chargea l’un de ses secrétaires d’annoncer aux députés une réponse ultérieure.

On ne se hâta pas d’expédier ces minces ambassadeurs. En vain chaque jour renouvelaient-ils leurs sollicitations : Gattinara les traitait avec bonté ; mais le comte de Nassau les renvoyait avec d’acerbes paroles, et la réponse officielle n’arrivait pas. Un ouvrier, le plaqueur de la cour, devant se rendre à Augsbourg pour y acheter des armures, et craignant de faire le voyage tout seul, demanda au ministre de Charles-Quint d’expédier les députés protestants. « Vous pouvez leur dire, répondit-il, que nous terminerons leur affaire, afin que vous ayez des compagnons de voyage. » Mais le plaqueur ayant trouvé une autre société, il fallut attendree.

e – Hortleben, von den Ursachen des deutschen Kriegs, p. 50.

Les députés tâchèrent du moins de bien employer leur temps. Prenez ce livre, avait dit le Landgrave à Caden, au moment du départ, en lui donnant un ouvrage français relié en veloursf, avec garniture d’or, et remettez-le à l’Empereur. » C’était un sommaire de la foi chrétienne que le Landgrave tenait de François Lambert, et qui, probablement, avait été composé par ce docteur. Caden cherchait l’occasion de donner son traité. Un jour donc que Charles se rendait publiquement à la messe, le syndic de Nuremberg lui présenta le livre. L’Empereur le prit, et le passa aussitôt à un évêque espagnol qui était près de lui. L’Espagnol se mit à le lire chemin faisantg, et tomba sur le passage des Écritures où Christ ordonne à ses apôtres de ne pas rechercher la dominationh. L’auteur en profitait pour établir que les ministres chargés du spirituel ne doivent pas se mêler du temporel. L’évêque papiste se mordit les lèvres ; et Charles, qui s’en aperçut, lui ayant demandé : « Eh bien, qu’y a-t-il donc ? » l’évêque, embarrassé, eut recours à un mensonge i. « Ce traité, répondit-il à Charles-Quint, ravit au magistrat chrétien le droit du glaive, et ne l’accorde qu’aux nations étrangères à la foi. » Aussitôt grande rumeur ; les Espagnols surtout étaient hors d’eux-mêmes : « Les misérables qui ont tenté de séduire un si jeune prince, disaient-ils, mériteraient qu’on les pendît au premier arbre du chemin. » Charles jura, en effet, que le porteur d’un tel présent serait puni de son audace.

f – Libellum eleganter ornatum. (Scultet. P. 253.)

g – Cum obiter legisset. (Ibid.)

hLuc 22.26.

i – Falso et maligne relatum esset. (Seckend. 2, p. 133.)

Enfin, le 12 octobre, Alexandre Schweiss, secrétaire impérial, remit aux députés la réponse de l’Empereur. Il y était dit que la minorité devait se soumettre aux décrets faits en diète par la majorité, et que si le duc de Saxe et ses alliés s’y refusaient, on ne manquerait pas de moyens pour les y contraindrej.

j – Sibi non defore media quibus ad id compellerentur. (Ibid.)

Ehinger et Caden lurent alors à haute voix l’appel à l’Empereur, fait à Spire par les princes protestants le 26 avril, six jours après la protestation, tandis que Frauentraut, qui avait renoncé à sa qualité de député pour revêtir celle de notairek, prenait acte de ce qui se passait. La lecture finie, les députés s’avancèrent vers Schweiss, et lui présentèrent l’appel. Alors commença une scène qui menaçait de devenir violente. Le secrétaire impérial, interdit, repoussait l’acte ; les députés insistaient ; Schweiss tenait ferme. Alors les députés posèrent l’appel sur la table. Schweiss, ébranlé, prit le papier et le porta à l’Empereur.

k – Tabellionis sive notarii officium. (Ibid.)

Après dîner, au moment où l’un des députés (Caden) venait de sortir, un tumulte dans l’hôtellerie annonça quelque catastrophe. C’était le secrétaire impérial qui revenait dûment accompagné. « L’Empereur est fort irrité contre vous à cause de cet appel, dit-il aux protestants, et il vous défend, sous peine de confiscation et de mort, de mettre le pied hors du logis, d’écrire en Allemagne, ni d’y envoyer qui que ce soitl. »

l – Sub capitis pœna, ne pedem a diversario moveant. (Seckend. 2, p. 133.)

Charles mettait aux arrêts des ambassadeurs, comme des officiers de sa garde, voulant ainsi afficher son dédain et épouvanter les princes.

Le domestique de Caden, effrayé, se glissa hors de l’hôtellerie, et courut vers son maître. Celui-ci, se regardant encore comme libre, écrivit à la hâte toute l’affaire au sénat de Nuremberg, remit ses lettres à un exprès, et retourna partager les arrêts de ses collèguesm.

m – A famulo certior factus, rem omnem senatui aperuit. (Ibid.)

Le 25 octobre, l’Empereur, partant de Plaisance, traîna après lui les trois Allemands. Mais, le 30, il fit relâcher Ehinger et Frauentraut, qui, au milieu de la nuit, montèrent à cheval, et se jetèrent au grand galop dans une route infestée de voleurs et battue par des soldats. « Quant à vous, dit Granvelle à Caden, vous resterez, sous peine de mort. L’Empereur entend que vous remettiez aussi au Pape le livre que vous lui avez présentén. » Peut-être Charles trouvait-il piquant de montrer au pontife romain cette défense faite aux ministres de Dieu de se mêler du gouvernement des peuples. Mais Caden, profitant des préoccupations de la cour, se procura secrètement un cheval, s’enfuit à Ferrare, et de là à Venise, d’où il revint à Nurembergo.

n – Ut idem scriptum exhibeat quoque Pontifici. (Scultet, p. 254.)

o – Silentio conscendit equum. (Ibid.)

Plus Charles paraissait irrité contre l’Allemagne, plus il montrait de modération aux Italiens. De fortes contributions pécuniaires étaient tout ce qu’il demandait. C’était au delà des Alpes, au centre de la chrétienté, au moyen des controverses religieuses elles-mêmes, qu’il voulait fonder sa puissance. Il se hâtait, et n’avait besoin que de deux choses : derrière lui la paix, avec lui des trésors.

Le 5 novembre, il entra dans Bologne. Tout frappait les regards : la foule des seigneurs, l’éclat des équipages, la fierté des bandes espagnoles, les quatre mille ducats que l’on jetait à pleines mains au peuplep, mais surtout la majesté et la magnificence du jeune empereur. Les deux chefs de la chrétienté romaine allaient se rencontrer. Le Pape sortit de son palais avec toute sa cour ; Charles, à la tête d’une armée qui eût en quelques jours conquis toute l’Italie, affectant l’humilité d’un enfant, se jeta à genoux, et baisa les pieds du pontife.

p – In vulgus sparsum aurum quatuor millia ducatorum. (L. Epp. 3, p. 565.)

L’Empereur et le Pape demeuraient à Bologne dans deux palais contigus, séparés par un mur où l’on avait pratiqué une porte, dont chacun d’eux avait la clef ; et l’on voyait souvent le jeune et politique empereur se rendre vers le vieux et rusé pontife, tenant des notes à la main. Clément obtint la grâce de Sforza, qui parut, malade et appuyé sur un bâton, devant Charles-Quint. Venise reçut aussi son pardon. Un million d’écus arrangea ces deux affaires. Mais Charles ne put obtenir du Pape la grâce de Florence ; on immola aux Médicis cette illustre cité, « attendu, dit-on, qu’il est impossible que le vicaire de Christ demande quelque chose d’injuste. »

L’affaire la plus importante était la Réforme. Plusieurs représentaient à l’Empereur que, vainqueur de tous ses ennemis, « il devait y aller de haut, » dit Maimbourg, et contraindre les Protestants par les armesq. Mais Charles préférait affaiblir les Protestants par les Papistes, puis les Papistes par les Protestants, et élever ainsi sa puissance au-dessus des uns et des autres.

q – Armis cogendos. (Seckend. 2, p. 112 ; Maimbourg, 2, p. 194.)

Un parti plus sage fut néanmoins proposé dans une conférence solennelle. « L’Eglise est déchirée, dit le chancelier Gattinara. Vous (Charles), vous êtes le chef de l’Empire ; vous (le pape), vous êtes le chef de l’Église. C’est à vous de pourvoir, d’un commun accord, à des besoins inouïs. Assemblez les hommes pieux de tous les peuples, et qu’un concile libre puise dans la parole de Dieu un système de doctrine propre à être reçu par toutes les nationsr. »

rOratio de Congressu Bononiensi, in Melanchtonis orationum IV, p. 87, et Cœlestinus, Hist. Comit., Austæ I, p. 10. Des écrivains respectables, Walch, Müller et Beausobre, citent à tort tout au long les discours tenus dans cette conférence. Ce sont des amplifications ; mais nier qu’elles aient une base historique, serait se jeter dans l’extrême opposé.

La foudre, tombant à ses pieds, n’eût pas causé à Clément plus de terreur. Issu d’une union illégitime, parvenu à la papauté par des voies peu honorables, ayant prodigué les trésors de l’Église dans une guerre injuste, ce pontife avait mille raisons personnelles pour redouter un concile de la chrétienté. Les grandes assemblées, répondit-il, ne sont bonnes qu’à répandre des opinions populaires. Ce n’est pas par des décrets de synodes, mais par le fil tranchant de l’épée, qu’il faut terminer les controversess. »

s – Non concilii decretis, sed armis controversias dirimendas. (Scultet. P. 248 ; le Jésuite Maimbourg, 2, p. 177.)

Gattinara ayant insisté : « Quoi ! s’écria le Pape en l’interrompant avec colère, vous osez me contredire… et exciter votre maître contre moi ! » Charles, étonné, se leva. Toute l’assemblée garda un profond silence, et le prince s’étant rassis, appuya la demande de son chancelier. Clément se contenta de dire qu’il en délibérerait. Puis il se mit à travailler le jeune empereur dans des conférences intimes, et Charles promit enfin de contraindre les hérétiques par les armes, tandis que le Pape appellerait tous les autres princes à son aidet. « Accabler l’Allemagne par la force des armes, puis l’anéantir entièrement, voilà le but unique des Italiens, » écrivait-on de Venise à l’Électeuru.

t – Pontifex, ut cæteri Christiani principes, ipsos pro viribus juvent. (Guicciardini, 19, p. 908.)

u – Ut Germania vi et armis opprimatur, funditus deleatur et eradicetur. (Cælestin. 1, p. 42.)

Telles étaient les sinistres nouvelles qui, en répandant l’alarme parmi les Protestants, auraient dû les porter à s’unir. Malheureusement un mouvement contraire s’opérait alors. Luther et quelques-uns de ses amis avaient revu les articles de Marbourg dans un sens exclusivement luthérien, et les ministres de l’électeur de Saxe les avaient présentés à la conférence de Schwabach. Les députés d’Ulm et de Strasbourg s’étaient aussitôt retirés, et l’assemblée s’était dissoute.

Mais bientôt de nouvelles conférences étaient devenues nécessaires. L’exprès que Caden avait expédié de Plaisance était arrivé à Nuremberg. Chacun comprenait en Allemagne que les arrêts des députés des princes étaient une déclaration de guerre. L’Électeur, ébranlé, ordonna à son chancelier de prendre l’avis des théologiens de Wittemberg.

« Nous ne pouvons en notre conscience, répondit Luther le 18 novembre, approuver l’alliance qu’on nous propose. Plutôt mourir dix fois que de voir notre Évangile faire couler une goutte de sangv ! Notre rôle, c’est d’être comme des brebis à la boucherie. Il faut que la croix de Christ se porte. Que Votre Altesse soit sans aucune crainte. Nous ferons plus par nos prières que nos ennemis par leurs fanfaronnades. Seulement que vos mains ne se souillent pas du sang de vos frères ! Si l’Empereur exige qu’on nous livre à ses tribunaux, nous sommes prêts à comparaître. Vous ne pouvez point défendre notre foi : c’est à ses périls et risques que chacun doit croirew. »

v – Lieber zehn mal todt seyn. (Epp. 3, p. 526.)

w – Auf sein eigen Fahr glauben. (Ibid. 527.)

Le 29 novembre, un congrès évangélique s’ouvrit à Smalkalde. Un événement inattendu vint rendre cette assemblée plus importante encore. Ehinger, Caden, Frauentraut, échappés aux griffes de Charles-Quint, y parurentx. Le Landgrave ne douta plus du succès de ses desseins.

x – Advenerant et gesta referebant. (Seckend. 2, p. 140 ; Sleidan. 1, p. 235.)

Il se trompait. Point d’accord entre des doctrines contraires, point d’alliance entre la politique et la religion ! Ces deux principes de Luther l’emportèrent encore. On convint que ceux qui seraient disposés à signer les articles de Schwabach, mais ceux-là seulement, se réuniraient le 6 janvier à Nuremberg.

L’horizon devenait toujours plus sombre. Les Papistes de l’Allemagne s’écrivaient les uns aux autres ces courtes mais significatives paroles : « Le sauveur vienty ! Hélas ! s’écriait Luther, quel impitoyable sauveur ! Il les dévorera tous comme nous. » En effet, deux évêques italiens, approuvés par Charles-Quint, demandaient au nom du Pape tout l’or et l’argent des églises, et le tiers des revenus ecclésiastiques ; ce qui causait une immense sensation. « Que le Pape s’en aille à tous les diables, disait un peu lestement un chanoine de Paderbornz. — Oui, oui, répondait malicieusement Luther, c’est votre sauveur qui vient ! » Déjà l’on s’entretenait de présages affreux ; ce n’étaient pas seulement les vivants qui s’agitaient : un enfant étant encore dans le sein de sa mère, y avait poussé des crisa.

y – Invicem scriptitant, dicentes, p. Salvator venit. (L. Epp. 3, p. 540.)

z – Dat de Duwel dem Bawst int Lieff fare. (Ibid.)

a – Infans in utero, audiente tota familia, bis vociferatus est. (Ibid.)

« Tout est accompli, disait Luther : le Turc est parvenu au plus haut degré de sa puissance, la gloire de la Papauté s’en va, et le monde craque de toutes partsb. »

b – Dédicace de Daniel à Jean-Frédéric. (L. Epp., III, p. 555.)

Le Réformateur, craignant que la fin du monde n’arrivât avant qu’il eût traduit toute la Bible, publia à part le prophète Daniel, écrit, dit-il, pour ces derniers temps. « Les historiens racontent, ajoutait-il, qu’Alexandre le Grand plaçait toujours Homère sous son chevet : le prophète Daniel mérite que les rois et les princes le portent non seulement sous leur tête, mais dans leur cœur ; car il leur apprendra que le gouvernement des peuples procède de la puissance de Dieu. C’est lui seul qui donne, qui institue, qui gouverne, qui protège, qui maintient, qui retire. Toutes choses sont dans sa main et s’agitent sous son pouvoir comme un navire sur la mer, ou un nuage sous le cielc. »

c – Schwebt in seiner Macht, wie ein Schiff auf dem Meer, ja wie eine Wolke unter dem Himmel. (L. Epp. 3, p. 555.)

Cependant l’effrayant fantôme que Philippe de Hesse n’avait cessé de montrer du doigt à ses alliés s’évanouit soudain, et ils découvrirent à sa place l’image gracieuse du plus aimable des princes.

Le 2 1 janvier, Charles, en convoquant tous les États de l’Empire à Augsbourg, s’était appliqué à faire entendre le langage le plus conciliant. « Mettons fin à toute discorde, avait-il dit, renonçons à nos antipathies. Faisons à notre Sauveur le sacrifice de nos erreurs, appliquonsnous à comprendre et à peser avec douceur les opinions des autres. Anéantissons tout ce qui, des deux côtés, a été dit ou fait contre la justice, et recherchons la vérité chrétienne. Combattons tous sous un même chef, Jésus-Christ, et efforçons-nous ainsi de nous rencontrer dans une même communion, une même église et une même unitéd. »

d – Wie wir alle unter einem Christo seyn und streiten (Förstenmann’s Urkundenbuch, 1, p. 1.)

Quel langage ! Comment se faisait-il que ce prince, qui n’avait parlé jusqu’alors que d’épée, ne parlât maintenant que de paix ? On dira que le sage Gattinara y avait mis la main, que l’acte de convocation fut fait sous l’impression de la terreur causée par l’invasion des Turcs, que l’Empereur reconnut déjà alors le peu d’empressement des Catholiques-romains de l’Allemagne à seconder ses desseins, qu’il voulait intimider le Pape, que ce langage plein de bonté n’était qu’un masque dont Charles se couvrait pour tromper ses ennemis, qu’il voulait faire de la religion en véritable empereur, à la Théodose et à la Constantin, et chercher d’abord à réunir les partis à l’aide de ses conseils et de ses faveurs, se réservant, si la bonté échouait, d’employer plus tard la force. Il se peut que chacun de ces motifs ait exercé une certaine influence ; mais le dernier nous paraît être le plus important.

Au reste, si Charles se laissait aller à des velléités de douceur, le fanatique Ferdinand tâchait de le ramener à la sévérité. « Je négocierai toujours, sans jamais conclure, lui écrivait-il ; et, dussé-je même en venir là, n’ayez aucune crainte : il ne vous manquera pas de prétexte pour châtier ces rebelles, et vous trouverez assez de gens heureux de prêter main-forte à vos vengeancese. »

e – Bucholz Geschichte Ferdinands, III, p. 432.

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