Histoire de la Réformation du seizième siècle

13.7

L’Allemagne – Les alliances protestantes échouent –Difficultés d’une union – Un avertissement luthérien – Convocation à Marbourg – Obstacles – Décision de Zwingle – Son départ – La femme de Mathias Zell – Les Réformateurs au château de Marbourg – Demande de Carlstadt – Mélanchthon et Zwingle – Trinité – Saint-Esprit – Péché originel – Œcolampade et Luther – La salle des Chevaliers – Les docteurs réformés – La requête de l’Église – Ceci est mon corps – Syllogisme d’Œcolampade – Zwingle entre dans la discussion – La chair ne sert de rien – La vieille chanson de Luther – Lutte et agitation – Conférence de l’après-midi – Arrivée de nouveaux députés – Mathématiques – Papisme – Témoignage des Pères – Fulgence, Saint Augustin – Œcolampade – Le tapis – Fin de la conférence – Jugements divers – Efforts du Landgrave.– Nécessité de l’union – Esprit sectaire des Luthériens — Esprit pacifique des Suisses – Dilemme de Bucer – Luther se rapproche – Luther rédige le projet d’union – Unité de doctrine – La Cène – Signature des articles – Germe du papisme – Séparation de la Papauté – Départ – Abattement de Luther – Invasion de Soliman – Sermon de bataille – Pierre et Luther – Résultats de la conférence – Agitation en Allemagne

La protestation de Spire avait accru l’indignation des partisans du Pape ; et Charles-Quint, selon le serment qu’il avait prêté à Barcelone, s’appliquait à préparer « un antidote convenable pour la maladie pestilentielle » dont les Allemands étaient atteints, et à venger d’une manière éclatante l’insulte faite à Jésus-Christy. Le Pape, de son côté, s’efforçait de faire entrer dans cette croisade tous les autres princes de la chrétienté ; la paix de Cambrai, conclue le 5 août, facilitait l’accomplissement de ses desseins. Elle laissait à l’Empereur les mains libres contre les hérétiques. Après avoir fait la protestation de Spire, il fallait penser à la maintenir.

y – Illatamque Christo injuriam pro viribus ulciscentur. (Dumont, Corp. Univ. Diplomatique, 4, p. 1, 5.)

Les États protestants, qui, déjà à Spire, avaient jeté les bases d’une alliance évangélique, étaient convenus d’envoyer des députés à Rotach. Mais l’Électeur, ébranlé par les représentations de Luther, qui ne cessait de lui dire, « C’est en vous tenant tranquilles et en repos que vous serez délivrész, » ordonna à ses députés d’écouter les propositions de ses alliés, toutefois sans rien décider. On s’ajourna à une nouvelle conférence, qui n’eut pas lieu.

zÉsaïe 30.15 ; L. Epp III,454.

Luther triomphait, car les alliances humaines échouaient. « Christ le Seigneur saura nous délivrer, sans le Landgrave, et même contre le Landgrave, » disait-il à ses amisa. Philippe de Hesse, contrarié par cette obstination de Luther, était convaincu qu’elle ne venait que d’une dispute de mots. « On ne veut pas entendre parler d’alliances à cause des Zwingliens, dit-il ; eh bien ! faisons disparaître les différences qui les séparent de Luther. »

a – Unser Herr Christus, etc. (Ibid.). Cette foi de Luther est blâmée par un historien luthérien. (Planck., II, p. 454.)

L’union de tous les disciples de la parole de Dieu semblait, en effet, une condition nécessaire au succès de la Réforme. Comment les protestants résisteraient-ils à la puissance de Rome et de l’Empire, s’ils étaient divisés ? Sans doute le Landgrave voulait unir les esprits, afin de pouvoir ensuite unir les épées, et ce n’est pas par de telles armes que la cause de Christ devait triompher. Mais si l’on parvenait à réunir les cœurs et les prières, la Réforme trouverait alors dans la foi de ses enfants une force telle, que les hallebardes de Philippe ne seraient elles-mêmes plus nécessaires.

Malheureusement cette union des esprits, que l’on devait rechercher maintenant par-dessus toutes choses, était une œuvre fort difficile. Luther, en 1519, avait d’abord paru Non seulement réformer, mais rénover la doctrine de la Cène, comme les Suisses le firent plus tard. « Je vais au sacrement de la Cène, avait-il dit, et j’y reçois de Dieu un signe, que la justice et la passion de Christ me justifient ; voilà l’usage du sacrementb. » Ce discours, imprimé plusieurs fois dans les villes de l’Allemagne supérieure, y avait préparé les esprits à la doctrine de Zwingle. Aussi Luther, étonné de la réputation qu’on lui faisait, publia en 1527 cette déclaration solennelle : « Je proteste devant Dieu et devant le monde entier que je n’ai jamais marché avec les sacramentaires. »

b – Dans l’écrit : Dass diese Worte noch feste stehen. (L. Opp., XIX.)

En effet, Luther ne fut jamais Zwinglien quant à la Cène. Loin de là, en 1519, il croyait encore à la transsubstantiation. Pourquoi donc parlait-il d’un signe ? Le voici. Tandis que, selon Zwingle, le pain et le vin sont les signes du corps et du sang de Jésus-Christ ; selon Luther, le corps et le sang même de Jésus-Christ sont les signes de la grâce de Dieu. La différence est du tout au tout.

Bientôt le dissentiment se prononça. En 1527, Zwingle, dans son Exégèse amicalec, réfuta avec douceur et respect l’opinion de Luther. Par malheur, le discours du réformateur saxon contre les enthousiastes sortait alors de presse ; et Luther s’y indignait de ce que ses adversaires osaient parler de paix et d’unité chrétienne. « Eh bien ! s’écriait-il, puisqu’ils se moquent ainsi du monde, je veux leur donner un avertissement luthériend. Malédiction à cette charité, malédiction à cette concorde ! A bas ! à bas ! dans l’abîme infernal ! Si j’égorgeais votre père, votre mère, votre femme, votre enfant, et que, voulant ensuite vous égorger vous-même, je vous disse : Restons en paix, mon cher ami ! que me répondriez-vous ?… C’est ainsi que les enthousiastes égorgent Jésus-Christ mon seigneur, Dieu le Père, la Chrétienté ma mère, veulent encore m’égorger moi-même, et puis me disent : Soyons amis !… »

c – Amica exegesis, id est, Expositio Eucharistiæ negotii ad M. Lutherum. (Zw. Opp.)

d – Eine Lutherische Warnung. (L. Opp. 19, p. 391. Wider die Schwarmgeister.)

Zwingle répondit par deux écrits à « l’excellent Martin Luther. » Il le fit d’un ton froid, et avec un calme superbe, plus difficile à pardonner que les injures du docteur saxon. « Nous devons vous regarder comme un vase d’honneur, lui dit-il, et nous le faisons avec joie, malgré vos fautes. » Les écrits se succédèrent : Luther écrivant toujours avec la même fougue, Zwingle avec la même froideur et la même ironie.

Tels étaient les docteurs que le Landgrave entreprenait de réconcilier. Déjà, pendant la diète de Spire, Philippe de Hesse, affligé d’entendre sans cesse répéter aux Papistes : « Vous qui vous dites attachés à la pure parole de Dieu, vous êtes pourtant désunise », avait fait par écrit des ouvertures à Zwingle. Maintenant il fit plus, et invita les théologiens des divers partis à se réunir à Marbourg. Ces invitations reçurent un accueil bien différent. Zwingle, dont le cœur était large et fraternel, saisit la main du Landgrave ; mais Luther, qui, derrière cette prétendue concorde, découvrait des ligues et des batailles, la repoussa.

e – Inter nos ipsos de religionis doctrina non consentire. (Zw. Epp. 2, p. 287.)

De grandes difficultés semblaient pourtant devoir retenir Zwingle. Pour se rendre de Zurich à Marbourg, il devait passer par les terres de l’Empereur et d’autres ennemis de la Réformation ; le Landgrave lui-même ne lui dissimulait pas les dangers de la routef ; pour y obvier, il lui promettait une escorte de Strasbourg en Hesse, et, jusque-là, la garde de Dieug. Ces précautions n’étaient pas de nature à rassurer les Zurichois.

f – Viam Francofurdi capias, quam autem hac periculosiorem esse putamus. (Ibid. p. 312.)

g – Juvante Deu tuti. (Ibid. p. 329.)

Des raisons d’un autre genre retenaient Luther et Mélanchthon. « Il n’est pas bon, disaient-ils, que le Landgrave ait tant à faire avec les Zwingliens. Leur erreur est d’une nature telle, que les gens d’un esprit délié en sont facilement atteints. La raison aime ce qu’elle comprend, surtout quand des hommes savants revêtent ses idées d’une apparence scripturaire. »

Mélanchthon ne s’en tint pas là, et mit en avant l’idée fort extraordinaire de prendre des Papistes pour juges de la dispute. S’il n’y avait pas des juges impartiaux, disait-il, les Zwingliens auraient beau jeu pour se vanter de la victoireh. » Ainsi, selon Mélanchthon, des Papistes devaient être des juges impartiaux, quand il s’agissait de la présence réelle !… Il alla plus loin encore. « Que l’Électeur, écrivit-il le 14 mai au prince électoral, nous refuse la permission de nous rendre à Marbourg, en sorte que nous puissions alléguer cette excuse. » L’Électeur ne voulut point se prêter à ce honteux manège ; et les réformateurs de Wittemberg se virent obligés d’accéder aux demandes de Philippe de Hesse. Mais ils le firent en disant : « Si les Suisses ne nous cèdent pas, toute votre peine sera perdue ; » et ils écrivirent aux théologiens de leurs amis, convoqués par ce prince : « Si vous le pouvez, ne venez pas : votre absence nous sera fort utilei. »

h – Papistische als unparteische. (Corp. Ref. 1, p. 1066.)

i – Si potes, noli adesse. (L. Epp. 3, p. 501.)

Zwingle, au contraire, qui eût été au bout du monde pour la concorde chrétienne, mettait tout en œuvre pour obtenir du magistrat de Zurich la permission de se rendre à Marbourg. « Je suis convaincu, disait-il au Conseil secret, que si nous, docteurs, nous nous rencontrons face à face, la splendeur de la vérité illuminera nos yeux. » Mais le Conseil, qui venait à peine de signer la première paix religieuse, et qui craignait de voir la guerre éclater de nouveau, se refusait au départ du Réformateur.

Zwingle alors se décida tout seul. Il reconnaissait que sa présence était nécessaire au maintien de la paix dans Zurich ; mais c’était le bien de la chrétienté tout entière qui l’appelait à Marbourg. Aussi, portant ses regards vers le ciel, il se résolut à partir, en s’écriant :« O Dieu ! qui ne nous as jamais abandonnés, tu exécuteras ta volonté pour ta propre gloirej. »

j – Dei nunquam fallentis, qui nos numquam deseruit, gratiam reputavi. (Zw. Epp. 2, p. 356.)

Pendant la nuit du 31 août au 1er septembre, Zwingle ne voulant pas même attendre le sauf-conduit du Landgrave, se préparait au départ. Rodolphe Collin, professeur de grec, devait seul l’accompagner. Le Réformateur écrivait au Petit et au Grand-Conseil : « Si je pars sans vous le dire, ce n’est pas que je méprise votre autorité, très sages seigneurs ; mais c’est parce que, connaissant l’amour que vous me portez, je prévois que votre sollicitude s’opposerait à mon éloignement. »

Comme il écrivait ces mots, arriva un quatrième message du Landgrave, plus pressant encore que les premiers. Le Réformateur envoya au bourgmestre la lettre du prince avec la sienne ; puis il quitta sa maison, secrètement, de nuit Sabbati die, mane ante lucem. (Ibid.), cachant son départ, soit à ses amis, dont il redoutait les instances, soit à ses ennemis, dont il craignait à bon droit les embûches ; il ne dit pas même à sa femme le lieu où il allait, de peur de la troubler ; puis, montant à cheval ainsi que Collink, il se dirigea rapidement vers Bâle.

k – Equis conductoriis. (Zw. Epp. 2, p. 361.)

Dans la journée, le bruit du départ de Zwingle se répandit dans Zurich, et ses ennemis en triomphèrent : « Il s’est enfui du pays, disaient-ils, et s’est sauvé avec des coquins ! — A Bruck, disaient d’autres, en traversant la rivière, il a fait naufrage, et il est mort. — Le Diable, assuraient plusieurs avec un sourire malin, le Diable lui est apparu corporellement, et l’a enlevél. » On n’en finissait pas, dit Bullinger. Mais le Conseil se décida aussitôt à adhérer au dessein du Réformateur. Le jour même de son départ, on nomma, pour l’accompagner à Marbourg, l’un des conseillers, Ulrich Funck, qui partit aussitôt avec un domestique et un arquebusier. Strasbourg et Bâle firent aussi accompagner leurs théologiens par des hommes d’État, dans la pensée que cette conférence aurait sans doute une portée politique.

l – Der Tufel vere by imm gesin. (Bulling. 2, p. 224.)

Zwingle arriva sain et sauf à Bâlem, et s’y embarqua le 6 septembre avec Œcolampade et quelques marchandsn ; en treize heures, il fut rendu à Strasbourg, où les deux Réformateurs logèrent dans la maison de Mathias Zell, prédicateur de la cathédrale. Catherine, femme de ce pasteur, préparait les mets à la cuisine, servait à table, selon les mœurs antiques de l’Allemagneo ; puis, s’asseyant près de Zwingle, l’écoutait attentivement, et parlait avec tant de piété et de science, que celui-ci la mit bientôt au-dessus de beaucoup de docteurs.

m – Integer et sanus Basiliam pervenit. (Zw. Epp. 2, p. 361.)

n – Aliquos mercatorum fide dignos, comites. (Ibid.)

o – Ich bin 14 Tag magd und Kochin gewesen. (Fussl. Beytr. 5, p. 313. Voir sa correspondance remarquable avec le surintendant Rabus, ibid., 191-354.)

Zwingle, après avoir discuté avec les magistrats de Strasbourg sur les moyens de résister à la ligue romaine, et sur l’organisation à donner à la confédération chrétiennep, quitta cette ville ; et conduit, ainsi que ses amis, par des chemins perdus, des forêts, des montagnes, des vallées, des routes cachées mais sûres, il arriva enfin à Marbourg, escorté de quarante cavaliers hessoisq.

p – De jure præsidendi conciliis civitatum christianarum (Zw. Epp. 2, p. 364.)

q – Per devia et sylvas, montes et valles, tutissimos et occultos. (Ibid. 368.)

Luther, accompagné de Mélanchthon, de Cruciger et de Jonas, s’était arrêté sur la frontière de la Hesse, déclarant que rien ne lui ferait mettre le pied dans ce pays, tant qu’il n’aurait pas le sauf-conduit du Landgrave. Ce document obtenu, Luther arriva à Alsfeld, où les écoliers à genoux, sous les fenêtres du Réformateur, lui chantèrent leurs pieux cantiques ; puis il entra dans Marbourg le 30 septembre, lendemain du jour où les Suisses y étaient arrivés. Les uns et les autres descendirent dans des auberges ; mais ils y étaient à peine, que le Landgrave les fit inviter à prendre leur gîte au château, pensant rapprocher ainsi les partis contraires. Philippe les logea et les nourrit tous d’une manière vraiment royaler. « Ah ! disait le pieux Jonas en parcourant les salles de ce palais, ce n’est pas en l’honneur des Muses, mais en l’honneur de Dieu et de son Christ, qu’on nous traite si magnifiquement dans ces forêts de la Hesse. » Le premier jour, après dîner, Œcolampade, Hédion et Bucer, désireux d’entrer dans les vues du prince, allèrent saluer Luther. Celui-ci parla cordialement avec Œcolampade dans la cour du château ; mais Bucer, avec lequel il avait été autrefois très lié et qui était alors du côté de Zwingle, s’étant approché, Luther lui dit en souriant, et lui faisant signe de la main : « Toi, tu es un drôle et un fripons ! »

r – Excepit in arce hospitio et mensa regali. (Corp. Ref. 1, p. 1096.)

s – Subridens aliquantulum respondit : Tu es nequam et nebulo. (Sculteti Annal. Ad. 1529.)

Le malheureux Carlstadt, qui avait commencé toute cette dispute, se trouvait alors en Frise, prêchant la présence spirituelle de Christ, et vivant dans un tel dénuement, que, pour avoir du pain, il avait dû vendre sa Bible hébraïque. L’épreuve avait brisé son orgueil ; il écrivit au Landgrave : « Nous ne sommes qu’un corps, qu’une maison, qu’un peuple, qu’une race sacerdotale ; nous vivons et nous mourons par le seul et même Sauveurt. C’est pourquoi, moi pauvre exilé, je prie humblement Votre Altesse, par le sang de Jésus-Christ, de me permettre d’assister à cette dispute. »

t – Archives de Cassel.

Comment mettre Carlstadt en présence de Luther ? et pourtant, comment repousser ce malheureux ? Le Landgrave, pour sortir de peine, le renvoya au réformateur saxon. Carlstadt ne parut pas.

Philippe de Hesse désirait que les théologiens eussent, avant la conférence publique, un entretien particulier ; toutefois on regardait comme dangereux, dit un contemporain, que Luther et Zwingle, violents de leur nature, en vinssent, dès le commencement, aux prises ; et comme Œcolampade et Mélanchthon étaient les plus débonnaires, on les partagea entre les plus rudesu. Le vendredi 1er octobre, après le service, on conduisit Luther et Œcolampade dans une chambre, et Zwingle et Mélanchthon dans une autre ; puis on laissa ces nobles lutteurs s’essayer deux à deux.

u – Abgetheilt zu den ruhren. (Bull. 2, p. 225.)

Ce fut dans la chambre de Zwingle et de Mélanchthon que fut le principal combat. « On assure, dit Mélanchthon à Zwingle, que quelques-uns parmi vous parlent de Dieu à la manière des Juifs, comme si Christ n’était pas essentiellement Dieu. — Je pense sur la sainte Trinité, répondit Zwingle, comme le concile de Nicée et le symbole d’Athanase. — Des conciles !… des symboles !… Qu’est-ce à dire ? répliqua Mélanchthon ; n’avez-vous pas sans cesse répété que vous ne reconnaissiez d’autre autorité que celle de l’Écriture ? — Nous n’avons jamais rejeté les conciles, dit le réformateur suisse, lorsqu’ils se sont appuyés sur l’autorité de la parole de Dieuv. Les quatre premiers conciles sont sacrés quant aux dogmes, et nul fidèle ne les a jamais récusés. » Cette déclaration importante, transmise par Œcolampade, caractérise la théologie réformée. « Mais vous enseignez, reprit alors Mélanchthon, comme Thomas Munster, que le Saint-Esprit agit tout seul, indépendamment des sacrements et de la parole de Dieu. — L’Esprit-Saint, répondit Zwingle, opère en nous la justification par la parole, mais par la parole prêchée et comprise, par l’âme et la moelle de la parole, par la pensée et la volonté de Dieu, recouvertes de paroles humainesw. »

v – Ubi unquam concilia rejicimus, verbi divini auctoritati suffulta? (Zw. Opp. 4, p. 191.)

w – Mens et medulla verbi, mens et voluntas Dei amicta tamen humanis verbis. (Zw. Epp. 4, p. 173.)

« Du moins, continua Mélanchthon, vous niez le péché originel, et ne faites consister le péché que dans les œuvres actuelles et extérieures, comme les Pélagiens, les philosophes et les Papistes. »

C’était le point difficile. « Puisque l’homme, de sa nature, s’aime lui-même, répondit Zwingle, au lieu d’aimer Dieu, c’est bien là un mal et un péché qui le condamnex. » Il avait plus d’une fois exprimé cette penséey. Cependant Mélanchthon triompha en l’entendant. « Nos adversaires, dit-il, ont cédé sur tous ces points ! »

x – Malum, peccatum. (Ibid. 172.)

y – De peccato originali ad Urb. Rhegium. (Ibid. 3, p. 632.)

Luther avait suivi avec Œcolampade la même marche que Mélanchthon avec Zwingle. La discussion avait surtout roulé sur le baptême. Luther se plaignait qu’on ne reconnût pas que, par le simple signe, on devient membre de l’Église. « Il est vrai, dit Œcolampade, nous demandons la foi : ou une foi actuelle, ou une foi future. Pourquoi le nierions-nous ? Qui est chrétien, si ce n’est celui qui croit en Christ ? Cependant je ne voudrais pas affirmer que l’eau du baptême ne fût pas, en un certain sens, une eau régénératrice : car, par elle, celui que l’Église ne connaissait point devient son enfantz. »

z – Atque adeo ipse non negarim, aquam baptismi esse aquam regenerantem : fit enim puer ecclesiæ, qui dudum ab ecclesia non agnoscebatur. (Zw. Opp. 4, p. 193.)

Les quatre théologiens étaient dans le feu de la discussion, lorsque des valets vinrent leur annoncer que la table du prince était servie. Ils s’interrompirent donc, et Zwingle et Mélanchthon rencontrèrent Œcolampade et Luther, qui sortaient comme eux. Œcolampade s’approcha de Zwingle, et lui dit tristement à l’oreille : « Je suis tombé une seconde fois dans les mains du docteur Ecka. » Dans la langue des Réformateurs, on ne pouvait rien dire de plus fort.

a – Lutherum Œcolampadem ita excepit, ut ad me veniens clam queratur, se denuo in Eccium incidisse. (Zw. Epp. 2, p. 369.)

Il ne paraît pas que la conférence entre Luther et Œcolampade fut reprise après le dîner. La manière de Luther ne permettait pas de rien en attendre. Mais Mélanchthon et Zwingle rentrèrent en séance ; et le docteur de Zurich trouvant que le docteur de Wittemberg lui échappait comme une anguille, disait-il, et prenait, comme Protée, mille formes diverses, saisit une plume, afin de fixer ainsi son antagoniste. Zwingle couchait par écrit les paroles que lui dictait Mélanchthon ; puis il écrivait ses réponses, et les lui donnait à lireb. Ils passèrent six heures à cette discussion, trois le matin et trois le soirc. On se prépara à la conférence générale.

b – At Melancthon, cum nimis lubricus esset et Protei in morem se in omnia transformaret, me compulit, ut sumpto calamo manu armarem. (Zw. Epp. 2, p. 369.)

c – Istud colloquium sex in horas traximus. (Ibid. 370.)

Zwingle demandait qu’elle fût publique ; Luther s’y opposa. On arrêta que les princes, nobles, députés et théologiens, y seraient admis ; mais une grande foule de bourgeois, et même plusieurs savants et gentilshommes, accourus de Francfort, des contrées du Rhin, de Strasbourg, de Bâle et d’autres villes de la Suisse, en furent exclus. Brentz parle de cinquante à soixante auditeurs ; Zwingle, seulement de vingt-quatred.

d – Quinquaginta aut sexaginta colloquio præsentes. (Zw. Opp. 4, p. 201.) Pauci arbitri ad summum quatuor et viginti (Epp. 2, p. 370.)

Sur une élévation que la Lahn arrose, se trouve un antique château d’où l’on domine la ville de Marbourg ; plus loin, on découvre la belle vallée de la Lahn ; plus loin encore, des cimes échelonnées qui se perdent dans l’horizon. C’est sous les ogives et les cintres gothiques d’une salle antique de ce château, appelée la salle des Chevaliers, que la conférence devait avoir lieu.

Le samedi matin a octobre, le Landgrave s’assit dans la salle, entouré des gens de sa cour, mais si simplement habillé, que personne ne l’eût pris pour un prince ; car il voulait éviter de paraître jouer, dans les choses de l’Église, le rôle d’un Constantin. Devant lui se trouvait une table, dont Luther, Zwingle, Mélanchthon et Œcolampade s’approchèrent. Luther, prenant aussitôt un morceau de craie, se baissa sur le tapis de velours qui couvrait la table, et y traça d’une main ferme quelques mots en gros caractères. Tous les yeux suivaient sa main, et bientôt on lut ces paroles : Hoc est corpus meum. Luther voulait que cette déclaration, sans cesse sous ses yeux, fortifiât sa foi, et servît d’avertissement à ses adversaires.

Derrière les quatre théologiens se rangèrent leurs amis, Hédion, Sturm, Funk, Frey, Éberard Than, Jonas, Cruciger, et d’autres encore. Jonas arrêtait sur les Suisses un regard scrutateur. « Zwingle, disait-il, a quelque chose de rustique et d’arrogante : s’il est versé dans les lettres, c’est en dépit de Minerve et des Muses. Il y a dans Œcolampade une bonté naturelle et a une admirable douceur. Hédion semble avoir autant de libéralité que d’humanité ; mais je trouve dans Bucer une ruse de renard, qui sait se donner des airs d’esprit et de prudence. » Les hommes du juste milieu sont souvent plus maltraités que ceux des partis extrêmes.

eCeci est mon corps. (Zw. Opp., IV, p. 175.)

D’autres sentiments animaient ceux qui contemplaient de loin cette assemblée. Les grands hommes qui avaient entraîné les peuples sur leurs pas dans les plaines de la Saxe, sur les rives du Rhin et dans les hautes vallées de la Suisse, se trouvaient là en présence ; les chefs de la chrétienté séparée de Rome venaient voir s’ils demeureraient unis. Aussi, de toutes les parties de l’Allemagne se dirigeaient vers Marbourg des regards et des prières. « Princes illustres de la Parolef, leur criait l’Église évangélique par la bouche du poète Cordus, pénétrant Luther, doux Œcolampade, magnanime Zwingle, pieux Snepf, disert Mélanchthon, courageux Bucer, candide Hédion, excellent Osiander, vaillant Brentz, aimable Jonas, bouillant Craton, Mœnus dont l’âme est plus forte que le corps, grand Denis, vous Myconius, vous tous que le prince Philippe, ce héros illustre, a appelés, ministres et évêques que les villes chrétiennes ont envoyés pour détourner le schisme et nous montrer la voie de la vérité, l’Église suppliante tombe en larmes à vos pieds, et vous conjure, par les entrailles de Jésus-Christ, d’amener à bonne fin cette affaire, en sorte que le monde reconnaisse dans votre résolution l’œuvre de l’Esprit-Saint lui-mêmeg. »

f – Insignes Verbi proceres. (Bull., II, 236.)

g – Et cupido supplex vobis Ecclesia voto
Vestros cadit flens ad pedes. (Ibid.)

Le chancelier du Landgrave, Jean Feige, rappela, au nom du prince, que le colloque avait pour but de rétablir l’union. « Je proteste, dit alors Luther, que je diffère de mes adversaires quant à la doctrine de la Cène, et que j’en différerai toujours. Christ a dit : Ceci est mon corps. Que l’on me montre qu’un corps n’est pas un corps. Je rejette la raison, le sens commun, les arguments de la chair, et les preuves mathématiques. Dieu est au-dessus des mathématiquesh. Nous avons la parole de Dieu ; il faut l’adorer et la faire ! »

h – Deum esse supra mathematicam. (Zw. Opp. 4, p. 175.)

« On ne peut nier, dit Œcolampade, qu’il y ait des figures dans la parole de Dieu : Jean est Élie, la pierre était Christ, Je suis le cep. L’expression Ceci est mon corps est une figure du même genre. » Luther accorda qu’il y avait des figures dans la Bible, mais il nia que cette dernière parole en fût une.

Tous les partis dont se compose l’Église chrétienne voient pourtant une figure dans ces paroles. En effet, les Romains déclarent que Ceci est mon corps veut dire, Non seulement mon corps, mais aussi mon sang, mais encore mon âme et même ma divinité, Christ tout entieri. Ces mots sont donc, selon Rome, une synecdoque, figure qui prend la partie pour le tout. Quand il s’agit des Luthériens, la figure est plus évidente encorej. Qu’il y ait ici synecdoque, ou métaphore, ou métonymie, toujours y a-t-il figure.

i – Si quelqu’un nie que le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec son âme et sa divinité, et par conséquent Jésus-Christ tout entier, soit contenu au sacrement de l’Eucharistie, qu’il soit anathème.(Conc. de Trente, Sess. 13.)

j – Tota Christi persona. (Form. Concord., VIII.)

Œcolampade, pour le prouver, fit ce syllogisme :

« Ce que Christ a rejeté au sixième chapitre de saint Jean, il n’a pu l’admettre dans les paroles de la Cène.

Or Christ, qui dit aux Capernaïtes, La chair ne sert de rien, a rejeté par là même la manducation orale de son corps.

Donc il ne l’a pas établie lors de l’institution de la Cène.

Luther

Je nie la mineure (la seconde de ces propositions). Christ n’a pas rejeté toute manducation orale, mais seulement une manducation grossière, semblable à celle de la chair de bœuf ou de porck.

k – Qualis est carnis bovillæ aut suillæ. (Scult. P. 217.)

Œcolampade

Il y a du danger à trop attribuer à la matière.

Luther

Tout ce que Dieu commande devient esprit et vie. Si c’est par l’ordre du Seigneur que l’on relève un brin de paille, on fait en cela une œuvre spirituelle. C’est à celui qui parle qu’il faut faire attention, et non à ce qu’il dit. Dieu parle : hommes, vermisseaux, écoutez ! — Dieu commande : que le monde obéisse, et que tous ensemble, nous prosternant devant sa parole, nous lui donnions un humble baiserl !

l – Quum præcipit quid. Pareat mundus ; et omnes osculemur verbum. (Zw. Opp. 4, p. 176.)

Œcolampade

Mais puisque nous avons la manducation spirituelle, qu’avons-nous besoin de celle du corps ?

Luther

Je ne demande pas quel besoin nous en avons ; mais je vois qu’il est écrit : Mangez, ceci est mon corps. Il faut donc le croire et le faire. — Il faut le faire ; il faut le faire ; il faut le fairem !… Si Dieu m’ordonnait de manger du fumier, je le ferais, certain que cela me serait salutairen. (Parole d’obéissance et de foi, quoique revêtue sans doute d’une forme étrange.)

mMan mus es thun, sæpe inculcabat. (Ibid.)

n – Si juberet fimum comedere, facerem. (Ibid.)

Alors Zwingle entra dans la discussion. « Il faut expliquer l’Écriture par l’Ecriture, dit-il. On ne peut admettre deux espèces de manducation corporelle, et dire que Jésus a parlé de manger, et les Capernaïtes de mettre en pièces ; car le même mot est employé dans les deux cas. Jésus dit que manger sa chair corporellement ne sert de rien (Jean 6.63), d’où il résulterait qu’il aurait donné dans la Cène une chose qui nous serait inutile… Du reste, il est certaines paroles qui me semblent un peu puériles, comme celle du fumier, par exemple. Les oracles des démons étaient obscurs : tels ne sont pas ceux de Jésus-Christ. »

Luther

Quand Christ dit que la chair n’est rien, il ne parle pas de sa chair, mais de la nôtre.

Zwingle

L’âme se nourrit d’esprit, et non de chair.

Luther

C’est avec la bouche qu’on mange le corps ; l’âme ne le mange paso.

o – Anima non edit ipsum (corpus) corporaliter. (Zw. Epp. 2, p. 370.)

Zwingle

Le corps de Christ est donc une nourriture corporelle, et non une nourriture de l’âme.

Luther

Vous êtes captieux.

Zwingle

Non ; mais vous dites des choses contradictoires.

Luther

Si c’était Dieu qui me présentât des pommes sauvages, ce serait spirituellement que je les mangerais. Dans la Cène, la bouche reçoit le corps de Christ, et l’âme croit à ses paroles.

Zwingle cita alors un grand nombre de passages de l’Écriture, dans lesquels le signe est désigné par la chose signifiée elle-même, et en conclut que, vu la déclaration du Seigneur dans saint Jean, La chair ne sert de rien, il fallait expliquer de même les paroles de la Cène.

Plus d’un auditeur était frappé de ces arguments. Au milieu des professeurs de Strasbourg, on voyait s’agiter la longue et maigre figure du Français Lambert. Il avait été d’abord de l’opinion de Lutherp, et se trouvait alors chancelant entre les deux Réformateurs. « Je veux être, disait-il en se rendant au colloque, une feuille de papier blanc, sur laquelle le doigt de Dieu écrive sa vérité. » Bientôt, entendant Zwingle et Œcolampade, il s’écria : « Oui ! l’Esprit ; voilà ce qui vivifieq ! » Quand cette conversion fut connue : Légèreté gauloise ! » dirent les Wittembergeois en haussant les épaules. « Quoi ! répondit Lambert, saint Paul était-il léger parce qu’il renonça au pharisaïsme ? et l’avons-nous été nous-mêmes, parce que nous avons abandonné les sectes perdues de la Papauté ? »

p – Voir son Commentaire sur Luc 22.19-20.

q – Il ajoutait que le corps du Christ n’était dans la Cène ne que mathematice seu commensurative, neque re ipsa. (Epistola Lamb. Marb.Col.)

Cependant Luther n’était nullement ébranlé « Ceci est mon corps, répétait-il en montrant du doigt les paroles écrites devant lui ; ceci est mon corps. Le Diable ne me sortirait pas de là. Chercher à comprendre, c’est déchoir de la foir. »

r – Si interrogo, excido a fide. (Zw. Epp., II, 137.)

« Mais, Monsieur le docteur, dit Zwingle, saint Jean nous explique comment se mange le corps de Christ, et il faudra bien que vous en veniez à ne pas nous chanter toujours les mêmes chansons. »

« Vous employez, dit Luther, des expressions révoltantess. » Les Wittembergeois appelaient cependant eux-mêmes l’argument de Zwingle « sa vieille chansont. » Zwingle, sans se troubler, reprit :

s – Invidiose loqueris. (Bulling., II, p. 228.)

t – Veterem suam cantilenam. (Zw. Opp. 4, p. 221.)

« Je vous demande, Monsieur le docteur, si Christ, dans le sixième chapitre de saint Jean, n’a pas voulu répondre à la question qui lui était adressée ?

Luther

Monsieur Zwingle, vous voulez me fermer la bouche par votre ton arrogant. Ce passage n’a rien à faire ici.

Zwingle

(vivement) Pardonnez-moi, Monsieur le docteur, ce passage vous casse le cou.

Luther

Ne faites pas tant le brave ! Vous êtes en Hesse, et non en Suisse. Dans ce pays, on ne coupe pas ainsi la gorge aux gens. »

Puis, se tournant vers ses amis, Luther se plaignit vivement de Zwingle, comme si celui-ci avait réellement voulu qu’on lui coupât le cou. « Il emploie des termes de guerre, disait-il, des mots de sangu. » Luther oubliait qu’il s’était lui-même servi d’une phrase semblable, en parlant de Carlstadt.

u – Verbum istud. Tanquam castrense et cruentum. Hospin. P. 131.

Zwingle reprit : « En Suisse aussi il y a bonne justice, et l’on ne rompt le cou à personne sans jugement. Ce mot indique seulement que votre cause est perdue et sans espérance. »

Une grande agitation régnait dans la salle des Chevaliers. La rudesse du Suisse et l’opiniâtreté du Saxon s’étaient rencontrées et heurtées. Le Landgrave, tremblant de voir échouer son projet de pacification, faisait signe de la tête qu’il adoptait l’explication de Zwingle. « Monsieur le docteur, dit-il à Luther, ne devrait pas se cabrer pour des locutions si ordinaires. » N’importe ; la mer agitée ne pouvait plus se calmer. Le prince se leva, et l’on se rendit dans la salle à manger. Après le dîner, on se remit à l’œuvre.

« Je crois, dit Luther, que le corps de Christ est dans le ciel ; mais je crois aussi qu’il est dans le sacrement. Peu m’importe que cela soit contre la nature, pourvu que cela ne soit pas contre la foiv. Christ est dans le sacrement substantiellement, tel qu’il est né de la Vierge. »

v – Non curo quod sit contra naturam, modo non contra fidem. (Zw. Opp. 4, p. 178.)

Œcolampade cita alors ce passage de saint Paul : Nous ne connaissons pas Jésus-Christ selon la chairw.

w2 Corinthiens 5.16.

Luther

Selon la chair, veut dire ici, selon les affections charnelles.

Œcolampade

Vous ne voulez pas qu’il y ait une métaphore dans ces mots : Ceci est mon corps, et vous admettez une synecdoque.

Luther

La métaphore ne laisse subsister qu’un signe ; mais il n’en est pas ainsi de la synecdoque. Si l’on dit que l’on veut boire une bouteille, on entend bien que la bière est dans la bouteille. Le corps de Christ est dans le pain, comme un glaive est dans son fourreau, ou comme l’Esprit-Saint est dans la colombex. »

x – Corpus est in pane sicut gladius in vagina. (Ibid.)

On discutait ainsi, quand on vit entrer dans la salle Osiander, pasteur de Nuremberg, Etienne Agricola, pasteur d’Augsbourg, et Brentz, pasteur de Halle en Souabe, auteur du fameux Syngramme. Le Landgrave les avait aussi invités. Mais Brentz, auquel Luther avait écrit de se garder de paraître, avait, sans doute par son indécision, retardé son départ et celui de ses amis. On les fit asseoir à côté de Luther et de Mélanchthon. « Écoutez, leur dit-on ; et s’il est nécessaire, parlez. » Ils profitèrent peu de cette permission. « Nous tous, sauf Luther, dit Mélanchthon, nous n’avons été que des personnages muetsy. »

y – Fuimus κωφά πρόσωπα (Corp. Ref., I, 1098.)

La lutte continua.

Zwingle, voyant que l’exégèse ne suffisait pas à Luther, y joignit la dogmatique, et subsidiairement la philosophie naturelle. « Je vous objecte, dit-il, cet article de notre foi :Ascendit in cœlum, il est monté au ciel. Si Christ est au ciel quant à son corps, comment peut-il être dans le pain ? La parole de Dieu nous enseigne qu’il a été semblable en toutes choses à ses frères. (Hébreux 2.17.) Donc il ne peut être à la fois en plusieurs lieux. »

Luther

Si je voulais raisonner, je me ferais fort de prouver que Jésus a eu une femme, des yeux noirs et a habité notre bon pays d’Allemagne. Je me soucie peu des mathématiques.

Zwingle

Ce n’est pas de mathématiques qu’il s’agit ici, mais de saint Paul, qui dit aux Philippiens : μορφὴν δούλου λαβών. .

Luther

(l’interrompant) Citez en latin ou en allemand, et non en grec.

Zwingle

(en latin) Excusez-moi, voilà douze ans que je ne me sers que du Testament grec. »

Puis, continuant à lire le passage, il en conclut que l’humanité de Christ est d’une nature finie comme la nôtre.

Luther

(montrant les mots écrits devant lui) Très chers messieurs, puisque mon Seigneur Jésus-Christ dit : Hoc est corpus meum, je crois que son corps est vraiment là.

Ici la dispute s’anime. Zwingle saute de sa chaire, s’élance vers Luther, et, frappant sur la table devant lui, il lui dit :

« Monsieur le docteur, vous établissez donc que le corps de Christ se trouve localement dans la Cène, car vous dites : Le corps de Christ est vraiment là. Là, continue Zwingle, là, là… Là est un adverbe de lieuz. Le corps de Christ est donc de nature à se trouver en un lieu. S’il est dans un lieu, il est dans le ciel ; d’où il résulte qu’il n’est pas dans le pain… »

z – Da, da, da. Ibi est adverbium loci. (Ibid.)

Luther

Je vous répète que je n’ai rien à faire avec les preuves mathématiques. Aussitôt que la parole de consécration est prononcée sur le pain, le corps est là, quelque méchant que soit le prêtre qui la prononce.

Zwingle

Vous rétablissez ainsi le papismea.

a – Damit richtend ir das papstum uf. (Zw. Opp. 3, p. 57.)

Luther

Ce n’est pas par le mérite du prêtre que cela se fait, mais à cause de l’ordonnance de Christ. Je ne veux pas, quand il s’agit du corps de Christ, entendre parler d’un lieu particulier. Je ne le veux absolument pas…

Zwingle

Faut-il donc que toutes choses se passent précisément comme vous le voulez ?… »

Le Landgrave s’aperçut que la conversation s’échauffait de nouveau ; le repas attendait ; il interrompit la dispute b.

b – Cœna instabat et diremit certamen. (Ibid. 4, p. 179.)

Le lendemain, 3 octobre, était un dimanche ; la dispute continua, peut-être à cause d’une épidémie, la sueur anglaise, qui venait d’éclater à Marbourg, et qui ne permettait pas de prolonger la conférence. Luther, revenant sur la discussion de la veille, dit :

« Le corps de Christ est dans le sacrement, mais il n’y est pas comme en un lieu… »

Zwingle

Alors il n’y est pas.

Luther

Les sophistes disent qu’un corps peut fort bien être en plusieurs lieux à la fois. L’univers est un corps, et pourtant on ne peut dire qu’il soit quelque part.

Zwingle

Ah ! vous parlez des sophistes, monsieur le docteur. Vraiment, nous voilà donc obligés de retourner aux oignons et aux potées de chair d’Égyptec. Quant à ce que vous dites, que l’univers n’est nulle part, je prie les hommes intelligents de peser cette preuve. »

c – Ad cæpas et ollas Egyptiacas. (Ibid. 2. Part 3, 57.)

Puis Zwingle, qui avait, quoi qu’en dît Luther, plus d’une flèche dans son carquois, après avoir établi sa thèse par l’exégèse et la philosophie, se résolut à la confirmer par le témoignage des docteurs de l’Église.

« Écoutez, dit-il, ce que Fulgence, évêque de Ruspe en Numidie, disait, au cinquième siècle, à Thrasimond, roi des Vandales : Le Fils de Dieu a pris les attributs de la véritable humanité, et n’a point perdu ceux de la véritable divinité. Né dans les temps, selon sa mère, il demeure éternellement, selon la divinité qu’il tient du Père. Venant de l’homme, il est homme, et par conséquent en un lieu ; issu du Père, il est Dieu, et par conséquent présent en tout lieu. Selon sa nature humaine, il était absent du ciel quand il était sur la terre, et il quitta la terre quand il monta au ciel ; mais, selon sa nature divine, il demeura dans le ciel quand il en descendit, et il n’abandonna pas la terre quand il en montad. »

d – Secundem humanam substantiam, absens cœlo, cum esset in terra, et derelinquens terram cum ascendisset in cœlum. (Fulgentius ad Regem Thrasimond., lib. II.)

Mais Luther répétait toujours : « Il est écrit : Ceci est mon corps. » Zwingle, impatienté, lui dit : « Tout cela n’est qu’une mauvaise querelle. Un disputeur opiniâtre pourrait aussi mettre en avant ce mot du Seigneur à sa mère : Voilà ton fils, en montrant saint Jean. En vain l’expliquerait-on ; il ne cesserait de crier : Non, non, il a dit : Ecce filius tuus, Voilà ton fils, voilà ton fils. Ecoutez un nouveau témoignage ; il est du grand saint Augustin : Ne pensons pas, dit-il, que Christ, selon la forme humaine, soit en tout lieu ; et gardons-nous, pour établir sa divinité, d’enlever à son corps sa vérité. Christ est maintenant partout présent comme Dieu, et pourtant, à cause de son vrai corps, il se trouve dans un lieu défini du ciele. »

e – In loco aliquo cœli propter veri corporis modum. (Aug. Ep. P. 57.)

« Saint Augustin, répondit Luther, ne parle pas ici de la Cène. Le corps de Christ n’est pas dans la Cène comme dans un lieu. »

Œcolampade s’aperçut qu’il pouvait tirer parti de cette assertion de Luther. « Le corps de Christ, s’écria-t-il, n’est pas localement dans la Cène ; il n’y est donc pas en vrai corps, car, chacun le sait, l’essence d’un corps est d’être en un lieu. »

Ici finit l’entretien du matin. Œcolampade, en y réfléchissant, se convainquit que l’assertion de Luther pouvait être regardée comme un rapprochement. « Je rappelle, dit-il après le dîner, que M. le docteur a concédé ce matin que le corps de Christ n’était pas dans le sacrement comme en un lieu. Recherchons donc amicalement quelle est la nature de la présence du corps de Christ. »

« On ne me fera pas faire un pas de plus, s’écria Luther, qui vit où l’on voulait l’entraîner. Vous avez pour vous Fulgence et Augustin, mais nous avons pour nous les autres Pères. »

Œcolampade, qui paraissait aux Wittembergeois d’une exactitude chagrinantef, s’écria : « Nommez ces docteurs. Nous nous faisons fort de vous prouver qu’ils sont de notre avis. »

f – Quem omnes sperassemus mitiorem, interdum videbatur paulo moro sior, sed citra contumeliam. (Zw. Opp. 4, p. 201.)

« Nous ne vous les indiquerons pasg, répondit Luther. C’est dans sa jeunesse, ajouta-t-il, qu’Augustin a écrit ce que vous citez ; et il est d’ailleurs peu intelligible. » Puis, se repliant sur le terrain qu’il avait résolu de ne jamais quitter, il ne se contenta plus de montrer du doigt son inscription : Ceci est mon corps, mais il saisit le tapis de velours sur lequel elle se trouvait écrite, l’enleva de la table, le présenta à Œcolampade et à Zwingle, et, leur mettant les mots devant les yeuxh : « Voyez, dit-il, voyez ! voici notre passage. Vous ne nous en avez pas encore débusqués, comme vous vous en étiez vantés, et nous ne nous soucions pas d’autres preuves. »

g – Non nominabimus illos. (Scultet. P. 228.)

h – Da hub Luther die Sammatendeck auf, und Zeigt ihm den Spruch, den er mit kreyden hett fur sich geschrieben (Osiander ; Niederer’s Nachrichten. 2, p. 114.)

« Puisqu’il en est ainsi, dit Œcolampade, il vaut mieux cesser la dispute. Mais auparavant je déclare que si nous citons les Pères, c’est pour purger notre doctrine du reproche de nouveauté, et non pour appuyer notre cause sur leur autorité. » On ne peut mieux définir l’usage légitime des docteurs de l’Église.

Il n’y avait pas lieu, en effet, à poursuivre la conférence. « Luther, d’un caractère intraitable et impérieux, dit à cette occasion Seckendorf même, son apologistei, ne cessait de sommer les Suisses de se soumettre simplement à son avis. »

i – Lutherus, vero ut erat fero et imperioso ingenio. (Seck., p. 136.)

Le chancelier, effrayé de cette issue du colloque, exhorta les théologiens à s’entendre. Je ne connais pour cela qu’un moyen, dit Luther, et le voici : « Que nos adversaires croient comme nous. —Nous ne le pouvons, répondirent les Suisses. — Eh bien ! reprit Luther, je vous abandonne au jugement de Dieu, et le prie de vous éclairer. — Nous faisons de même, » dit Œcolampade.

Pendant que ces paroles s’échangeaient, Zwingle était muet, immobile, profondément ému ; et la vivacité de ses affections, dont il avait donné plus d’une preuve dans le colloque, se manifestant alors d’une tout autre manière, il fondit en larmes en présence de tous.

La conférence finit. Elle avait été au fond plus tranquille que les documents ne semblent l’indiquer, ou peut-être avait-on alors pour de telles appréciations une mesure différente de la nôtre. « Sauf quelques incartades, tout s’était passé paisiblement, avec des formes honnêtes, une souveraine douceur, dit un témoinj. On n’entendait, dans le colloque, d’autres paroles que celles-ci : Monsieur et très cher ami… Votre charité, ou autres expressions semblables. Pas un mot de schisme et d’hérésie. On eût dit que Luther et Zwingle étaient des frères, et non des adversairesk. » C’est le témoignage de Brentz ; mais sous ces fleurs se cachait un abîme ; et Jonas, aussi témoin oculaire, appelle ce colloque un très rude combatl.

j – Omnia humanissime et summa cum mansuetudine transigebantur. (Zw. Opp. 4, p. 201.)

k – Amicissime Domine, Vestrea charitas, et id genus… Dixisses Lutherum et Zwinglium nonadversarios. (Ibid.)

l – Acerrimo ceramine. (Corp. Ref. 1, p. 1096.)

La contagion qui avait soudainement envahi Marbourg y faisait de terribles ravages, et remplissait tout le monde d’effroim ; chacun avait hâte de quitter cette ville. « Messieurs, dit le Landgrave, vous ne pouvez vous séparer ainsi. » Et, désirant fournir aux docteurs l’occasion de se voir sans préoccupation théologique, il les invita tous à sa table : c’était le dimanche soir.

m – Nisi Sudor Anglicus subito Marburgum invasisset et terrore omnium animos percutisset. (Hospin. p. 131.)

Philippe de Hesse n’avait cessé de montrer l’attention la plus suivie, et chacun s’était imaginé l’avoir de son côté. « J’aime mieux ajouter foi aux simples paroles du Christ qu’aux subtiles pensées des hommes, avait-il dit, selon Jonasn. » Mais Zwingle assurait que ce prince pensait maintenant comme lui, quoique vis-à-vis de certains personnages il dissimulât sa pensée. Luther, sentant la faiblesse de sa défense quant aux déclarations des Pères, remit à Philippe une note, où se trouvaient indiqués divers passages d’Hilaire, de Chrysostome, de Cyprien, d’Irénée et d’Ambroise, qu’il croyait être en sa faveur.

n – Dicitur palam proclamasse. (Corp. Ref. P. 1097.)

Le moment du départ approchait, et l’on n’avait rien fait. Le Landgrave travaillait vigoureusement à l’union, ainsi que Luther l’écrit à sa femmeo. Il faisait venir les théologiens l’un après l’autre dans son cabinetp ; il pressait, priait, avertissait, exhortait, conjurait. « Pensez, disait-il, au salut de la république chrétienne ; ôtez la discorde de son seinq ! » Jamais général d’armée ne prit tant de peine à gagner une bataille.

o – Da arbeit der Landgraf heftig. (L. Epp. 3, p. 512.)

p – Unumquemque nostrum seorsim absque arbitris. (Zw. Opp. 4, p. 203.)

q – Compellans, rogans, monens, exhortans, postulans ut Reippublicæ Christianæ rationem haberemus, et discordiam e medio tolleremus. (Ibid.)

Il y eut donc une dernière réunion ; et sans doute l’Église en vit rarement de plus solennelle. Luther et Zwingle, la Suisse et la Saxe, se voyaient pour la dernière fois. La sueur anglaise abattait des hommes par milliers tout autour d’euxr ; Charles-Quint et le Pape s’unissaient en Italie ; Ferdinand et les princes catholiques se préparaient à déchirer la protestation de Spire ; l’orage devenait toujours plus menaçant ; l’union seule semblait capable de sauver les protestants ; et l’heure du départ allait sonner, et les séparer peut-être pour toujours.

r – Multa perierunt millia. (Hospin. P. 131.)

« Confessons notre unité dans toutes les choses où elle existe, dit Zwingle ; et quant aux autres, rappelons-nous que nous sommes frères. La paix n’existera jamais entre les églises, si, tout en maintenant la grande doctrine du salut par la foi, on ne peut différer sur des points secondairess. » Tel est en effet le vrai principe de l’union chrétienne. Le seizième siècle était encore trop plongé dans la scolastique pour le comprendre : il faut espérer que le dix-neuvième siècle le comprendra mieux.

s – Quod nulla unquam Ecclesiarum pax constituta sit, si non in multis aliis dissentiendi a se facultatem faciant. (Scultet. P. 207.)

« Oui, oui, s’écria le Landgrave, vous êtes d’accord ! Donnez donc un témoignage de votre unité, et reconnaissez-vous comme frèrest. — Il n’y a sur la terre personne avec qui je désire plus être uni qu’avec vous, » reprit Zwingle en s’approchant des docteurs de Wittembergu. Œcolampade, Bucer, Hédion, dirent de même.

t – Idque Princeps valde urgebat. (L. Epp. 3, p. 513.)

u – Es werendt keine 10th uff Erden. (Bull. 2, p. 225.)

« Reconnaissez-les, reconnaissez-les comme frères », continuait le Landgrave. Les cœurs étaient émus ; on se touchait presque ; Zwingle, fondant en larmes en présence du Prince, des courtisans et des théologiens (c’est Luther lui-même qui le racontev), s’approche de Luther et lui tend la main. Les deux familles de la Réforme allaient s’unir ; de longues querelles allaient être étouffées au berceau ; mais Luther rejette la main qu’on lui présente. « Vous avez un autre esprit que nous, » dit-il. Ces paroles repoussent les Suisses comme un choc électrique. Leur cœur se fondait au dedans d’eux, chaque fois que Luther les répétait ; et il les répétait souvent ; c’est lui-même aussi qui nous en informe.

v – Zwinglius palam lacrymans coram Langravio et omnibus (Hospin. P. 136.)

Il y eut alors un moment de consultation entre les docteurs de Wittemberg. Luther, Mélanchthon, Agricola, Brentz, Jonas, Osiander, conférèrent ensemble. Convaincus que leur doctrine particulière sur la Cène était essentielle au salut, ils regardaient comme en dehors de la foi tous ceux qui la rejetaient. « Quelle folie ! disait Mélanchthon, qui plus tard se rangea presque au sentiment de Zwingle ; ils nous condamnent, et pourtant ils désirent être tenus par nous pour des frèresw. — Quelle versatilité, ajoutait Brentz ; ils nous ont accusés naguère d’être les adorateurs d’un Dieu de pain, et ils demandent maintenant notre communionx ! » Puis, se tournant vers Zwingle et ses amis : « Vous n’appartenez point, dirent les Wittembergeois, à la communion de l’Église chrétienne ; nous ne pouvons vous reconnaître pour des frèresy. »

w – Vide eorum stultitiam ! (Corp. Ref. 1, p. 1108.)

x – Nos tanquam adoratores panifici Dei traduxerant. (Zw. Opp. 4, p. 203.)

y – Eos a communione Ecclesiæ Christianæ alienos esse. (Ibid.)

Les Suisses étaient loin de cet esprit sectaire. « Nous pensons, dit Bucer, que votre doctrine porte atteinte à la gloire de Jésus-Christ, qui règne maintenant à la droite du Père. Mais voyant que vous reconnaissez en toutes choses votre dépendance du Seigneur, nous regardons à votre conscience, qui vous oblige à recevoir le dogme que vous professez ; et nous ne doutons pas que vous ne soyez à Christ. »

« Et nous, dit Luther, nous vous déclarons encore une fois que notre conscience s’oppose à ce que nous vous recevions comme des frères. » « Cela étant, reprit Bucer, vous le demander, serait une folie. »

« Je m’étonne fort, poursuivit Luther, que vous vouliez me tenir pour votre frère. Cela montre clairement que vous ne faites pas grand cas de votre propre doctrine. »

« Choisissez, dit Bucer, proposant un dilemme au Réformateur : ou bien vous ne devez point reconnaître comme frère quiconque diffère de vous en quelque point, et si c’est ainsi, vous ne trouverez pas un seul frère dans vos propres rangsz ; ou bien vous recevrez quelques-uns de a ceux qui diffèrent de vous, et alors vous devez nous recevoir. »

z – Nemo alteri vel inter ipsos frater erit. (Zw. Opp. 4, p. 194.)

Les Suisses étaient à bout de leurs sollicitations. Nous avons la conscience, dirent-ils, d’avoir agi comme en présence de Dieu. La postérité en rendra témoignagea. » Ils allaient se retirer ; Luther demeurait comme un roc, à la grande indignation du Landgraveb. Les théologiens hessois, Krafft, Lambert, Snepf, Lonicer, Mélandre, unirent leurs efforts à ceux du Prince.

a – Id testabitur posteritas. (Ibid.)

b – Principi illud durum videbatur. (Ibid. p. 203)

Luther, ébranlé, entra de nouveau en pourparler avec ses collègues. « Prenons garde, dit-il à ses amis, qu’en nous mouchant trop fort, nous ne fassions sortir du sangc. »

c – Ne nimis mungendo, sanguinem eliceremus. (L. Epp., dans sa lettre écrite le lundi même à Gerbellius.)

Alors, se tournant vers Zwingle et Œcolampade : « Nous vous reconnaissons comme des amis, dirent-ils ; nous ne vous tenons pas pour des frères et des membres de l’Église du Christd ; mais nous ne vous excluons pas de cette charité universelle que l’on doit à ses ennemis mêmese. »

d – Agnoscere quidem velimus tanquam amicos, sed non tanquam fratres. (Zw. Opp. 4, p. 203.)

e – Charitate quæ etiam hosti debetur. (Ibid. 190.)

Zwingle, Bucer, Œcolampade, avaient le cœur briséf ; car cette concession était presque une nouvelle injure. Néanmoins ils résolurent de prendre ce qu’on leur offrait. « Evitons soigneusement les paroles et les écrits durs et violents, dirent-ils, et que chacun se défende sans invectivesg. »

f – Indignissime affecti sunt. (Ibid.)

g – Quisque suam sententiam doceat absque invectivis. (L. Epp. 3, p. 514.)

Alors Luther s’avançant vers les Suisses : « Nous y consentons, dit-il, et je vous tends la main de charité et de paix. » Les Suisses émus se précipitèrent vers les Wittembergeois, et tous se serrèrent la mainh. Luther lui-même était attendri ; la charité chrétienne reprenait ses droits dans son cœur. Certainement, dit-il, une grande partie du scandale est enlevée par la suppression de nos âpres débats ; nous n’eussions osé tant espérer. Que la main de Jésus-Christ ôte le dernier obstacle qui nous séparei. Il y a entre nous une concorde bienveillante ; et si nous prions avec persévérance, la fraternité viendra. »

h – Dedimus tamen manus pacis et caritatis. (Ibid. 513.)

i – Utinam et ille reliquus scrupulus per Christum tandem tollatur. (Dans sa lettre écrite à Gerbellius, au sortir de cette séance.)

On voulut assurer par un écrit cet important résultat : « Il faut faire connaître au monde chrétien, dit le Landgrave, que, sauf le mode de présence du corps et du sang dans la Cène, vous êtes d’accord dans tous les articles de la foij. » On convint de la chose ; mais qui chargerait-on de cet écrit ? Tous les regards se portèrent sur Luther. Les Suisses eux-mêmes firent un appel à son impartialité.

j – Ut orbi Christiano notum fieret eos in omnibus fidei capitibus consentire. (Hospin. P. 127.)

Luther se retira dans son cabinet, préoccupé, inquiet, et trouvant la tâche fort difficile. « D’un côté, se disait-il, je voudrais ménager leur faiblessek ; mais, de l’autre, je ne voudrais pas porter la moindre atteinte à la sainte doctrine de Christ. » Il ne savait comment s’y prendre, et ses angoisses ne cessaient d’augmenter. Il en sortit enfin : « Je m’en vais, dit-il, rédiger les articles de la manière la plus exacte. Ne sais-je pas que, de quelque manière que je le fasse, ils ne voudront jamais les signerl ? » Bientôt quinze articles furent couchés par écrit, et Luther, les tenant à la main, se rendit vers les théologiens des deux partis.

k – Het gern ihrer Schwachheit verschont. (Niederer Nachr. 2, p. 120.)

l – Doch zuletz sprach er Ich will die artikel auf aller pesste stellen, sy werdens doch nicht annemen. (Ibid.)

Ces articles sont importants ; les deux doctrines qui s’étaient développées en Suisse et en Saxe, d’une manière indépendante, étaient rapprochées et comparées entre elles : si elles étaient de l’homme, il devait se trouver en elles ou une servile uniformité, ou une notable opposition. Il n’en fut point ainsi. On reconnut entre la Réformation allemande et la Réformation suisse une grande unité, car elles provenaient d’un même enseignement divin, et une diversité secondaire, car c’était par des hommes que Dieu les avait accomplies.

Luther prit son papier, et, lisant le premier article, il dit :

« Premièrement, nous croyons qu’il y a un seul Dieu vrai et naturel, créateur du ciel, de la terre et de toutes les créatures ; et que ce même Dieu, unique en essence et en nature, est triple en personne, savoir : Père, Fils et Saint-Esprit, comme cela a été arrêté dans le concile de Nicée, et comme toute l’Église chrétienne le professe. »

Les Suisses donnèrent leur adhésion. On s’accorda de même sur la divinité et l’humanité de Jésus-Christ, sur sa mort et sa résurrection, sur le péché originel, la justification par la foi, l’action du Saint-Esprit et de la Parole de Dieu, le baptême, les bonnes œuvres, la confession, l’ordre civil, les traditions.

Jusqu’à ce moment on était d’accord : les Wittembergeois ne revenaient pas de leur étonnementm. Les deux partis avaient rejeté, d’un côté, les erreurs des papistes, qui ne font guère de la religion qu’une affaire du dehors ; de l’autre, celles des enthousiastes, qui ne parlent que du dedans ; et ils se trouvaient entre ces deux camps, rangés sous la même bannière. Mais le moment était venu où l’on allait se séparer. Luther avait gardé pour la fin l’article de la Cène. Le Réformateur reprit :

m – Quod mirari non satis potuimus. (Brentius, Zw. Opp. 4, p. 203.)

« Nous croyons tous, quant à la Cène, qu’elle doit être célébrée sous les deux espèces, selon son institution ; que la messe n’est pas une œuvre par laquelle un chrétien obtienne la grâce pour un autre homme mort ou vivant ; que le sacrement de l’autel est le sacrement du vrai corps et du vrai sang de Jésus-Christ ; et que la jouissance spirituelle de ce corps et de ce sang est principalement nécessaire à chaque fidèlen. »

n – Quod spiritualis manducatio hujus corporis et sanuinis unicuique Christiano præcipue necessaria sit. (Scultet. P. 232.)

C’était maintenant le tour des Suisses de s’étonner. Luther continua :

« Pareillement, quant à l’usage du sacrement, nous sommes d’accord que, comme la Parole, il a été ordonné du Dieu Tout-Puissant, afin que les consciences faibles fussent excitées par le Saint-Esprit à la foi et à la charité. »

La joie des Suisses redouble. Luther continue :

Et bien que nous ne soyons pas maintenant d’accord sur la question si le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ sont corporellement dans le pain et dans le vin, cependant les deux parties intéressées se témoigneront de plus en plus l’une à l’autre une charité vraiment chrétienne, autant que la conscience le permettra ; et nous prierons tous assidûment le Seigneur de daigner nous affermir, par son Saint-Esprit, dans la saine doctrineo. »

o – Osiander à l’accusatif « in den rechten Verstand », ce qui indiquerait un mouvement vers une chose qu’on n’a pas. Bullinger et Scultet ont le datif.

Les Suisses obtenaient ce qu’ils avaient demandé : unité dans la diversité. Il fut aussitôt résolu qu’on aurait une séance solennelle pour la signature des articles.

On les lut de nouveau. Œcolampade, Zwingle, Bucer et Hédion les signèrent les premiers sur un exemplaire, tandis que Luther, Mélanchthon, Jonas, Osiander, Brentz et Agricola, les signèrent sur un autre ; ensuite, des deux côtés on signa l’exemplaire de la partie adverse, et l’on envoya à la presse ce document importantp.

p – Bullinger et d’autres indiquent le 3 octobre comme jour où l’accord fut signé. Osiander, témoin oculaire fort exact dans sa narration, indique le 4 octobre, ce qui concorde avec toutes les autres données.

Ainsi la Réformation avait fait un pas important à Marbourg. Le sentiment de Zwingle sur la présence spirituelle, et celui de Luther sur la présence corporelle, se trouvent l’un et l’autre dans l’antiquité chrétienne ; mais ce qui a toujours été rejeté, ce sont les deux doctrines extrêmes : d’un côté, celle des rationalistes, qui ne voient dans la Cène qu’une simple commémoration ; de l’autre, celle des Papistes, qui y adorent une transsubstantiation. Ce sont là deux erreurs, tandis que la doctrine de Luther et celle de Zwingle, aussi bien que la doctrine mitoyenne de Calvin, ont été envisagées dans les temps anciens comme des manières diverses d’envisager la vérité. Si Luther avait lâché prise, il eût été à craindre que l’Église ne tombât dans l’extrême du rationalisme ; si Zwingle, qu’elle ne retombât dans l’extrême du Papisme. Il est salutaire que ces vues diverses subsistent ; ce qui est pernicieux, c’est qu’en s’attachant à l’une d’elles, on anathématise les autres. « Il n’y a plus que cette petite pierre, écrivait Mélanchton, qui embarrasse l’Église du Seigneurq. »

q – Hic unus in Ecclesia hæret scrupulus. (Corp. Ref. 1, p. 1106.)

Tous, Romains et Évangéliques, Saxons et Suisses, admettaient la présence et même la présence réelle du Christ ; mais ici était le point essentiel de séparation : cette présence s’accomplit-elle par la foi du communiant, ou par l’opus operatum du prêtre ? Le Papisme, le sacerdotisme, le puseyisme sont inévitablement en germe dans cette dernière thèse. Si l’on maintient qu’un prêtre méchant (comme disait Luther) opère cette présence réelle du Christ par trois paroles, on est dans l’Église du Pape. Luther a semblé quelquefois admettre cette doctrine ; mais il a parlé souvent d’une manière plus spirituelle ; et en prenant ce grand homme dans ses bons moments, nous ne voyons plus qu’unité essentielle et diversité secondaire dans les deux parties de la Réformation.

Sans doute le Seigneur a laissé à son Église des sceaux extérieurs de sa grâce, mais ce n’est pas à ces signes qu’il a attaché son salut. L’essentiel, c’est le rapport du fidèle avec la Parole, avec l’Esprit-Saint, avec le Chef de l’Église. C’est cette grande vérité que la Réforme française et suisse proclame, et que le Luthéranisme même reconnaît. A partir du colloque de Marbourg, la controverse devint plus modérée.

Il y eut un autre gain. Les théologiens évangéliques proclamèrent à Marbourg, d’un accord unanime, leur séparation de la Papautér. Zwingle n’était pas sans quelques craintes (mal fondées sans doute) à l’égard de Luther ; ces craintes se dissipèrent. « Maintenant que nous sommes d’accord, dit-il, les Papistes ne pourront plus espérer que Luther soit jamais des leurss. » Les articles de Marbourg sont le premier boulevard élevé en commun contre Rome par les Réformateurs.

r – A papismo sese separarunt. (Zw. Epp., II, p. 370.)

s – Pontifici non ultra possunt sperare Lutherum suum fore. (Zw. Opp. 2, p. 370.)

Ce ne fut donc pas en vain qu’après la protestation de Spire, Philippe de Hesse chercha à rapprocher à Marbourg les amis de l’Évangile. Mais si le but religieux fut en partie atteint, le but politique fut entièrement manqué. On ne put arriver à une confédération de la Suisse et de l’Allemagne.

Néanmoins Philippe de Hesse et Zwingle eurent à cet égard de nombreuses et secrètes conversations. Elles inquiétaient les Saxons, non moins opposés à la politique de Zwingle qu’à sa théologie. « Quand vous aurez réformé la barrette des paysans, lui dit Jonas, vous prétendrez aussi réformer le chapeau de martre des princes. »

Le Landgrave ayant, le dernier jour, réuni tous les docteurs à sa table, ils se donnèrent amicalement la maint, et chacun pensa au départ. La concorde cordiale des chrétiens dans les doctrines essentielles, sans mettre en compromis les doctrines spéciales, tel était le résultat et l’exemple que la conférence de Marbourg laissait à la postérité. Le mardi 5 octobre, le Landgrave quitta de bonne heure Marbourg, et le même jour, après midi, Luther en sortit, accompagné de ses collègues ; mais il n’en sortait pas en triomphateur. Un esprit d’accablement et d’effroi s’était emparé de son âmeu. Il s’agitait dans la poudre comme un ver, dit-il lui-même ; il s’imaginait ne jamais revoir ni sa femme ni ses enfants, et s’écriait que lui, le consolateur de tant d’âmes angoissées, était maintenant sans aucune consolationv.

t – Die Hand einander fruntlich gebotten. (Bull. 2, p. 236.)

u – Ego vix et ægre domum reversus sum. L. Epp. 3, p. 520.)

v – Sic me vexante Angelo Satanæ, ut desperarim me vivum et salvum visurum meos. (Ibid.)

Cet état pouvait provenir en partie du manque de fraternité de Luther ; mais il avait encore d’autres causes. Soliman était venu remplir une promesse faite au roi Ferdinand. Celui-ci lui ayant redemandé, en 1528, la ville de Belgrade, le sultan avait fièrement répondu qu’il lui en porterait lui-même les clefs à Vienne. En effet, le Grand Turc, franchissant les frontières de l’Allemagne, avait envahi des régions que le sabot des coursiers musulmans n’avait jamais foulées ; et, huit jours avant le colloque de Marbourg, il avait couvert de ses tentes innombrables la plaine et les collines fertiles au milieu desquelles Vienne élève ses murs. C’était sous terre que la guerre avait commencé, les deux partis ayant creusé sous les remparts de profondes cavités. A trois reprises, les mines des Turcs éclatèrent, et les murailles furent renverséesw. « Les balles volèrent dans les airs comme d’immenses essaims de petits oiseaux, dit un historien turc ; et il y eut un vaste banquet dans lequel les génies de la mort choquèrent joyeusement les verresx. »

w – Ipsam urbem in tribus locis, suffosso solo et pulvere supposito disiecit et patefecit. (Ibid. 518.)

x – Dschelalsade, cité par Ranke.

Luther ne resta pas en arrière. Déjà il avait écrit contre les Turcs, et maintenant il publia un Sermon de bataille. « Mahomet, y disait-il, exalte Christ comme étant sans péché ; mais il nie qu’il soit le vrai Dieu ; c’est pourquoi il est son ennemi. Hélas ! le monde est tel à cette heure, qu’il semble partout pleuvoir des disciples de Mahomet. Deux hommes doivent s’opposer aux Turcs : le premier c’est Chrétien, c’est-à-dire la prière ; le second c’est Charles, c’est-à-dire le glaive. Et d’ailleurs, je connais bien mes chers Allemands : porcs gras et bien remplis, ils ne pensent, dès que le danger s’éloigne, qu’à manger et à dormir. Malheureux ! si tu ne prends pas les armes, le Turc viendra, il t’emmènera dans sa Turquie, il t’y vendra comme un chien, et tu devras servir jour et nuit, sous la verge et le rondin, pour un verre d’eau et un morceau de pain. Penses-y, convertis-toi, et demande au Seigneur de n’avoir pas le Turc pour maître d’écoley. »

y – Heer predigt wider die Turken. (L. Opp. (W.) 20, p. 2691.)

Les deux armes indiquées par Luther furent en effet vigoureusement employées ; et Soliman, s’apercevant enfin qu’il n’était pas « l’âme de l’univers, » comme le lui avaient dit ses poètes, mais qu’il y avait dans le monde une force au-dessus de la sienne, leva le siège de Vienne le 16 octobre ; et l’ombre de Dieu, comme il s’appelait lui-même, disparut dans le Bosphore et s’évanouit.

Mais Luther s’imagina qu’en se retirant des murs de Vienne, le « Turc, ou du moins son dieu, qui est le Diable, » s’était jeté sur lui, et que c’était cet ennemi de Christ et des siens que, dans son affreuse agonie, il devait combattre et vaincre. Il y a une réaction immédiate de la loi violée sur celui qui la viole. Or Luther avait transgressé la loi royale, qui est la charité, et il en portait la peine. Il rentra enfin dans Wittemberg, et se jeta dans les bras des siens, « tourmenté par l’ange de la mort. »

Ne méconnaissons pas toutefois les qualités essentielles à un réformateur, que Luther manifesta à Marbourg. Il y a dans l’œuvre de Dieu, comme dans un drame, des rôles différents. Que de caractères divers dans le collège des Apôtres et dans celui des Réformateurs ! On a dit que le même caractère et le même rôle étaient échus à Luther et à Pierre, lors de la formation et de la réformation de l’Églisez. Ils ont été, en effet, l’un et l’autre de ces hommes d’initiative qui s’élancent tout seuls en avant, mais à qui l’étendard qu’ils agitent donne bientôt une armée.

z – M. Vinet.

Peut-être y eut-il dans le Réformateur un trait qui ne fut pas au même degré dans l’Apôtre : c’est la fermeté. Pierre tomba à Antioche et dans la cour du souverain sacrificateur. Certes Luther, qui n’eut pas d’ailleurs les grâces miraculeuses de Pierre, ne fut pas sans chute, et nous venons de le montrer avec franchise ; mais dès qu’il fut question de maintenir la doctrine qu’il croyait être celle de Dieu même, il fut toujours, et surtout à Marbourg, comme un inébranlable roc. Cette fermeté était nécessaire au succès de la Réformation. Sans partager toutes ses vues dans le colloque convoqué par le Landgrave, on est pourtant contraint de reconnaître en Luther, à Marbourg, Non seulement le grand homme, mais, ce qui est plus, le héros de la foi. A cet intrépide témoin il eût aussi pu être dit : « Tu t’appelleras Céphas, c’est-à-dire, pierre. »

Quant à Zwingle, il quitta Marbourg, effrayé de l’intolérance de Luther. « Le Luthéranisme, écrivait-il au Landgrave, pèsera sur nous aussi lourd que le Papismea. » Arrivé à Zurich le 19 octobre : La vérité, dit-il à ses amis, l’a emporté d’une manière si manifeste, que si jamais quelqu’un a été vaincu devant tout le monde, c’est Luther, quoiqu’il ne cessât de crier qu’il était invincibleb. » De son côté, Luther parlait de même. C’est par crainte de leurs concitoyens, ajoutait-il, que les Suisses, quoique vaincus, n’ont pas voulu se rétracterc. »

a – Das Lutherthum werde so schwer, als das Papsthum. Zw. (Epp. P. 374.)

b – Lutherus impudens et contumax aperte est victus. (Ibid. p. 370.)

c – Metuebant plebem suam ad quam non licuisset reverti. (Zw. Opp. 2, p. 19.)

Si l’on demande de quel côté fut donc la victoire, peut-être faut-il dire que Luther s’en donna les airs, mais que Zwingle en eut la réalité. La conférence répandit dans l’Allemagne la doctrine des Suisses, qui y était jusqu’alors peu connue ; et un nombre immense de personnes l’adoptèrent. Tels furent entre autres Laffards, premier recteur de l’école de Saint-Martin à Brunswick, Denis Mélandre, Juste Lening, Hartmann, Ibach, et d’autres encore. Le Landgrave lui-même, peu de temps avant sa mort, déclara que ce colloque lui avait fait abandonner la doctrine d’une présence corporelle de Christ dans la Cèned.

d – Rommels Anmerkungen, p. 227-229.

Cependant ce qui domina cette époque célèbre, ce fut l’unité. Les adversaires en sont les meilleurs juges. Les Catholiques-romains étaient indignés que les Luthériens et les Zwingliens fussent tombés d’accord sur tous les points essentiels de la foi. « Ils s’entendent entre eux contre l’Église catholique, disaient-ils, comme Hérode et Pilate contre Jésus-Christ. » Les sectes enthousiastes disaient de mêmee. De l’extrême hiérarchique, ainsi que de l’extrême radical, on s’élevait également contre l’unité de Marbourg.

e – Pontificiis et catabaptistis multum displicuit consensus Marpurgi. (Scultet. P. 208.)

Bientôt une plus grande agitation vint apaiser toutes ces rumeurs, et des événements qui menaçaient tout le corps évangélique lui prêchèrent avec une nouvelle force sa grande et intime unité. L’Empereur, disait-on partout, irrité de la protestation de Spire, est débarqué à Gênes avec la pompe d’un conquérant. Après avoir juré, à Barcelone, de soumettre les hérétiques au Pape, il se rend vers ce pontife, pour fléchir humblement le genou devant lui ; et il ne se relèvera que pour passer les Alpes et accomplir ses terribles desseins. L’empereur Charles, écrivait Luther peu de jours après le débarquement de ce prince, a arrêté de se montrer contre nous plus cruel que le Turc lui-même, et déjà il fait entendre les plus horribles menaces. Voici l’heure de la faiblesse et de l’agonie de Jésus-Christ ! Prions pour tous ceux qui auront bientôt à endurer la captivité et la mortf. »

f – Carolus Cæsar multo atrocius minatur et sævire statuit in nos, quam Turca. (L. Epp. 3, p. 524.)

Telles étaient les nouvelles qui troublaient alors l’Allemagne. La grande question était de savoir si la protestation de Spire pourrait être maintenue contre la puissance de l’Empereur et du Pape. Elle fut résolue en 1530.



Le colloque de Marbourg

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