Histoire de la Réformation du seizième siècle

14.5

Sermon sur Josué – Les sermons défendus – Compromis proposé et accepté – Proclamation – Discours des bourgeois – Les nouveaux prédicateurs – La messe de la cathédrale – Funestes pressentiments – Cas de conscience – Veni Spiritus – Discours du nonce – L’offertoire – Ouverture de la Diète – Proposition impériale – Prière de l’Électeur – Plan du Légat – Valdès – Conférence secrète avec Mélanchthon – Fermeté des princes

Charles, se voyant battu dans l’affaire de la procession, voulut prendre sa revanche dans celle des assemblées ; car rien ne l’offusquait comme ces prêches. La foule ne cessait de remplir la vaste église des Franciscainsa, où un ministre zwinglien, d’une éloquence vive et pénétrante, prêchait sur le livre de Josuéb. Il mettait en scène les rois de Canaan et les enfants d’Israël ; on les entendait parler, on les voyait agir ; et chacun reconnaissait dans Canaan l’Empereur et les princes ultramontains, et dans le peuple de Dieu les adhérents de la Réforme. Aussi les fidèles sortaient-ils du temple enthousiastes de leur foi, et pleins du désir de voir tomber les abominations des idolâtres. Le 16 juin, les protestants délibérèrent sur la demande de Charles, et la majorité la rejeta. « Ce n’est qu’un épouvantail, disait-on ; les Papistes veulent seulement voir si le clou branle dans la paroi, et si l’on peut lancer le lièvre hors des broussailles. »

a – Maximus populi concursus amplissima æde. (Ibid.)

b – Facundus et ad concitandum populum idoneus et acer. (Ibid.)

Les princes le lendemain 17, avant déjeunerc, répondirent donc à l’Empereur : « Interdire à nos ministres de prêcher purement le saint Evangile, serait une rébellion contre Dieu, qui veut que sa parole ne soit point liée. Pauvres pécheurs que nous sommes, nous avons besoin de cette parole divine pour surmonter nos peinesd. D’ailleurs, Sa Majesté a déclaré que dans cette diète on examinerait chaque doctrine avec impartialité : or nous ordonner, dès cette heure, de suspendre nos sermons, ce serait à l’avance condamner la nôtre. »

c – Freitag vor dem Morgenessen. (C. R., II, p. 113.)

d – Nec se illo animæ nutrimento carere. (Cœlestinus, Hist. Comit. 1, p. 88 ; Forst. Urkunden, 1, p. 283.)

Charles convoqua aussitôt les autres princes, temporels et spirituels, qui arrivèrent à midi au palais palatin, et restèrent en séance jusqu’à la fin du joure ; les débats furent des plus animés. Ce matin même, dirent quelques orateurs, en sortant de chez l’Empereur, les princes protestants ont fait prêcher publiquementf. » Charles, indigné de ce nouvel affront, pouvait à peine se contenir. Cependant quelques princes l’ayant supplié d’accepter leur médiation, il y consentit ; mais les Protestants furent inébranlables. Ces hérétiques, que l’on s’imaginait si facilement soumettre, n’auraient-ils donc paru à Augsbourg que pour humilier Charles-Quint ? Il fallait à tout prix sauver l’honneur du chef de l’Empire. Renonçons nous-mêmes à nos prédicateurs, dirent les princes ; alors les Protestants ne pourront persister à garder les leursg. »

e – Cæsar a meridie. Seck. 165. Den gangen Tag. (Corp. Ref. 2, p. 113.)

f – Eo ipso die conciones continuatæ. (Seckend. P. 165.)

g – Cæsare debeant omnes tam papistarum quam evangelicorum conciones. (Corp. Ref. 2, p. 116.)

La commission proposa donc que l’Empereur écartât les prédicateurs, soit papistes, soit luthériens, et désignât quelques chapelains chargés d’annoncer la pure parole de Dieu, sans attaquer ni l’un ni l’autre des deux partis. « Ce seront des hommes neutres, dit-on aux Protestants ; ni Faber ni les siens ne seront admis. — Mais on condamnera notre doctrine. — Nullement ; le prédicateur ne fera autre chose que de lire textuellement les Évangiles, les Épîtres, et une confession générale des péchés. » Les États évangéliques demandèrent du temps pour réfléchir.

« Il faut accepter, dit Mélanchthon ; car si notre obstination portait l’Empereur à refuser d’entendre notre confession, le mal serait bien plus grand encore. »

« Nous sommes appelés à Augsbourg, dit Agricola, pour rendre raison de notre doctrine, et non pour prêcherh. »

h – Non sumus parochi Augustanorum, ajoutait-il. (C.R., II, p. 119.)

« Il y a du désordre dans la ville, remarqua Spalatin. Les sacramentaires, les enthousiastes y prêchent aussi bien que nous ; il faut sortir de ce tourbillon. »

« Que proposent les Papistes ? demandaient d’autres théologiens. De lire sans explication les Évangiles et les Épîtres ; mais n’est-ce pas là une victoire ? Quoi ! nous protestons contre les interprétations de l’Église ; et voilà des prêtres qui devront lire la parole de Dieu sans leurs notes et leurs commentaires, c’est-à-dire en se transformant en ministres protestants ! — O sagesse admirable des gens de couri ! » s’écriait en souriant Mélanchthon.

i – Vide miram sapientiam Aulicorum. (Ibid.)

A ces motifs se joignaient ceux des jurisconsultes. L’Empereur devant être considéré comme le magistrat légitime d’une ville impériale, aussi longtemps qu’il y faisait sa résidence, c’était à lui qu’appartenait légalement dans Augsbourg toute juridiction.

« Eh bien, dirent les princes protestants, nous consentons à faire taire nos prédicateurs, dans l’espérance que nous n’entendrons rien qui blesse notre conscience. S’il en était autrement, nous nous verrions contraints de repousser une aussi grave injurej. Au reste, ajouta l’Électeur en se retirant, nous espérons que si, un jour ou l’autre, nous désirons entendre l’un de nos chapelains dans notre hôtellerie, nous serons libres de le fairek. »

j – Ut de remediis propulsandæ injuriæ cogitent. (Seck. 2, p. 165.)

k – Ob je einer einen Prediger in seiner Herberg fur sich predigen liess. (Corp. Ref. 2, p. 113.)

On courut chez l’Empereur, qui ne demandait pas mieux que de s’entendre avec les Protestants à ce sujet, et ratifia tout.

Il était samedi ; on expédia aussitôt un héraut impérial, qui parcourant, à sept heures du soir, au son des trompettes, les rues de la villel, criait de toutes ses forces : « Ecoutez ! écoutez !… Ainsi ordonne Sa Majesté Impériale, notre très gracieux seigneur : Nul prédicateur ne pourra prêcher dans Augsbourg, excepté ceux que Sa Majesté aura nommés ; et cela sous peine d’encourir la disgrâce et les châtiments de Sa Majesté. » Mille discours divers furent alors échangés dans les demeures des bourgeois d’Augsbourg. Mous sommes bien impatients, disait-on, de voir ces prédicateurs désignés par l’Empereur, et qui ne prêcheront, ô merveille inouïe, ni contre la doctrine évangélique, ni contre la doctrine du Papem ! Il faut nous attendre, ajoutait un autre, à voir paraître quelque Tragélaphe ou quelque Chimère, avec la tête d’un lion, la queue d’un dragon, et le corps d’une chèvren. » Les Espagnols se montrèrent fort satisfaits de cet accord, car plusieurs d’entre eux n’avaient entendu de leur vie un seul sermon ; ce n’était pas la mode en Espagne ; mais les amis de Zwingle furent remplis d’indignation et d’épouvanteo.

l – Per tubicines et heraldum. (Sturmius, Zw. Epp. P. 466.)

m – Omnes hunc avidissime expectant. (Ibid. 116.)

n – Chimæram aut Tragelaphum aliquem expectamus. (Ibid.) Le Tragélaphe est un animal fabuleux, moitié chèvre, moitié cerf.

o – Multos deterrent. (Sturm to Zwingle, Epp. P. 466.)

Enfin, le dimanche 19 juin commença ; chacun courut dans les églises ; et les fidèles qui les remplissaient, l’œil fixé sur le prédicateur et les oreilles tenduesp, s’apprêtèrent à ouïr ce que diraient ces nouveaux et étranges orateursq. On croyait généralement que leur tâche serait de faire un discours évangélico-papiste, et l’on était fort impatient d’entendre cette merveille. Mais « la montagne en travail enfante une souris. »

p – Arrectis auribus. (Corp. Ref. 2, p. 116.)

q – Quid novi novus concionator allaturus sit. (Ibid. p. 117.)

Le prédicateur lut d’abord la prière commune ; il y ajouta l’évangile du jour, finit par une confession commune des péchés, et renvoya son auditoire. On se regardait ébahi : « Vraiment, disait-on, voilà un prédicateur qui n’est ni évangélique ni papiste, mais purement textuelr. » A la fin tous se prirent à rire, « et certes, dit Brentz, il y avait de quois. » — On peut être d’un autre avis. Dans quelques églises cependant, les chapelains, après avoir lu l’évangile, y ajoutèrent quelques paroles puériles, sans christianisme, sans consolation, et nullement basées sur la parole de Dieut.

r – Sic habes concionatorem neque evangelicum neque papisticum, sed nudum textualem. (Ibid.)

s – Rident omnes, et certe res valde ridicula est. (Ibid.)

t – Paucula quædam, eaque puerilia et inepta, nec Christiane, absque fundamento verbi Divini et consolatione. (Seck. 2, p. 165.)

Après le prétendu sermon, on passa à la messe. Celle de la cathédrale fut particulièrement bruyante. L’Empereur n’y était pas, car il avait coutume de dormir jusqu’à neuf ou dix heuresu, et l’on célébrait pour lui une messe tardive ; mais Ferdinand et plusieurs princes y assistaient. Orgues, soufflets, tuyaux, voix retentissantes des chœurs, tout était mis en œuvre, et une foule nombreuse et bigarrée, accourant par toutes les portes, remplissait le temple. On eût dit toutes les nations du monde se donnant rendez-vous dans la cathédrale d’Augsbourg. Ici des Français, et là des Espagnols ; ici des Mores, et là des Moresques ; ici des Italiens, et là des Turcs ; même, dit Brentz, de ceux qu’on nomme Stratiotesv. Cette messe ne représentait pas mal le pêle-mêle du Papisme.

u – Dormire solet usque ad nonam aut decimam. (Corp. Ref. 2, p. 117.)

v – Ibi videas hic Gallos hic Hispanos, hic Æthiopes, illic etiam Æthiopissas, hic Italos, illic etiam Turcas, aut quos vocant Stratiotas. (Ibid.)

Un prêtre seul, fervent romain, osa faire l’apologie de la messe dans l’église de Sainte-Croix. Charles, voulant maintenir son autorité, le fit jeter dans la tour des Cordeliers, d’où on le laissa s’évader. Quant aux pasteurs évangéliques d’Augsbourg, presque tous quittèrent la ville pour porter ailleurs l’Évangile. Les princes protestants se montrèrent jaloux d’assurer à leurs églises le ministère d’hommes si distingués.

Le découragement et l’effroi suivirent de près cette mesure, et les plus fermes même furent émus. « Notre Seigneur Dieu, disait l’Electeur en poussant des soupirs, a reçu l’ordre de se taire à la diète d’Augsbourgw. » Luther perdit dès lors la bonne opinion qu’il avait eue de Charles. « Voici quelle sera la fin de tout ceci, dit-il : l’Empereur, qui a ordonné à l’Electeur de renoncer aux assemblées, lui ordonnera ensuite de renoncer à la doctrine. Les Papistes, livrés aux démons, sont transportés de rage ; et, pour vivre, il leur faut boire du sangx. Ce n’est pas avec des hommes que vous avez affaire à Augsbourg, c’est avec les portes mêmes de l’enfer. »

w – Hac ratione, Deo, ejusque verbo silentium est impositum. (Seck. 2, p. 165.)

x – Ut nisi sanguinem biberint, vivere non possint. (Ibid.)

« Tous, sauf l’Empereur, disait Mélanchton, nous haïssent d’une haine pleine de violence. Le péril est grand, très grandy… Priez Christ qu’il nous sauve ! » Mais Luther, quelque attristé qu’il fût, loin de se laisser abattre, releva la tête, et chercha à enflammer le courage de ses frères ; « Sachez bien, et n’en doutez pas, leur écrivait-il, que vous êtes les confesseurs de Jésus-Christ et les ambassadeurs du Grand Roiz. »

y – Magnum omnino periculum est. (Corp. Ref. 2, p. 118.)

z – Ea fides vivificabit et consolabitur vos, quia Magni Regis estis legati. (L. Epp. 4, p. 59.)

Ils avaient besoin de cette pensée ; car les adversaires, enflés par ce premier succès, ne négligeaient rien de ce qui pouvait perdre les Protestants, et, faisant un pas de plus, se proposaient de les contraindre à assister aux cérémonies romainesa. « L’électeur de Saxe, dit le Légat à Charles, doit, en vertu de son office de grand maréchal de l’Empire, porter le glaive devant vous dans les cérémonies de la Diète. Ordonnez-lui donc de s’acquitter de son devoir à la messe du Saint-Esprit qui doit l’ouvrir. — Refuser, se dit l’Électeur en recevant ce message, c’est perdre ma dignité ; obéir, c’est fouler aux pieds ma foi et déshonorer l’Évangile ! »

a – Sarpi, Histoire du concile de Trente. (Livre I, page 99.)

Mais les théologiens luthériens levèrent les scrupules de leur prince. « C’est pour une cérémonie de l’Empire, dirent-ils, comme grand maréchal et non comme chrétien, que l’on vous convoque ; la parole de Dieu même, dans l’histoire de Naaman, vous autorise à vous rendre à « cette invitationb. » Les amis de Zwingle ne pensèrent pas de même ; leur marche était plus décidée que celle des docteurs saxons. « Les martyrs se firent égorger, dirent-ils, plutôt que de déposer un grain d’encens devant les idoles. » Quelques Protestants même, entendant parler de ce Veni Spiritus, dirent en hochant la tête : « Nous craignons fort que le chariot de l’Esprit, qui est la parole de Dieu, étant laissé de côté par les Papistes, l’Esprit Saint ne puisse arriver jusqu’à Augsbourgc. »

b2 Rois 5.18. Exemplo Naamanis, (Seck. 2, p. 167.)

c – Ne ablato Spiritus vehiculo, quod est verbum Dei, Spiritus Sanctus ad Augustam præ pedum imbecillitate pervenire non possit. (Corp. Ref. 2, p. 116.)

Le lundi 20 juin, eut lieu la messe d’ouverture. En dehors du chœur, sur une galerie qui le dominait, se placèrent le Landgrave et d’autres Protestants, qui préféraient se tenir à distance de l’hostied. L’Électeur, armé du glaive, resta debout près de l’autel, au moment de l’adoration. Aussitôt après, les acolytes ayant fermé les portes du chœure ? Vincent Pompinello, archevêque de Rossano, fit le sermon. Il commença par les Turcs et leurs ravages ; puis, par un mouvement inattendu, il se mit tout à coup à exalter les Turcs par-dessus les Allemands : « Les Turcs, dit-il, n’ont qu’un seul prince, auquel ils obéissent ; mais les Allemands en ont plusieurs, qui n’obéissent à personne. Les Turcs se trouvent sous une seule loi, une seule coutume, une seule religion ; mais, parmi les Allemands, il en est qui veulent toujours de nouvelles lois, de nouvelles coutumes, de nouvelles religions. Ils déchirent la tunique sans couture de Christ ; ils abolissent, par des inspirations diaboliques, les dogmes sacrés établis d’un consentement unanime, et leur substituent des bouffonneries et des obscénitésf. — Magnanime Empereur, puissant Roi, dit-il en se tournant vers Charles et son frère, affilez vos épées, brandissez-les contre ces perfides perturbateurs de la religion, et ramenez-les ainsi dans le bercail de l’Égliseg. Point de paix pour l’Allemagne, tant que le glaive n’aura pas entièrement extirpé cette hérésieh. O saint Pierre et saint Paul, je vous invoque ! vous, saint Pierre, afin que vous ouvriez avec vos clefs les cœurs de marbre de ces princes ; et vous, saint Paul, afin que, s’ils se montrent trop rebelles, vous veniez avec votre glaive, et vous coupiez, tranchiez et brisiez cette dureté inouïe. »

d – Abstinendo ab adoratione hostiæ. (Seck. 2, p. 119.)

e – Erant enim chori fores clausæ, nec quisquam orationi interfuit. (Corp. Ref. 2, p. 120.)

f – Diabolica persuasione eliminant, et ad scurrilia ac impudica quæque deducunt. (Pallavicini, Hist. Trid. C. 1, p. 231.)

g – Exacuant gladios quos in perversos illos perturbatores. (Corp. Ref. 2, p. 120.)

h – Nisi eradicata funditus per gladium hæresi illa. (Ibid.)

Ce discours, entremêlé d’un panégyrique d’Aristide, de Thémistocle, de Scipion, de Caton, de Curtius et de Scævola, étant fini, l’Empereur et les princes se levèrent pour présenter leurs offrandes ; et le Grand Maréchal aussi bien que le Margrave allèrent eux-mêmes à l’offertoire, mais en souriant, dit-oni. Ce fait est peu d’accord avec le caractère de ces princes.

i – Protestantes etiam ad offerandum munuscula in altari, ut moris erat, accessisse, sed cum risu. (Spalat. Seck. 2, p. 167.)

Enfin on sortit de la cathédrale ; nul, sauf les amis du Nonce, n’était satisfait de son discours. L’archevêque de Mayence en était scandalisé. « Que voulait-il dire, s’écriait-il, en demandant à saint Paul de couper les Allemands avec son a glaive ? » On n’avait entendu dans la nef de l’église que des éclats de voix inarticulés ; les Protestants interrogeaient ceux de leurs amis qui étaient dans le chœur. « Plus ces prêtres excitent leurs princes à des guerres sanglantes, dit alors Brentz, plus il faut que nous, nous empêchions les nôtres de se livrer à la violencej. Ainsi parlait, après le discours du ministre de Rome, un ministre de l’Évangile de paix.

j – Ut nostros principes ab importuna violentia retineamus. (Corp. Ref. 2, p. 120.)

L’Empereur, après la messe, monta en voiturek, entouré du plus brillant cortège ; et étant arrivé à l’hôtel de ville, où les séances de la Diète devaient avoir lieu, il s’assit sur un trône recouvert d’un drap d’or, tandis que son frère se plaçait sur un siège en face de lui ; puis, tout autour d’eux, se rangèrent les Électeurs, quarante-deux princes souverains, les députés des villes, les évêques et les ambassadeurs, formant enfin ces comices illustres que Luther, six semaines auparavant, avait cru voir siéger dans les airsl.

k – Imperator cum omnibus in curiam vectus est. (Sturm to Zw. Epp. 2, p. 430.)

l – Ex volucrum monedularumque regno. (L. Epp. 4, p. 13.)

Le Comte-Palatin lut la proposition impériale. Elle se-rapportait à deux points : la guerre contre les Turcs, et la controverse religieuse. « Sacrifiant au bien commun mes injures et mes intérêts particuliers, disait l’Empereur, j’ai quitté mes royaumes héréditaires pour passer, non sans de grands dangers, en Italie, et de là en Allemagne. J’ai appris avec douleur les divisions qui y ont éclaté, et qui, portant atteinte, non seulement à la majesté impériale, mais encore aux commandements du Dieu tout-puissant, doivent engendrer le pillage, l’incendie, la guerre et la mortm. » A une heure, l’Empereur, accompagné de tous les princes, retourna dans son palais.

m – Nicht anders dann zu Raub, Brandt, und Krieg. (F. Urkunden, 1, p. 307.)

Le même jour, l’électeur de Saxe rassembla chez lui ses coreligionnaires, que le discours de l’Empereur avait vivement émus, et il les exhorta à ne se laisser détourner, par aucune menace, d’une cause qui était celle de Dieu mêmen. Tous se montrèrent pénétrés de cette pensée des Ecritures : « Parlez, et la parole n’aura point d’effet, parce que le Dieu fort est avec nouso. »

n – Cohortatus est ad intrepidam causæ Dei assentionem. (Seck. 2, p. 168.)

oÉsaïe 8.10.

L’Électeur avait à porter un pesant fardeau. Non seulement il devait marcher à la tête des princes, mais il avait encore à se défendre de l’influence énervante de Mélanchthon. Ce n’est pas une abstraction de l’État que ce prince nous présente dans toute cette affaire, c’est la plus noble individualité. Le mardi de bon matin, sentant la nécessité de ces forces invisibles qui, selon une belle image des livres saints, font passer comme à cheval par-dessus les lieux escarpés de la terre, et voyant ses domestiques, ses conseillers et son fils réunis, selon la coutume, autour de lui, Jean les pria affectueusement de se retirerp. Il savait que ce n’était qu’en se tenant avec humilité devant Dieu qu’il pourrait subsister avec courage devant Charles. Seul dans sa chambre, il ouvrit et lut les Psaumes ; puis, se jetant à genoux, il présenta à Dieu la plus fervente prièreq. Alors, voulant se confirmer dans la fidélité inébranlable qu’il venait de promettre au Seigneur, il s’avança vers son secrétaire, et y coucha par écrit ses résolutions. Dolzig et Mélanchthon lurent plus tard ces lignes, et en furent remplis d’admirationr.

p – Mane remotis omnibus consilliariis et ministris. (Seck. 51, p. 169.)

q – Precibus ardentissimis a Deo successum negotii petiisset. (Ibid.)

r – Quæ cum admiratione legisse dicuntur. (Ibid.)

S’étant ainsi retrempé dans des pensées célestes, Jean prit en main la proposition impériale, la médita mûrement, et ayant fait venir son fils, le chancelier Brück, et un peu plus tard Mélanchthon, ils tombèrent d’accord que c’était par les affaires religieuses que les délibérations de la Diète devaient commencer : ses alliés, consultés par lui, se rangèrent à cet avis.

Le Légat avait conçu un projet diamétralement opposé. Il voulait étouffer l’affaire religieuse, et demandait à cette fin que les princes se contentassent de l’examiner en comité secrets.

s – Si acturi sunt secreto et inter sese, nulla publica disputatione vel audientia. (L. Epp. 4, p. 43.)

Prendre ses adversaires par le silence, sans confession, sans dispute, comme on prend une ville par la famine, sans bataille et sans assaut ; bâillonner la Réformation, et la réduire ainsi à l’impuissance et à la mort, telle était sa tactique. Ce n’était pas assez d’avoir fait taire les prédicateurs ; il fallait faire taire les princes, mettre la Réforme au secret, et l’y laisser s’éteindre.

Ce plan était bien conçu, il s’agissait de l’exécuter. Celui qu’on choisit pour cette intrigue était un gentilhomme espagnol, homme honnête, Alphonse Valdès, secrétaire de Charles-Quint. La politique se sert souvent des gens de bien pour les trames les plus perfides. On décida que Valdès s’adresserait au plus craintif des Protestants, à Mélanchthon.

Le 16 ou le 17 juin, aussitôt après l’arrivée de Charles, Valdès fit prier Mélanchthon de passer chez lui. « Les Espagnols, lui dit-il, s’imaginent que les Luthériens enseignent des doctrines impies sur la sainte Trinité, sur Jésus-Christ, sur la bienheureuse mère de Dieut ; aussi croient-ils faire une œuvre plus méritoire en égorgeant un Luthérien qu’en tuant un Turc »

t – Hispanis persuasum esse Lutheranos impie de Sanctissima Trinitate. (Ex relatione Spalati in Seck. 2, p. 165.)

– Je le sais, répondit Mélanchthon, et je n’ai pas encore pu parvenir à faire revenir vos compatriotes de cette erreur.

– Mais enfin, que demandent donc les Luthériens ?

— L’affaire luthérienne n’est pas si compliquée et si inconvenante que l’imagine Sa Majesté. Nous n’attaquons pas l’Église catholique autant qu’on le croit vulgairementu, et toute la controverse se réduit à ces trois points : les deux espèces dans le sacrement de la Cène, le mariage des pasteurs, et l’abolition des messes privées. Si nous pouvons tomber d’accord sur ces articles, il sera facile de s’entendre sur les autres.

u – Non adeo per eos Ecclesiam Catholicam oppugnari, quam vulgo putaretur. (Ibid. 100.)

– Eh bien ! j’en ferai rapport à Sa Majesté.

Charles-Quint fut ravi de cette communication. « Allez, dit-il à Valdès, rapportez ces choses au Légat, et demandez à maître Philippe de vous remettre par écrit une courte exposition de ce qu’ils croient et de ce qu’ils nient. »

Valdès courut chez Campeggi. « Ce que vous me dites me plaît assez, lui dit celui-ci. Quant aux deux espèces dans la Cène et au mariage des prêtres, il y aura moyen de s’entendrev ; mais nous ne pouvons consentir à l’abolition des messes privées. » C’eût été, en effet, retrancher un des plus grands revenus de l’Église.

v – Mit beider Gestalt sacraments oder des Pfaffen und Monch Ehe. (Corp. Ref. 2, p. 123.)

Le samedi 18 juin, Valdès vit de nouveau Mélanchthon. « L’Empereur nous demande une exposition modeste et concise, lui dit-il, et il est persuadé qu’il sera plus avantageux de traiter cette affaire brièvement, secrètementw, en évitant toute audience publique et toute dispute prolixe, qui n’engendrerait que colère et que division. — Eh bien ! dit Mélanchthon, j’y réfléchirai. »

Mélanchthon était presque gagné ; une conférence secrète allait beaucoup mieux à sa timidité. N’avait-il pas souvent répété : Avant tout, la paix ? Tout faisait donc espérer au Légat qu’il pourrait se contenter d’envoyer des muets contre la Réforme, pour l’étrangler entre quatre mursx.

w – Die Sache in einer Enge und Stille vorzu nehmen. (Corp. Ref. 2, p. 123.)

x – Cælestin, Hist. Comit. August. P. 93.

Heureusement que le Chancelier et l’Électeur ne jugèrent pas convenable d’entrer dans les insinuations dont Charles avait chargé l’honnête Valdès. La résolution de ces membres laïques de l’Église la sauva du faux pas qu’allaient faire ses docteurs, et les ruses italiennes échouèrent contre la fermeté évangélique. On permit seulement à Mélanchton de remettre la confession à l’Espagnol, pour que celui-ci en prît connaissance. Malgré la modération qu’on y avait mise, Valdès s’écria : « Ces paroles sont trop amères, et vos adversaires ne pourront jamais les endurery. » Ainsi finit la manœuvre du Légatz.

y – Ac plane putavit πικρότερον esse quam ut ferre possent adversarii. (C. R., II, p. 140.)

z – Intelligo hoc τοὺς ἀρχιερέας, ut omnino nihil agatur de negotis ecclesiasticis. (C. Ref., II, p. 57.)

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