Histoire de la Réformation du seizième siècle

14.6

Délai refusé aux Protestants – Signature de la confession – Courage des princes – Faiblesse de Mélanchthon – Conscience ! – 24 juin –Audience du Légat – On refuse d’entendre les Protestants – Lutte – Accablement de Mélanchthon – Un miracle à Rome – Désolation et triomphe – Prière de Luther – Luther sans nouvelles d’Augsbourg – Passages et inscriptions – Luther rassure Mélanchthon

Charles, contraint de se résigner à une séance publique, ordonna, le mercredi juin, à l’Électeur et à ses alliés de tenir prête leur confession pour le surlendemain vendredi 24. Le parti romain était aussi invité à présenter une confession de foi ; mais il s’en dispensa, disant qu’il s’en tenait à l’édit de Worms.

L’ordre de l’Empereur prenait les Protestants à l’improviste, car les négociations entre Valdès et Mélanchthon avaient empêché celui-ci de mettre la dernière main à la confession. Elle n’était pas au net, et l’exorde, ainsi que les conclusions, n’étaient point définitivement rédigés ; en conséquence, les Protestants prièrent l’archevêque de Mayence de leur obtenir un délai d’un jour ; mais ce délai leur fut refuséa. On travailla donc sans désemparer, même pendant la nuit, à corriger la confession et à la transcrire.

a – Dasselbige abgeschlagen. (Ibid. 127.)

Le jeudi 23 juin, tous les princes, députés, conseillers et théologiens protestants, se réunirent de bonne heure chez l’électeur de Saxe. On lut la confession en langue allemande, et tous y donnèrent leur pleine adhésion, sauf le Landgrave et les Strasbourgeois, qui demandèrent un changement dans l’article sur la Cèneb ; les princes rejetèrent cette demande.

b – Argentinenses ambierunt aliquid ut excepto articulo sacramenti susciperentur. (Corp. Ref. 2, p. 155.)

Déjà l’Electeur s’apprêtait à signer, quand Mélanchthon l’arrêta ; il craignait de donner à l’affaire religieuse une couleur trop politique. Selon lui, c’était l’Eglise qui devait ici comparaître, et non pas l’État. « C’est aux théologiens, c’est aux ministres, dit-il, de proposer ces chosesc ; réservons pour d’autres circonstances l’autorité des grands de la terre. — A Dieu ne plaise que vous m’excluiez ! répondit l’Électeur ; je veux faire ce qui est droit, sans m’inquiéter de ma couronne ; je veux confesser le Seigneur. Mon chapeau électoral et mon hermine ne valent pas pour moi la croix de Jésus-Christ. Je laisserai sur la terre ces insignes de ma grandeur, mais la croix de mon Maître m’accompagnera jusqu’aux étoiles. »

c – Non principum nomine edi sed docentium, qui theologi vocantur. (Camer. P. 120.)

Comment résister à des paroles si chrétiennes ? Mélanchthon se rendit.

Alors l’Électeur s’approcha, signa, et passa la plume au Landgrave. Celui-ci fit d’abord quelques difficultés. Cependant l’ennemi était à la porte ; était-ce le moment de se désunir ? Philippe de Hesse signa, mais en déclarant que la doctrine de la Cène ne le satisfaisait pasd.

d – Landgravius subscribit nobiscum, sed tamen dicit sibi, de sacramento, a nostris non satisfieri. (Corp. Ref. 2, p. 155.)

Le Margrave et le duc de Lunebourg ayant écrit leur nom, le prince d’Anhalt prit la plume, et dit : « J’ai fait plus d’une course pour plaire à d’autres ; maintenant, si l’honneur de Jésus-Christ mon seigneur le requiert, je suis prêt à laisser derrière moi mes biens et ma vie, et à me précipiter dans l’éternité vers la couronne immortelle. » Puis, ayant signé, ce jeune prince dit, en se retournant vers les théologiens : « Plutôt renoncer à mes sujets et à mes États, plutôt partir du pays de mes pères un bâton à la main, plutôt gagner ma vie en ôtant la poussière des souliers de l’étranger, que de recevoir une autre doctrine que celle qui est contenue dans cette confession ! » Nuremberg et Reutlingen seules, entre les villes, apposèrent leur signaturee. On arrêta de demander à l’Empereur que la confession fût lue publiquementf.

e – Confessioni tantum subscripserunt Nuremberga et Reutlingen. (Ibid.)

f – Decretum est ut publicæ recitandæ concessio ab Impera tore peteretur. (Seck. 2, p. 169.)

Ce courage des princes frappait tout le monde. Rome avait écrasé les membres de l’Église, et en avait fait un troupeau d’esclaves qu’elle traînait après elle, muets et avilis ; la Réformation les affranchissait, et avec leurs droits elle leur rendait leurs devoirs. Le prêtre n’avait plus le monopole de la religion ; chaque chef de famille redevenait sacrificateur dans sa maison, et tous les membres du peuple de Dieu étaient dès lors appelés au rang de confesseurs. Les laïques ne sont rien ou presque rien dans la secte de Rome, mais ils sont la partie essentielle de l’Église de Jésus-Christ. Partout où l’esprit-prêtre s’établit, l’Église meurt ; partout où les laïques, comme ces princes d’Augsbourg, comprennent leur dépendance immédiate de Christ et leur devoir, l’Église vit.

Les théologiens évangéliques étaient émus du dévouement des princes. « En voyant leur fermeté dans la confession de l’Évangile, disait Brentz, le rouge me monte au visage. Quelle honte que nous, qui ne sommes auprès d’eux que des mendiants, nous ayons tellement peur de confesser Jésus-Christg ! » Brentz pensait alors à certaines villes, surtout à Halle dont il était pasteur, mais sans doute aussi aux théologiens.

g – Rubore suffundor non mediocri, quod nos, præ illis mendici, etc. (Corp. Ref. 2, p. 125.)

En effet, sans manquer de dévouement, ceux-ci manquaient quelquefois de fermeté. Mélanchthon était dans une constante agitation ; il courait, allait, venait, se glissant partout, dit Cochlée dans ses Philippiquesh, pénétrant Non seulement dans les maisons et les hôtels des particuliers, mais encore s’insinuant jusque dans les palais des cardinaux, des princes, et même à la cour de l’Empereur. Soit à table, soit dans ses entretiens, il n’épargnait aucun argument pour persuader à tout venant que rien n’était plus facile que de rétablir la paix entre les deux partis.

h – Cursitabat hinc inde, perreptans ac penetrans. (Cochl. Phil. 4. In Apol.)

Un jour, il fut chez l’archevêque de Salzbourg, qui, dans un long discours, lui fit un éloquent tableau des troubles enfantés, disait-il, par la Réforme, et termina par une péroraison « écrite avec du sang, » dit Mélanchthoni. Philippe, à la torture, s’étant hasardé à glisser dans la conversation le mot de conscience : « Conscience !… reprit brusquement l’Archevêque, conscience ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Je vous dis, moi, que l’Empereur ne permettra pas que l’on porte ainsi le trouble dans l’Empire. — Si j’avais été à la place de Mélanchthon, dit Luther, j’aurais aussitôt répondu à l’Archevêque : Et notre Empereur à nous ne tolérera pas un tel blasphème ! — Hélas ! disait Mélanchthon, ils sont aussi pleins d’assurance et d’orgueil que s’il n’existait pas de Dieuj. »

i – Addebat Epilogum plane sanguine scriptum. (Corp. Ref. 2, p. 126.)

j – Securi sunt quasi nullus sit Deus. (Ibid. 156.)

Un autre jour, Mélanchthon fut chez Campeggi, et le conjura de persévérer dans la modération qu’il lui supposait. Un autre jour encore, il fut, à ce qu’il paraît, chez l’Empereur lui-mêmek.

k – Melancthon a Cæsare, Salisburgensi et Campegio vocatus est. (Zw. Epp. 2, p. 473.)

« Hélas ! disaient les Zwingliens alarmés, après avoir mitigé la moitié de l’Évangile, Mélanchthon en sacrifie l’autrel. »

l – Ut cum mitigarit tam multa, cedat et reliqua. (Zw. Epp. 2, p. 473.)

Les ruses des Ultramontains se joignaient à l’abattement de Philippe pour arrêter la marche courageuse des princes. Le vendredi 24 juin était le jour fixé pour la lecture de la confession ; mais les mesures étaient prises pour l’empêcher. A trois heures après midi, la Diète étant entrée en séance, le Légat s’annonça ; l’Empereur alla à sa rencontre jusqu’au haut du grand escalier, et Campeggi s’étant placé en face de Charles-Quint, sur le trône du roi Ferdinand, prononça une harangue en style cicéronien : « Jamais, dit-il, la nacelle de saint Pierre n’a été si violemment agitée par tant de flots, de sectes et de tourbillonsm… Le Saint-Père a appris ces choses avec douleur, et désire arracher l’Église à ces gouffres affreux. Pour l’amour de Jésus-Christ, pour le salut de votre patrie, pour le vôtre propre, ô puissant prince, défaites-vous de ces erreurs, délivrez-en l’Allemagne, et sauvez la chrétienté !… »

m – Neque unquam tam varbs sectarum turbinibus navicula Petri fluctuaverit. (Seck. 2, p. 169.)

Après une réponse modérée de l’électeur de Mayence, le Légat quitta l’Hôtel de Ville, et les princes évangéliques se présentèrent ; mais on avait pourvu à un nouvel obstacle. Des députés de l’Autriche, de la Carinthie et de la Carniole furent d’abord entendusn.

n – Oratio valde lugubris et miserabilis contra Turcas. (Corp. Ref. 2, p. 154.)

Beaucoup de temps s’était ainsi écoulé. Cependant les princes évangéliques se levèrent de nouveau, et le chancelier Brück, prenant la parole, dit : « Des dogmes nouveaux, qui ne sont pas basés sur l’Écriture, des hérésies et des schismes, sont, dit-on, répandus par nous au milieu du peuple. Considérant que ces accusations compromettent non seulement notre bonne renommée, mais encore le salut des âmeso, nous supplions Sa Majesté de vouloir bien entendre l’exposition de nos doctrines. »

o – Verum etiam ad animæ dispendium aut salutem æternam. (Seck. 2, p. 189.)

L’Empereur (il en était sans doute convenu avec le Légat) fit répondre qu’il était trop tard ; que cette lecture était d’ailleurs inutile, et que les princes devaient se contenter de remettre leur confession par écrit. Ainsi la mine, habilement préparée, jouait admirablement : la confession, une fois remise à l’Empereur, serait oubliée, et la Réformation devrait se retirer, couverte d’opprobre, sans qu’on eût même daigné l’entendre.

Les princes protestants, inquiets, insistèrent. « Il y va de notre honneur, disaient-ils, il y va de notre âmep. On nous accuse publiquement ; nous devons répondre publiquement. » Charles était ébranlé ; Ferdinand se pencha vers lui, et lui dit quelques mots à l’oreilleq ; l’Empereur refusa une seconde fois.

p – Ihre Seele, Ehre und Glimpf belunget. (Corp. Ref. 2, p. 128.)

q – Viderant enim eum subinde aliquid illi in aurem in susurrare. (Seck. 2, p. 169.)

Alors l’Électeur et les princes, toujours plus alarmés, dirent pour la troisième fois, avec instancer : « Pour l’amour de Dieu, laissez lire notre confession ! on n’y insulte personne. » D’un côté, se trouvaient quelques hommes fidèles, demandant à grands cris à confesser leur foi ; et de l’autre, le grand empereur d’Occident, entouré d’une foule de cardinaux, de prélats, de princes, s’efforçant d’étouffer la manifestation de la vérités. Lutte grave, violente, décisive, et où les intérêts les plus saints se trouvaient agités.

r – Zum dritten mal heftig angehalten. (Corp. Ref. 2, p. 128.)

s – Circumsistebant Cæsarem magno numero cardinales et prælati ecclesiastici. (Seck. 2, p. 169.)

A la fin, Charles parut céder. « Sa Majesté vous accorde votre demande, dit-on aux princes ; mais comme il est maintenant trop tard, elle vous prie de lui remettre votre confession écrite ; et demain, à deux heures, la Diète sera prête à en entendre lecture au palais Palatin. »

Les princes furent saisis par ces paroles, qui, en paraissant tout leur accorder, ne leur accordaient rien. D’abord ce n’était pas dans une séance publique de la Diète à l’Hôtel de Ville, mais d’une manière privée, dans son propre palais, que l’Empereur voulait les entendret ; puis ils ne doutaient pas que si la confession sortait de leurs mains, ce n’en fût fait de la lecture publique. Ils tinrent ferme. « Ce travail a été fait en grande hâte, dirent-ils (et c’était la vérité) ; veuillez nous le laisser encore cette nuit, pour le revoir. » L’Empereur fut obligé de se rendre, et les Protestants retournèrent à leurs hôtels pleins de joie, tandis que le Légat et les siens, voyant la confession inévitable, attendaient avec une anxiété toujours croissante la journée du lendemain.

t – Non quidem publice in prætorio, sed privatim in palatio suo. (Corp. Ref. 2, p. 124.)

Parmi ceux qui s’apprêtaient à confesser la vérité évangélique, il en était un pourtant qui avait le cœur rempli de tristesse ; c’était Mélanchthon. Placé entre deux feux, il voyait les Réformés et plusieurs même de ses amis lui reprocher sa faiblesse, tandis que les Ultramontains détestaient ce qu’ils appelaient son hypocrisie. Son ami Camérarius, qui vint dans ce temps à Augsbourg, le trouvait souvent abîmé dans ses pensées, poussant de profonds soupirs, et versant des larmes amèresu. Brentz, ému de compassion, visitait le malheureux Philippe, s’asseyait à ses côtés, et pleurait avec luiv ; Jonas, s’efforçant de le consoler d’une autre manière, l’exhortait à prendre le livre des Psaumes, et à crier de tout son cœur à Dieu, en se servant des paroles de David plutôt que des siennes.

u – Non modo suspirantem sed profundentem lacrymas conspexi. (Camer. P. 124.)

v – Brentius assidebat hæc scribenti, una lacrymans. (Corp. Ref. 2, p. 126.)

Un jour, une nouvelle étrange se répandit, dont tout Augsbourg s’entretint, et qui, portant la terreur parmi les amis du Pape, donna un moment de distraction à Mélanchthon. « Une mule ayant mis bas à Rome, disait-on, son petit est venu au monde avec des pieds de grue. — Ce prodige, s’écria Mélanchthon, annonce que Rome est près de sa finw. » Serait-ce parce que la grue est un oiseau de passage, et que la mule du Pape faisait ainsi mine de s’en aller ? Mélanchthon l’écrivit aussitôt à Luther, et Luther répondit qu’il se réjouissait fort que Dieu eût donné au Pape un signe aussi frappant de sa ruine prochainex. Il est bon de se rappeler ces puérilités du siècle des Réformateurs, pour comprendre d’autant mieux la haute portée de ces hommes de Dieu dans les choses de la foi.

w – Romæ quædam mula peperit, et partus habuit pedes gruis. Vides significari exitium Romæ per schismata. (Corp. Ref. 2, p. 126.)

x – Gaudeo Papæ signum datum in mula puerpera, ut citius pereat. (L. Epp. 4, p. 4.)

Ces billevesées romaines ne soulagèrent pas longtemps Mélanchthon. Il se voyait, la veille du 25 juin, en face de cette confession qu’il avait rédigée, qui allait être lue, et où un mot de trop ou un mot de moins pouvait décider de l’approbation ou de la haine des princes, du salut ou de la perte de la Réformation et de l’Empire. Il n’y tenait plus, et le faible Atlas, écrasé sous le poids du monde qu’il portait, poussait un cri de douleur. « Tout mon temps se consume ici dans les larmes et dans le deuily, » écrivait-il à Vite Diedrich, secrétaire de Luther au château de Cobourg. Le lendemain, il écrivait à Luther lui-même : « Notre demeure est dans des pleurs perpétuelsz ; notre consternation est indiciblea. O mon père… je ne veux pas que mes paroles exagèrent mes douleurs ; mais, sauf vos consolations, il n’y a rien ici qui ne nous ravisse notre paix. »

y – Hic consumitur omne mihi tempus in lacrymis et luctu. (Corp. Ref. 2, p. 126.)

z – Versamur hic in miserrimis curis et plane perpetuis lacrymis. (Ibid. p. 140.)

a – Mira consternatio animorum nostrorum. (Ibid.)

Rien ne contrastait avec les défiances et les désolations de Mélanchthon comme la foi, le calme et le triomphe de Luther. Il lui fut avantageux de ne pas se trouver alors au milieu du tourbillon d’Augsbourg, et de pouvoir, dans son solitaire château, poser tranquillement les pieds sur le rocher des promesses de Dieu. Il sentait lui-même le prix de ce paisible ermitage, comme il l’appelaitb. « Je ne puis assez admirer, disait Vite Diedrich, la fermeté, la gaieté et la foi de cet homme, si étonnantes en des temps si cruels. » Luther, outre la lecture constante de la parole de Dieuc ne passait pas un jour sans consacrer au moins trois heures à la prière, et trois heures choisies parmi les plus favorables à l’étuded. Un jour, comme Diedrich s’approchait de la chambre du Réformateur, il entendit sa voixe, et demeura immobile, retenant son haleine, à quelques pas de la porte. Luther priait, et « sa prière, dit son secrétaire, était pleine d’adoration, de crainte et d’espérance, comme quand on parle à son ami et à son pèref. » — Je sais que tu es notre père et notre Dieu, disait le Réformateur, et que tu dissiperas les persécuteurs de tes enfants, car tu es toi-même en danger avec nous. Toute cette affaire est la tienne, et ce n’est que contraint par toi que nous y avons mis la main. Défends-nous donc, ô Père ! » Le secrétaire, immobile comme une statue, dans le long corridor du château, ne perdait pas un des mots que la voix de Luther, claire et retentissante, apportait jusqu’à luig. Le Réformateur pressait Dieu ; il le sommait d’accomplir ses promesses, avec tant d’onction, que Diedrich sentait son cœur brûler au dedans de luih. « Ah ! s’écriait-il en se retirant, comment ces prières ne pèseraient-elles pas dans la cause désespérée qui se débat à Augsbourg !… »

b – Ex eremo tacita. (L. Epp., IV, p. 51.) C’est ainsi qu’il date sa lettre.

c – Assidue autem illa diligentiore verbi Dei tractatione alit. (Corp. Ref. 2, p. 159.)

d – Nullus abit dies, quin ut minimum tres horas easque studiis optimas in orationibus ponat. (Ibid.)

e – Semel mihi contigit ut orantem eum audirem. (Corp. Ref. 2, p. 159.)

f – Tanta spe et fide ut cum patre et amico colloqui sentiat. (Ibid.)

g – Tum orantem clara voce, procul stans, audivi. (Ibid.)

h – Ardebat mihi quoquo animus singulari quodam impetu. (Ibid.)

Cependant Luther eût aussi pu se laisser surmonter par la crainte, car on le laissait dans une complète ignorance sur ce qui se passait à la Diète. Un messager de Wittemberg, qui devait lui apporter des forêts de lettres (selon son expression), s’étant présenté : « Apportes-tu des lettres ? lui dit Luther. — Non. — Comment vont ces Messieurs ? — Bien. » Luther, désolé d’un tel silence, retourna s’enfermer dans sa chambre. Bientôt parut un courrier à cheval, portant les dépêches de l’Électeur : « Apportes-tu des lettres ? lui cria Luther. — Non. — Comment vont ces Messieurs ? ajouta-t-il avec crainte. — Bien. —Cela est étrange ! » pensa le Réformateur. Une voiture étant partie de Cobourg chargée de farine (car on manquait presque de vivres à Augsbourg), Luther attendait avec impatience le retour du voiturier ; mais il revint à vide. Luther commença alors à rouler dans son esprit les plus tristes pensées, ne doutant pas qu’on ne lui cachât quelque malheuri. Enfin, un autre personnage, Jobst Nymptzen, étant arrivé d’Augsbourg, Luther se précipita de nouveau vers lui avec sa question ordinaire : « Apportes-tu des lettres ? Il attendait en tremblant la réponse. — Non. — Et comment vont donc ces Messieurs ? — Bien. » Le Réformateur s’éloigna, en proie à la colère et à la crainte.

i – Hic cœpi cogitare tristia, suspirans, vos aliquid mali me celare velle. (L. Epp. 4, p. 60.)

Alors Luther ouvrait sa Bible, et, pour se consoler du silence des hommes, il s’entretenait avec Dieu. Il y avait surtout quelques passages des Écritures qu’il relisait sans cesse. Nous en donnons en note l’indicationj. Il faisait plus ; il écrivait lui-même plusieurs déclarations de l’Écriture sur les portes, les vitres des fenêtres et les murailles du château. Ici, c’étaient ces mots du Psaume 118 : Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les faits de l'Éternel. Là, c’étaient ceux-ci, tirés du chapitre 12 des Proverbes : La voie des méchants les fera fourvoyer. Et au-dessus de son lit, ces paroles du Psaume 4 : Je me coucherai et je dormirai en paix, car toi seul, ô Eternel, me feras habiter en assurance… Jamais homme peut-être ne s’entoura des promesses du Seigneur, n’habita dans l’atmosphère de sa parole, et ne vécut de son souffle, comme Luther à Cobourg.

j2 Timothée 3.12 ; Philippiens 2.12-13 ; Jean 10.17-18 ; Matthieu 16.18 ; Psaumes 46.1-2 ; 1 Jean 4.4 ; Psaumes 55.23 ; 27.14 ; Jean 16.33 ; Luc 17.5 ; Psaumes 32.11 ; 145.18-19 ; Psaumes 91.14-15 ; Siracide 2.11 ; 1 Maccabées 2.61 ; Matthieu 6.31 ; 1 Pierre 5.6-7 ; Matthieu 10.28 ; 1 Samuel 4.18 ; 31.4-8 ; 2.30 ; 2 Timothée 2.17-19 ; 1.12 ; Éphésiens 3.20-21 ; Romains ch. 4 et 6 ; Hébreux ch. 5 et 11. On remarquera parmi ces passages deux versets tirés des Apocryphes, mais dont il serait facile de trouver l’équivalent dans la parole de Dieu.

Enfin, des lettres arrivèrent : « Si les temps où nous sommes ne s’y fussent opposés, j’eusse imaginé quelque vengeance, écrivit Luther à Jonas ; mais la prière arrêtait ma colère, et la colère arrêtait ma prièrek. Je me réjouis de cet esprit tranquille que Dieu accorde à notre prince. Quant à Mélanchthon, c’est sa philosophie qui le tourmente, et rien autre. Car notre cause est dans les mains mêmes de celui qui peut dire avec une indicible fierté : Nul ne la ravira de mes mains. Je ne voudrais pas, et il ne serait pas désirable, qu’elle fût dans les nôtresl. J’ai eu bien des choses dans mes mains, et je les ai toutes perdues ; mais toutes celles que j’ai pu placer dans les siennes, je les possède encore. »

k – Sed orandi tempus non sinebat irasci, et ira non sinebat orare. (L. Epp. 4, p. 46.)

l – Nec vellem, nec consultum esset, in nostra manu esse. (Ibid.)

Apprenant que l’angoisse de Mélanchthon continuait, Luther lui écrivit ; ce sont des paroles qu’il faut conserver :

« Grâce et paix en Christ. — En Christ, dis-je, et non selon le monde. Amen.

Je hais d’une haine véhémente ces soucis extrêmes qui vous consument.… Si la cause est injuste, abandonnons-la ; si elle est juste, pourquoi ferions-nous mentir dans ses promesses celui qui nous commande de dormir sans peur ?… Le Diable peut-il faire davantage que de nous égorger ?… Christ ne fera pas défaut à l’œuvre de la justice et de la vérité. Il vit, il règne : quelle crainte pouvons-nous donc avoir ? Dieu est puissant pour relever sa cause si elle est renversée, pour la faire marcher si elle reste immobile ; et si nous n’en sommes pas dignes nous-mêmes, il le fera par d’autres.

J’ai reçu votre Apologiem, et je ne puis comprendre ce que vous entendez quand vous me demandez ce qu’il faut céder aux Papistes ; on leur a trop cédé. Nuit et jour je médite cette affaire ; je la tourne et la retourne ; je parcours toute l’Écriture ; et l’assurance que notre doctrine est la vérité même ne cesse de croître en mon esprit. Dieu aidant, je ne me laisserai pas ravir une seule lettre de tout ce que nous avons dit.

m – La Confession revue et corrigée.

L’issue de cette affaire vous tourmente, parce que vous ne pouvez la comprendre. Mais si vous le pouviez, je n’y voudrais, moi, avoir la moindre part. Dieu l’a mise en un « lieu commun » que vous ne trouverez ni dans votre rhétorique, ni dans votre philosophie ; ce lieu s’appelle la foin. C’est celui dans lequel subsistent toutes les choses que l’on ne peut ni comprendre ni voir. Quiconque veut les toucher comme vous, a des larmes pour salaire.

n – Deus posuit eam in locum quendem communem, quem in tua rhetorica non habes nec in philosophia tua ; is vocatur fides. (L. Epp. 4, p. 53.)

Si Christ n’est pas avec nous, où est-il dans tout l’univers ? Si nous ne sommes pas l’Église, où donc est l’Église ?… Sont-ce les ducs de Bavière ? Est-ce Ferdinand, est-ce le Pape, est-ce le Turc, qui le sont ? Si nous n’avons pas la parole de Dieu, qui est-ce qui la possède ?

Seulement il faut de la foi, de peur que la cause de la foi ne se trouve être sans foio.

o – Tantum est opus fide, ne causa fidei sit sine fide. (Ibid. p. 61)

Si nous tombons, Christ tombe avec nous, c’est-à-dire le Maître du monde. J’aime mieux tomber avec Christ que d’être debout avec César. »

Ainsi écrivait Luther. La foi qui l’animait découlait de lui comme des torrents d’eaux vives. Il était infatigable ; dans un seul jour il écrivit à Mélanchthon, à Spalatin, à Brentz, à Agricola, à Jean-Frédéric, des lettres pleines de vie. Il n’était pas seul à prier, à parler, à croire ; au même moment, les chrétiens évangéliques s’exhortaient partout à la prièrep. Tel fut le laboratoire où se forgèrent les armes avec lesquelles les confesseurs de Christ parurent devant la diète d’Augsbourg.

p – Wittembergæ scribunt, tam diligenter ibi Ecclesiam orare. (Ibid. p. 69.)

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