Histoire de la Réformation du seizième siècle

14.8

Effet à Augsbourg – Témoignages divers – Pays étrangers – Liberté religieuse – Le dénouement – Idée dominante de Luther – Aveux ingénus – Nouvelles recrues – L’Empereur – Espoir trompeur – Les villes – Leur refus – Conseil impérial – Que doit-on répondre ? – Débats animés – L’encre rouge des Romains – Changement dans la majorité – La réfutation et ses auteurs – Différence entre Rome et la Réforme – Rome triomphe par l’État – Désespoir de Mélanchthon – Voix pour la Réforme – Une princesse chrétienne à Augsbourg – Conférences évangéliques à la cour – Des sermons protestants – La pieuse chasseresse – Chute de Mélanchthon – Luther s’oppose à des concessions – Le Légat se joue de Mélanchthon – Piège tendu par les ultramontains – Doctrines d’école selon Mélanchthon – Réponse des Protestants

Les Catholiques-romains ne s’étaient attendus à rien de pareil. Au lieu d’une polémique haineuse, ils avaient entendu une confession éclatante de Jésus-Christ : aussi les adversaires les plus hostiles étaient-ils désarmés. « Nous ne voudrions pas pour beaucoup, disait-on de tous côtés, n’avoir pas assisté à cette lecturen ! » L’effet fut si prompt, que l’on crut un instant la cause définitivement gagnée. Les évêques eux-mêmes imposaient silence aux sophismes et aux clameurs des Faber et des Ecko. « Tout ce que les Luthériens ont dit est vrai, s’écriait l’évêque d’Augsbourg ; nous ne pouvons le nierp. — Eh bien, docteur ! dit à Eck le duc de Bavière avec un ton de reproche, vous m’aviez donné une tout autre idée de cette doctrine et de cette affaireq. » C’était le cri universel ; aussi les sophistes, comme on les appelait, étaient-ils fort embarrassés.

n – Brucks Geschichte der Handl. In den Sachen des Glaubens zu Augsbourg. (Forstemann Archiv. P. 50.)

o – Multi episcopi ad pacem sunt inclinati. (L. Epp, 4, p. 70.)

p – Illa quæ recitata sunt, vera sunt, sunt pura veritas ; non possumus inficiari. (Corp. Ref. 2, p. 154.)

q – So habman Im vor nicht gesagt. (Mathes. Hist. P. 99.)

« Mais enfin, dit le duc de Bavière au docteur Eck et à ses amis, pouvez-vous réfuter, avec de bonnes raisons, la confession faite par l’Electeur et ses alliés ? – Avec les écrits des Apôtres et des Prophètes, non répondit Eck ; mais avec ceux des Pères et des Conciles, ouir ! — Je comprends… reprit vivement le Duc, je comprends les Luthériens, selon vous, sont dans l’Écriture… et nous, nous sommes à côté »

r – Mit Propheten und Aposteln schriften nicht. (Ibid.)

L’archevêque Hermann, électeur de Cologne, le comte palatin Frédéric, le duc Éric de Brunswick-Lunebourg, le duc Henri de Mecklembourg, les ducs de Poméranie, étaient gagnés à la vérité, et Hermann chercha bientôt à l’établir dans son Électorat.

L’impression produite à l’étranger par la confession fut peut-être plus grande encore. Charles en envoya des copies à toutes les cours ; on la traduisit en français, en italiens, même en espagnol et en portugais ; elle se répandit dans toute l’Europe, et ainsi s’accomplit ce qu’avait dit Luther : « Notre confession se frayera une voie dans toutes les cours, elle parlera aux princes et aux rois, et le son en ira par toute la terret. »

s – Cæsar sibi fecit nostram confessionem reddi Italica et Gallica lingua. (Corp. Ref. 2, p. 155.) La traduction française se trouve dans Forstemanns Urkunden, I, p. 357 : Articles principaulx de la foy.

t – Perrumpet in omnes aulas Principum et Regum. (L. Epp. 4, p. 96.)

Elle détruisit les préjugés que l’on avait conçus, donna au monde une idée plus saine de la Réformation, et prépara les contrées les plus lointaines à recevoir les semailles de l’Évangile.

Alors la voix de Luther commença de nouveau à se faire entendre. Il comprit que le moment était décisif, et se hâta de donner l’impulsion qui devait conquérir la liberté religieuse. Il demanda hardiment cette liberté aux princes catholiques romains de la Diète. « Que chacun, leur dit-il, soit libre de croire ce qu’il veut : contraindre à croire est une tâche qui dépasserait infiniment la puissance et de l’Empereur et du Papeu. »

u – Épître à l’Électeur de Mayence. (L. Epp., IV, p. 74.)

En même temps il agissait auprès des siens pour leur faire quitter Augsbourg. Jésus-Christ avait été hautement confessé. Au lieu de cette longue série de discussions et de querelles qui allait se rattacher à cet acte courageux, Luther aurait voulu une rupture éclatante, dût-il même sceller de son sang le témoignage rendu à l’Évangile. Un bûcher eût été, selon lui, la fin naturelle de cette tragédie : « Je vous renvoie de cette Diète au nom du Seigneur, écrivit-il à ses amis : maintenant à la maison, encore à la maison, toujours à la maisonv ! Plût à Dieu, fussé-je le sacrifice immolé à ce nouveau concile, comme Jean Huss à Constancew ! »

v – Igitur absolvo vos in nomine Domini ab isto conventu. (Ibid. 96.)

w – Vellem ego sacrificium esse hujus novissimi concillisicut Johannes Huss Contantiæ. (Ibid. 110.)

Mais Luther ne s’attendait pas à une si belle fin ; il comparait la Diète à un drame : on avait eu d’abord l’exposition, puis le prologue, ensuite l’action ; on attendait maintenant le dénouement, tragique selon quelques-uns, mais qui, selon lui, ne serait que comiquex. « On sacrifiera tout, pensait-il, à la paix politique, et les dogmes seront mis de côté. » Cette marche, qui, encore de nos jours, serait aux yeux du monde la suprême sagesse, eût été aux yeux de Luther la suprême folie.

x – Sed catastrophen illi tragicam, nos comicam expectamus. (Ibid. 85.)

L’intervention de Charles était surtout ce qui l’épouvantait : soustraire l’Église à l’influence séculière, et les gouvernements à l’influence cléricale, était alors une des pensées dominantes du grand Réformateur. « Vous voyez, écrivait-il à Mélanchton, que l’on oppose à notre cause le même argument qu’à Worms, savoir, encore et toujours…, le jugement de l’Empereur. Ainsi Satan fait sans cesse la même bévue, et cette force efféminéey du pouvoir civil est la seule puissance que cet Esprit aux mille artifices sache trouver contre Jésus-Christ. » Mais Luther prenait courage et relevait fièrement la tête. Christ vient, continue-t-il ; il vient, placé à la droite… de qui ?… non de l’Empereur, car nous serions depuis longtemps perdus, mais de Dieu même. Ne craignez rien : Christ est le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs ; s’il perd ce titre à Augshourg, il faut aussi qu’il le perde sur toute la terre et dans tous les cieux. »

y – Sic Satan chorda semper oberrat eadem, et mille-artifex ille non habet contra Christum, nisi unum illud elumbe robur. (Ibid. 100.)

Un chant de triomphe fut donc, de la part des confesseurs d’Augsbourg, le premier mouvement qui suivit cet acte courageux, unique sans doute dans les annales de l’Église. Quelques-uns de leurs adversaires s’y associèrent d’abord, et les autres se turent ; toutefois une réaction s’opéra bientôt.

Le lendemain matin, Charles-Quint s’étant levé, échauffé et fatigué par une longue insomnie, le premier de ses ministres qui se présenta dans les appartements impériaux fut le Comte-Palatin, aussi embarrassé que son maître. « Il nous faut céder quelque chose, dit-il à Charles ; et je rappelle à Votre Majesté que l’empereur Maximilien voulait accorder les deux espèces dans la Cène, le mariage des prêtres et la liberté quant aux jeûnes. » Charles-Quint saisit cette proposition comme une planche de salut. Mais bientôt arrivèrent Granvelle et Campeggi, qui l’engagèrent à s’en abstenir.

Rome, étourdie un instant par le coup de massue dont on l’avait frappée, se relevait avec énergie. « Je reste avec la mère, s’écriait dans une assemblée l’évêque de Wurzbourg, entendant par là l’Église romaine, avec la mère, la mère !… — Monseigneur, lui dit Brentz avec esprit, de grâce, pour la mère, n’oubliez ni le Père, ni le Fils ! – Eh bien, je vous l’accorde, répondait à l’un de ses amis l’archevêque de Salzbourg ; moi aussi, je voudrais la communion sous les deux espèces, le mariage des prêtres, la réformation de la messe, la liberté quant à l’abstinence des viandes, et aux autres traditions. Mais que ce soit un moine, un pauvre moine qui prétende nous réformer tous, c’est là ce que l’on ne peut tolérerz. — Je n’aurais pas d’objection, disait un autre évêque, à ce que le culte se célébrât partout comme à Wittemberg ; mais que ce soit d’un pareil trou que sorte cette nouvelle doctrine, c’est à quoi nous ne pouvons consentira. » Mélanchthon insistant auprès de l’archevêque de Salzbourg sur la nécessité de la réforme du clergé : « Eh ! que voulez-vous donc nous réformer ? dit celui-ci brusquement : nous autres prêtres, nous n’avons jamais rien valu ! » C’est l’un des aveux les plus naïfs que la Réformation ait arrachés au clergé.

z – Sed quod unus monachus debeat nos reformare omnes… (C. R., II, p. 155.)

a – Aus dem Loch und Winckel. (L. Opp. 20, p. 307.)

De jour en jour on voyait arriver à Augsbourg des moines fanatiques et des docteurs pleins de sophismes, qui s’efforçaient d’enflammer la haine de l’Empereur et des princesb. « Si nous avons eu auparavant des amis, s’écriait Mélanchthon le lendemain de la Confession, maintenant nous n’en avons plus ; nous sommes ici seuls, abandonnés de tous, et nous débattant contre d’immenses périlsc. »

b – Quotidie confluunt huc sophistæ ac monachi. (Corp. Ref. 2, p. 141.)

c – Nos hic soli ac deserti. (Corp. Ref. 2, p. 141.)

Charles, poussé par ces partis contraires, affectait une grande indifférence ; mais, sans laisser rien paraître, il cherchait cependant à connaître à fond cette affaire. « Qu’il n’y manque pas un mot, » avait-il dit à son secrétaire en lui demandant une traduction française de la confession. Il n’en laisse rien voir, se disaient les Protestants, convaincus que Charles était gagné ; car si on le savait, les États d’Espagne seraient perdus pour lui. Gardons à cet égard le secret le plus profondd. » Mais les courtisans de l’Empereur, qui s’apercevaient de ces étranges espérances, souriaient et branlaient la tête. « Si vous avez de l’argent, dit à Jonas et à Mélanchthon, Schepper, l’un des secrétaires d’État, il vous sera facile d’acheter des Italiens la religion qu’il vous plairae ; mais si votre bourse est vide, votre cause est perdue. » Puis, prenant un ton plus grave : « Il est impossible, dit-il, que l’Empereur, entouré comme il l’est d’évêques et de cardinaux, approuve une autre religion que celle du Pape. »

d – Das alles wolle E. W. im besten Geheim halten. (Ibid., p. 151.)

e – Nos, si pecuniam haberemus, facile religionem quam vellemus emturos ab Italis. (Ibid. 156.)

On le vit bientôt. Le lendemain de la Confession, le dimanche 26 juin, avant l’heure du déjeunerf, toutes les députations des villes impériales étaient réunies dans l’antichambre de l’Empereur. Charles, désireux de ramener à l’unité les États de l’Empire, commençait par les plus faibles. Quelques-unes des villes, dit le Comte-Palatin, n’ont pas adhéré aux décrets de la dernière diète de Spire : l’Empereur leur demande de s’y soumettre. »

f – Heute vor dem morgenessen. (Ibid. 143.)

Strasbourg, Nuremberg, Constance, Ulm, Reutlingen, Heilbronn, Memmingen, Lindau, Kempten, Windsheim, Isny et Weissenbourg, que l’on sommait ainsi de renoncer à la fameuse protestation, trouvaient le moment singulièrement choisi ; elles demandèrent du temps.

La situation était compliquée ; la discorde avait été jetée au milieu des villes, et la cabale travaillait chaque jour à l’accroîtreg. Ce n’était pas seulement entre les villes papistes et les villes évangéliques qu’il y avait désaccord ; c’était encore entre les villes zwingliennes et les villes luthériennes ; et même, parmi ces dernières, celles qui n’avaient pas adhéré à la Confession d’Augsbourg montraient beaucoup de mauvaise humeur aux députés de Reutlingen et de Nuremberg : la démarche de Charles-Quint était donc habilement calculée, car elle reposait sur cet antique axiome : Divise et commande. »

g – Es sind unter uns Stadten, viel practica und Seltsames wesens. (Ibid. 151.)

Mais l’enthousiasme de la foi surmonta toutes ces ruses ; et le lendemain, 27 juin, les députés des villes remirent à l’Empereur une réponse, dans laquelle ils déclaraient ne pouvoir adhérer au recez de Spire « sans désobéir à Dieu, et sans compromettre le salut de leurs âmesh. »

h – Ohne Verletzung der gewissen gegen Gott. (F. Urkund. 2, p. 6.)

Charles, qui eût voulu tenir un juste milieu, plus encore par politique que par équité, chancelait entre tant de convictions contraires. Désireux néanmoins d’essayer son influence médiatrice, il convoqua les États fidèles à Rome le dimanche 26 juin, peu après sa conférence avec les villes.

Les princes étaient au grand complet ; on vit même le légat du Pape et les théologiens romains les plus influents assister à ce conseil, au grand scandale des Protestants. « Que doit-on répondre à la confession ? » telle fut la question posée par Charles-Quint au sénat qui l’entouraiti.

i – Adversarii nostri jam deliberant quid velint respondere. (Corp. Ref. 2. 26 juin.)

Trois avis furent émis. « Gardons-nous, dirent les hommes de la Papauté, de discuter les raisons de nos adversaires, et contentons-nous d’exécuter l’édit de Worms contre Luther et les princes, peuples et théologiens qui sont ses adhérents, en les contraignant par les armesj. — Soumettons la confession à l’examen de juges impartiaux, dirent les hommes de l’Empire, et renvoyons la décision finale à l’Empereur. La lecture même de la confession n’est-elle pas un appel des Protestants à la puissance impériale ? Qu’on leur donne le juge qu’ils demandent !… » D’autres enfin (c’étaient les hommes de la tradition et de la doctrine ecclésiastique) voulaient charger quelques docteurs de composer une réfutation qui serait lue aux États protestants et ratifiée par Charles.

j – Rem agendam esse vi, non audiendam causam. (Ibid. 154.)

Les débats furent fort animés ; les doux et les violents, les politiques et les fanatiques, se posèrent nettement dans l’assemblée. George de Saxe et Joachim de Brandebourg se montrèrent les plus passionnés, et dépassèrent même à cet égard les princes ecclésiastiquesk. « Un certain rustre, que vous connaissez bien, les pousse tous par derrière, écrit Mélanchthon à Luther ; et certains théologiens hypocrites tiennent le flambeau et mènent toute la bandel. » Ce rustre était sans doute le duc George. Les princes de Bavière eux-mêmes, que la confession avait d’abord ébranlés, se rallièrent aussitôt aux chefs du parti romain. L’électeur de Mayence, l’évêque d’Augsbourg, le duc de Brunswick, se montrèrent les moins défavorables à la cause évangélique. « Je ne puis nullement conseiller à Sa Majesté d’employer la force, disait Albert. Si Sa Majesté contraignait les consciences et venait ensuite à quitter l’Empire, les premières victimes seraient les prêtres ; et qui sait si, au milieu de ces désordres, les Turcs ne fondraient pas inopinément sur nous ? » Mais cette sagesse un peu intéressée de l’archevêque ne trouvait pas de nombreux échos ; et les hommes de fer se lançaient aussitôt dans la discussion, avec leur parole cassante. « Si l’on se bat contre les Luthériens, dit le comte Félix de Werdenberg, j’offre gratuitement mon épée, et je jure de ne pas la remettre dans le fourreau qu’elle n’ait renversé le château fort de Luther. » Ce seigneur mourut, peu de jours après, des suites de son intempérance. Les modérés intervenaient de nouveau. « Les Luthériens n’attaquent aucun article de la foi, disait l’évêque d’Augsbourg ; accordons-nous avec eux, et cédons-leur, pour obtenir la paix, l’usage des deux espèces et le mariage des prêtres ; si cela était nécessaire, je céderais même davantage. » Là-dessus de grands cris : « Il est Luthérien, s’écriait-on, et nous verrons qu’il est tout prêt à sacrifier jusqu’aux messes privées. — Les messes ! il ne faut pas y penser, disaient quelques-uns avec un ironique sourire : Rome ne les abandonnera jamais ; car ce sont elles qui soutiennent ses cardinaux, ses courtisans, leur luxe et leurs cuisinesm. » L’archevêque de Salzbourg et l’électeur de Brandebourg répondirent surtout avec une grande violence à la motion de l’évêque d’Augsbourg. Les Luthériens, dirent-ils brusquement, nous ont remis une confession écrite avec de l’encre noire sur du papier blanc. Eh bien ! si nous étions l’Empereur, nous leurs répondrions avec de l'encre rougen… — Messieurs, répliqua vivement l’évêque d’Augsbourg, prenez garde que les lettres rouges ne vous sautent aux yeux…. » L’électeur de Mayence dut intervenir, et calmer les interlocuteurs.

k – Hi sunt duces, et quidem acerrimi alterius partis. (Ibid.)

l – Omnes unus gubernat rusticus. (Ibid. p. 176.)

m – Cardinel, Churstusanen, Pracht und Kuchen. (Brück Apol. P. 63.)

n – Wir wokten antvorten mit einer schrift mit Rubricken geschrieben. (Corp. Ref. 2, p. 147.)

L’Empereur, désireux de jouer le rôle d’arbitre, eût voulu que le parti romain déposât du moins entre ses mains un acte d’accusation contre la Réforme. Mais la majorité, devenue toujours plus compacte depuis la diète de Spire, ne marchait plus avec Charles. Pleine du sentiment de sa force, elle refusa de se constituer en parti, et de prendre l’Empereur pour juge. « Que parlez-vous, dit-elle, de diversité entre les membres de l’Empire ? Il n’y a qu’un parti légitime. Il s’agit, non de décider entre deux opinions dont les droits sont égaux, mais de réprimer des rebelles, et de prêter main-forte à ceux qui sont demeurés fidèles à la constitution de l’Empire. »

Ce langage superbe éclaira Charles ; il vit qu’il était dépassé, et qu’abandonnant sa haute position d’arbitre, il devait se résigner à n’être que l’exécuteur des ordres de la majorité. Ce fut cette majorité seule qui dès lors commanda dans Augsbourg : on exclut les conseillers impériaux qui émettaient des avis plus équitables, et l’archevêque de Mayence lui-même cessa de paraître en dièteo.

o – Non venit in senatum. (Corp. Ref. 2, p. 175.)

La majorité ordonna, avant tout, une réfutation de la doctrine évangélique par des théologiens romains. Si l’on avait appelé pour cela des hommes modérés, tels que l’évêque d’Augsbourg, la Réformation eût encore eu quelques chances de faire prévaloir les grands principes du christianisme ; mais ce fut aux ennemis mêmes de la Réforme, aux vieux champions de Rome et d’Aristote, aigris par tant de défaites, que l’on résolut de remettre cet examen.

Ils étaient nombreux à Augsbourg, et n’y jouissaient pas d’une grande estime. « Les princes, disait Jonas, ont amené avec eux leurs savants, et quelques-uns même leurs sots et leurs ignorantsp. » Le prévôt Faber et le docteur Eck marchaient à leur tête, et derrière eux se rangeait une cohorte de moines, surtout de Dominicains, suppôts de l’Inquisition, et impatients de se dédommager des opprobres qu’ils avaient si longtemps endurés. Il y avait le provincial des Dominicains, Paul Hugo, leur vicaire Jean Bourkard, un de leurs prieurs, Conrad Kœlein, qui avait écrit contre le mariage de Luther, puis des Chartreux, des Augustins, des Franciscains, et les vicaires de plusieurs évêques. Tels furent les hommes, au nombre de vingt, qui furent chargés de réfuter Mélanchthon.

p – Quidem etiam suos ineruditos et ineptos. (C. R., II, p. 104.)

On pouvait à l’avance augurer de l’œuvre d’après les ouvriers : chacun comprit qu’il s’agissait, non de réfuter la confession, mais de la honnir. Campeggi, qui insinua sans doute à Charles cette liste néfaste, savait bien que ces docteurs étaient incapables de se mesurer avec Mélanchthon ; mais leurs noms étaient un drapeau aux couleurs les plus tranchées de la Papauté, et annonçaient clairement et immédiatement au monde ce que la Diète se proposait de faire : c’était l’essentiel. Rome ne voulait pas laisser à la chrétienté même l’espérance.

Cependant, il s’agissait de savoir si la Diète, et l’Empereur qui en était l’organe, avaient le droit de prononcer dans ces matières toutes religieuses. Charles posa la question tant aux Evangéliques qu’aux Romainsq.

q – Voir le document tiré des Archives de Bavière. (F. Urkundenbuch, II, p. 9.)

« Votre Altesse, répliqua Luther, consulté par l’Electeur, peut répondre en toute assurance : « Eh bien oui, si l’Empereur le veut, qu’il soit juge ! Je supporterai tout de sa part ; mais qu’il ne décide rien contre la parole de Dieu. Votre Altesse ne peut mettre l’Empereur au-dessus de Dieu même Le premier commandement ne dit-il pas : Tu n'auras point d'autre Dieu devant ma face ? »

La réponse des adhérents du Pape fut, dans le sens contraire, tout aussi positive. « Nous pensons, dirent-ils, que Sa Majesté, d’accord avec les Électeurs, Princes et États de l’Empire, a le droit de procéder en cette affaire, en tant qu’Empereur romain, tuteur, avocat et souverain protecteur de l’Église et de notre très sainte foir. » Ainsi, dès les premiers jours de la Réformation, l’Église évangélique se rangea sous la couronne de Jésus-Christ, et l’Église Romaine sous le sceptre des rois. Des hommes éclairés, même parmi les Protestants, ont méconnu cette nature opposée du Protestantisme et du Papisme.

r – Konnen den Kaiser nicht uber Gott setzen. (L. Epp. 4, p. 83.)

La philosophie d’Aristote et la hiérarchie de Rome, grâce à cette alliance avec le pouvoir civil, allaient enfin voir arriver le jour si longtemps attendu de leur triomphe. Tant qu’on avait abandonné les scholastiques à la force de leurs syllogismes et de leurs injures, ils avaient été battus ; mais maintenant Charles-Quint et la Diète leur tendaient la main ; les raisonnements de Faber, d’Eck et de Wimpina allaient être parafés par les chanceliers germaniques, et munis des grands sceaux de l’Empire. Qui pourrait leur résister ? L’erreur romaine reçoit surtout sa force de son union avec le bras séculier, et ses victoires dans l’ancien et le nouveau monde sont dues, de nos jours encore, au patronage de l’États.

s – A O-taïti, par exemple.

Ces choses n’échappèrent point à l’œil clairvoyant de Luther. Il reconnut à la fois la faiblesse des arguments des docteurs papistes et la puissance du bras de Charles. « Vous attendez la réponse de vos adversaires, écrivait-il à ses amis d’Augsbourg ; elle est déjà toute faite, et la voici : Les Pères, les Pères, les Pères ; l'Église, l'Église, l'Église ; les usages, la coutume ; mais de L’Écriture… rient !… Puis l’Empereur, appuyé du témoignage de ces arbitres, prononcera contre vousu ; et alors vous entendrez de toutes parts des forfanteries qui monteront jusqu’au Ciel, et des menaces qui descendront jusqu’aux Enfers. »

t – Patres, Patres, Patres ; Ecclesia, Ecclesia ; — usus, consuetudo, præterea e Scriptura nihil. (L. Epp. 4, p. 96.)

u – Pronuntiabit Cæsar contra vos. (Ibid.)

Ainsi changeait la situation de la Réforme. Charles était obligé de reconnaître son impuissance, et, pour sauver les apparences de son pouvoir, il se rangeait décidément avec les ennemis de Luther. L’impartialité de l’Empereur faisait défaut ; l’État se tournait contre l’Évangile, et, pour sauveur, il ne lui restait que Dieu.

Il y eut d’abord chez plusieurs un grand abattement ; Mélanchthon surtout, qui voyait de plus près les cabales des adversaires, épuisé d’ailleurs par ses veilles, tombait presque dans le désespoirv. En présence de ces haines formidables, s’écriait-il, je ne vois plus de sujet d’espérancew… » Et puis pourtant il ajoutait : « Sauf le secours de Dieu. »

v – Quadam tristitia et quasi desesperatione vexatur. (Corp. Ref. 2, p. 163.)

w – Quid nobis sit sperandum in tantis odiis inimicorum. (Ibid. 145.)

En effet, le Légat faisait jouer toutes ses batteries. Déjà Charles avait fait demander plusieurs fois l’Électeur et le Landgrave, et avait tout mis en œuvre pour les détacher de la Confession évangéliquex. Mélanchthon, inquiet de ces colloques secrets, réduisit la Confession à son minimum, et engagea l’Électeur à demander seulement les deux espèces dans la Cène et le mariage des prêtres. « Interdire le premier de ces points, dit-il, ce serait écarter de la communion un grand nombre de chrétiens ; et interdire le second, ce serait priver l’Eglise de tous les pasteurs capables de l’édifier. Veut-on perdre la religion et allumer la guerre civile, plutôt que d’apporter à ces constitutions purement ecclésiastiques un adoucissement qui n’est contraire ni aux bonnes mœurs ni à la foiy ?… » Les princes protestants invitèrent Mélanchthon à se rendre lui-même auprès du Légat, pour lui faire ces propositionsz.

x – Legati Norinberg ad Senatum. (Corp. Ref. 2, p. 161.)

y – Melancthon ad duc. Sax. Elect. (Ibid. 162.)

z – Principes nostri miserunt nos ad R.D.V. (Ibid. 171.)

Mélanchthon, qui s’y décida, commençait à se flatter du succès. En effet, on voyait, même parmi les Papistes, des hommes favorables à la Réformation. Il était arrivé récemment à Augsbourg, de par delà les Alpes, certaines propositions assez luthériennesa ; et l’un des confesseurs de l’Empereur professait hautement la justification par la foi, maudissant ces ânes d’Allemands, qui ne cessaient, disait-il, de braire contre cette véritéb. » Un chapelain de Charles approuvait même toute la Confession. Il y avait plus encore : Charles-Quint ayant consulté les Grands d’Espagne, connus pour leur orthodoxie : Si les opinions des Protestants sont contraires aux articles de la foi, avaient-ils répondu, que Votre Majesté emploie toute sa puissance pour détruire cette faction : mais s’il ne s’agit que de quelques changements dans des ordonnances humaines et des usages extérieurs, qu’elle se garde de toute violencec. » — Réponse admirable ! s’écriait Mélanchthon, qui se persuadait que la doctrine romaine était au fond d’accord avec l’Évangile.

a – Pervenerunt ad nos propositiones quædam Italicæ satis Lutheranæ. (Ibid. 163.)

b – Istis Germanis asinis, nobis in hac parte obgannientibus. (Ibid.)

c – Hispanici proceres præclare et sapienter responderunt Cæsari. (Ibid. 179.)

La Réformation trouvait même plus haut des défenseurs. Dans l’une des demeures impériales d’Augsbourg, Marie, sœur de Charles-Quint et veuve du roi Louis de Hongrie, recevait souvent Mélanchthon, Spalatin et d’autres amis de l’Évangile, et conversait familièrement avec eux. Cette princesse était encore très jeune, et demeurait chez son grand-père Maximilien, quand elle avait commencé à lire et à comprendre les premiers écrits de Luther. En 1526, le roi Louis étant mort sur le champ de bataille de Mohacs, le Réformateur écrivit à la jeune veuve une lettre de condoléance. « Que Votre Majesté cherche sa consolation auprès du véritable époux, qui est Jésus-Christd, » lui disait-il. Et il joignait à son épître une touchante exposition des psaumes les plus consolantse. En même temps, Érasme composait pour cette princesse son Traité de la Veuve chrétienne, et le lui dédiait. Dès lors la jeune veuve se tourna tout à fait vers la parole de Dieu. Elle n’avait point d’enfant, pour lui rappeler son mari et lui adoucir sa douleurf. Sa chambre à coucher devint son oratoire, selon une expression d’Érasmeg et elle chercha par son exemple à conduire dans la voie de la piété tous ceux qui l’entouraient.

d – Sich trösten des rechten Bräutigams. (L. Opp., V, p. 606.)

e – Psaumes 37, 62, 94 et 109.

f – Restabat ultimum doloris levamen, si quis parvulus aula luderet Æneas ; et hoc solatii genus Maria tibi fatorum iniquitas invidit. (Ad Mariam, de Vidua christiana. Erasmi Opp., V, p. 725.)

g – Viduæ cubiculum nihil aliud quam oratorium esse debet. (Ibid., p. 739.)

Trois jours après la lecture de la Confession, Marie était arrivée à Augsbourg, ayant avec elle la reine de Bohême, femme de Ferdinand, et son fidèle chapelain Jean Henkel, qui, d’accord avec Simon Grynæus et Vite Wintsheim, prêchait depuis quelque temps la parole de Dieu dans la capitale de la Hongrie. Obligée de se contraindre avec ses frères, Marie goûtait une indicible joie dans les conférences évangéliques qu’elle avait avec Henkel, Spalatin et Mélanchthonh. Ils admiraient sa simplicité, sa cordialité, et étaient étonnés de trouver en elle une sœur. Ses lumières ne les surprenaient pas moins que sa piété ; car elle comprenait et lisait habituellement cinq langues, l’allemand, le français, l’italien, le bohême et le latin. « De nos jours, disaient-ils, le monde est renversé ; nous avons des moines ignorants et des femmes éclairées. »

h – Wo Maria, Henkel, Melanchton und Spalatin, öfters Religionsgcspraeche hielten. (Je trouve cette citation dans des manuscrits hongrois qui m’ont été communiqués.)



Marie de Hongrie

Marie ne se contentait pas de ces conversations, et, faisant ce qu’on avait défendu à l’Électeur de Saxe et au Landgrave, elle voulait que chaque dimanche on célébrât le culte évangélique dans ses appartementsi. Recueillie, et avide de la parole de Dieu, elle tenait en main la Bible latine, qui ne la quittait jamais, et y cherchait les passages cités par le prédicateur ; puis, après le service, elle les examinait de nouveau avec soin. Charles et Ferdinand, informés par les évêques de ces habitudes étranges, s’en plaignaient quelquefois à leur sœur ; mais elle profitait, pour se défendre, de la grande affection que l’Empereur lui portait. Elle allait même plus loin ; elle suppliait ce prince de ne pas se laisser séduire par les prêtres, comme son malheureux époux ; et, justifiant les Protestants des calomnies dont on les poursuivait, elle s’efforçait de retenir la main menaçante de Charles. Mélanchthon écrivait à Luther, le 10 juillet : « La sœur de l’Empereur, femme d’un génie héroïque, et distinguée surtout par sa piété et sa modestie, s’efforce d’apaiser son frère envers nous ; mais elle est obligée de le faire avec timidité et avec retenuej. »

i – In Augsburg Hess Maria immer einen evangelischen Gottesdienst mit Predigt halten. (Manuscrit hongrois.)

jἩ ἀδελφὴ αὐτοκράτορος, mulier vere heroico ingenio, præcipua pietate et modestia, studet nobis placare fratrem… (C. Ref., II, p. 178.)

Charles-Quint, qui ne pouvait se résoudre à tolérer la Réformation et ses ministres, fermait pourtant les yeux sur les sermons clandestins de sa sœur.

Ce n’était pas seulement dans ses appartements que Marie lisait la Bible. Elle aimait la nature, l’exercice, les bois épais, l’air libre, et la voûte des cieux. Souvent elle allait à la chasse, soit avec la cour, soit seule avec sa suite ; et on la voyait passer dans les forêts des journées entières. Quand la fatigue commençait à l’accabler, elle rompait la chasse, descendait de cheval, faisait taire les fanfares, éloignait ses chiens et son équipage, s’asseyait seule sous un arbre, y lisait en paix l’histoire du Seigneur, et oubliait ainsi Augsbourg, les princes, les prêtres et toutes les pompes de la courk. Aussi l’appelait-on la pieuse chasseresse ; les portraits qu’on a conservés d’elle la représentent en habit de chasse. Marguerite étant morte en décembre 1530, Charles-Quint nomma sa sœur Marie gouvernante des Pays-Bas.

k – Setzete sich unter einem Baum und Hess in der heil. Schrift. (Manuscrit hongrois.)

Mélanchthon, encouragé par ces démonstrations, et en même temps effrayé par les menaces de guerre que les adversaires ne cessaient de proférer, crut devoir acheter la paix à tout prix, et résolut, en conséquence, de descendre dans ses propositions aussi bas que possible. Il demanda, le 6 juillet, au Légat une entrevue, en lui écrivant une lettre dont on a eu tort de mettre en doute l’authenticitél. Le cœur manque au champion de la Réforme ; la tête lui tourne ; il chancelle, il tombe,… et dans sa chute il court risque d’entraîner avec lui la cause que des martyrs ont déjà arrosée de leur sang. Voici ce que dit le représentant de la Réformation au représentant de la Papauté :

l – Voir C. R., II, p. 168.

« Il n’est aucun dogme sur lequel nous différions de l’Église romainem : nous révérons l’autorité universelle du Pontife romain, et nous sommes prêts à lui obéir, pourvu qu’il ne nous rejette pas, et que, selon la clémence dont il a coutume d’user envers toutes les nations, il veuille bien ignorer ou approuver quelques petites choses qu’il ne nous est plus possible de changer. Maintenant donc, repousserez-vous ceux qui paraissent en suppliants devant vous ? les poursuivrez-vous avec le fer et le feu ?… Ah ! rien ne nous attire tant de haine en Allemagne, comme notre inébranlable fermeté à soutenir les dogmes de l’Église Romainen. Mais, avec l’aide de Dieu, nous demeurerons fidèles au Christ et à l’Église Romaine, quand même vous nous repousseriez. »

m – Dogma nullum habemus diversum ab Ecclesia Romana. (Ibid. 170.)

n – Quam quia Ecclesiæ Romanæ dogmata summa constantia defendimus. (Ibid.)

Ainsi s’humilia Mélanchthon. Dieu permit cette chute, afin que les siècles futurs pussent voir jusqu’où la Réforme était prête à descendre pour maintenir l’unité, et que nul ne pût douter que le schisme était venu de Rome ; mais aussi, sans doute, afin de manifester encore une fois dans le monde quelle est dans les œuvres les plus glorieuses la faiblesse des plus nobles instruments.

Heureusement, il y avait un autre homme qui soutenait l’honneur de la Réformation. Au même moment, Luther écrivait à Mélanchthon : « On ne peut mettre Christ et Bélial d’accord. Pour ce qui me regarde, je ne céderai pas un cheveuo. Plutôt que de céder, j’aime mieux tout souffrir, et même les maux les plus terribles. Cédez d’autant moins que vos adversaires demandent davantage. Dieu ne nous aidera pas, que nous ne soyons abandonnés de tousp. » Et, craignant quelque faiblesse de la part de ses amis : « Si ce n’était pas tenter Dieu, il y a longtemps que vous m’auriez vu près de vousq. »

o – At certe pro mea persona, ne pilum quidem cedam. (L. Epp. 4, p. 88.)

p – Neque enim juvabimur ni deserti prius simus. (Ibid. 91.)

q – Certe jamdudum coram vidissetis me. (L. Epp. 4, p. 98.)

La présence de Luther n’eût en effet jamais été plus nécessaire ; car le Légat avait consenti à une entrevue, et Mélanchthon allait faire sa cour à Campeggir.

r – Ego multos prehensare soleo et Campegium etiam. (Corp. Ref. 2, p. 193.)

C’était le 8 juillet, jour fixé par le Légat pour recevoir Mélanchthon. Celui-ci était plein d’espérance. « Le Cardinal m’assure qu’il peut accorder l’usage des deux espèces et le mariage des prêtres, disait-il. Je me hâte de me rendre vers luis. »

s – Propero enim ad Campegium. (Ibid. 174.)

Cette visite pouvait décider des destinées de l’Église. Si le Légat acceptait l’ultimatum de Philippe, les contrées évangéliques étaient replacées sous la puissance des évêques romains, et c’en était fait de la Réformation ; mais l’orgueil et l’aveuglement de Rome la sauvèrent. Les Papistes, la croyant sur le bord de l’abîme, pensèrent qu’un dernier coup ferait sa ruine, et se décidèrent, comme Luther, à ne rien céder, « pas même un cheveu. » Toutefois le Légat, en refusant, se donna un air de bienveillance, et parut obéir à des influences étrangères. J’aurais bien le pouvoir de faire certaines concessions, dit-il, mais il ne serait pas prudent d’en user sans l’aveu des princes allemandst : leur volonté doit s’accomplir ; l’un d’eux surtout conjure l’Empereur d’empêcher que l’on vous cède la moindre chose : je ne puis rien accorder. » Puis le Prince romain, avec le plus aimable sourire, fit tout ce qu’il put pour gagner le chef des docteurs chrétiens. Mélanchthon sortit, honteux des avances qu’il avait faites, mais se trompant encore sur Campeggi. Sans doute, dit-il, Eck et Cochlée m’ont devancé chez le Légatu. » Luther ne pensait pas de même : « Je ne me fie à aucun de ces Italiens, disait-il ; ce sont des coquins. Quand l’Italien est bon, il est très bon ; mais alors c’est un prodige, c’est un cygne noirv. »

t – Se nihil posse decernere, nisi de voluntate principum Germaniæ. (Ibid.)

u – Forte ad legatum veniebant Eccius et Cochlœus. (Ibid. 175.)

v – Verum hoc monstrum est, nigroque simillimum cygno. (L.Epp., IV, p. 110.)

C’étaient bien, en effet, les Italiens qui frappaient la Réforme. Peu de jours après, le 12 juillet, arrivèrent les instructions du Pape. Il avait reçu la Confession par estafettew, et seize jours avaient suffi pour l’allée, la délibération et le retour. Clément ne voulait entendre parler ni de discussion ni de concile. Charles-Quint devait marcher droit au but, faire entrer une armée en Allemagne, et puis étouffer la Réformation par la force. Toutefois, on crut à Augsbourg ne pas devoir agir si précipitamment, et l’on eut recours à d’autres moyens.

w – Nostra Confessio ad Romam per veredarios missa est. (Ibid. 186, 219.)

« Un peu de patience ! nous les tenons, » dirent Eck et ses collègues ; et, rejetant le reproche qu’on leur avait fait d’avoir mal représenté la Réformation, ils en accusèrent les Protestants eux-mêmes. « Ce sont eux, dirent-ils, qui, pour se donner l’air d’être d’accord avec nous, dissimulent maintenant leur hérésie ; mais nous allons les prendre dans leurs propres filets. S’ils avouent n’avoir pas inséré dans leur Confession tout ce qu’ils rejettent, il sera démontré qu’ils nous jouent. Si, au contraire, ils prétendent avoir tout dit, ils seront par là même obligés d’admettre tout ce qu’ils n’ont pas condamné. » On assembla donc les princes protestants, et on leur demanda si la Réformation se bornait aux doctrines indiquées dans l’Apologie, ou s’il y avait encore autre chosex.

x – An plura velimus Cæsari præponere controversa quam fecerimus. (Corp. Ref. 2, p. 188.)

Le piège était adroitement tendu. La Papauté n’avait pas même été nommée dans l’écrit de Mélanchthon ; d’autres erreurs encore y avaient été omises, et Luther lui-même s’en plaignait hautement. « Satan s’aperçoit bien, disait-il, que votre Apologie a passé d’un pied léger sur les articles du purgatoire, du culte des saints, et surtout du Pape et de l’Antechrist. » Les princes demandèrent à conférer avec leurs alliés des villes ; et tous les Protestants se réunirent pour délibérer sur ce grave incident. On attendait l’explication de Mélanchthon, qui ne déclina point la responsabilité de la chose. Aisément abattu par les fantômes de son imagination, il se redressait avec hardiesse quand on l’attaquait en face. « Toutes les doctrines essentielles, dit-il, ont été exposées dans la Confession, et toutes les erreurs et les abus y ont été signalés. Mais fallait-il se jeter dans toutes ces questions, pleines de contestation et d’animosité, que l’on discute dans nos académies ? Fallait-il demander si tous les chrétiens sont prêtres, si la primauté du Pape est de droit divin, s’il peut y avoir des indulgences, si toute bonne œuvre est un péché mortel, s’il y a plus de sept sacrements, si un laïque peut les administrer, si l’élection divine a quelques fondements dans nos propres mérites, si la consécration sacerdotale imprime un caractère indélébile, si la confession auriculaire est nécessaire au salut ?… Non, non ! toutes ces choses sont du ressort de l’école, et nullement essentielles à la foiy. »

y – Melancthonis Judicium. (Ibid. 182.)

On ne peut nier qu’il y eût dans les questions signalées ainsi par Mélanchthon des points importants. Quoi qu’il en soit, les Protestants tombèrent facilement d’accord, et le lendemain ils présentèrent aux ministres de Charles une réponse conçue avec autant de franchise que de fermeté, où ils disaient « que, désireux de suivre la vérité avec la charité, ils n’avaient pas voulu compliquer la situation, et s’étaient proposé, non de spécifier toutes les erreurs qui s’étaient introduites dans l’Église, mais de confesser toutes les doctrines qui étaient essentielles au salut ; que si néanmoins la partie adverse se sentait pressée de soutenir certains abus ou de mettre en avant quelque point non mentionné dans la Confession, les Protestants se déclaraient prêts à leur répondre, conformément à la parole de Dieuz. » Le ton de cette réponse montrait assez que les chrétiens évangéliques ne craignaient pas de suivre leurs adversaires partout où ceux-ci les appelleraient. Aussi le parti romain ne dit-il plus mot sur cette affaire.

z – Aus Gottes Wort, weiter bericht zu thun. (F. Urkundenbuch, 2, p. 19.)

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