Histoire de la Réformation du seizième siècle

16.5

Berne propose de fermer les marchés – Opposition de Zurich – Proposition de Berne agréée – Mise à exécution – Sermon de guerre de Zwingle – Blocus des Waldstettes – Indignation des Waldstettes – Cri de désespoir – Les processions – Médiation de la France – Diète de Bremgarten – Espérance – Les cinq cantons inflexibles – Transformation de la Réforme et de Zurich – Mécontentement – Fausse position de Zwingle – Il demande sa démission – Refus – Zwingle à Bremgarten – Adieux à Bullinger – Fantôme – Détresse de Zwingle – Menaces des Waldstettes – Affreux présages – La comète – Calme de Zwingle – Diète de Lucerne

La pensée de Zwingle, quant à l’établissement d’un nouveau droit helvétique, ne prévalut pas dans la Diète d’Arau. Peut-être estima-t-on plus prudent d’attendre le résultat de la crise ; peut-être une vue plus chrétienne, plus fédérale, l’espérance de procurer l’unité de la Suisse par l’unité de la foi, occupa-t-elle plus les esprits que la prééminence des villes. En effet, si un certain nombre de cantons demeurait avec le Pape, l’unité de la Confédération était détruite, peut-être pour toujours. Mais si toute la Confédération était amenée à la même foi, l’unité helvétique était établie sur des bases plus solides. Il fallait agir maintenant ou jamais, se disait-on, et ne pas craindre d’employer un remède violent pour rendre la santé à tout le corps.

Cependant les alliés reculèrent devant la pensée de rétablir la liberté religieuse, ou l’unité politique, par la voie des armes ; et, pour sortir des difficultés où se trouvait la Confédération, ils cherchèrent une voie moyenne entre la guerre et la paix. « Sans doute, dirent les députés de Berne, la conduite des cantons à l’égard de la parole de Dieu nous autorise pleinement à une intervention armée ; mais les périls qui nous menacent du côté de l’Italie et de l’Empire, le danger qu’il y aurait à réveiller le lion de son sommeil, la disette et la misère générale qui affligent notre peuple, les riches moissons qui vont bientôt couvrir nos campagnes, et que la guerre détruirait infailliblement ; les hommes pieux qui se trouvent en grand nombre dans les Waldstettes, et dont le sang innocent coulerait avec celui des coupables, tous ces motifs nous ordonnent de laisser l’épée dans le fourreau. Fermons plutôt nos marchés aux cinq cantons ; refusons-leur le blé, le sel, le vin, l’acier et le fer ; nous prêterons ainsi main-forte aux amis de la paix qui sont dans leur sein, et le sang innocent sera épargnéa. » On se sépara aussitôt, pour porter aux divers cantons évangéliques cette proposition de juste-milieu ; et, le 15 mai, on était de nouveau réuni à Zurich.

a – Und dadurch unschuldig Blut erspart würde. (Bull., II, p. 383.)

Zurich, convaincu que le moyen en apparence le plus violent était pourtant à la fois le plus sûr et le plus humain, s’opposa de toutes ses forces au plan de Berne. « En acceptant cette proposition, dit-il, nous sacrifions les avantages que nous avons à cette heure, et nous donnons aux cinq cantons le temps de s’armer, et de fondre les premiers sur nous. Prenons garde qu’alors l’Empereur ne se joigne à eux et ne nous attaque d’un côté, tandis que nos anciens confédérés nous attaqueront de l’autre : une guerre juste n’est pas opposée à la parole de Dieu ; mais ce qui l’est, c’est d’ôter le pain de la bouche des innocents, aussi bien que de celle des coupables ; de contraindre, par la famine, des malades, des vieillards, des femmes enceintes, des enfants, des hommes qu’afflige profondément l’injustice des Waldstettesb ! Craignons d’exciter ainsi la colère du pauvre peuple, et de changer en ennemis bien des gens qui, à cette heure, sont nos amis et nos frères. »

b – Kranke, alte, shwangere wyber, kinder und sunst betrubte. (Bull. 2, p. 384.)

Ces paroles, qui étaient celles de Zwingle, avaient, il faut le reconnaître, un côté spécieux. Mais les autres cantons, et Berne en particulier, furent inébranlables. « Si nous avons une fois répandu le sang de nos frères, dirent-ils, nous ne pourrons plus rendre la vie à ceux qui l’auront perdue ; tandis que, du moment où les Waldstettes nous auront donné satisfaction, nous pouvons faire cesser toutes ces rigueurs. Nous sommes décidés à ne point commencer la guerre. » Il n’y avait pas moyen d’aller contre une telle déclaration. Les Zurichois consentirent, mais le cœur plein de trouble et d’angoissec, à refuser des vivres aux Waldstettes : on eût dit qu’ils présageaient tout ce que cette mesure déplorable allait leur coûter. Il fut convenu que la mesure sévère qu’on allait prendre ne pourrait être suspendue sans le consentement de tous, et que, comme elle susciterait sans doute une grande colère, chacun se tiendrait prêt à repousser les attaques de l’ennemi. Zurich et Berne furent chargés de notifier aux cinq cantons la détermination prise ; et Zurich, s’exécutant avec promptitude, envoya aussitôt, dans tous ses bailliages, l’ordre de suspendre tout commerce avec les Waldstettes, en ordonnant néanmoins qu’on eût à s’abstenir de tout mauvais traitement et de toute parole hostile. Ainsi la Réformation, imprudemment mêlée aux combinaisons politiques, marchait de faute en faute ; elle prétendait prêcher l’Évangile aux pauvres, et elle allait leur refuser du pain !…

c – Schmerzlich und kummersachlich. (Ibid. 386.)

Le dimanche suivant, jour de la Pentecôte, la résolution fut publiée du haut des chaires. Zwingle se dirigeait vers la sienne, où un peuple immense l’attendait. Le regard perçant de ce grand homme découvrait facilement ce que cette mesure avait de dangereux sous le rapport politique, en même temps que son cœur chrétien lui faisait profondément sentir ce qu’elle avait de cruel. Son âme était oppressée, ses yeux étaient abattus. Si dans ce moment le vrai caractère du ministre de Christ s’était réveillé au dedans de lui ; si Zwingle avait appelé tout le peuple, de sa voix puissante, à l’humiliation devant Dieu, au pardon des offenses, à la prière, sans doute le salut eût encore pu se lever sur la Suisse désolée. Il n’en fut point ainsi. De plus en plus le chrétien s’efface dans le réformateur, et le citoyen demeure seul ; mais comme citoyen il plane au-dessus de tous, et sa politique est, sans aucun doute, la plus habile. Il comprend que tout délai peut perdre Zurich ; et, après avoir prié, lu la parole et fermé le livre du Prince de la paix, il n’hésite pas à attaquer l’ordonnance dont il vient de donner connaissance aux Zurichois, et (le jour même de la Pentecôte) à prêcher la guerre. « Celui, dit-il en son langage énergique, qui ne craint pas de traiter de criminel son adversaire, doit être prêt à lâcher le poing avec la paroled. S’il ne frappe pas, il sera frappé. Messieurs de Zurich ! vous refusez des vivres aux cinq cantons, comme à des malfaiteurs : eh bien ! que le coup suive la menace, plutôt que de réduire à la famine de pauvres innocents. Si, en ne prenant pas l’offensive, vous paraissez croire qu’il n’y a pas de raison suffisante pour punir les Waldstettes, et que vous leur refusiez cependant à manger et à boire, vous les contraindrez par cette conduite étrange à prendre les armes, à franchir vos frontières, et à vous punir vous-mêmes. C’est là le sort qui vous attend. »

d – Das er wortt und faust mitt einander gan. Lasse. (Bull. 2, p. 388.)

Ces paroles, prononcées avec l’éloquence du Réformateur, remuèrent l’assemblée. Les préoccupations politiques de Zwingle remplissaient et égaraient déjà tellement tout le peuple, qu’il y eut alors bien peu d’âmes assez chrétiennes pour sentir combien il était étrange que, le jour même où l’on célébrait l’effusion de l’Esprit de paix et d’amour sur l’Église naissante, la bouche d’un ministre de Christ provoquât ses concitoyens à la guerre. On n’envisageait ce sermon que sous le point de vue politique. « Ce sont des discours séditieux ! c’est une excitation à la guerre civile ! disaient les uns. Non, répondaient les autres, ce sont les paroles que le salut de l’État réclame ! » Et tout Zurich s’agitait. « Zurich a trop de feu, disait Berne. Berne a trop de finesse, » répliquait Zuriche. Quoi qu’il en soit, la sinistre prophétie de Zwingle ne devait que trop tôt s’accomplir.

e – Ce fut Zwingle qui caractérisa ainsi les deux villes : « Bern klage Zurich ware zu hitzig ; Zurich : Bern wäre zu witzig. » (Stettler.)

Dès que les cantons réformés eurent communiqué aux Waldstettes cet impitoyable arrêt, ils en pressèrent l’exécution, et Zurich y mit le plus de rigueur. Non seulement les marchés de Zurich et de Berne, mais encore ceux des bailliages libres, ceux de Saint-Gall, du Tockenbourg, du pays de Sargans et de la vallée du Rhin, pays soumis en partie à la souveraineté des Waldstettes, furent fermés aux cinq cantons. Une puissance redoutable avait tout à coup entouré de stérilité, de famine et de mort, les nobles fondateurs de la liberté helvétique. Uri, Schwitz, Underwald, Zug, JLucerne, étaient comme au milieu d’un vaste désert. Leurs propres sujets, pensent-ils, les communes dont ils ont reçu les serments, se rangeront au moins de leur côté. Mais non, Bremgarten et Mellingen même leur refusent tout secours ! Leur dernier espoir est dans Wesen et le Gastal. Berne ni Zurich n’ont rien à y faire ; Schwitz et Glaris seuls y dominent ; mais la puissance de leurs ennemis a partout pénétré. Une majorité de treize voix s’est prononcée en faveur de Zurich dans la Landsgemeinde de Glaris, et Glaris fait fermer à Schwitz les portes de Wesen et du Gastal. En vain Berne lui-même s’écrie-t-il : « Comment pouvez-vous contraindre des sujets à refuser des vivres à leurs seigneurs ! » en vain Schwitz indigné élève-t-il la voix. Zurich se hâte d’envoyer à Wesen de la poudre et du plomb. Aussi est-ce sur Zurich que retombera bientôt tout l’odieux d’une mesure que cette ville avait d’abord si vivement combattue. A Arau, à Bremgarten, à Mellingen, dans les bailliages libres, se trouvaient plusieurs voitures chargées de provisions pour les Waldstettes. On les arrête, on les décharge, on les renverse ; on en barricade les routes qui conduisent à Lucerne, à Schwitz et à Zug. Déjà une année de disette avait rendu les vivres rares dans les cinq cantons ; déjà la sueur anglaise, cette affreuse épidémie, y avait promené l’abattement et la mort : mais maintenant la main des hommes se joint à la main de Dieu ; le mal grandit, et les tristes habitants de ces montagnes voient s’avancer à pas précipités des calamités inouïes. Plus de pain pour leurs enfants, plus de vin pour ranimer leurs forces, plus de sel pour leurs troupeaux. Tout ce dont l’homme doit vivre leur manquef. On ne pouvait voir de telles choses, et porter un cœur d’homme, sans en ressentir la plus vive douleur. Dans les villes confédérées et hors de la Suisse, des voix nombreuses s’élevaient contre cette implacable mesure. « Quel bien peut-il en résulter ? disait-on. Saint-Paul n’écrit-il pas aux Romains : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s'il a soif, donne-lui à boire ; car en faisant cela tu lui amasseras des charbons de feu sur la têteg. Et quand les magistrats, voyant certaines communes récalcitrantes, s’efforçaient de les convaincre de l’utilité de la mesure : « Nous ne voulons point de guerre de religion, s’écriaient-elles ; si les Waldstettes ne veulent pas croire en Dieu, qu’ils s’en tiennent au diable. »

f – Deshalb sy bald grossen mangel erlittend an allem dem das der Mensh geläben soll. (Bull. 2, p. 396.)

g – Bullinger, II, p. 396. Romains 12.20.

Mais c’est dans les cinq cantons surtout que des plaintes énergiques s’exhalent. Les gens les plus pacifiques, et même les partisans secrets de la Réforme, voyant la famine atteindre leurs demeures, ressentent une indignation d’abord contenue. Les ennemis de Zurich profitent habilement de cette disposition ; ils entretiennent le murmure, ils l’augmentent, et bientôt la colère éclate, et un cri d’angoisse retentit dans toutes ces montagnes. En vain Berne représente-t-il aux Waldstettes qu’il est plus cruel de refuser aux hommes la nourriture de l’âme, que de retrancher celle du corps : « Dieu, répondent dans leur désespoir ces fiers montagnards, Dieu fait croître librement les fruits de la terreh ! » Ils ne se contentent pas de gémir dans leurs chalets, et de s’indigner dans leurs conseils ; ils remplissent toute la Suisse de leurs plaintes et de leurs menacesi. « On veut, écrivent-ils, employer la famine pour nous arracher notre antique foi ; on veut priver de pain nos femmes et nos enfants, pour nous enlever les libertés que nous tenons de nos pères. Quand de telles choses se sont-elles passées au sein de la Confédération ? N’a-t-on pas vu dans la dernière guerre les confédérés, les armes à la main, prêts à tirer l’épée, manger partout ensemble dans le même plat ?… On déchire nos vieilles amitiés, on foule aux pieds nos antiques mœurs, on viole les traités, on brûle les alliances… Nous réclamons les chartes de nos ancêtres. Au secours ! au secours !… Sages de notre peuple, donnez-nous vos conseils ! et vous tous qui savez manier la fronde et l’épée, venez maintenir avec nous les biens sacrés pour lesquels nos pères, délivrés du joug de l’étranger, unirent leurs bras et leurs cœurs. »

h – Hartmann von Hallwyll à Alb. de Mulinen, 7 août.

i – Klagtend sich allent halben wyt und breit. (Bull. 2, p. 397.)

En même temps les cinq cantons envoient en Alsace, en Brisgau, en Souabe, pour obtenir du sel, du vin et du pain : mais l’administration des villes se montre impitoyable ; les ordres partout donnés sont partout strictement exécutés. Zurich et les autres cantons alliés interceptent toute communication, et renvoient en Allemagne les vivres qu’on apporte à leurs frères. Ces cinq cantons ne sont qu’une vaste forteresse, dont toutes les issues sont exactement gardées par des sentinelles attentives. Se voyant seuls avec la famine, entre leurs lacs et leurs montagnes, les Waldstettes désolés ont recours aux pratiques de leur culte. Ils interdisent les jeux, les danses et tout autre divertissementj ; ils ordonnent des prières générales, et de longues processions couvrent les chemins d’Einsiedlen et d’autres lieux de pèlerinage. On revêt les ceintures, les bourdons, les armes de la confrérie à laquelle on appartient ; chacun porte en main son chapelet et murmure ses patenôtres. Les vallées et les montagnes retentissent de ces chants plaintifs. Mais les Waldstettes font plus encore : ils saisissent leurs épées, ils aiguisent la pointe de leurs hallebardes, ils brandissent leurs glaives du côté de Zurich et de Berne, et s’écrient avec fureur : « On nous ferme les routes, mais nos bras sauront les rouvrirk. » Personne ne répond autour d’eux à ce cri du désespoir ; mais il y a dans le ciel un juste juge auquel la vengeance appartient, et qui va bientôt y répondre d’une manière terrible en punissant ces hommes égarés qui oublient la miséricorde, qui font un impie mélange des choses de l’Eglise et des choses de l’État, et qui prétendent assurer le triomphe de l’Évangile par la famine et par les gendarmes.

j – Stelltent ab Spielen, Tanzen (Tschoudi, der Capeller Krieg. 1531). Ce manuscrit, attribué à Egidius Tschoudi, qui dut l’écrire en 1533, est dans le sens des cinq cantons, et a été publié dans l’Helvetia, vol. II, p. 165.

k – Trowtend auch die Straassen uff zu thun mit gwalt. (Bull., II, p. 397.)

Il y eut cependant des tentatives de conciliation ; mais ces efforts mêmes étaient pour la Suisse et pour la Réforme une grande humiliation. Ce ne furent pas les ministres de l’Évangile, ce fut la France (plus d’une fois pour la Suisse une occasion de désordre) qui se présenta pour y mettre la paix. Toute démarche propre à accroître son influence sur les cantons était utile à sa politique. Dès le 14 mai, Maigret et Daugertin (ce dernier avait reçu la vérité évangélique, et n’osait en conséquence retourner en Francel), après quelques allusions à la passion fort peu évangélique que Zurich mettait dans cette affaire, dirent au Conseil : « Le roi notre maître nous a envoyé deux gentilshommes pour aviser aux moyens de maintenir la concorde parmi vous. Si le tumulte et la guerre envahissent la Suisse, toute la confédération des Helvétiens sera sur le point de se dissoudrem, et, quelque soit le parti vainqueur, il sera en réalité battu comme l’autre. » Zurich ayant répondu que si les cinq cantons permettaient la prédication de la parole de Dieu, la réconciliation serait facile, les Français sondèrent secrètement les Waldstettes ; mais ceux-ci répliquèrent : « Jamais nous ne permettrons la prêdication de la parole de Dieu, comme les gens de Zurich l’entendentn. »

l – Ep. Rugeri ad Bulling., 12 nov. 1560.

m – Universa societas Helvetiorum dilabetur, si tumultus et bellum inter eam eruperit. (Zw. Epp., II, p. 604.)

n – Responderunt verbi Dei predicationem non laturos, quomodo nos intelligamus. (Ibid. 607.)

Les efforts plus ou moins intéressés de l’étranger ayant échoué, une diète générale était la seule planche de salut qui restât à la Suisse. On en convoqua une à Bremgarten. Elle s’ouvrit en présence des députés du roi de France, du duc de Milan, de la comtesse de Neuchâtel, des Grisons, du Valais, de la Thurgovie et du pays de Sargans, et se réunit à cinq reprises, le 14 et le 20 juin, le 9 juillet, le 10 et le 23 août. Bullinger (le chroniqueur), pasteur de Bremgarten, prononça, lors de l’ouverture, un discours dans lequel il exhorta vivement les confédérés à l’union et à la paix.

Une lueur d’espérance vint un instant éclairer la Suisse. Le blocus était devenu moins sévère ; l’amitié et le bon voisinage l’avaient emporté, en bien des lieux, sur les décrets des chancelleries d’État. Des chemins nouveaux avaient été frayés à travers les plus sauvages montagnes, pour apporter des vivres aux Waldstettes. On en avait caché dans des ballots de marchandises ; et tandis que Lucerne jetait en prison et mettait à la torture ses propres citoyens surpris avec des pamphlets zurichoiso, Berne ne punissait que faiblement ses paysans saisis avec des provisions destinées à Underwald et à Lucerne, et Glaris fermait les yeux sur les fréquentes violations de son ordonnance. La voix de la charité, un instant étouffée, plaidait de nouveau avec force, auprès des cantons réformés, la cause de leurs confédérés des montagnes.

o – Warf sie in Gefangniss. (Bull. 3, p. 30.)

Mais les cinq cantons se montrèrent inflexibles. « Nous ne prêterons l’oreille à aucune proposition avant la levée du blocus, dirent-ils. — Nous ne le lèverons pas, répondirent Berne et Zurich, avant que la prédication de l’Evangile soit permise, non seulement dans les bailliages communs, mais dans les cinq cantons eux-mêmes. » C’était trop sans doute, selon le droit naturel et les principes de la Confédération. Les Conseils de Zurich pouvaient regarder comme leur devoir de recourir à la guerre, pour maintenir la liberté de conscience dans les bailliages communs ; mais il y avait usurpation à contraindre les cinq cantons pour ce qui concernait leur propre territoire. Cependant les médiateurs parvinrent, non sans beaucoup de peine, à rédiger un projet de conciliation qui sembla réunir les vœux des deux partis, et l’on porta en toute hâte ce projet aux divers États.

La Diète se réunit de nouveau quelques jours après ; les cinq cantons persistèrent dans leur demande, sans céder sur aucun point. En vain Zurich et Berne leur représentèrent-ils qu’en persécutant les Réformés, les cantons violaient le traité de paix ; en vain les médiateurs s’épuisèrent-ils en avertissements et en prières : les partis semblaient quelquefois se rapprocher, et puis tout à coup ils étaient plus éloignés et plus irrités que jamais. Les Waldstettes rompirent enfin la troisième conférence, en déclarant que, loin de s’opposer à la vérité évangélique, ils la maintiendraient, telle que l’avaient enseignée le Rédempteur, ses saints apôtres, les docteurs, et l’Église leur sainte mère ; ce qui parut aux députés de Zurich et de Berne une amère ironie. Néanmoins, ceux de Berne se tournant vers les Zurichois, leur dirent en s’en séparant : « Gardez-vous de trop de violence, dût-on même vous attaquer ! »

Ces exhortations n’étaient pas nécessaires. La force de Zurich était passée. La première apparition de la Réforme et des Réformateurs avait été saluée par des cris de joie. Les peuples qui gémissaient sous une double servitude, avaient cru voir poindre le jour de la liberté. Mais les esprits, abandonnés pendant des siècles à l’ignorance et à la superstition, n’ayant pu voir se réaliser aussitôt les espérances qu’ils avaient rêvées, le mécontentement se répandit bientôt dans les masses. La transformation par laquelle Zwingle, cessant d’être l’homme de l’Évangile, devint l’homme de l’État, enleva au peuple l’enthousiasme qui lui eût été nécessaire pour résister aux assauts terribles qu’il allait avoir à soutenir. Les ennemis de la Réforme eurent beau jeu contre elle, dès que ses amis eurent abandonné la position qui faisait leur puissance. Des chrétiens, d’ailleurs, ne pouvaient avoir recours à la famine et à la guerre pour assurer le triomphe de l’Évangile, sans que leur conscience en fût troublée. Les Zurichois ne marchaient plus selon l'Esprit, mais selon la chair ; et les fruits de la chair sont les inimitiés, les querelles, les jalousies, les colères, les disputes, les divisionsp. Le danger croissait au dehors ; et loin que l’espérance, la concorde, le courage augmentassent au dedans, on voyait au contraire s’évanouir peu à peu cette harmonie et cette foi vivante qui avaient été la force de la Réforme. La Réforme avait saisi le glaive, et le glaive lui perçait le cœur.

pGalates 5.19-20.

Les occasions de discorde se multipliaient dans Zurich. On diminua, d’après l’avis de Zwingle, le nombre des nobles dans les deux Conseils, à cause de leur opposition à l’Évangile ; et cette mesure répandit le mécontentement parmi les familles les plus honorables du canton. On soumit les meuniers et les boulangers à certains règlements que la disette rendait nécessaires, et une grande partie de la bourgeoisie attribua ces mesures aux sermons du Réformateur, et s’en irrita. On nomma le bailli de Kibourg, Rodolphe Lavater, capitaine général, et les capitaines plus âgés que lui en furent blessés. Plusieurs de ceux qui s’étaient autrefois le plus distingués par leur zèle pour la Réforme, s’opposaient ouvertement à la cause qu’ils avaient soutenue. L’ardeur avec laquelle des ministres de paix demandaient la guerre faisait naître partout de sourds murmures, et plusieurs même laissaient éclater toute leur indignation. Cette confusion contre nature, de l’Eglise et de l’État, qui avait corrompu le christianisme après Constantin, allait perdre la Réformation. La majorité du Grand-Conseil, toujours prête à prendre d’importantes et salutaires résolutions, fut détruite. Les anciens magistrats qui se trouvaient encore à la tête des affaires, se laissèrent entraîner à des sentiments de jalousie contre les hommes dont l’influence officielle prévalait sur la leur. Les citoyens qui haïssaient la doctrine de l’Évangile, soit par amour du monde, soit par amour du Pape, relevaient audacieusement la tête dans Zurich. Les partisans des moines, les amis du service étranger, les mécontents de tout genre, se coalisaient pour signaler Zwingle comme l’auteur des maux du peuple.

Zwingle en était profondément navré. Il voyait que Zurich et la Réformation se précipitaient vers leur ruine, et il ne pouvait les retenir. Comment l’eût-il fait, puisque, sans s’en douter, il était le principal auteur de ces désastres ? Que faire ? Le conducteur restera-t-il sur le char qu’on ne lui permet pas de diriger ? Il n’y avait qu’un moyen de salut pour Zurich et pour Zwingle. Il aurait dû se retirer de la scène politique, se replier dans le royaume qui n'est pas de ce monde, tenir, nuit et jour, comme Moïse, ses mains et son cœur élevés vers le ciel, et prêcher avec puissance la repentance, la foi et la paix. Mais les choses politiques et les choses religieuses étaient unies dans l’esprit de ce grand homme par des liens si primitifs et si intimes, qu’il lui était impossible de les distinguer les unes des autres. Cette confusion était devenue son idée dominante ; le chrétien et le citoyen n’avaient pour lui qu’une seule et même vocation ; d’où il concluait que toutes les ressources de l’État, même les canons et les arquebuses, devaient être mises au service de la vérité. Quand une idée particulière s’empare ainsi d’un homme, on voit se former en lui une fausse conscience, qui approuve bien des choses condamnées par la parole du Seigneur.

Tel était alors Zwingle. La guerre lui paraissait légitime et désirable ; et si on la refusait, il jugeait n’avoir plus qu’à se retirer de la vie publique. Il voulait tout, ou rien. Aussi, le 26 juillet, il se présenta devant le Grand-Conseil, le regard éteint et le cœur brisé : « Voilà onze ans, dit-il, que je vous prêche le saint Evangile, et que je vous avertis paternellement et fidèlement des maux qui vous menacent ; mais on n’en tient aucun compte ; on élit au Conseil les amis des capitulations étrangères, les ennemis de l’Évangile ; et, tout en refusant de suivre mes avis, on me rend responsable de tous les maux. Je ne puis accepter une telle position, et je donne ma démission. » Puis le Réformateur sortit, baigné de larmes.

Le Conseil s’émut en entendant ces paroles. Tous les anciens sentiments de respect que l’on avait eus si longtemps pour Zwingle se réveillèrent ; le perdre maintenant, c’était perdre Zurich. Le bourgmestre et d’autres magistrats reçurent l’ordre de le faire revenir de cette résolution fatale. Une conférence eut lieu le même jour avec lui ; Zwingle demanda du temps pour réfléchir. Pendant trois jours et trois nuits il chercha le chemin qu’il devait suivre. Voyant le sombre orage qui se formait de toutes parts, il se demandait s’il choisirait, pour quitter Zurich et se réfugier sur les hautes collines du Tockenbourg, où avait été son berceau, le moment même où la patrie et l’Église allaient être assaillies et hachées par leurs ennemis, comme le blé par la grêle. Il poussait des soupirs ; il criait au Seigneur. Il eût voulu éloigner de lui la coupe d’amertume qui lui était offerte, et il ne pouvait s’y résoudre. Enfin le sacrifice fut accompli, et la victime placée en frémissant sur l’autel. Trois jours après la première conférence, Zwingle reparut dans le Conseil. « Je resterai avec vous, dit-il, et j’agirai pour le salut public… jusqu’à la mort. »

Dès ce moment, il déploya un nouveau zèle. D’un côté, il s’efforça de ramener dans Zurich la concorde et le courage ; de l’autre, il s’appliqua à réveiller et à électriser les villes alliées, pour accroître et concentrer toutes les forces de la Réformation. Fidèle au rôle politique qu’il croyait avoir reçu de Dieu même, persuadé que c’était dans les incertitudes et le manque d’énergie des Bernois qu’il fallait chercher la cause de tout le mal, le réformateur se rendit à Bremgarten avec Collin et Steiner, pendant la quatrième conférence de la Diète, quel que fût le danger auquel il s’exposât en le faisant. Il y arriva de nuit, en secret ; et, étant entré dans la maison de son ami et disciple Bullinger, il y fit venir, avant le lever du jour, les députés de Berne, Jean-Jacques de Watteville et Im Hag, et les supplia, du ton le plus solennel, de considérer sérieusement les périls de la Réforme. « Je crains, dit-il, qu’à cause de notre infidélité, cette affaire n’échoue. En refusant des vivres aux cinq cantons, nous avons commencé une œuvre qui nous sera funeste. Que faire ? Retirer la défense ? Les cantons seront alors plus orgueilleux et plus méchants que jamais. La maintenir ? Ils prendront l’offensive ; et si leur attaque réussit, vous verrez nos champs rougis du sang des fidèles, la doctrine de la vérité abattue, l’Église de Christ désolée, les relations sociales bouleversées, nos adversaires toujours plus endurcis et irrités contre l’Évangile, et des foules de prêtres et de moines remplissant de nouveau nos campagnes, nos rues et nos temples… Pourtant, ajouta Zwingle après quelques moments d’émotion et de silence, cela aussi prendra fin. » Les Bernois étaient saisis, agités par la voix grave du réformateur. « Nous voyons, lui dirent-ils, tout ce qu’il y a craindre pour la cause qui nous est commune ; et nous mettrons tous nos soins à prévenir de si grands maux. — Moi qui écris ces choses, j’étais présent et je les ai entendues, » ajoute Bullingerq.

q – Ces mots sont, par extraordinaire, en latin : Hæc ipse, qui haec scribo, ab illis audivi, præsens colloquio. » (Bull., III, p. 49)

On craignait que si les députés des cinq cantons venaient à connaître la présence de Zwingle à Bremgarten, ils ne pussent contenir leur violence. Aussi, pendant cette conférence nocturne, trois conseillers de la ville étaient-ils en sentinelle devant la maison de Bullinger. Avant le jour, le réformateur et ses deux amis, accompagnés de Bullinger et des trois conseillers, traversèrent les rues désertes qui conduisaient à la porte par où l’on se rend à Zurich. A trois reprises, Zwingle prit congé de ce Bullinger qui devait bientôt lui succéder. L’âme pleine du pressentiment de sa mort prochaine, il ne pouvait se détacher de ce jeune ami, duquel il ne devait plus revoir le visage ; il le bénissait tout en larmes : « O mon cher Henri, lui disait-il, Dieu te garde ! Sois fidèle au Seigneur Jésus-Christ et à son Eglise. » Enfin ils se séparèrent. Mais en ce moment même, dit Bullinger, un personnage mystérieux, revêtu d’une robe aussi blanche que la neige, parut tout à coup ; et, après avoir effrayé les soldats qui gardaient la porte, il se plongea dans l’eau, où il disparut. Bullinger, Zwingle et leurs amis ne le virent pas ; Bullinger lui-même le chercha ensuite en vain tout à l’entourr ; mais les sentinelles insistèrent sur la réalité de cette apparition effrayante. Bullinger, vivement ému, reprit en silence au milieu des ténèbres le chemin de sa maison. Son esprit rapprochait involontairement le départ de Zwingle et le fantôme blanc ; et il frémissait du présage affreux que la pensée de ce spectre imprimait dans son âme.

r – Ein menschen in ein schneeweissen Kleid. (Bull. 3, p. 49.)

Des angoisses d’un autre genre poursuivirent Zwingle à Zurich. Il avait cru qu’en consentant à rester à la tête des affaires, il retrouverait toute son ancienne influence ; mais il s’était trompé. On voulait qu’il fût là, et l’on ne voulait pourtant pas le suivre. Les Zurichois répugnaient toujours plus à la guerre, qu’ils avaient d’abord demandée, et s’identifiaient avec le système passif de Berne. Zwingle, interdit, se sentit paralysé d’abord en présence de cette masse inerte que ses plus vigoureux efforts ne pouvaient ébranler. Mais bientôt découvrant sur tout l’horizon les signes avant-coureurs des orages qui allaient fondre sur le navire dont il était le pilote, il poussa des cris d’angoisse, et donna le signal de détresse : « Je le vois, dit-il un jour au peuple, du haut de la chaire où il était venu porter ses tristes pressentiments, les avertissements les plus fidèles ne peuvent vous sauver ; vous ne voulez pas punir les pensionnaires de l’étranger… Ils ont parmi vous de trop fermes appuis ! Une chaîne est préparée… la voilà tout entière, elle se déroule… anneau après anneau… Bientôt on m’y attachera, et plus d’un pieux Zurichois avec moi… C’est à moi qu’on en veut. Je suis prêt ; je me soumets à la volonté du Seigneur. Mais ces gens-là ne seront jamais mes maîtres… Quant à toi, ô Zurich, ils te donneront ta récompense ; ils t’asséneront un coup sur la tête. Tu le veux ; tu te refuses à les punir : eh bien ! ce sont eux qui te punironts ; mais Dieu n’en gardera pas moins sa sainte Parole, et leur magnificence prendra fin. » Tel était le cri de détresse de Zwingle ; mais le silence de la mort lui répondait seul. Les âmes des Zurichois étaient tellement endurcies, que les flèches les plus aiguës du Réformateur ne pouvaient y pénétrer, et tombaient à ses pieds, émoussées et inutiles.

s – Straafen willt sy nitt, des werden sy dich straafen. (Ibid. 52.)

Les événements se pressaient, et justifiaient toutes ses craintes. Les cinq cantons avaient rejeté les propositions qui leur avaient été faites. « Que parlez-vous de punir quelques injures ? avaient-ils dit aux médiateurs ; c’est de bien autre chose qu’il s’agit. Ne nous demandez-vous pas vous-mêmes de recevoir parmi nous les hérétiques que nous avons bannis, et de ne tolérer d’autres prêtres que ceux qui prêchent conformément à la Parole de Dieu ? Nous savons ce que cela signifie. Non, non, nous n’abandonnerons pas la religion de nos pères ; et si nous devons voir nos femmes et nos enfants privés de nourriture, nos bras sauront conquérir ce qu’on nous refuse ; nous y engageons nos corps, nos biens et nos vies. » Ce fut avec ces paroles menaçantes que les députés quittèrent la diète de Bremgarten. Ils avaient déployé fièrement les plis de leurs manteaux, et la guerre en était sortie.

La terreur était générale, et les esprits alarmés ne voyaient partout que de tristes présages, des signes alarmants, qui semblaient annoncer les événements les plus funestes. Ce n’était pas seulement le fantôme blanc qui avait paru à Bremgarten à côté de Zwingle ; des augures bien plus extraordinaires, passant de bouche en bouche, remplissaient le peuple de sinistres pressentiments. Le récit de ces signes, quelque étrange qu’il puisse paraître, caractérise l’époque que nous racontons. Nous ne créons pas les temps ; notre devoir est de les prendre tels qu’ils furent.

Le 26 juillet, une veuve se trouvant seule devant sa maison, près du village de Castelenschloss, vit tout à coup, spectacle affreux ! le sang jaillir de terre tout autour d’ellet. Épouvantée, elle rentre précipitamment dans la maison… Mais, ô terreur ! le sang y coule partout des boiseries et des pierresu ; il s’échappe à flots d’un bassin élevé, et la couche même de son enfant en est inondée. Hors d’elle-même, cette femme, qui s’imagine que la main invisible d’un assassin a passé dans sa cabane, sort en criant : Au meurtre ! au meurtrev ! Les gens du village, les moines d’un couvent voisin, accourent. On parvient à faire disparaître en partie ces traces ensanglantées ; mais peu après les autres habitants de la maison s’étant mis, l’effroi dans l’âme, à manger leur repas du soir sous l’avant-toit, ils découvrent tout à coup du sang bouillonnant dans une fondrière, du sang découlant du grenier, du sang couvrant tous les murs de la maison. Du sang, du sang, partout du sang. Le bailli de Schenkenberg et le pasteur de Dalheim arrivent, prennent connaissance de cet étonnant prodige, et en font aussitôt rapport aux seigneurs de Berne et à Zwingle. A peine ce récit, dont tous les détails nous ont été exactement conservés en latin et en allemand, était-il venu remplir les esprits de la pensée d’une horrible boucherie, que l’on vit paraître dans le ciel, du côté du couchant, une effrayante comètew, dont la large et longue chevelure jaune pâle se tournait vers le midi : au moment de son coucher, cet astre luisait dans le ciel comme un feu dans une forgex. Un soir, le 15 août, à ce qu’il paraîty, Zwingle et George Müller, ancien abbé de Wettingen, étant ensemble sur le cimetière de la cathédrale, considéraient tous deux le redoutable météore. « Cet astre funèbre, dit Zwingle, vient éclairer le chemin qui mène à mon tombeau. Il m’en coûtera la vie, et à bien des hommes honnêtes avec moi. J’ai la vue basse, mais je découvre beaucoup de calamités dans l’avenir 4. La vérité et l’Église seront dans le deuil ; mais Christ ne nous abandonnera jamais. » Ce ne fut pas seulement à Zurich que l’astre flamboyant porta la terreur. Vadian se trouvant une nuit sur une hauteur des environs de Saint-Gall, entouré d’amis et de disciples, après leur avoir expliqué les noms des astres et les miracles du Créateur, s’arrêta devant cette comète, qu’on croyait annoncer la colère de Dieu ; et le fameux Théophraste déclara qu’elle ne présageait pas seulement une grande effusion de sang, mais très spécialement la mort d’hommes savants et illustres. Ce mystérieux phénomène prolongea jusqu’au 3 septembre sa lugubre apparition.

t – Ante et post eam purus sanguis ita acriter ex dura terra effluxit, ut ex vena incisa. (Zw. Epp. 2, p. 627.)

u – Sed etiam sanguis ex terra, lignis, et lapidibus effluxit.(Ibid.)

v – Ut eadem excurreret cædem clamitans. (Ibid.)

w – Ein gar eschrocklicher Comet. (Bull., III, p. 46.) C’était la comète dite de Halley, qui revient tous les soixante-seize ans, et a paru pour la dernière fois en 1835.

x – Wie ein fhüer in einer ess. (Ib.) Peut-être Bullinger indique-t-il ainsi le phénomène remarqué par Appien, astronome de Charles-Quint, qui observa cet astre à Ingolstadt, et qui dit que la queue de la comète disparaissait en approchant de l’horizon. En 1456, son apparition avait déjà excité une grande terreur.

y – Cometam jam tribus noctibus viderunt apud nos alii, ego una tantum, puto i5 augusti. (Zw. Epp., p. 634.)

Dès que le bruit de ces présages se fut répandu, on ne sut plus se contenir : les imaginations étaient remuées ; on entassait effroi sur effroi ; chaque lieu avait ses terreurs. On avait aperçu sur la montagne du Brunig deux drapeaux flottant dans les nues ; à Zug, un bouclier avait été vu dans le ciel ; sur les bords de la Reuss, on avait entendu, la nuit, des détonations répétées ; sur le lac des Quatre-Cantons, des navires portant des combattants aériens se croisaient en tous sens. Guerre, guerre ! sang, sang ! tel était le cri universel.

Au milieu de toutes ces agitations, Zwingle seul semblait tranquille. Il ne rejetait aucun de ces pressentiments, mais il les contemplait avec calme. « Une âme qui craint Dieu, disait-il, ne se soucie point des menaces du monde. Avancer le conseil de Dieu, quoi qu’il arrive, voilà son œuvre. Un voiturier qui a un long chemin à parcourir doit se résigner à user en route son train et son attirail ; s’il amène sa marchandise au lieu fixé, cela lui suffit. Nous sommes le train et l’attirail de Dieu. Il n’est pas une des pièces qui ne soit usée, tourmentée, brisée ; mais notre grand conducteur n’en accomplira pas moins, par nous, ses vastes desseins. N’est-ce pas à ceux qui tombent sur le champ de bataille, que la plus belle couronne appartient ? Courage donc, au milieu de tous ces périls par lesquels doit passer la cause de Jésus-Christ ! Courage, quand même nous ne devrions jamais ici-bas contempler de nos propres yeux ses triomphes !… Le juge du combat nous voit, et c’est lui qui couronne. D’autres se réjouiront sur la terre du fruit de notre travail, tandis que nous, déjà dans le ciel, nous jouirons de la récompense éternellez. »

zZwingl, Opp., Commentar. in Jeremiam. — Cet écrit est de l’année même de la mort de Zwingle.

Ainsi parlait Zwingle, s’avançant en paix vers ce bruit menaçant de la tempête, qui, par des éclairs répétés et par des explosions soudaines, annonçait la mort.

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