Histoire de la Réformation du seizième siècle

18.11

Tyndale à Hambourg – Saint Matthieu et saint Marc – Ennuis et pauvreté – Tyndale vit-il Luther ? – Tyndale à Cologne – Le Nouveau Testament s’imprime – Soudaine interruption – Cochlée caché à Cologne – Les manuscrits de Rupert – Découverte de Cochlée – Ses recherches – Son effroi – Rincke et la prohibition du sénat – Consternation et décision de Tyndale – Cochlée écrit en Angleterre – Tyndale remonte le Rhin – Il imprime à Worms deux éditions du Nouveau Testament – Prière de Tyndale

Le navire qui portait Tyndale et ses manuscrits avait jeté l’ancre devant Hambourg, où, depuis 1521, l’Évangile comptait de nombreux amis. Encouragé par la présence de ses frères, le fellow d’Oxford s’étant modestement logé dans l’une des rues étroites et tortueuses de cette vieille cité, avait aussitôt mis la main à l’œuvre. Un secrétaire qu’il appelle « son fidèle compagnonn, » l’aidait à collationner, mais bientôt ce frère, dont le nom est inconnu, se croyant appelé à prêcher Christ dans des lieux où il n’avait jamais été annoncé, quitta Tyndale. Un ancien moine de Greenwich, de l’observance de Saint-François, ayant abandonné le cloître et se trouvant sans ressources, offrit ses services à l’helléniste. William Roye était l’un de ces hommes, toujours assez nombreux, que l’impatience du joug éloigne de Rome, sans que l’Esprit de Dieu les attire à Christ. Fin, insinuant, tracassiero, mais doué de dehors agréables, il charmait tous ceux qui n’avaient avec lui que des rapports passagers. Tyndale, relégué sur les rives lointaines de l’Elbe, au milieu d’habitudes étrangères et n’entendant qu’une langue inconnue, pensait souvent à l’Angleterre et était impatient de la faire jouir du fruit de ses veilles ; il accepta le secours de Roye. Les évangiles de Matthieu et de Marc, traduits et imprimés à Hambourg, devinrent à ce qu’il paraît, pour sa patrie, les prémices de son grand travail.

n – While I abode, a faithful companion. (Tynd., W., p. 77.)

o – A mon somewhat crafty. (Ibid.)

Mais bientôt Tyndale se vit accablé d’ennuis. Roye, facile à conduire quand il n’avait point d’argentp, était devenu intraitable aussitôt qu’il en avait eu. Que faire ? Le Réformateur ayant épuisé les dix livres apportées d’Angleterre, ne pouvait satisfaire aux demandes de son collaborateur, payer ses propres dettes et se transporter ailleurs. Il redoubla de sobriété et d’économie. La Wartbourg, où Luther avait traduit le Nouveau Testament, était un palais en comparaison du réduit où le réformateur de la riche Angleterre endurait la faim et le froid, en travaillant nuit et jour pour donner l’Évangile aux chrétiens anglais.

p – As long as he had no money. (Fox, Acts, V, p. 119.)

Vers la fin de 1524, Tyndale envoya les deux Évangiles à Monmouth ; et un marchand, Jean Callenbeke, lui ayant apporté les dix livres qu’il avait laissées entre les mains de son ancien patron, il se prépara aussitôt au départ.

Où ira-t-il ? Pas en Angleterre ; il faut qu’il achève avant tout son travail. Pouvait-il se trouver près de Luther sans chercher à le voir ? Il n’avait besoin du réformateur saxon ni pour trouver la vérité, qu’il avait déjà connue à Oxford, ni pour entreprendre la traduction des Écritures, qu’il avait déjà commencée dans la vallée de la Severn. Mais n’était-ce pas à Wittemberg qu’accouraient tous les étrangers amis de l’Évangile ? Pour dissiper toute incertitude sur l’entrevue des deux réformateurs, il faudrait peut-être que l’on en trouvât quelque trace à Wittemberg mêmeq, dans les registres universitaires ou dans les écrits des réformateurs saxons. Cependant plusieurs témoignages contemporains semblent donner à cette conférence un degré suffisant de probabilité. « Il eut, dit Fox, une entrevue avec Luther et d’autres savants de ces contrées. » Ce dut être au printemps de l’année 1525.

q – J’ai prié un théologien allemand de faire quelques recherches à ce sujet, mais elles n’ont rien produit.

[M. Anderson, dans son excellent ouvrage (Bible Annals), a combattu le fait de cette entrevue des deux réformateurs, mais sans me convaincre. On comprend que Luther, fort occupé alors de sa dispute avec Carlstad, ne fasse pas mention dans ses lettres de la visite de Tyndale. Il est d’ailleurs, outre Fox, d’autres autorités contemporaines en faveur de ce fait. Cochlée, Allemand, bien informé de tous les mouvements des réformateurs, et que nous allons voir à la piste de Tyndale, dit de lui et de Roye : « Duo Angli apostatæ, qui aliquandiu fuerant Vuitenbergæ » (p. 123). Enfin Thomas More, ayant dit que Tyndale avait été voir Luther, Tyndale se contenta de répondre : « When M. More saith Tyndale was confederate with Luther, that is not truth. » (Tynd., Works, II, p. 154.) Il nia la confédération, mais non la visite. Si Tyndale n’avait pas même vu Luther, il semble qu’il eût été plus explicite, et eût probablement dit qu’il ne s’était même jamais rencontré avec lui.]

Tyndale, voulant se rapprocher de sa patrie, tourna ses regards du côté du Rhin. Il y avait à Cologne de célèbres imprimeurs, bien connus dans la Grande-Bretagne, entre autres Quentel, et les Byrckmann. François Byrckmann avait des magasins à Londres, au cimetière de Saint-Paul, ce qui pouvait faciliter l’introduction et la vente de Testaments imprimés sur les bords du Rhin. Cette circonstance providentielle décida Tyndale en faveur de Cologne, et il s’y rendit avec Roye. et ses manuscrits. Arrivé dans les sombres rues de la cité d’Agrippine, il contempla ses nombreuses églises, surtout son antique cathédrale qui retentissait de la voix des prébendiers, et il fut saisi de tristesse à la vue de ces prêtres, de ces moines, de ces mendiants et de ces pèlerins, qui, de toutes les parties de l’Europe, y venaient adorer les prétendues reliques des trois mages et des onze mille vierges. Alors Tyndale se demanda si c’était bien dans cette cité superstitieuse que le Nouveau Testament devait s’imprimer en anglais. Ce n’était pas tout ; le mouvement réformateur qui travaillait alors l’Allemagne avait éclaté à Cologne pendant la fête de Pentecôte, et l’archevêque venait d’interdire tout culte évangélique. Néanmoins Tyndale persévéra, et, se soumettant aux précautions les plus minutieuses pour ne pas compromettre son travail, il prit à l’écart un logement et s’y tint caché.

Bientôt pourtant, se confiant en Dieu, il se rendit chez l’imprimeur, lui présenta son manuscrit, en demanda six mille exemplairesr, puis, après réflexion, seulement trois mille, de peur d’une saisie. L’impression s’avançait ; une feuille succédait à l’autre ; l’Évangile exposait peu à peu ses mystères dans la langue des Anglo-Saxons, et Tyndale ne se possédait pas de joies. Il suivait des yeux les triomphes de la sainte Écriture dans tout le royaume, et s’écriait avec transport : « Que le roi le veuille ou ne le veuille pas, bientôt tous les peuples de l’Angleterre, éclairés par le Nouveau Testament, obéiront à Jésus-Christt ! »

r – Sex millia sub prælum dari. (Cochlæus. p. 123.)

s – Tanta ex ea spe lætitia Lutheranos invasit. (Ibid. p. 124.)

t – Cunctos Angliæ populos, volente nolente rege. (Ibid. 123. Book 9 chapter 12 etc.)

Mais tout à coup le soleil, dont il saluait avec joie les premiers rayons, s’enveloppe d’épais nuages. Un jour, au moment où la dixième feuille sortait de presse, l’imprimeur accourt vers Tyndale, et lui dit que le magistrat de Cologne lui défend de continuer ce travail. Tout est donc découvert. Sans doute Henri VIII, qui a brûlé les livres de Luther, veut aussi brûler le Nouveau Testament, lacérer les manuscrits de Tyndale, et le livrer lui-même à la mort. Qui a trahi le fellow d’Oxford ? Il se perd en conjectures inutiles, et une seule chose lui paraît certaine : son navire, qui voguait à pleines voiles, vient, hélas ! d’échouer contre un récif. Voici l’explication de cet événement inattendu.

Un homme que nous avons souvent rencontré dans le cours de cette histoireu, l’un des plus violents ennemis de la Réformation, Cochlée, était arrivé à Cologne. Le flot des agitations populaires qui avait remué cette ville pendant les fêtes de Pentecôte, avait déjà passé sur Francfort pendant les fêtes de Pâques ; et le doyen de Notre-Dame, profitant d’un moment où les portes de la ville étaient ouvertes, s’était enfui quelques minutes avant qu’on entrât dans sa maison pour le saisir. Arrivé à Cologne, où il espérait vivre ignoré à l’ombre du puissant électeur, Cochlée s’y était logé chez George Lauer, chanoine de l’église des Apôtres. Par une singulière destinée, les deux hommes les plus opposés, Tyndale et Cochlée, se tenaient alors cachés dans la même ville ; ils ne devaient pas y rester longtemps, sans se heurter l’un contre l’autre.

u – 9.12 et ailleurs.

En face de Cologne, sur la rive droite du Rhin, se trouvait le monastère de Deutz, dont l’un des abbés, Rupert, qui vivait au douzième siècle, avait dit : « Ignorer l’Écriture, c’est ignorer Jésus-Christ. Voici l'Écriture des peuplesv ! Ce livre de Dieu qui n’est pas pompeux en paroles et pauvre en intelligence, comme Platon, doit être placé devant toutes les nations, et parler à haute voix à tout l’univers, du salut de tous. » Un jour que Cochlée et son hôte s’entretenaient de Rupert, le chanoine apprit au doyen quel’hérétique Osiander de Nuremberg était en négociation avec l’abbé de Deutz, pour publier les écrits de cet ancien docteur. Cochlée devina qu’Osiander voulait présenter le contemporain de saint Bernard, comme un témoin à décharge de la Réformation. Courant au monastère, il effraya l’abbé : « Confiez-moi, dit-il, les manuscrits de votre célèbre devancier ; je me charge de les imprimer et de prouver qu’il est des nôtres. » Les moines les lui remirent en insistant sur une prochaine publication, dont ils attendaient quelque gloirew. Cochlée se rendit aussitôt chez Pierre Quentel et Arnold Byrckmann, pour traiter de cette affaire ; c’étaient les imprimeurs de Tyndale.

v – Scripturæ populorum. (Opp. 1 p. 641.)

w – Quum monachi quieturi non erant, nisi ederentur opera illa. (Cochl. p. 124.)

Cochlée devait faire là une découverte plus importante que celle des manuscrits de Rupert. Byrckmann et Quentel l’ayant un jour invité à dîner avec plusieurs de leurs collègues, un imprimeur, mis en gaieté par le vin, s’écria au moment où, selon l’expression de Cochlée, on était entre les verres et les potsx : « Que le roi et le cardinal d’York le veuillent ou ne le veuillent pas, toute l’Angleterre sera bientôt luthérienney ! » Cochlée prête l’oreille, il s’effraye ; il questionne, et il apprend enfin que deux Anglais, hommes savants et fort versés dans les langues, sont cachés à Colognez ! Mais ses efforts pour en savoir davantage sont inutiles.

x – Audivit eos aliquando inter pocula fiducialiter jacitare. (Ibid. p. 125.)

y – Velint nolint rex et cardinalis Angliæ, totam Angliam brevi fore Lutheranam. (Ibid.)

z – Duos ibi latitare Anglos eruditos, linguarumque peritos. (Ibid.)

Dès lors, plus de repos pour le doyen de Francfort ; son imagination travaille ; son esprit s’épouvante. « Quoi, se dit-il, l’Angleterre, cette fidèle servante de la papauté, serait-elle pervertie comme l’Allemagne ? Les Anglais, ce peuple le plus religieux de la chrétientéa, et dont le roi s’est naguère illustré par son écrit contre Luther, seraient-ils envahis par l’hérésie !… Le puissant cardinal-légat d’York devra-t-il s’enfuir de ses palais, comme moi de Francfort ? » Cochlée continue ses recherches ; il fait aux imprimeurs de fréquentes visites ; il leur parle d’un ton amical ; il les flatte ; il les invite à venir le voir chez le chanoine ; mais il n’ose encore hasarder l’importante question ; il lui suffit pour le moment d’avoir gagné les bonnes grâces des dépositaires du secret. Bientôt il fait un nouveau pas ; il se garde de les interroger en présence les uns des autres ; mais il se procure avec l’un d’eux un entretien particulierb, et lui verse d’amples libations de vin du Rhin ; c’est lui-même qui nous l’apprendc. Des questions adroites embarrassent l’imprimeur aviné, et à la fin le mystère se dévoile. « Le Nouveau Testament, dit-on à Cochlée, est traduit en langue anglaise ; trois mille exemplaires sont sous presse, quatre-vingts pages in-quarto sont prêtes ; des marchands anglais font les frais ; et dès que l’ouvrage sera terminé, on l’introduira et le disséminera dans toute l’Angleterre, sans que le roi ni le cardinal puissent le savoir et l’empêcherd… Ainsi la Grande-Bretagne sera convertie aux opinions de Luthere. »

a – In gente illa religiosissima vereque Christiana. (Ibid. p. 131.)

b – Unus eorum in secretiori colloquio revelavit illi arcanum. (Cochlæus, p. 131.)

c – Rem omnem ut acceperat vini beneficio. (Ibid.)

d – Opus excussum clam invecturi per totam Angliam latenter dispergere vellent. (Ibid.)

e – Ad Lutheri partes trahenda est Anglia. (Ibid.)

La surprise de Cochlée égale son effroif ; il dissimule ; il voudrait apprendre cependant où les deux Anglais sont cachés ; ses efforts sont inutiles, et il se retire chez le chanoine plein d’émotion. Le péril est immense. Étranger, exilé, comment fera-t-il pour s’opposer à cette entreprise impie ? Où trouvera-t-il un ami de l’Angleterre, qui mette quelque zèle à détourner le coup qui la menace ?… Il s’y perd.

f – Metu et admiratione affectus. (Ibid.)

Un éclair vient tout à coup dissiper ces ténèbres. Un personnage considérable de Cologne, le chevalier Hermann Rincke, patricien et conseiller impérial, avait été, dans une occasion importante, envoyé à Henri VII par l’empereur Maximilien, et avait toujours montré depuis lors un grand attachement pour l’Angleterre. Cochlée se décide à lui découvrir le funeste complot ; mais encore effrayé des scènes de Francfort, il craint de paraître conspirer contre la Réformation. Il a laissé dans sa maison sa vieille mère et une petite nièce, et il ne veut rien faire qui puisse les compromettre. Il se glisse donc furtivement (c’est lui qui nous l’apprendg), le long des murs de l’hôtel du chevalier ; il y entre à la dérobée, et lui dévoile toute l’affaire. Rincke ne peut croire que l’on imprime à Cologne le Nouveau Testament en anglais ; cependant il envoie vite un homme de confiance aux informations, et celui-ci lui rapporte que la déclaration de Cochlée est exacte, et qu’il a trouvé dans l’imprimerie une immense provision de papier destinée à l’éditionh. Le patricien se rend aussitôt au sénat ; il y parle de Wolsey, de Henri VIII, du salut de l’Église romaine dans la Grande-Bretagne ; et ce corps auquel l’influence de l’archevêque a fait dès longtemps oublier les droits de la liberté, défend aux imprimeurs de continuer leur travail. Ainsi, plus de Nouveaux Testaments pour l’Angleterre ! Une main habile a détourné le coup dont le catholicisme romain allait être frappé ; peut-être même Tyndale va-t-il être jeté en prison, et Cochlée jouir d’un complet triomphe.

g – Abiit igitur clam ad H. Rincke. (Ibid.)

h – Ingentem papyri copiam ibi existere. (Ibid.)

Tyndale fut d’abord consterné. Tant d’années de travail seraient-elles donc perdues ? Son épreuve lui semble surpasser ses forcesi. « O loups ravisseurs ! s’écriait-il, ils prêchent aux autres de ne pas dé rober, et ils dérobent à l’homme le pain de vie, pour le nourrir des écales de leurs mérites, et des cosses de leurs bonnes œuvresj. » Toutefois Tyndale, dont la foi enlèverait les montagnes, ne se laisse pas longtemps abattre. N’est-ce pas de la Parole de Dieu qu’il s’agit ? S’il ne s’abandonne pas lui-même, Dieu ne l’abandonnera pas. Il faut devancer le sénat de Cologne. Hardi et prompt dans tous ses mouvements, Tyndale dit à Roye de le suivre ; il court à l’imprimerie, il rassemble ses feuilles, se jette dans une barque, et remonte rapidement le fleuve, emportant avec lui l’espérance de l’Angleterrek.

i – Necessity and combrance (God is record) above strength. (Tynd. Doctr. Tr. p. 390.)

j – Have fed her with the shales and pods of the hope in their merits… » (Tynd., Works, II, p. 368.)

k – Arreptis secum quaternionibus impressis aufugerunt navigio per Rhenum ascendentes. (Cochl. p. 126.)

Quand Cochlée et Rincke, accompagnés des agents du sénat, arrivent à l’imprimerie, ils sont dans la dernière consternation. L’apostat a mis en sûreté les feuilles abominables !… Leur ennemi s’est échappé comme l’oiseau du filet de l’oiseleur. Où le trouver maintenant ? Il va sans doute se placer sous la protection de quelque prince luthérien. Cochlée se gardera bien de l’y poursuivre ; mais il lui reste une ressource : ces livres anglais ne peuvent faire aucun mal en Allemagne ; il faut seulement empêcher qu’ils n’arrivent à Londres. Il écrit à la fois à Henri VIII, à Wolsey, et à l’évêque de Rochester. « Deux Anglais, dit-il au roi, semblables aux deux eunuques qui voulaient mettre la main sur Assuérus, complotent méchamment contre la paix de votre royaume ; mais moi, fidèle Mardochéel, je viens vous découvrir leur complot. On veut envoyer à votre peuple le Nouveau Testament en anglais. Donnez des ordres dans tous les ports de l’Angleterre, pour que l’on ne puisse y introduire la plus funeste des marchandisesm. » Tel est le nom que ce fervent sectateur du pape donnait à la Parole de Dieu. Bientôt un auxiliaire inattendu vient rendre le calme à l’âme de Cochlée. Un champion de la papauté, plus terrible que lui, arrive à Cologne, se rendant à Londres, et se charge d’enflammer la colère des évêques et du roi. C’est le célèbre docteur Eck lui-mêmen. Les regards des plus grands adversaires de la Réformation semblent se concentrer alors sur l’Angleterre. Eck, qui se vante d’avoir remporté sur Luther les plus éclatants triomphes, viendra bien à bout de l’humble précepteur et de son Nouveau Testament.

l – He was indebted to me no less than Ahasuerus was indebted to Mordecai. (Annals of the Bible. 1 p. 61.)

m – Ut quam diligentissime præcaverint in omnibus Angliæ portubus, ne merx illa perniciosissima inveheretur. (Cochl. p. 126.)

n – Ad quem Doctor Eckius venit, dum in Angliam tenderet. (Cochlæus, p. 109.)

Pendant ce temps, Tyndale, la main sur ses précieuses feuilles, remontait aussi vite que possible les eaux puissantes du fleuve. Il passait devant les villes antiques et les riants villages, semés sur les bords du Rhin au milieu d’une pittoresque nature. Les montagnes, les ravins, les rochers, les sombres forêts, les ruines, les églises gothiques adossées aux citadelles romaines, les barques qui se croisaient, les oiseaux de proie qui planaient sur sa tête, comme s’ils avaient eu une mission de Cochlée, rien ne pouvait détourner ses regards du trésor qu’il emportait avec lui. Enfin, après un voyage de quatre à cinq jours, il arriva devant Worms, où, quatre années auparavant, Luther s’était écrié : « Je ne puis autrement. Dieu me soit en aide ! » Cette parole du réformateur de l’Allemagne, connue de Tyndale, était l’étoile qui l’avait conduit à Worms. Il savait que l’Évangile était prêché dans cette vieille cité. Le peuple, disait Cochlée, y a des transports de luthéranismeo. » Tyndale y arriva, non pas comme Luther, entouré d’une foule immense, mais inconnu, se croyant poursuivi par les sbires de Charles-Quint et de Henri VIII. Il descendit de sa barque, porta autour de lui un regard inquiet, et déposa sur le rivage son précieux fardeau.

o – Ascendentes Wormatiam ubi plebes pleno furore lutherisabat. (Cochlæus, p. 126.)

Il avait eu le temps de réfléchir aux dangers qui menaçaient son œuvre. Ses ennemis auront signalé l’édition dont quelques feuilles sont tombées entre leurs mains ; il prit donc ses mesures pour désorienter les inquisiteurs, et commença une édition nouvelle, retranchant le prologue et les notes, et substituant à l’in-quarto le format in-octavo, plus portatif. Pierre Schœffer, fils du célèbre gendre de Fust, inventeur de l’imprimerie, donna ses presses pour cet important travail. Les deux éditions furent paisiblement terminées vers la fin de l’an 152Sp.

p – Un exemplaire de l’édition in-8o se trouve dans le musée baptiste de Bristol. Si on la compare à l’édition in-4o, on remarque un progrès sensible dans l’orthographe. Ainsi tandis que celle-ci dit :prophettes, synners, mooste, burthen, l’édition in-8o porte prophets, sinners, most, burden. (Bible Annals, I, p. 70.)

Ainsi le méchant était déçu ; on avait voulu priver le peuple anglais des oracles de Dieu, et deux éditions du Nouveau Testament allaient entrer en Angleterre. « Voici, disait Tyndale à ses compatriotes, en leur adressant de Worms le Testament qu’il venait de traduire, voici les paroles de la vie éternelle, par lesquelles, si nous croyons, nous naissons de nouveau, et sommes participants des fruits du sang de Jésus-Christq. » Ce fut dans les premiers jours de 1526, que ses livres, partis d’Anvers ou de Rotterdam, passèrent la mer. Tyndale était heureux ; mais il savait que l’onction de l’Esprit-Saint pouvait seule donner au peuple de l’Angleterre l’intelligence de ces feuilles sacrées ; aussi les accompagnait-il nuit et jour de ses prières. « Les pharisiens, disait-il, avaient renfermé dans une gaine de gloses arides le glaive tranchant de la Parole de Dieur ; et ils l’y avaient même tellement enfoncé, qu’on ne pouvait plus l’en tirer pour frapper et pour sauver. « Maintenant, ô Dieu ! sors du fourreau cette puissante épée ! Frappe, blesse, partage l’âme et l’esprit, en sorte que l’homme divisé soit mis en lutte avec lui-même, mais aussi en paix avec toi pour l’éternité ! »

q – We are born anew, created afresh, and enjoy the fruits of the blood of Christ. » (Epist., in init.)

r – Had thrust up the sword of the word of God in a scabbard or sheath of gloses. » (Tvnd., Works, H, p. 378.)

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