Vie de John Hunt, missionnaire aux îles Fidji

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Une assemblée de district

(1847)

L’Assemblée de 1847. — l’n visiteur. — Ses premières impressions. — Un dimanche à Viwa. — Témoignage rendu aux missionnaires. — Leur activité. — Leur ordinaire. — Les femmes des missionnaires. — Succès de l’œuvre. — Un temple païen converti en temple chrétien. — L’assemblée de district. — Pasteurs qui la composent. — Leur union. — Les travaux de l’assemblée. — Etat du corps pastoral. — Les diverses sections de l’œuvre : Viwa. — Ono, ou une île chrétienne. — Lakemba : une victoire de l’esprit chrétien. — Les évangélistes indigènes. — Décision de l’assemblée à leur égard. — Deux nouveaux postes. — Souffrances des missionnaires à Somosomo. — Abandon de ce poste. — Création d’un établissement d’instruction à la Nouvelle-Zélande. — Une agape fidjienne. — Une fête donnée au visiteur. — Séparation. — John Hunt.

Après un mois d’absence, John Hunt rentra au sein de son troupeau dont les intérêts spirituels absorbèrent de nouveau son temps et ses pensées. Ses travaux sur l’Écriture sainte reprirent également, avec une ardeur toute renouvelée.

Le mois de septembre 1847 vint et avec lui des préoccupations et des travaux d’un nouveau genre, dont l’arrivée des divers missionnaires du district donna le signal. Cette année, ces pieux serviteurs de Dieu eurent la joie de voir au milieu d’eux le rév. Lawry, digne vétéran de la cause missionnaire, vénérable par son grand âge et par ses longs services, que le comité directeur avait délégué pour les visiter et les encourager. Il arrivait de la Nouvelle-Zélande dont il dirigeait la mission, à bord du John Wesley, vaisseau missionnaire récemment équipé en Angleterre pour desservir les stations des mers du Sud, et qui leur faisait sa première visite. Il amenait avec lui deux nouveaux ouvriers qui venaient renforcer la mission fidjienne, et il avait pris à son bord, dans une tournée rapide à travers les îles, les divers missionnaires qui se rendaient aussi à l’assemblée annuelle. Cette assemblée eut ainsi une solennité inaccoutumée ; elle laissa après elle des traces excellentes, soit à cause des graves décisions qui y furent prises, soit par suite des services religieux dont elle fut l’occasion. Nous ne nous sommes guère étendu jusqu’à maintenant sur ces modestes réunions synodales qui rapprochaient, une fois par an, des frères éloignés ordinairement les uns des autres et travaillant dans l’isolement à la même œuvre. Il ne sera peut-être pas hors de propos de les faire connaître ici avec quelques détails, et cette tâche nous sera facilitée par le journal intéressant qu’a publié M. Lawry sur sa visite.

Voici en quels termes il raconte ses premières impressions, lors de son arrivée à Viwa : « Nous avons fait voile vers Viwa, avec les missionnaires, pour y assister à leur assemblée de district. Cette île n’est que comme un petit point dans l’archipel fidjien ; mais elle avoisine la grande île qui a trois cents milles de tour, et elle est, pour ainsi dire, la clef d’une population très dense. Elle est en outre en face de Mbau, la cité impériale des païens, avec laquelle elle entretient des relations journalières. Je remarque que les grands chefs de Fidji choisissent préférablement de petites îles pour siège de leur résidence.

Nous débarquâmes à la tombée de la nuit et reçûmes une cordiale bienvenue de la part des familles de cette intéressante mission. MM. Hunt et Lyth vinrent à bord, tandis que M. Jaggar était resté à terre pour surveiller les préparatifs de notre réception. Nous étions maintenant entourés par des hommes et des femmes habitués à se nourrir de chair humaine, au teint sombre et dont le corps est presque complètement nu ; leur apparence ne prévient pas en leur faveur, et leur histoire est une offense perpétuelle à la nature humaine. Ils ont en général deux belles rangées de dents blanches et une formidable forêt de cheveux, que plusieurs d’entre eux se donnent les plus grandes peines à disposer avantageusement. L’un a ses cheveux relevés et poudrés, ce qui lui donne un peu l’air d’un juge ; un autre les hérisse, de façon à leur donner l’apparence d’un chêne au feuillage abondant ; un troisième a le devant de sa chevelure teint en blanc et le derrière d’un noir de jais. En vérité, le beau idéal en fait de chevelure se rencontre à Fidji. »

Dès la première heure, le visiteur est frappé du zèle et du dévouement des missionnaires et rend un témoignage sympathique aux succès de leur œuvre. « Dès le commencement, s’écrie-t-il, les natifs ont dit : « Le lotou » (christianisme) est une grande chose et le Seigneur l’a fait respecter et craindre par tous. Les missionnaires, ces hommes dévoués, n’interviennent jamais dans les affaires particulières des insulaires ; ce sont des hommes d’une stricte intégrité, d’une grande bienveillance de caractère et véritablement dévoués aux intérêts de ce peuple ; les païens eux-mêmes sont obligés d’en convenir. Ces serviteurs du Seigneur vont en avant au nom de leur Maître, et il est comme une muraille de feu autour d’eux. Il semble avoir fait à leur sujet cette recommandation : « Ne touchez pas à mes oints, et ne faites aucun mal à mes prophètes. »

Dimanche, 19 septembre. — M. Calvert a prêché à huit heures du matin à une assemblée fidjienne qui s’est fort bien comportée et qui jouissait évidemment du culte avec intelligence. La chapelle (fort bien bâtie) était à peu près pleine. Les Fidjiens apportent dans leur culte plus d’ordre et de solennité que bien des congrégations plus civilisées de ma connaissance. A onze heures, j’ai prêché aux familles missionnaires et à l’équipage du brick. L’assemblée était toute composée de chrétiens de profession, et ce fait ajouté à la circonstance spéciale qui nous rassemblait, a donné à la réunion un caractère profondément intéressant.

Nos amis ont été heureux de nous voir au milieu d’eux, et ce serait une honte à nous si nous n’avions pas pris nous-même un vif intérêt à ces héroïques serviteurs de Dieu. Lorsque ces hommes d’une belle intelligence, Hunt, Lyth, Calvert et Jaggar, sont devant moi, avec leurs femmes et les autres membres plus jeunes de la mission, je ne puis qu’éprouver une profonde vénération pour ces hommes que Dieu a si grandement distingués dans cette scène d’activité, de dangers et d’utilité. Dans l’après-midi, M. Watsford a prêché aux natifs avec une facilité et un effet qui m’ont rempli d’étonnement. L’auditoire n’était pas seulement ému, mais, pour ainsi dire, rivé au sujet si bien traité par le prédicateur. »

On sent, en lisant le journal de M. Lawry, que chaque jour qui passe lui apprend à mieux connaître et à mieux admirer la foi et le dévouement des missionnaires. Ses notes sont remplies de détails intéressants, parmi lesquels nous choisirons spécialement ceux qui peuvent donner à nos lecteurs quelque idée de la vie fidjienne sous un aspect qu’ils ne connaissent pas encore.

« Les missionnaires de Fidji sont des hommes durs à la peine, et prêts à tout travail. Ils sont sur pied de bonne heure chaque jour, occupés à traduire les Écritures ou à préparer quelques bons livres destinés à l’instruction des natifs ; ils leur enseignent les arts utiles et les dirigent dans leurs travaux divers ; ils consacrent une partie du jour à instruire ces pauvres gens et donnent aussi quelques heures à l’instruction de leurs propres enfants. Ils annoncent, matin et soir, l’Évangile à tous ceux qui veulent l’entendre. Ils se consacrent au soin des malades. Ils s’efforcent d’apporter la paix là où règne la dispute. On les consulte dans toutes les affaires importantes ou difficiles, et ils ont à s’occuper d’une foule d’entreprises. Ils sont avocats, médecins, conseillers, architectes, agriculteurs. Ils voyagent souvent sur la grande mer dans de frêles canots, et sont appelés à se frayer un chemin entre les hautes vagues et à demeurer longtemps parfois exposés aux tempêtes. Ils se livrent avec ardeur à l’étude, dominés surtout par le désir de traduire fidèlement les saints Livres. Dans ce but, plusieurs d’entre eux étudient quotidiennement les langues anciennes. Ils mettent aussi leur attention la plus assidue à perfectionner leur connaissance de la langue indigène, dans laquelle ils prêchent et conversent chaque jour avec facilité. Ils vaquent à ces occupations qui se rattachent directement à leur vocation de pasteurs chrétiens. Mais en outre, ils ont à surveiller la marche d’une maison où leurs pieuses femmes déploient une grande activité, mais où le travail abonde, grâce aux innombrables et parfois ennuyeux visiteurs qui accourent de tous côtés. »

« J’ai eu l’occasion, dit ailleurs le même auteur, d’observer de près la manière de vivre des missionnaires, pendant plus d’un mois que j’ai passé avec eux. Leur table présente invariablement du porc, des yams et de l’eau (la meilleure que l’on puisse se procurer ne vaut pas grand’chose). Le thé et le sucre sont les seuls articles un peu plus relevés qui composent leur ordinaire. De temps en temps, un peu de volaille ou de poisson vient varier ces modestes mets ; le fruit de l’arbre à pain paraît aussi sur la table en sa saison. Les vêtements des missionnaires sont en général fort modestes ; un pantalon de coton et un habit de calicot en font tous les frais ; un chapeau de paille blanche à larges bords les préserve des rayons du soleil. Il n’y a rien là, on le voit, de bien somptueux, mais nos missionnaires sont contents et ne se plaignent pas.

Le visiteur rend à l’activité et au dévouement des femmes des missionnaires un témoignage tout aussi empressé : « Je remarque, dit-il, que chacune de ces dignes femmes a les mains pleines d’ouvrage du matin jusqu’au soir. Elles doivent s’occuper de leurs enfants, surveiller les domestiques et les divers employés que nécessite une maison assez considérable, distribuer des remèdes aux malades et s’occuper des échanges avec les natifs qui viennent offrir des provisions. Je voudrais prévenir les jeunes filles qui désirent se consacrer à l’œuvre missionnaire qu’il leur faudra renoncer aux arts d’agrément qui seraient plus qu’inutiles dans un tel pays, et qu’elles devront chercher tous leurs plaisirs dans l’accomplissement de leurs devoirs. »

M. Lawry contempla avec une vive sympathie les succès que l’Évangile avait remportés à Viwa, par le ministère de John Hunt. « Dans le dernier réveil religieux de Viwa, dit-il, les angoisses de plusieurs pénitents semblent avoir eu un caractère extraordinaire, et le travail du Saint-Esprit dans les âmes a été tellement profond qu’il y faisait naître une douleur poignante. Leur agonie ne pouvait ni se contrôler ni se restreindre. Les personnes atteintes disaient qu’un feu les consumait et que leurs âmes étaient pleines de terreur, à la vue de leurs péchés. M. Hunt m’a montré un homme dont le beau-frère était mort peu de temps avant ce grand mouvement religieux et auquel était échue, selon la coutume, la tâche d’étrangler sa sœur, femme du défunt. La présence du missionnaire avait empêché quelque temps cette strangulation, et cet homme avait même paru décidé à ne pas donner suite à son dessein ; malheureusement, le missionnaire avait dû s’éloigner, et le misérable avait saisi aussitôt une pièce d’étoffe au moyen de laquelle il avait étranglé sa sœur. Eh bien I ce même homme fut convaincu de péché pendant le réveil, et toutes les douleurs de l’enfer parurent se donner rendez-vous dans son âme. Il poussait de véritables hurlements qu’il est impossible de décrire, et personne ne put lui rendre le calme, si ce n’est le Seigneur Jésus contre lequel il s’était si longtemps rebellé. Lorsqu’il eut enfin trouvé la paix, sa joie fut aussi vive que son angoisse avait été profonde, et il était difficile de contenir les élans de son bonheur. Soixante-dix cas environ tout pareils, dans une petite localité, ont dû attirer l’attention des païens sur la nouvelle doctrine ; un grand nombre d’entre eux se sont rapprochés et plusieurs ont même reçu des impressions salutaires. »

Parmi tous les nouveaux convertis, Vérani fut celui qui frappa le plus M. Lawry par son intelligence et par sa piété. Il entretint avec lui les rapports les plus affectueux et apprit de lui des détails circonstanciés sur sa vie. Un jour, le chef chrétien lui raconta les négociations au moyen desquelles il avait obtenu la cession du mbouri ou temple païen. Par suite du réveil, tous les prêtres, moins un, s’étaient convertis au christianisme ; le dernier avait quitté le pays. Vérani se rendit auprès de quelques partisans du paganisme qui demeuraient encore à Viwa et leur fit remarquer que leur temple, n’ayant plus de prêtres pour y officier, ne leur était désormais d’aucune utilité, et que le plus sage était de le céder aux chrétiens pour la célébration de leur culte, afin qu’il conservât une destination religieuse. Il leur fit le raisonnement suivant qui leur parut tout à fait concluant : En consacrant votre temple au culte chrétien, nous fournirons à vos dieux une excellente occasion de se venger de nous, s’ils en sont capables. Qu’ils essaient de faire ce qu’ils pourront contre nous, et soyez assurés qu’ils ne nous effrayeront pas. » La proposition de Vérani parut fort sensée aux païens déjà bien ébranlés dans leur foi, et ils résolurent de mettre à l’épreuve leurs divinités. C’est ainsi que ce temple, dernier refuge du paganisme, passa au culte chrétien.

Essayons maintenant de donner quelque idée à nos lecteurs d’une assemblée de missionnaires à Fidji. Autour de John Hunt, le président du district, jeune par l’âge, mais mûri par l’expérience, se groupaient James Calvert, son ami intime et son futur successeur dans la direction de l’œuvre, homme énergique et d’une piété profonde, — Thomas Jaggar, chargé de la direction de l’imprimerie, — Richard Lyth, le savant et habile médecin de la mission, matai ni mate, « le charpentier de la maladie, » comme l’appelaient avec vénération les natifs, — Thomas Williams et John Watsford, missionnaires dévoués l’un et l’autre, le premier, esprit distingué et investigateur qui devait écrire plus tard la monographie la plus complète sur l’archipel fidjien, le second, prédicateur puissant dont la parole énergique remuait les âmes, — David Hazlewood enfin, intelligence d’élite qui se préparait par de patientes recherches et par de minutieuses observations à donner au langage fidjien des règles précises et à les coordonner dans une grammaire et dans un dictionnaire qui font l’admiration des linguistes ; à lui devait revenir le soin de continuer la grande œuvre de traduction des Livres saints entreprise par John Hunt.

A côté de ces sept missionnaires, employés dans l’œuvre fidjienne depuis plusieurs années, se plaçaient deux jeunes lévites, John Malvern et James Ford, arrivés tous deux avec le vénérable visiteur et tous deux décidés à se consacrer entièrement à la belle et sainte cause de l’évangélisation des païens.

Il existait entre ces hommes si divers de caractères et d’éducation une étroite sympathie qui naissait non seulement des besoins de leur cœur développés au sein de l’isolement où la Providence les avait jetés, mais surtout de la communauté de foi et de l’unité de vues et de desseins qui existaient entre eux. Ils éprouvaient une vive joie en voyant approcher, chaque année, l’époque qui devait les réunir ; et, si l’on se rappelle comment ils s’étaient dispersés aux quatre coins de l’archipel afin de le mieux investir et quel isolement absolu devait en résulter, on comprendra ce besoin de se serrer la main et de prier en commun qui les réunissait une fois par an. Et comme elle était cordiale cette poignée de main échangée entre deux périodes de luttes incessantes et de souffrances innombrables ! Et comme elles étaient vivantes et énergiques ces prières où chacun répandait son âme devant Dieu ! A la suite de ces assemblées, la petite troupe se dispersait de nouveau, et chaque missionnaire, retrempé dans son courage par la communion fraternelle dont il avait joui, encouragé par les expériences et les conseils de ses collègues, reprenait son travail avec une ardeur rajeunie.

Cette année-là, la rencontre fut particulièrement douce. La présence d’un vétéran de la bonne cause des missions, celle de deux jeunes débutants, communiquaient aux frères une ardeur nouvelle ; ils avaient ainsi devant les yeux en quelque sorte le passé de l’œuvre missionnaire avec ses luttes glorieuses, avec ses souffrances héroïquement supportées, avec ses exemples incomparables ; ils avaient aussi sous le regard son avenir plus glorieux encore que son passé, cet avenir que la foi colore et illumine, cet avenir avec ses perspectives reculées, avec ses succès magnifiques, avec son triomphe final.

« Nous sommes à Viwa, écrit M. Lawry dans sa relation, trente-six personnes appartenant aux familles des missionnaires réunis pour leur assemblée de district ; nous logeons dans trois petites maisons, qui sembleraient pouvoir à peine suffire chacune à une petite famille. Comment on s’arrange et comment les dames réussissent à mettre de l’ordre au milieu de tout ce monde, c’est ce qu’il ne me serait pas facile de dire ; mais ce qui explique tout, c’est que ces familles ont été fort longtemps séparées les unes des autres (cela est vrai surtout pour MM. Williams et Hazlewood, de Somosomo), et le plaisir de se revoir fait complètement oublier les petits inconvénients et les petits ennuis de cet entassement. Les missionnaires se rencontrent avec des sentiments de joie chrétienne bien vive, et sont heureux de se revoir et de jouir de la société de leurs frères, après avoir été, pendant tant de mois, condamnés à une solitude à peu près complète ; ils aiment à s’entretenir sur les événements du passé, à se raconter les périls auxquels ils ont échappé et les grâces qu’ils ont reçues, à projeter des plans nouveaux d’entreprises utiles, enfin à s’édifier sur le bon fondement. »

Dès les premières séances, l’assemblée proprement dite eut à s’occuper de la marche de l’œuvre. Le caractère pastoral et personnel de chaque frère fit l’objet d’un très sérieux examen, selon l’ordre habituel, et cet examen eut pour unique résultat de resserrer la confiance mutuelle, en établissant la parfaite et inaltérable fidélité de chaque pasteur. La petite troupe eut à se féliciter également d’avoir été épargnée par la mort durant l’année, malgré un climat qui dévore les étrangers, et en dépit des dangers sans nombre auxquels chacun des missionnaires avait été exposé sur mer, sur terre, de la part des sauvages Fidjiens et de la part des colons d’origine européenne ou américaine. Ils purent se féliciter des progrès faits par tous, même par les derniers venus, dans la connaissance de la langue du pays, cette clef indispensable de l’évangélisation ; plusieurs la possédaient même avec ses idiotismes, à peu près aussi bien que les gens du pays. L’assemblée, à laquelle furent offerts les premiers exemplaires complets du Nouveau Testament fidjien qui sortait de presse, exprima à John Hunt sa parfaite satisfaction, et le chargea, en lui adjoignant M. Lyth pour le seconder, de traduire également l’Ancien Testament. Ce fut là l’un des sujets qui occupèrent le plus l’assemblée ; nous n’en parlerons pas ici cependant, attendu que nous avons consacré un chapitre spécial à cette portion des travaux de John Hunt.

Les missionnaires eurent à passer en revue les diverses portions de leur champ d’évangélisation, et chacun d’eux eut à présenter un rapport sur la marche de l’œuvre dans son circuit pendant l’année. Cette revue faite en commun par eux fut l’une des parties les plus intéressantes de leur tâche. Les diverses églises défilèrent successivement, pour ainsi dire, devant les regards, avec leurs traits caractéristiques, avec leurs succès, avec leurs misères. L’année était bonne ; l’œuvre offrait partout des progrès réjouissants à enregistrer, une seule station exceptée, et cette station était celle où Hunt avait tant souffert, Somosomo. Viwa avait savouré les résultats bénis du grand réveil que nous avons raconté et avait vu s’affermir la foi des nouveaux convertis ; Hunt espérait que la porte de Mbau ne tarderait pas à s’ouvrir et que Dieu exaucerait ses prières en faveur du redoutable Thakombau.

M. Watsford, le missionnaire d’Ono, était également porteur de bonnes nouvelles. Cette petite île était, au point de vue de la rapidité et de la profondeur de ses progrès, à la tête de l’œuvre fidjienne. C’était déjà un joyau de prix dans l’écrin missionnaire. Après avoir reçu l’Évangile avec un empressement merveilleux, elle avait rapidement secoué les chaînes de l’idolâtrie, et, dès cette époque, presque toute la population adulte était chrétienne. Elle comptait une population de quatre cent soixante-quatorze âmes, et sur ce nombre trois cent dix étaient membres de l’Église. Ces résultats magnifiques étaient bien de nature à encourager les missionnaires ; l’assemblée décida qu’une attention toute particulière serait donnée à cette station, et, comme la santé de M. Watsford et de sa famille avait souffert du climat, elle y plaça M. Hazlewood.

De Lakemba, M. Calvert apportait également de bonnes nouvelles. L’œuvre y prospérait d’une manière réjouissante sous son habile direction. Plusieurs membres de la famille royale suivaient les services religieux avec assiduité, sans se décider pourtant à faire le grand pas. Le missionnaire raconta, entre autres, à ses collègues un trait qui prouvait quelle influence l’Évangile exerçait sur la partie païenne de l’île. Un des évangélistes indigènes avait essayé vainement d’empêcher le peuple d’entreprendre une guerre ; toutes ses représentations énergiques et appuyées sur l’Évangile avaient échoué contre les mœurs sanguinaires de ses compatriotes. C’était un dimanche que l’expédition devait avoir lieu. Le pauvre évangéliste s’efforça encore au moment du départ de les détourner de cette entreprise doublement coupable. Enfin, voyant qu’il ne pouvait pas obtenir le plus, il se décida à tenter le moins, et leur dit : « Puisque vous vous obstinez à vous lancer dans cette expédition coupable et que vous ne craignez pas de le faire le jour du Seigneur, promettez-moi au moins de conserver la vie sauve à ceux de vos adversaires qui tomberont entre vos mains et de les amener ici vivants. » Deux prisonniers leur étant échus, ils les amenèrent en effet à l’évangéliste qui leur dit : « Vous feriez mal maintenant de tuer ces hommes ; je vous conseille de les renvoyer à leurs amis, afin qu’ils puissent leur dire quelle belle religion on enseigne ici, puisqu’elle nous apprend à aimer nos ennemis. » Cet avis prévalut, et l’on vit ce qui ne s’était jamais vu à Fidji, la mort lâcher sa proie et des cannibales renoncer à leur festin. Ce trait met en lumière l’influence de ces modestes et utiles auxiliaires indigènes qui étaient les pionniers de l’évangélisation et qui commençaient, par une action lente et sûre, à faire pénétrer au sein de la population sauvage les grands principes chrétiens que les missionnaires devaient ensuite développer et compléter, une fois ce premier travail de défrichement achevé. Ces bonnes nouvelles réjouirent l’assemblée qui décida de renforcer cette mission en adjoignant à M. Calvert, l’un des nouveaux venus, M. Malvern, qui d’ailleurs, avant de pouvoir occuper seul un poste, avait besoin d’apprendre la langue fidjienne auprès d’un collègue déjà versé dans la connaissance et dans la pratique de cet idiome.

Les nombreuses îles et localités évangélisées par des agents indigènes, sous la haute direction des missionnaires, offraient des perspectives tout aussi encourageantes. Presque partout l’Évangile avait remporté durant l’année, d’admirables victoires. Le président du district, M. Hunt qui, dans sa récente tournée (dont nous avons donné la relation), avait visité les champs de travaux de ces pieux ouvriers, en avait rapporté une impression très vive de satisfaction et d’espérance qu’il sut faire passer dans l’âme de ses collègues. D’autre part, il sentait mieux que personne que l’action des agents indigènes, bien que féconde et unique dans son genre, avait nécessairement des limites, et qu’autant ils étaient aptes à jeter les fondements d’une œuvre nouvelle, autant généralement ils échouaient lorsqu’ils étaient seuls chargés de la direction d’une œuvre à étendre et à fortifier. Ils n’avaient, pour la plupart, ni assez d’instruction ni assez d’expérience pour mener à bonne fin une pareille entreprise.

Ces préoccupations eurent une large place dans les conversations des missionnaires. Les expériences récentes de leur président étaient confirmées par celles plus anciennes et plus longues de M. Lawry leur visiteur. Le résumé qu’il donne lui-même de cette conversation est intéressant et renferme les conclusions auxquelles arriva l’assemblée de district :

« 30 septembre. — Nous nous préparons à mettre en campagne quelques évangélistes indigènes. C’est là, au moins dans ces îles, une partie fort importante de notre œuvre ; ce choix réclame de grands soins et un jugement sûr. Ce n’est pas tout : il y a deux extrêmes à éviter : l’un consisterait à repousser le concours de ces agents là où l’œuvre est déjà commencée, et l’autre serait de conférer une autorité trop grande à des hommes peu faits pour l’exercer. Dans ce dernier cas, on leur ferait du tort à eux-mêmes et plus encore au troupeau qui leur serait confié. Pour obtenir de leur coopération tout ce qu’on est en droit d’en attendre, il faut les former et les instruire.

Le christianisme est dans un pays comme celui-ci une véritable et complète révolution dans tous les domaines ; il inaugure un ordre de choses tout nouveau ; la polygamie doit être supprimée ; le règne de la terreur doit finir pour faire place à celui de l’amour. Dans une révolution à la fois morale et sociale comme celle-là, bien des cas obscurs se présentent, bien des problèmes embarrassants se soulèvent, qui sont fort au-dessus des lumières d’un pauvre Fidjien qui, quoiqu’il ait passé de la mort à la vie par une conversion réelle, n’a guère d’expérience et se fait peut-être des notions passablement étranges sur une foule d’objets. Je pourrais citer vingt cas qui fourniraient la preuve de ce que je dis ; mais il vaut mieux cacher que mettre au jour les erreurs de ces hommes qui sont pleins de bonnes intentions.

Il y a trois voies à ma connaissance, dans lesquelles les services d’agents indigènes pieux peuvent être utilisés d’une manière profitable :

1. On peut les occuper à diriger des écoles, lorsqu’ils ont eux-mêmes reçu une instruction suffisante, et il est à désirer qu’ils soient alors sous la surveillance d’un missionnaire.

2. Il sont utiles pour ouvrir de nouvelles localités où les païens désirent être instruits, et ignorent les principes du christianisme ; on peut dire que dans de pareils cas ils préparent les voies du Seigneur. Encore faut-il qu’un missionnaire les visite de temps en temps et cela dès le début, pour empêcher ou réparer des maladresses qui pourraient compromettre l’œuvre. Mais, avec l’inspection d’un missionnaire, l’œuvre peut prospérer pendant bien des années dans ces conditions, comme cela a eu lieu pour Mboua et pour Ono.

3. Les agents indigènes travaillent admirablement surtout sous les yeux d’un missionnaire. Là principalement se trouve le grand champ de leur activité. Un chrétien intelligent et bien doué peut être chargé d’évangéliser une île ou une localité ; on peut affirmer, s’il a une fois par quinzaine un entretien avec son pasteur et si celui-ci le visite aussi fréquemment que possible, que son ministère ne manquera pas d’avoir une véritable utilité. Ces pieux agents ne donnent presque aucun souci lorsqu’ils sont dans le voisinage d’un missionnaire ; car ils se défient d’eux-mêmes et soumettent volontiers leurs doutes à leur conducteur spirituel. »

Ces propositions étaient basées sur une expérience trop sûre et répondaient trop bien à ce que chaque missionnaire avait éprouvé pour rencontrer la moindre opposition. John Hunt qui avait fait de ce sujet une étude spéciale et qui, depuis nombre d’années, avait toujours chez lui quelques jeunes indigènes qu’il instruisait, développa ces pensées avec la chaleur de parole qui lui était habituelle. Il prouva la nécessité de ne pas laisser à eux-mêmes, à de grandes distances des missionnaires, de simples catéchistes encore faibles dans la foi et ignorants.

L’une des deux grandes îles, Vanoua-Levou, n’avait encore été évangélisée d’une manière régulière que par des indigènes. Deux postes y furent créés par l’assemblée de district, Mboua et Nandi. Désormais l’archipel était investi sur toutes ses extrémités. Le nord était occupé par ces postes nouveaux qui allaient devenir un centre d’activité d’où l’évangélisation devait rayonner sur des îles encore étrangères au christianisme. Les missionnaires de Viwa étaient à l’ouest, au cœur même de l’Archipel, aux portes de Viti-Levou dont ils allaient bientôt posséder la clef, en occupant Mbau, l’île royale. Ono, dans le sud, occupait une position remarquable, à côté de l’île importante de Kandavou. Les innombrables îles de l’est avaient enfin, à Lakemba, un centre d’évangélisation, le plus ancien du groupe.

Cette dissémination des forces missionnaires avait l’avantage considérable de répandre l’influence chrétienne sur les points les plus reculés des îles. Si ces serviteurs de Dieu avaient eu surtout en vue leurs intérêts particuliers, ils se seraient groupés sur un point central au lieu de se disperser de la sorte et ils auraient assurément pu trouver d’excellentes raisons pour expliquer cette manière d’agir. Mais ils n’étaient pas venus aux antipodes de la mère-patrie pour y goûter les avantages des rapports sociaux ; ils avaient pour but unique la conversion du plus grand nombre d’âmes possible et ils sacrifiaient à ce but toute préoccupation personnelle.

Hunt voyait avec une grande joie ce déploiement des forces de la mission qui devait, dans un avenir prochain (qu’il ne devait pas lui être donné de voir), amener la soumission de l’archipel fidjien à l’Évangile. Ce dût être une consolation pour lui, avant sa mort, d’avoir pu assister à l’organisation définitive de cette grande entreprise dont il avait été l’un des premiers ouvriers.

Au milieu de si nombreux sujets de réjouissance, un sujet de tristesse vint occuper la petite assemblée. L’une des stations missionnaires contrastait péniblement avec les autres par les mauvaises nouvelles qu’elle envoyait. C’était Somosomo, le plus ingrat des champs de travail de Fidji et celui où nous avons vu John Hunt s’épuiser en efforts stériles pendant trois années. Les deux missionnaires, MM. Williams et Hazlewood, apportaient à leurs collègues les plus tristes nouvelles sur cette station.

Dans le mois de janvier, disaient-ils, nous fûmes témoins d’un mouvement remarquable en faveur du christianisme. Les os desséchés se remuèrent. L’émotion dura plus d’un jour ; elle atteignit dans une certaine mesure les diverses classes de la société. Ce n’était pas la première fois que, depuis l’origine de cette mission, les gens de Somosomo semblaient prêts à devenir chrétiens, non pas tant qu’ils en sentissent le besoin, mais parce que, leur chef faisant mine de se décider, ils n’auraient pas cru convenable d’être d’un avis différent. Cette fois-ci, il y avait pourtant plus de sérieux dans leurs idées. Plusieurs d’entre eux réclamaient énergiquement la liberté de servir Dieu à leur manière. Malheureusement le roi Touikilakila, après avoir paru céder un moment aux importunités de quelques personnes, a renforcé l’opposition qu’il faisait à l’Évangile. D’autre part, la guerre continue à occuper le temps et l’attention du peuple. »

Les deux missionnaires avaient beaucoup souffert de la brutalité des gens de Somosomo. Ils racontèrent à leurs collègues une foule de traits de froide persécution qu’ils avaient eu à endurer de la part de ces sauvages, tels que privation de nourriture, menaces de mort, intrusion dans leur domicile, etc. Ils n’étaient jamais sûrs de jouir en paix de leur domicile, et à l’heure du repas, il n’était pas rare que quelque grand du pays vint, la massue à la main, réclamer l’hospitalité. Ils avaient même été obligés de tenir à leur porte un dogue de grande race pour les préserver un peu des invasions dont ils étaient sans cesse menacés. Un chef qui venait un jour s’asseoir à leur table sans cérémonie, fut tellement irrité de l’opposition que semblait mettre cet animal à son passage qu’il saisit l’un des enfants de M. Williams, âgé de deux ans à peine, et le jeta à la tête du bouledogue. On juge des sentiments de la pauvre mère, lorsqu’elle entendit les cris de son enfant. Il n’était que légèrement blessé fort heureusement.

En présence de l’insuccès des travaux persévérants des missionnaires à Somosomo, l’assemblée de district crut que le plus sage était d’abandonner cette station, pour répondre aux vœux et aux appels qui partaient de diverses parties de l’archipel. Cette résolution fut prise avec regret et hésitation, mais elle parut à tous dictée par la sagesse. Le vaisseau missionnaire se rendit immédiatement à Somosomo pour en ramener les deux familles avec leurs divers effets. Le roi consentit à leur départ, en leur disant : « Mes guerres ne sont pas encore finies et il n’est d’aucune utilité que vous demeuriez ici. Je serai bien aise que vous reveniez un peu plus tard, et alors nous nous convertirons. »

Quant au peuple lui-même, il ne prenait pas aussi philosophiquement ce départ, et plusieurs disaient qu’avec les missionnaires partait la fortune de Somosomo, et que désormais il ne pouvait être que faible et vaincu dans ses guerres.

Mentionnons une dernière décision de l’assemblée des pasteurs, destinée à combler une lacune dont ils sentaient depuis longtemps toute la profondeur. Il fut résolu qu’une institution serait créée à la Nouvelle-Zélande pour l’éducation des enfants des missionnaires. Outre la salubrité du climat, les enfants devaient rencontrer dans cette colonie anglaise des avantages de toute sorte qu’il était impossible de réunir aux îles Fidji. Une demande instante fut adressée à ce sujet au comité de Londres, qui s’empressa d’organiser cet établissement qui devait procurer une instruction supérieure aux enfants des missionnaires et suppléer un peu aux avantages dont ils étaient sevrés par suite de leur éloignement de l’Angleterre.

Nous n’avons rien dit encore des services publics dont l’assemblée de district fut l’occasion. Ils eurent tous un caractère particulièrement intéressant. Les larmes y coulèrent fréquemment, et il y régna toujours une attention soutenue. Deux de ces services se distinguèrent par un cachet trop spécial pour que nous résistions au plaisir de les raconter en quelques mots.

Le premier fut une agape ou repas fraternel, pendant lequel, selon l’usage méthodiste, chacune des personnes présentes put faire part à ses frères de ses expériences chrétiennes. « Les allocutions, dit John Hunt, ne se distinguèrent pas de ce qu’elles sont habituellement. Ce qui m’y frappa surtout, ce fut l’absence de toute ostentation et de toute emphase, et l’expression d’une confiance naïve dans le Sauveur et d’un vif amour pour lui, pour ses serviteurs et pour son œuvre ; ce fut aussi le désir fréquemment exprimé avec une vive émotion de voir les païens participer bientôt aux bienfaits du salut. »

Ce fut un des plus anciens chrétiens de Viwa, du nom de Paul, qui parla d’abord. Il dit, entre autres choses : « La foi a été dans mon cœur, semblable à un arbre qui croît insensiblement, mais qui grandit droit, et ne se laisse courber par rien. Je ne me laisse détourner de ma voie par rien au monde. Je suis heureux d’être chrétien… Je connais l’amour de Dieu en Christ. J’étais un méchant, mais Dieu m’a aimé. Le vent souffle sur moi, je veux dire les méchants propos des hommes, mais je suis comme l’arbre qui ne se laisse pas ébranler … Je ne sais pas lire, mais ce que j’entends dire par les missionnaires est la nourriture de mon âme. »

Vatéa parla la seconde, et elle le fit avec beaucoup de cœur.

Puis vint un chrétien de Somosomo, nommé Bartimée, qui, depuis plusieurs années, était le serviteur du missionnaire Williams. Il dit : « J’ai la paix avec Dieu. Nous avons été longtemps comme des esclaves et des prisonniers à Somosomo. Je suis maintenant très heureux. Le pays où M. Williams vivra est celui où je veux vivre ; je ne veux jamais le quitter. »

Jacob, un ancien cannibale de la pire espèce, et désormais un chrétien vivant, se leva et dit : « J’ai grandement déshonoré Dieu autrefois. S’il m’avait méprisé comme je le méprisais, j’aurais été perdu. Je me sens tout confondu en pensant à l’amour qu’il a eu pour moi. Il ne m’a pas traité comme je l’ai traité. »

Un autre chrétien, du nom de Josué, parla dans le même sens : « Je suivais autrefois, dit-il, une voie qui n’était pas bonne. J’avais l’habitude de faire tourner des noisettes pour savoir par là si Jéhovah était le vrai Dieu ou non. J’ai maintenant renoncé à toutes ces choses. Je sens que Dieu est avec moi. »

Daniel, autre chrétien de Viwa, dit à son tour : « Je suis très heureux, parce que c’est ici une assemblée spirituelle. Nous nous réjouissions autrefois dans nos assemblées mondaines, mais maintenant nous nous réunissons pour parler de Jésus. Nous n’avons pas eu besoin d’aller au loin chercher les missionnaires. Vous êtes venus à nous de votre propre volonté, quoique nous ne soyons qu’un petit peuple. Je suis heureux de mourir dans ce temps-ci, un temps heureux pour nous. D’autres ont vécu dans d’autres temps. »

Vérani se leva ensuite et dit : « Je dirai mon désir, qui est de servir Dieu et de me confier en lui. Je veux parler de l’amour de Dieu envers moi ; je n’ai rien qui soit digne d’être dit, si ce n’est l’amour de Dieu. J’ai fait profession de religion avant de bien connaître cet amour, mais maintenant je le connais. Je veux faire ce que Dieu approuve et haïr ce qu’il désapprouve. Je voudrais faire quelque chose pour lui, et je suis tout affligé de faire si peu. Je me réjouis de ce qu’il m’aime et de ce qu’il aime notre pays. Je voudrais dépenser toute ma vie en faisant quelque chose pour Jésus. Je ne voudrais pas mourir avant d’avoir fait quelque chose pour lui. »

D’autres parlèrent encore, et tous exprimèrent des sentiments aussi naïfs et aussi touchants. Ce qui remuait le cœur plus encore que ces témoignages si éloquents dans leur simplicité, c’était la présence même d’une pareille assemblée toute formée de ci-devant cannibales abrutis par le mal et maintenant transfigurés par la puissance de l’Évangile.

La seconde réunion, digne d’être mentionnée, fut l’examen de l’école de Viwa présidé par M. Lawry. Les natifs profitèrent de l’occasion pour faire à leur manière une démonstration publique en l’honneur du visiteur étranger. Laissons à Mme Wallis, l’auteur américain que nous avons déjà cité, le soin de nous décrire la première partie de ce solavou, pour parler en langage fidjien.

« Nous entendîmes le chant des natifs et nous les vîmes monter en rangs vers le sommet de la colline, où nous nous trouvions. C’était quelque chose de fort pittoresque que l’apparence de cette procession s’avançant vers la maison missionnaire et se dérobant, par intervalle, derrière le feuillage des arbres. Tous étaient revêtus de leurs costumes du dimanche, dont faisait partie quelque article de vêtements à l’européenne. Les uns avaient endossé une chemise d’homme, d’autres un chapeau ou un bonnet, d’autres, parmi les femmes, une robe, d’autres encore portaient le costume fidjien, surmonté d’un couvre-chef anglais. La reine portait une couverture écarlate en guise de châle, et Vérani avait endossé une grande et lourde veste de couleur verte, doublée de flanelle rouge, qu’il boutonnait jusqu’au cou, par une chaleur de 35 degrés à l’ombre. Une femme portait une vieille robe de mousseline dont j’avais fait présent à la reine lors de ma première arrivée dans ces îles ; l’endroit de l’étoffe ayant été usé, on l’avait tournée à l’envers. Aucun des natifs n’avait mis de pantalons, et on peut imaginer quelle tournure ils avaient avec leurs chemises et leurs habits, privés de cet appendice indispensable. Ils avaient tous, autour des reins, la ceinture indigène nommée masi. Plusieurs s’étaient fait un vêtement à leur manière, en cousant ensemble par les côtés deux largeurs de toile ; ce vêtement, serré autour de la taille, leur traînait jusqu’aux talons et couvrait leur personne très décemment. C’est là, paraît-il, le vêtement préféré par les hommes qui deviennent chrétiens.

Un vieillard, chargé d’une massue, était à la tête de la procession. Vérani le suivait, portant également une massue et la tête ornée de plumes de perroquet écarlate. Le catéchiste de Tonga marchait ensuite, portant une grande et belle branche de feuillage bigarré. Puis venaient les autres hommes de Viwa, portant des massues et des lances ou tout autre article de manufacture fidjienne, qu’ils déposèrent sous la véranda où se tenaient M. Lawry et les divers missionnaires avec leurs familles et où je me trouvais moi-même. Lorsque les hommes eurent déposé leurs offrandes devant M. Lawry, ils se retirèrent et se mirent en rangs sur le gazon qui fait face à la maison, laissant ainsi aux femmes la place pour approcher à leur tour. A leur tête marchait la reine, portant une natte. Marie venait après elle, chargée d’une énorme massue. Elle fut la seule qui apportât un présent aussi redoutable ; les autres présentèrent des nattes qu’elles avaient tressées, des pièces de costume indigène, et divers autres articles. Quand tout eut été déposé à terre avec le plus grand cérémonial, Vérani s’avança et dit que ces présents étaient un témoignage d’affection que les gens de Viwa offraient à M. Lawry qui avait eu l’amabilité de venir les visiter. Celui-ci prit la parole et les remercia en termes touchants, par l’entremise de M. Hunt qui lui servait d’interprète. Les divers articles offerts à M. Lawry étaient destinés à une vente dont le profit doit être utilisé pour l’érection d’une chapelle à Auckland (Nouvelle-Zélande).

Le peuple de Viwa n’a plus besoin de massues et de lances, puisque le temps est venu où il ne veut plus faire la guerre. Il était extrêmement touchant de voir ces hommes, naguère cannibales impitoyables, animés désormais de dispositions pacifiques, renoncer joyeusement à leurs instruments de guerre et les déposer aux pieds de ceux qui leur ont apporté l’Évangile. »

A la suite de cette cérémonie que nos lecteurs ne regretteront pas d’avoir lue dans les termes mêmes d’un témoin oculaire, la foule entra dans la chapelle, en chantant pieusement les strophes d’un cantique. L’examen de l’école commença alors, et ces hommes et ces femmes de tout âge, ne se considérant plus que comme les élèves de l’école qu’ils suivaient pour la plupart avec régularité, s’efforcèrent de répondre de leur mieux aux questions qu’on leur posa. Ils récitèrent des sections entières du catéchisme et des chapitres du Nouveau Testament avec une facilité de mémorisation remarquable et avec une expression fort convenable. Ils répondirent également d’une manière tout à fait satisfaisante aux diverses questions qui leur furent adressées par les missionnaires. La reine Vatéa se distingua entre tous par l’exactitude de ses réponses et l’excellence de sa mémoire. Vérani, de son côté, ne se possédait pas de joie et suivait avec un intérêt intense chacune des parties de ce service. Un grand nombre de païens assistaient aussi à cette petite fête, et y prenaient part bien évidemment.

Si quelqu’un se sentait disposé à critiquer cette modeste fête, en lui reprochant de satisfaire les goûts de ces peuplades pour l’apparat et l’étalage, nous laisserions à M. Lawry le soin de répondre : « Ces pauvres sauvages, dit-il, méritent qu’on use d’indulgence envers leurs goûts à cet égard ; ils aiment très certainement l’apparat et la pompe extérieure, et, pour leur faire produire toute la somme d’activité dont ils sont capables, il faut les faire agir de concert et en appeler à l’émulation. J’ai remarqué que là où le goût et le bon sens du missionnaire leur permettent de satisfaire ces goûts, là généralement tout fleurit et la mission remporte des succès ; et c’est le contraire qui arrive, lorsque des goûts froids et septentrionaux l’emportent et interdisent ces innocentes manifestations. »

Les belles assemblées dont nous venons de parler laissèrent dans les souvenirs de la population de Viwa la meilleure impression. A la suite de ces fêtes chrétiennes, le John Wesley leva l’ancre pour ramener chaque missionnaire au poste qui lui était assigné. Nous raconterons avec quelques détails une seule de ces courses, celle qui eut pour but la création de deux nouveaux postes.

Les missionnaires quittèrent leur président avec tristesse ; John Hunt était pour eux tous un ami intime sur lequel on pouvait s’appuyer en tout temps avec une parfaite confiance et dont l’obligeance ne connaissait pas de limites ; c’était aussi un conseiller sage et prudent dont l’avis avait toute l’autorité de l’expérience et toute la sûreté du plus ferme bon sens. Ses collègues l’avaient senti une fois de plus pendant ces journées trop rapidement écoulées qu’ils avaient passées sous son toit. Ils avaient pu apprécier à loisir les belles qualités de l’esprit et du cœur qui faisaient de lui un de ces hommes vers lesquels on se sent irrésistiblement attiré. Dans leur adieu, il y eut peut-être quelque pressentiment de la catastrophe qui se préparait.

Le surintendant-général lui-même, M. Lawry, fut frappé de cette place si considérable que Hunt avait su se faire dans l’affection et presque dans la vénération de ses collègues. « Dans cette mission, dit-il, toute chose semble emprunter au président, non une teinte de sombre mélancolie, mais une teinte de fraîcheur et de jeunesse, en un mot, l’ardeur de la vie. Aussi l’œuvre chrétienne fait-elle des pas de géant dans toutes les parties des îles Fidji. »

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