Explication du Psaume 51

Verset 6

Voici, tu aimes la vérité au dedans, et tu m’as enseigné la sagesse dans le secret de mon cœur.

Nous avons jusqu’ici vu le sommaire de toute la doctrine céleste, qui est que nous reconnaissions et que nous sentions que nous ne sommes que péché, et que même nous sommes péché quand nous sommes conçus et formés dans le ventre. Ceux qui reconnaissent ainsi leur corruption, et qui se jettent dans le sein de la miséricorde, ceux-là reçoivent le pardon, parce que Dieu est glorifié par cette confession, et qu’il a promis rémission et grâce à ceux qui se confieraient en lui. Maintenant, après avoir mis dans un grand jour ces importantes vérités, il entreprend de réfuter ceux qui enseignent ou qui font quelque chose de contraire à cette doctrine.

§ 61. La vérité cachée s’oppose à l’hypocrisie du pécheur.

Il faut se ressouvenir ici de ce que nous avons dit ci-dessus, que le prophète ne parle pas d’un Dieu considéré simplement comme tel, mais du Dieu des enfants d’Israël qui s’était révélé dans une certaine parole, par d’éclatants miracles, et dans un certain lieu ; savoir, à Jérusalem, et dont ils avaient les promesses faites aux Pères ; ce Dieu n’est pas un Dieu vague comme les Turcs le servent, mais un Dieu révélé de telle manière, et, pour ainsi dire, un Dieu marqué de beaucoup de sceaux, qui s’est voulu renfermer dans de certains signes, lieux et paroles, afin qu’il pût être connu et embrassé, pour que les hommes ne se disputassent point dans les exercices de leur piété et de leur culte, comme faisaient les Juifs qui, abandonnant le temple et la parole, se choisissaient des montagnes et des bocages à leur fantaisie, et voulaient pourtant encore paraître servir Dieu. Ainsi David parle d’un Dieu qui s’est révélé dans ses promesses, dans sa parole, et par de certains signes extérieurs ; c’est sous l’idée de ce Dieu qu’est aussi renfermé le Christ qui devait être révélé, parce que David parle d’un Dieu qui selon les promesses faites aux Pères, devait sauver le monde par son Fils : ce que j’aime bien encore à répéter ici de peur qu’en voulant être trop religieux, nous ne perdions Jésus, hors duquel il n’y a point de Dieu à chercher ni à servir.

Le Prophète se propose de réfuter ici une objection qu’on aurait pu lui faire. Il se représente en esprit ceux qui pourraient se récrier en cette matière contre cette doctrine : « Tu damnes tout le monde, quoique pourtant il soit vrai qu’il y a encore quelques bons et quelques saints, desquels la vie et la conduite sont sans reproche : crois-tu donc être le seul sage et le seul éclairé ? » Comme aussi nos adversaires en pareille matière nous reprochent et nous objectent ceci : Croyez-vous être, disent-ils, la seule Église véritable ?Avez-vous seuls les Saintes Écritures ? Et êtes-vous les seuls qui soyez le peuple de Dieu ? Car toute la dispute entre les hommes roule sur ceci : Qui sont ceux qui sont la véritable Église ? Chacun la veut être, parce que l’on sait que le nom de véritable Église emporte avec soi la bonne religion, le salut et la vie éternelle ; c’est pourquoi chacun veut par force revendiquer ce titre ; personne ne veut être dans l’erreur, et quoiqu’on ne puisse nier plusieurs abus qui se sont glissés dans l’Église de temps à autre, pourtant ils ne veulent pas déposer ce titre de vraie Église. Le Turc aussi de son côté retient opiniâtrement ce titre, parce qu’il croit servir le seul vrai Dieu ; autant en font les Juifs, et toutes les autres nations et religions. C’est pourquoi nos adversaires veulent conserver pour eux ce titre par force et par les armes, quoiqu’il en coûte ; ils nous objectent leurs cultes anciens, et se glorifient, comme Paul le disait des Juifs, d’avoir du zèle pour Dieu, de s’adonner à toutes sortes de bonnes œuvres de charité, de prières, de vigilance, de service de Dieu ; ils veillent, disent-ils, ils prient, ils jeûnent, ils mortifient leur chair par beaucoup de cérémonies et de dures règles, par lesquelles ils prétendent parvenir à l’accomplissement des promesses faites aux Pères. Toutes ces choses-là, nous disent-ils, ne sont-ce pas de bonnes choses, ne sont-ce pas des choses saintes et justes ? Pourquoi donc nous condamnes-tu tous comme pécheurs, et pourquoi nous regardes-tu comme des sujets de la damnation ?

Le Saint-Esprit et la foi répondent dans ce verset à ces objections par la bouche de David, et disent : Que toutes ces choses-là qu’on avance comme quelque chose de bon et de saint, ne sont que de la sagesse de ce monde, et non pas de la sagesse de Dieu ; de sorte que malgré tout cela cette sentence générale ne laisse pas que de demeurer véritable : Que tous sont pécheurs. Le monde fait consister la sainteté en quelque chose d’extérieur ; il admirera une sainteté qu’on fera paraître en habits extraordinaires, en mortifications du corps, en règles de vie et de conduite instituées par le caprice des hommes. Voilà une sainteté qui tombe sous la vue et sous les sens de la chair, et qu’elle admire ; de sorte que les hommes seront bien plus enclins à suivre de pareilles singularités qu’à se rendre et qu’à embrasser la saine doctrine et la pure parole de Dieu. Car devant le monde on ne veut rien admettre comme digne d’être fait, que ce qui se distingue et qui s’écarte de la conduite et de la vie commune des autres hommes. De là sont venus les vœux de célibat et de pauvreté, les monastères et ces étranges manières qu’on s’est prescrites dans les habits et dans la nourriture ; de là sont venues toutes ces folles superstitions non seulement parmi nous, mais aussi chez les Juifs et chez les Turcs qui, chacun dans sa religion, inventent toujours quelque chose d’extraordinaire, pour se procurer chez les leurs une estime de sainteté relevée et particulière. Nous n’avons pas besoin d’aller chercher des exemples chez les Turcs ; envisagez et considérez seulement un moine, et examinez ce que c’est, et vous aurez sujet de vous étonner de leur folie et de leur aveuglement, quand vous aurez bien compris ce que c’est que la vraie sainteté ; vous entendrez pourtant louer ces niaiseries comme de grands degrés de sainteté, pour lesquels ils renoncent aux autres états de la vie, au mariage et aux devoirs de la magistrature, comme étant des états qu’ils croient être des empêchements à la sainteté qu’ils se proposent d’acquérir.

C’est pourquoi, dît le prophète, je vous condamne tous avec toute votre sagesse, votre justice et votre sainteté ; parce que, ô Dieu ! toi tu es un Dieu qui aime la vérité cachée, la vérité qui est dans le secret, tu n’aimes point le mensonge, l’hypocrisie et le fard ; de sorte que ce seul mot de vérité condamne tout ce qui est contre la saine doctrine, et tout ce qu’on prétend avoir de sainteté et de justice chez les Juifs, les Turcs et les Papistes outre la parole de Dieu ; toutes ces doctrines et ces saintetés-là qui ne sont point selon la parole de Dieu, le Prophète les nomme des mensonges, que Dieu non seulement n’aime point, mais qu’il hait d’une souveraine haine. Car ce que le Saint-Esprit appelle vérité, il ne faut pas seulement le rapporter à la doctrine et aux paroles, mais en général à toute la vie, de telle sorte que tout ce que nous disons, pensons, faisons et sommes, soit réel ; que ce ne soit point un fard qui trompe le monde et qui nous trompe nous-mêmes.

Il y a aussi une vérité politique qui se fait voir dans les paroles et dans la vie des gens du monde même, qui pourtant est mêlée de beaucoup de défauts, comme, par exemple, un Pompée, un Aristide, un Socrate, qui étaient des hommes intègres, véritables et sans fard selon le monde, et parmi les païens il y a eu des personnes chastes qui ont gardé inviolablement la foi et la loyauté de mariage ; on trouvera encore dans le monde des honnêtes gens, qui disent la vérité, des marchands, qui vont droitement dans leur négoce. Dieu demande aussi cette vérité politique chez les hommes, et on verra dans de fréquents exemples, qu’il ne laisse pas impunis ceux qui la violent ; mais cette vérité-là n’est pas pure devant le jugement de Dieu. Dieu demande bien encore une autre vérité de ses enfants, c’est pourquoi il ajoute : Tu aimes la vérité qui est dans le secret ; comme s’il voulait dire, cette vérité extérieure et politique qui est encore dans le monde, peut être observée ; mais c’est une vérité qui est encore connue des hommes, qui leur plaît et qu’ils approuvent, comme au contraire ils se plaignent et se récrient contre la mauvaise foi, les mensonges, les fraudes qu’on voit régner dans le monde. Mais cette vérité que Dieu aime, n’est point vue des yeux de la chair, mais elle est dans le secret et cachée. Ainsi Mahomet quand même il aurait été un homme droit et intègre dans les choses de la vie, pourtant devant Dieu il était reconnu menteur ; et moi, quoique j’aie été un moine sans fard et de bonne foi (que personne ne se scandalise, si je me mets quelquefois pour exemple de ce que je dis, Paul l’a fait souvent aussi), pourtant devant Dieu j’étais un menteur à cause de la superstition et de l’hypocrisie dans laquelle j’étais sans le savoir, parce que cette superstition était voilée d’une apparence de sainteté qui m’en a imposé jusqu’à ce qu’elle a été manifestée par la Parole, et que cette vérité cachée m’a été montrée.

C’est à cela que regarde le Prophète quand il dit : Tu aimes la vérité cachée, comme s’il voulait dire : Ces saints d’apparence qui marchent dans le zèle selon la loi d’une manière irrépréhensible, et qui espèrent de t’être agréables dans l’exercice de leur propre justice pour laquelle même ils seraient prêts à mourir, qui croient qu’ils sont bien de tes amis et de tes favoris par les peines qu’ils se donnent, ce sont ceux-là que tu hais d’une haine souveraine, parce que tu n’aimes que la vérité cachée, et qu’au contraire tu ne saurais aimer ces hypocrites et ces saints orgueilleux, qui n’ont qu’une religion feinte et imaginaire. Et de cette manière David joint à sa réfutation une doctrine et une consolation excellente pour les vrais fidèles. Car nous, qui par la grâce de Dieu avons la vérité, qui confessons humblement que nous sommes de pauvres pécheurs, et que Dieu seul est juste, n’oserions-nous assurer et être si fortement convaincus que Dieu nous aime, comme nous voyons ces hypocrites se vanter à pleine bouche de l’assurance qu’ils ont que Dieu les aime ; et si même en voyant la multitude des méchants si téméraire et si hardie à bien présumer de son bon état et de sa justice, nous venons à tomber dans la crainte et le découragement, nous devons apprendre d’ici à mépriser ces fausses joies et ces triomphes des méchants, et nous assurer qu’ils sont en abomination et comme du fumier aux yeux de Dieu, parce que Dieu hait souverainement l’hypocrisie tant dans la doctrine que dans la vie. Nous devrions apprendre que la piété des hypocrites est une souveraine impiété, et que leur vérité est un souverain mensonge, et qu’au contraire ceux qui sentent leur misère et leurs infirmités, qui reconnaissent leurs péchés, ceux-là sont dans la vérité.

Mais pourquoi ces âmes qui sont dans la vérité, craignent-elles ? pourquoi ne se rassurent-elles point, et ne se confient-elles point en Dieu ? Ceci aussi bien que la vaine confiance des méchants arrive sans doute contre le véritable ordre des choses. Les méchants, ces âmes fardées et hypocrites, s’assurent d’être en grâce avec Dieu, quoiqu’ils soient sous la colère ; et au contraire ceux qui sont dans la vérité, qui croient, qui confessent et qui sentent les choses, comme la parole les révèle ; savoir, qu’ils sont de pauvres pécheurs et transgresseurs dès le ventre, et que Dieu seul est juste, ceux-là craignent, doutent plus, et ont peur de la colère de Dieu ; parce que la nature ne peut pas avoir d’autres mouvements lorsqu’elle vient à découvrir le péché ; elle juge que Dieu, nécessairement, hait les pécheurs, et ce sont les sentiments de cette nature qui font que la connaissance du péché produit dans les enfants de Dieu ces craintes, ces doutes et ces appréhensions de la colère de Dieu. L’Esprit de Dieu nous découvre ici une doctrine céleste qui devrait combattre ces sentiments de la nature, de crainte et de défiance, car il nous apprend que Dieu ne veut point haïr, mais veut aimer des pécheurs qui connaissent, qui confessent et qui sentent leurs péchés ; et que ceux qui ne veulent point admettre cette confession et ce sentiment du péché, ce sont ceux-là que Dieu hait comme des menteurs et des hypocrites. Car pourquoi tremblerait un pécheur pénitent, et pourquoi redouterait-t-il la colère de Dieu, puisque Dieu a envoyé son Fils pour expier et pour abolir le péché ? Dieu ne veut pas entrer en dispute avec nous touchant notre justice ; mais il veut seulement que nous nous laissions convaincre et que nous sentions que nous sommes pécheurs ; cette connaissance et cette confession du péché, est une vérité non philosophique qui tombe sous la capacité de la raison, mais théologique et cachée qui n’est connue et sentie que par une âme spirituelle et éclairée de l’Esprit de Dieu : c’est pourquoi Dieu aime cette vérité cachée, et tout ce qui est contraire à cette vérité, Dieu le hait, comme il le dit ailleurs : Tu n’es point un Dieu qui prenne plaisir à la méchanceté. Le pharisien qui prônait devant Dieu ses jeûnes et ses bonnes œuvres, se trompait en croyant être bien agréable à Dieu, parce que Dieu aime la vérité cachée ; ainsi quoiqu’une personne possède et fasse profession de la vérité civile, quand elle n’a point et qu’elle ne sent point cette vérité théologique, elle n’a devant Dieu que haine et que colère à attendre.

Le prophète ajoute : Tu m’as enseigné la sagesse dans le secret ; on pourrait tourner par, enseigne-moi la sagesse dans le secret. Le prophète dit en ces paroles presque la même chose que ce qu’il avait dit dans les précédentes : Tu aimes la vérité cachée, car la vérité et la sagesse sont la même chose, et l’apôtre Saint Paul s’en sert indifféremment. Ils retiennent, dit-il, en un endroit, la vérité de Dieu en injustice (Romains 1.19) ; et dans un autre, il appelle cette vérité la sagesse en mystère qui est cachée (1 Corinthiens 2.7) ; c’est-à-dire que personne ne connaît, et que la raison ne saurait admettre ni recevoir. C’est dans ce sens que Jésus dit que son Père a caché ces choses aux sages et aux entendus, et qu’il les a révélées aux petits enfants (Matthieu 11.25). Il la nomme une sagesse cachée non aux fous et aux simples, mais aux princes de ce monde, aux sages, aux savants, de sorte qu’ils ne comprennent rien de cette sagesse-là : ce qui nous fait voir la raison pour laquelle le prophète nomme cette vérité et cette sagesse cachée et secrète, car l’expérience nous apprend qu’il en est ainsi ; pourquoi donc les princes de ce monde, le grand Pontife et les Evêques persécutent-ils notre doctrine, si ce n’est parce qu’elle est cachée ; et qu’ils ne peuvent pas la voir ni la connaître, comme les Juifs ne pouvaient supporter ni souffrir la face resplendissante de Moïse ? Ensuite pour légitimer leur conduite et soutenir leurs mensonges, ils jettent leurs yeux tout obscurcis sur les saintes Écritures, ils en rassemblent quelques passages mutilés et mal compris, comme quand il est dit : Pardonnez, et il vous sera pardonné ; Dieu a créé l’homme droit, et il l’a laissé en la puissance de son conseil, et quelques autres de cette nature, lesquels ils pressent et allèguent si peu à propos et avec si peu de raison, que tout le monde peut voir leur folie et leur aveuglement.

Voici donc la véritable sagesse et cette vérité cachée dont le prophète parle, c’est que je me connaisse et que je connaisse Dieu ; que je sache que Dieu a promis qu’il veut racheter tous ceux qui sentent qu’ils sont pécheurs, et qu’au contraire il n’y a aucun salut pour ceux qui ne disent point avec le prophète : C’est devant toi seul que j’ai péché et que j’ai fait méchamment ; et derechef : J’ai été conçu en iniquité, etc. ; c’est-à-dire qu’il n’y a point de salut, à moins qu’on ne sente et qu’on ne soit convaincu que tout ce qui vient de l’homme, de sa volonté et de sa raison, que tout cela est sous la malédiction et sous la perdition ; sans doute que c’est là une vérité cachée, car quoique on l’enseigne, cependant le monde ne la peut ni ne la veut croire et recevoir : même les vrais enfants de Dieu résistent souvent à cette doctrine en bien des manières, et ne peuvent pas tout à fait rejeter le secret, le mérite et la confiance qu’ils mettent en leurs œuvres, mais pourtant quoiqu’ils pèchent et qu’ils s’égarent souvent, ils retiennent cependant le principal : c’est qu’ils sont sincères envers Dieu, et qu’ils ne s’égarent pas entièrement.

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