La Théologie de Wesley

2.5 Sotériologie (suite)

2.5.1 L’appropriation du salut

Le Méthodisme insiste davantage sur l’expérience du salut que sur la doctrine du salut. Sans négliger l’enseignement se rapportant à Christ pour nous, Wesley se sentit appelé surtout à mettre en relief Christ en nous. Le christianisme qu’il prêcha et que prêchent ses continuateurs, c’est le christianisme expérimental. Il disait lui-même : « Nos principales doctrines, qui renferment tout le reste, sont au nombre de trois : la repentance, la foi et la sainteté. Nous considérons la première comme le portique de la religion ; la seconde comme la porte, et la troisième comme la religion elle même. » Il convient de donner une attention spéciale à ces doctrines, qui demeurent le fond de toute la prédication wesleyenne.

Sur ce terrain de l’expérimentation du salut, se dresse devant nous la question des rapports de l’action de l’homme et de l’action de Dieu, le problème redoutable de la grâce et du libre arbitre. Augustin nie le second, Pélage nie la première. L’arminianisme, suivi par Wesley, cherche à concilier les deux termes, en évitant les vues extrêmes. Il se garde toutefois de les placer au même niveau. La grâce conserve la suprématie qui lui appartient. L’Esprit de Dieu est donné à tous les hommes, en vertu de l’œuvre de la rédemption, et la grâce agit dans tous les hommes en vue de leur salut. On l’appelle la grâce prévenante ; c’est à elle que les hommes, même irréligieux, sont redevables de ce qu’il y a souvent de beau et de bon dans leur conduite morale. Cette grâce prévenante devient la grâce salutaire là où elle est accueillie et obéie. Rien ne peut empêcher ce résultat de se produire, excepté la résistance ou la négligence de l’homme. C’est sur ce point que le prédestinatianisme se sépare de l’arminianisme. Il reconnaît l’action de la grâce prévenante chez tous les hommes, mais il affirme que la grâce qui sauve n’est accordée qu’aux élus, affirmation qui nous paraît contraire aux Écritures, à la justice divine, et contredite par le sentiment que l’homme a de sa responsabilité. C’est de Dieu sans doute que l’homme tient la faculté d’accepter la grâce que Dieu lui offre ; mais nous ajoutons que tout homme possède cette faculté, et cela dès l’apparition de la vie morale en lui.

C’est donc à tort que l’on a prétendu que la doctrine de Wesley est un semi-Pélagianisme ; non, car tandis que celui-ci reconnaît à l’homme le pouvoir de faire le bien par lui-même, le wesleyanisme met la grâce au commencement, au milieu et à la fin ; mais il maintient, d’accord avec les Écritures, que nul homme n’est sauvé sans son libre consentement, et que nul ne sera définitivement perdu que par sa faute. Wesley, avec l’admirable pondération de son esprit, a su se frayer sa voie entre deux écueils. La seconde réformation, dont il a été l’âme, a marqué un retour aux vrais principes évangéliques sur cette question capitale. On cherche vainement à atténuer l’intransigeance des vues de Calvin sur la prédestination. Voici comment il les a lui-même résumées : « Nous appelons prédestination le conseil éternel de Dieu, par lequel il a déterminé ce qu’il voulait faire de chaque homme. Car il ne les crée pas tous en pareille condition, mais ordonne les uns à la vie éternelle, les autres à éternelle damnation. Ainsi, selon la fin à laquelle est créé l’homme, nous disons qu’il est prédestiné à mort ou à viea. » Voilà, dans sa formule extrême, « l’horrible décret », contre lequel protesta Wesley, au nom de l’Écriture, de la conscience et de la raison.

aL’Institution de la religion chrétienne, 3.21.5.

Dans son sermon sur Philippiens.2.12-13, Wesley insiste d’abord sur l’affirmation de l’apôtre, que c’est « Dieu qui, de son bon plaisir, produit en nous le vouloir et l’exécution », expression qui, dit-il, coupe court à toute prétention et démontre que le motif qui le fait agir, il le puise entièrement en lui-même, dans sa pure grâce, dans sa miséricorde imméritée.

« Tout, dit-il encore, nous vient d’en haut, autant le premier mouvement vers le bien que la force qui le fait aboutir ; c’est Dieu qui, non seulement infuse en nous tout bon désir, mais qui les accompagne et les suit ; sans quoi ils s’évanouiraient bientôt. D’autre part, dans ce même passage, nous sommes invités à travailler à notre propre salut. Comment concilier ces deux déclarations ? Elles ne s’excluent pas ; au contraire, elles se complètent. Dieu travaille ; donc, travaillez : vous le pouvez et vous le devez.

Oui, vous pouvez travailler à votre salut, parce que Dieu y travaille. Vous ne le pourriez pas sans cela… Nul ne peut cependant arguer de cela qu’il a le droit de rejeter la faute sur Dieu, s’il ne se convertit pas. Dire que toutes les âmes des hommes sont mortes par nature, cela n’en excuse aucune ; attendu qu’il n’y a pas d’homme qui soit dans un état de pure nature ; il n’y a pas un homme, à moins qu’il n’ait éteint l’Esprit, qui soit tout à fait privé de la grâce de Dieu. Aucun homme vivant n’est entièrement destitué de ce qu’on nomme habituellement la conscience naturelle, ce qu’il faut plutôt appeler la grâce prévenante… Tous possèdent une mesure de cette lumière qui éclaire tout homme venant dans ce monde. Aucun homme ne pèche parce qu’il n’a pas de grâce, mais parce qu’il ne se sert pas de la grâce qu’il a.

Ensuite, puisque Dieu travaille en vous, vous devez travailler à votre salut ; sinon, il cessera d’agir. Saint Augustin lui-même, qui ne passe pas pour être favorable à la doctrine de la participation de l’homme à son salut, fait cette remarque : Qui fecit nos sine nobis, non salvabit nos sine nobis : Celui qui nous a faits sans nous ne nous sauvera pas sans nous. Il ne nous sauvera pas, à moins que nous ne nous sauvions du milieu de cette génération perverse ; à moins que nous ne combattions le bon combat de la foi et saisissions la vie éternelle ; à moins que nous ne nous efforcions d’entrer par la porte étroite ; à moins que nous ne renoncions à nous-mêmes et que nous nous chargions chaque jour de notre croix, et que nous ne travaillions par tous les moyens possibles, à assurer notre vocation et notre élection. »

Nous étudierons maintenant, d’après Wesley, les conditions du salut, les bienfaits qu’il nous apporte : justification, régénération et sanctification. Puis, nous traiterons de l’assurance du salut et de la persévérance conditionnelle.

2.5.2 La Repentance

Le salut de l’homme, œuvre de Dieu en Jésus-Christ, doit être accepté par l’homme. Sa coopération est tout entière indiquée dans ces deux conditions ; la repentance et la foi. Lors de la première conférence, en 1744, Wesley et ses auxiliaires étudièrent ensemble le rapport qui existe entre ces deux conditions du salut.

Cette question fut posée : La repentance et les œuvres convenables à la repentance ne doivent-elles pas précéder la foi ? Wesley répond : « Oui, sans aucun doute ; si vous entendez par repentance la conviction du péché, et par œuvres convenables à la repentance, l’obéissance à Dieu, le pardon des offenses, l’abandon du mal, la pratique du bien, l’usage des moyens de grâce, dans la mesure où nous le pouvons. »

Dans son sermon sur la Voie du salut d’après l’Écriture, Wesley va plus loin et affirme qu’en réalité « la foi est l’unique condition », et qu’« elle suffit à elle seule pour être justifié ». Quel est donc le rôle de la repentance ? Elle est nécessaire assurément pour la justification du pécheur. Mais elle ne l’est pas « dans le même sens et au même degré que la foi. Le repentir et les œuvres qu’il produit ne sont indispensables qu’accessoirement et pour conduire à la foi, tandis que celle-ci est nécessaire d’une façon directe et immédiate. » Quant aux fruits de la repentance, « ils ne sont exigés, dit Wesley, que conditionnellement, c’est-à-dire s’il y a le temps et l’occasion de les porter. Dans le cas contraire, on peut être justifié sans eux, comme le fut le brigand sur la croix. Mais dans aucun cas, on ne saurait être justifié sans la foi ; cela est impossible. Et, d’autre part, un homme pourrait montrer un repentir absolu et porter des fruits innombrables de repentance, tout cela ne lui servirait à rien ; tant qu’il ne croit pas, il n’est pas justifié. Mais du moment où il croit, il l’est, avec ou sans fruits, et même avec un degré plus ou moins grand de repentance. »

La distinction ici établie par Wesley est juste en ce sens que la repentance est plutôt la condition de la vraie foi que la condition du salut. On ne se décide que lorsqu’on se sent perdu. La foi ne peut germer que dans un terrain labouré par la repentance. Aussi la prédication évangélique des premiers jours n’a-t-elle pas séparé la repentance de la foi. Après Jean-Baptiste, Jésus a dit : « Repentez-vous et croyez à l’Évangile. » Et la prédication des apôtres est demeurée fidèle à cet exemple. Il est donc permis de considérer la repentance comme une condition du salut, en lui assignant toutefois un rang secondaire par rapport à la foi.

Mais qu’est-ce que la repentance ? Wesley répond : « Repentez-vous, c’est-à-dire connaissez-vous vous-même. » Il fait intervenir sagement l’intelligence. En effet, la repentance n’est pas seulement une affaire de sentiment et d’émotion ; elle doit mettre en mouvement toutes nos facultés, et tout d’abord l’intelligence. Le pécheur doit connaître la sainteté de Dieu et comprendre que le péché est un attentat coupable contre lui. « Par repentance, dit encore Wesley, j’entends la conviction du péché, produisant des désirs réels et de sincères résolutions d’amendement. De l’intelligence, la repentance s’étend aux sentiments et des sentiments aux actes. C’est l’homme tout entier qui est remué et vaincu. » Dans son sermon sur le Chemin du Royaume, Wesley analyse les divers éléments qui entrent dans la repentance ; il le fait sous la forme d’un appel émouvant au pécheur. Il l’invite à reconnaître qu’il est pécheur, corrompu, dans toutes ses facultés, l’intelligence, la volonté, les affections ; il lui montre dans sa vie les ravages de l’incrédulité, de l’orgueil, de la sensualité, de la haine ; il le rend attentif à ses transgressions en actes, en paroles et en pensées. Puis il le place en face de la sentence qui attend les transgresseurs, la perdition éternelle. Comment y échapper ? Ses efforts pour apaiser la colère de Dieu sont impuissants. Reconnaître son incapacité à faire son salut, est un élément important de la vraie repentance. Si à la conviction vivante de ses péchés, à un profond chagrin d’avoir offensé Dieu et à un vif sentiment d’impuissance, vient s’ajouter chez le pécheur le désir sincère d’échapper à la colère de Dieu, de fuir le mal et de s’attacher au bien, il n’est pas loin du royaume des cieux. Citons ces pages admirables sur la repentance :

« C’est ici le chemin, marchez-y ; et d’abord repentez-vous, c’est-à-dire connaissez-vous vous-même. C’est là la première repentance, la conviction de péché qui précède la foi. Réveille-toi donc ; toi qui dors, reconnais que tu es pécheur, et quelle sorte de pécheur tu es. Reconnais cette corruption foncière de ta nature, par laquelle tu te trouves si loin de la justice primitive ; par laquelle ta chair convoite sans cesse contre l’esprit, tes affections étant inimitié contre Dieu, ne se soumettant pas à la loi de Dieu, et ne pouvant s’y soumettre. Reconnais que tu es corrompu dans toutes les puissances de ton âme ; que tu es totalement corrompu dans chacune de tes facultés, et que tout ton être moral est bouleversé. Les yeux de ton entendement sont si obscurcis qu’ils ne peuvent discerner Dieu, ni les choses de Dieu. L’ignorance et l’erreur sont comme un nuage qui t’enveloppe et te couvre d’une ombre de mort. Tu ne connais encore rien comme il faut, ni Dieu, ni le monde, ni toi-même. Ta volonté n’est plus celle de Dieu ; mais, dénaturée et pervertie, elle abhorre le bien que Dieu aime, elle aime toutes les abominations que Dieu hait. Tes affections aliénées de Dieu se prodiguent à tout sur la terre. Tes désirs et tes répugnances, tes joies et tes chagrins, tes espérances et tes craintes, en un mot, tous les mouvements de ton âme sont désordonnés, soit quant à leur degré, soit quant à leur objet. En sorte qu’il n’y a en toi rien d’entier ; mais depuis la plante des pieds jusqu’à la tête, ce n’est, comme dit énergiquement le prophète, que blessures, meurtrissures et plaies purulentes.

Telle est la corruption naturelle de ton cœur, du plus profond de ton âme. Et quel arbre, quels rameaux peux-tu attendre d’une telle racine ? C’est d’abord l’incrédulité qui rejette le Dieu vivant, et qui dit : Qui est l’Éternel pour que j’obéisse à sa voix ? ou bien : Le Seigneur ne s’inquiète point de ces choses ! C’est l’indépendance qui présume de s’égaler au Très-Haut. C’est l’orgueil, sous toutes ses formes, t’enseignant à dire : Je suis riche, je suis dans l’abondance, et je n’ai besoin de rien. De cette source impure jaillissent les flots amers de la vanité, de la soif de louanges, de la cupidité, de la convoitise de la chair, de la convoitise des yeux, de l’orgueil de la vie. De là naissent la colère, la haine, la malice, la vengeance, l’envie, la jalousie, les mauvais soupçons ; de là tous les désirs vains et pernicieux qui t’embarrassent maintenant dans bien du tourment, et qui, si tu ne préviens à temps ce malheur, entraîneront enfin ton âme dans la perdition éternelle.

Et quels fruits peuvent croître sur de tels rameaux ? Ceux-là seuls qui sont amers et mauvais en tout temps. De l’orgueil viennent les contentions, les vanteries qui cherchent et obtiennent les louanges des hommes, et privent Dieu de cette gloire qu’il ne donnera point à autrui. De la convoitise de la chair vient la gourmandise, l’ivrognerie, la sensualité, la fornication, l’impureté, qui souillent de mille manières ce corps qui devait être le temple du Saint-Esprit. De l’incrédulité, toutes sortes de paroles et d’œuvres mauvaises. Mais le temps manquerait pour faire le compte de tout, de toutes les paroles vaines par lesquelles tu as bravé le Très-Haut, contristé le Saint d’Israël, de toutes les œuvres mauvaises que tu as faites ; mauvaises en elles-mêmes, ou mauvaises en ce qu’elles ne se proposent pas la gloire de Dieu, car tes actes coupables sont en plus grand nombre que les cheveux de ta tête. Qui pourra compter le sable de la mer, ou les gouttes de pluie, ou tes iniquités ?

Mais ne sais-tu pas que le salaire du péché, c’est la mort, la mort non pas seulement temporelle mais éternelle ? L’âme qui aura péché sera celle qui mourra, car la bouche de l’Éternel a parlé. Elle mourra de la seconde mort. Ils seront punis d’une perdition éternelle par la présence du Seigneur et par sa puissance glorieuse. Telle est la sentence. Ne sais-tu pas que tout pécheur doit être puni par la géhenne du feu ? L’expression du texte ne signifie pas seulement qu’il a lieu de craindre le feu de l’enfer, cette version serait beaucoup trop faible ; mais qu’il est déjà sous la sentence du feu de l’enfer, déjà condamné, et que déjà se prépare l’exécution. Tu as mérité la mort éternelle, c’est le juste salaire de la méchanceté de ton cœur et de tes actions. Il serait juste que la sentence s’exécutât dès cette heure. Le vois-tu, le sens-tu ? Crois-tu réellement mériter la colère de Dieu, la damnation éternelle ? Es-tu convaincu que Dieu ne te ferait aucun tort si maintenant il commandait à la terre de s’entr’ouvrir pour t’engloutir, s’il te précipitait maintenant dans l’abîme, dans le feu qui ne s’éteint point ? Si Dieu t’a déjà donné la repentance, tu sens vivement qu’il en est ainsi, et que c’est par sa pure grâce que tu n’as point encore été consumé et balayé de la face de la terre.

Et que feras-tu pour apaiser la colère de Dieu, pour expier tous tes péchés, et pour échapper à la peine que tu as si justement méritée ? Hélas, tu ne peux rien faire, rien qui puisse expier devant Dieu une seule œuvre, une seule parole, une seule pensée mauvaise. S’il t’était possible de ne faire que le bien désormais, si dès cette heure, jusqu’au jour du jugement, il t’était possible de vivre dans une parfaite et constante obéissance, cela même n’expierait point le passé. Pour ne pas avoir augmenté ta dette, tu n’en serais pas déchargé ; elle resterait aussi grande que jamais. Que dis-je ? Toute l’obéissance présente ou future des hommes et des anges serait insuffisante pour couvrir devant la justice divine un seul péché. Quelle était donc ton erreur si tu pensais expier toi-même tes péchés, par quelque chose que tu puisses faire ? Il en coûte plus pour le rachat d’une seule âme que ne pourrait payer l’humanité tout entière ; en sorte que s’il n’y avait pas eu d’autre secours pour l’homme coupable, il aurait certainement été perdu pour toute l’éternité.

Mais supposons qu’une obéissance parfaite pour l’avenir pût expier les péchés passés, cela même ne te servirait de rien, car tu n’es pas capable de garder une telle obéissance, non pas même en un seul point, Fais-en l’épreuve ; essaie de secouer ce péché extérieur qui t’enveloppe si aisément. Tu ne le peux, à moins qu’auparavant ton cœur ne soit changé, car aussi longtemps que l’arbre demeure mauvais, il ne saurait porter de bons fruits. Mais, es-tu capable de changer ton cœur souillé en un cœur saint ? Vivifierais-tu une âme qui est morte dans le péché, morte à Dieu, et ne vivant que pour le monde ? Essaie plutôt de ressusciter un cadavre, de rendre la vie à celui qui gît dans le tombeau ! Et même tu ne peux, à aucun degré, vivifier ton âme, pas plus que donner le moindre degré de vie à un corps mort. Tu ne peux rien en cette affaire, ni le plus ni le moins : tu es complètement privé de force. Être profondément convaincu de ton incapacité, de ta culpabilité et de ta méchanceté, c’est là cette repentance dont on ne se repent point, et qui est l’avant-courrière du royaume de Dieu.

Si, à cette conviction vivante de tes péchés extérieurs et intérieurs, de ta culpabilité extrême et de ton incapacité totale quant au bien, se joignent des sentiments qui y répondent : un profond chagrin d’avoir méprisé les grâces que Dieu t’offrait, des remords, des reproches intérieurs qui te ferment la bouche, une confusion qui t’empêche de lever les yeux au ciel, la crainte de la colère de Dieu qui pèse sur toi, de sa malédiction qui plane sur ta tête, et de l’ardente indignation qui va dévorer ceux qui oublient Dieu et qui n’obéissent pas à Notre Seigneur Jésus-Christ ; si tu as le désir sérieux d’échapper à cette indignation, de fuir le mal et de t’attacher au bien, alors, je te le dis, au nom du Seigneur, tu n’es pas loin du royaume de Dieu ; encore un pas et tu y entreras ; tu te repens déjà, maintenant crois à l’Évangile. »

Cette repentance, si profonde soit-elle, ne peut être parfaite. Elle est, au contraire, toujours incomplète. Si donc elle devait expier nos péchés et nous réconcilier avec Dieu, elle ne le pourrait pas. Mais ce n’est pas là son office. Pourvu qu’elle nous amène à la foi, en nous faisant sentir le besoin d’un Sauveur, elle a atteint son but. Wesley a donc raison d’affirmer que le pécheur qui croit être sauvé, « même avec un degré plus ou moins grand de repentance, fait fausse route ».

Wesley ne considère pas que la repentance ait achevé son œuvre quand elle nous a conduits au pardon de nos péchés. Dans son sermon sur la Repentance chez les croyants, il montre la nécessité pour le chrétien de continuer à se repentir du péché qui persiste encore en lui et de continuer à croire pour en être délivré.

2.5.3 La Foi

Wesley fit l’expérience du salut par la foi le 24 mai 1738. Dix-huit jours après, le 11 juin, il prêcha, devant l’Université d’Oxford, son fameux sermon sur le Salut par la Foi (Éphésiens 2.8). Ce sermon était un témoignage rendu à la vérité dans cette même ville universitaire, où, quelques années auparavant, il avait poursuivi avec conscience, mais sans succès, le salut par les œuvres, par les pratiques et par l’ascétisme.

Dans ce discours, il montrait que la foi, par laquelle nous sommes sauvés ; n’est pas la foi en un Dieu rémunérateur qu’ont pu avoir même des païens ; qu’elle n’est pas la croyance purement intellectuelle dans les vérités de l’Évangile, que possèdent les démons ; qu’elle n’est pas simplement la foi telle que l’eurent les apôtres avant la mort et la résurrection de leur Maître. Voici comment il la définit :

« C’est la foi dont Christ et Dieu par Christ sont les objets. Ce n’est pas une simple croyance rationnelle, spéculative, un assentiment à la vérité, froid et sans vie, une série d’idées dans la tête ; c’est aussi une disposition du cœur… Cette foi diffère de celle des apôtres, en ce qu’elle reconnaît la nécessité et la vertu propitiatoire de la mort de Jésus, ainsi que l’efficace de sa résurrection. Elle reconnaît sa mort comme l’unique moyen suffisant pour racheter l’homme de la mort éternelle, et sa résurrection comme notre restauration à la vie et à l’immortalité. La foi chrétienne n’est donc pas seulement un assentiment donné à tout l’Évangile de Christ, c’est aussi une pleine confiance en son sang, une confiance dans les mérites de sa vie, de sa mort et de sa résurrection ; un repos sur lui comme étant notre propitiation et notre vie, comme s’étant donné pour nous et vivant en nous ; et, en conséquence, c’est s’unir et s’attacher à lui comme à notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, et, pour tout dire d’un mot, notre salut. »

Dans son sermon sur la Justification par la Foi, Wesley relève aussi les deux éléments, conviction et confiance, qui entrent dans la foi. « La foi, dans un sens général, dit-il, est une évidence ou conviction (ἔλεχος) divine, surnaturelle des choses qu’on ne voit point et qui ne tombent pas sous les sens, parce qu’elles sont ou passées, ou futures, ou spirituelles. La foi justifiante n’implique pas seulement l’évidence ou la conviction divine que Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même ; mais aussi une ferme confiance que Christ est mort pour mes péchés, qu’il m’a aimé et s’est donné lui-même pour moi. »

Relevons encore le passage suivant sur la foi, dans le sermon sur la Voie du salut d’après la Bible. Il revient sur la définition de l’Epître aux Hébreux (Hébreux 11.1) : la foi est une démonstration et une conviction des choses invisibles. « Dans la foi, dit-il, se trouvent réunies, d’un côté une démonstration surnaturelle de l’existence de Dieu et des choses qui se rapportent à lui, démonstration qui est pour l’âme une lumière spirituelle, et, de l’autre, une perception surnaturelle de cette démonstration, une vision surnaturelle de cette lumière. Aussi la Parole de Dieu nous montre-t-elle le Seigneur donnant d’abord la lumière, puis le pouvoir de la discerner » (2 Corinthiens 4.6 ; Éphésiens 1.18).

Cette double opération du Saint-Esprit, qui ouvre nos yeux et les illumine, nous rend capables d’apercevoir les choses que l’œil (de la chair) n’a point vues, ni l’oreille entendues. Alors, nous découvrons les choses invisibles de Dieu, ce monde spirituel qui nous environne, et que pourtant nos sens physiques et nos facultés naturelles ne discernent pas davantage que s’il n’existait point. Nous voyons alors le monde éternel apparaître à travers le voile qui sépare le temps de l’éternité. Les nuées et l’obscurité ne l’enveloppent plus pour nous ; déjà nous contemplons la gloire qui doit être un jour manifestée. »

Pour Wesley, la foi est donc d’abord une illumination de l’entendement ; pour se confier, il faut connaître celui en qui l’on doit se confier. « Il est dans la nature des choses, dit-il, que l’assurance précède la confiance. La confiance n’est pas le premier acte de la foi, mais seulement le second. »

Dans les Minutes de la première Conférence, Wesley dit, dans le même sens : « La foi est une vue spirituelle de Dieu et des choses de Dieu. Un pécheur est convaincu par le Saint-Esprit de cette vérité : Christ m’a aimé et s’est donné lui-même pour moi. C’est là la foi par laquelle il est justifié ou pardonné, au moment où il la reçoit. Immédiatement, le Saint-Esprit lui rend ce témoignage : Tu es pardonné, tu as la rédemption en son sang. »

Dans les nombreux passages de ses écrits, qui se rapportent à ce sujet, Wesley n’a pas varié. La foi, qui est d’abord une persuasion ou une conviction de l’esprit, ne devient justifiante et salutaire qu’en devenant un acte de confiance du cœur. Mais il reste bien entendu que l’objet de la foi qui sauve, c’est Jésus-Christ et par lui Dieu son Père est notre Père. Il y a là une confusion dangereuse qu’il faut soigneusement éviter. Le pécheur ne doit pas être pressé de croire qu’il est déjà pardonné. Il doit croire au Seigneur Jésus-Christ, pour obtenir, par les mérites de sa propitiation, le pardon de ses péchés. Cette distinction est importante. Certaines confessions de foi ne l’ont pas faite. La Confession d’Augsbourg, par exemple, dit que le pécheur doit « croire que ses péchés lui sont pardonnés pour l’amour de Jésus-Christ ». Il est plus vrai de dire : « Il doit croire (se confier) en Jésus-Christ pour obtenir le pardon de ses péchés. »

2.5.4 La Justification

La doctrine de la justification par la foi est la doctrine essentielle et centrale de la Réformation ; elle en est ce qu’on a appelé le principe matériel. Ce principe, qui occupa la place d’honneur dans les symboles du xvie siècle, fut peu à peu méconnu et oublié dans les âges suivants. Le rationalisme, d’un côté, et le formalisme, de l’autre, battirent en brèche l’enseignement des réformateurs. L’Église anglicane en particulier lui devint infidèle, et, au temps où Wesley faisait ses études à l’Université d’Oxford, cette doctrine y était passée sous silence, sinon ouvertement combattue. « Durant le temps de mes études, dit-il, et longtemps après, j’étais dans une complète ignorance sur la nature et la condition de la justification. Je la confondais avec la sanctification ; ou bien je croyais qu’elle devait être ajournée à l’heure de la mort, ou au jour du jugement. J’étais également ignorant de la nature de la foi qui sauve, et je la considérais comme n’étant autre chose qu’un ferme assentiment donné à toutes les déclarations de l’Ancien et du Nouveau Testament. » La lumière lui vint par le moyen des Moraves et des écrits de Luther. « Je crus, dit-il, et c’est pourquoi je parlai. Je me mis aussitôt à prêcher, partout où l’occasion s’en présentait, le salut par la foi. Ce fut le thème de ma prédication. »

Comment Wesley définit-il la justification ? « L’Écriture dit-il, représente la justification comme étant le pardon, la rémission des péchés. C’est l’acte de Dieu le Père, par lequel, à cause de la propitiation faite par le sang de son Fils, il fait paraître sa justice (sa miséricorde), par le pardon des péchés commis auparavant. »

Dans son sermon sur le Chemin du salut, Wesley dit plus explicitement :

« Justification est synonyme de pardon. C’est la rémission de tous nos péchés et notre réconciliation avec Dieu ; car ces deux grâces sont nécessairement enchaînées l’une à l’autre. Le prix auquel elles nous ont été acquises, ce qu’on nomme communément la cause méritoire de notre justification, c’est le sang et la justice de Christ, ou, pour parler plus clairement, tout ce que Jésus a fait et souffert pour nous, jusqu’au moment où il livra son âme pour les pécheurs. »

Wesley, théologien éminemment populaire, a voulu être compris par tous, et c’est pour cela qu’il s’en tient à cette définition :« La justification, c’est le pardon des péchés. » Cela est vrai au fond, mais cela n’explique pas pourquoi l’apôtre Paul emploie justification au lieu de se servir du terme plus simple de pardon. C’est que, pour lui, le péché c’est la justice outragée, c’est la loi violée. Le pardon pur et simple remettrait la peine encourue par le pécheur, sans égard pour la loi et pour ses sanctions. La justification, c’est le pardon, mais sur le terrain d’une satisfaction faite à la Loi par l’œuvre de propitiation de Jésus-Christ.

Ce point de vue est bien celui de Wesley, comme le prouve le morceau qui suit, emprunté à son sermon sur la Justification par la foi » :

« A l’instant même où Dieu donne la foi au pécheur (car elle est un don de Dieu), à l’instant où il donne la foi à celui qui n’a point fait les œuvres, cette foi lui est imputée à justice. Avant ce moment, il n’a aucune justice quelconque, pas même une justice ou une innocence négative ; mais dès qu’il croit, la foi lui est imputée à justice. Ce n’est pas, je l’ai déjà dit, que Dieu le prenne pour ce qu’il n’est pas ; mais comme il a fait Christ être péché pour nous, c’est-à-dire l’a traité comme un pécheur, en le punissant pour nos péchés ; ainsi il nous tient pour justes du jour que nous croyons en lui, c’est-à-dire qu’il ne nous punit pas pour nos iniquités, et, qu’au contraire, il nous traite comme si nous étions justes et sans culpabilité. »

La théologie protestante décrit la justification comme l’imputation au pécheur de la justice de Christ. Cette expression n’est pas biblique. C’est la foi qui est imputée à justice (Romains 4 :3-9 ; Galates 3.6 ; Jacques 2.23). Il est vrai que l’objet de la foi, c’est la justice de Christ ; mais croire à cette justice, c’est simplement la considérer comme constituant la validité de l’expiation. En d’autres termes, c’est parce que Jésus-Christ est juste qu’il justifie le pécheur. En soutenant que la justice de Christ est imputée au croyant, de telle sorte qu’il soit considéré comme ayant observé la loi de Dieu en Christ, ne risque-t-on pas d’en arriver à soutenir qu’il est dispensé de devenir personnellement juste et saint, parce qu’il l’est en Christ ? « S’il y a une sphère de la vie où la substitution soit hors de sa place, c’est bien celle de la sainteté personnelle » (Banks).

Wesley se servit de cette phraséologie, dans son sermon sur l’Éternel notre justice (prêché en 1765), mais avec beaucoup de précaution.

« La justice de Christ, dit-il, est imputée à quiconque croit et dès qu’il croit ; la foi et la justice de Christ sont inséparables, car croire, selon la parole de Dieu, c’est croire à la justice de Christ. Il n’y a de vraie foi, de foi justifiante, que celle qui a la justice de Christ pour objet.

Mais dans quel sens cette justice est-elle imputée aux croyants ? Dans ce sens que tous ceux qui croient sont pardonnés et reçus par Dieu, non point à cause de quelque mérite qui serait en eux, ou de quelque chose qu’ils auraient faite, qu’ils font ou qu’ils pourront faire ; mais entièrement et uniquement pour l’amour de ce que Jésus-Christ a fait et a souffert pour eux… Si, par cette expression : Imputer la justice de Christ, nous voulons dire communiquer cette justice (y compris son obéissance, tant active que passive), dans les fruits qu’elle a produits, dans les privilèges, grâces et bénédictions qu’elle nous procure, on peut dire, dans ce sens, que le croyant est justifié par l’imputation de la justice de Christ. La signification de ces mots sera donc que Dieu justifie le croyant pour l’amour de la justice de Christ, et non à cause d’une justice qui lui serait propre.

De même Calvin a dit (Institution, 2.17) : Christ, par son obéissance, nous a procuré et mérité la grâce et la faveur de Dieu le Père. Et, plus loin : Christ, par son obéissance, nous a acquis et procuré la justice. Et encore : Toutes ces expressions, que nous sommes justifiés par la grâce de Dieu, que Christ est notre justice, que la justice nous a été procurée par la mort et la résurrection de Christ, disent la même chose, savoir que la justice de Christ, tant active que passive, est la cause méritoire de notre justification et nous a obtenu cette grâce de Dieu que, dès que nous croyons, nous sommes par lui considérés comme justes. »

Si Wesley ne se séparait pas sur ce point de Calvin, il se séparait nettement de certains calvinistes, qui tiraient des conséquences antinomiennes de l’enseignement mal compris de leur maître.

« Tout ce que nous craignons en ceci, c’est que quelqu’un ne se serve de ces expressions : La justice de Christ, la justice de Christ m’est imputée, comme d’un manteau pour couvrir son iniquité. Nous avons vu cela mille fois. Un homme, par exemple, est repris à cause de son ivrognerie : Oh ! répond-il, je ne prétends pas du tout être juste par moi-même ; c’est Christ qui est ma justice. On dit à un autre que les injustes et les ravisseurs n’hériteront point le royaume de Dieu. Il répond avec une assurance parfaite : En moi-même je suis injuste, mais j’ai en Christ une justice sans tache. Et c’est ainsi qu’un homme a beau n’avoir du chrétien ni les dispositions ni la conduite, il a beau ne rien posséder des sentiments qui étaient en Jésus-Christ et ne marcher en rien comme il a marché, il n’en résiste pas moins victorieusement à toute accusation ; car il a pour cuirasse ce qu’il appelle la justice de Christ.

C’est pour avoir vu bien des cas déplorables de ce genre que nous tâchons de ne pas abuser de ces expressions. Et je sens que je dois vous avertir, vous qui en faites un usage fréquent ; je dois vous supplier, au nom du Dieu Sauveur auquel vous appartenez, et que vous servez, de mettre tous ceux qui vous entendent en garde contre l’abus de telles expressions. »

Dans un traité qu’il publia sur cette question, en 1762, Wesley déclare qu’il en est arrivé à ne plus guère employer cette expression, « à cause des abus fréquents et détestables dont elle a été l’occasion, et parce que les antinomiens s’en servent pour justifier leurs pires abominations ». Il ajoute : « Cette façon de parler ne tend-elle pas naturellement à faire de Christ le ministre du péché ? Car si l’obéissance de Christ est mienne dès l’instant où je crois, que puis-je y ajouter ? Mon obéissance personnelle à Dieu peut-elle ajouter quelque valeur à la parfaite obéissance de Christ ? Et, dans ce cas, le saint et le transgresseur ne sont-ils pas au même point ? »

2.5.5 La Régénération

La régénération est le complément nécessaire de la justification. On les a appelées des « bénédictions sœurs », dans ce sens qu’elles ne sont jamais séparées : Dieu régénère par son Esprit ceux qu’il justifie par sa grâce. Wesley indique clairement le rapport qui les unit :

« La justification est l’œuvre que Dieu accomplit pour nous, en nous pardonnant nos péchés ; la régénération est l’œuvre que Dieu accomplit en nous, en renouvelant notre nature déchue. Au point de vue chronologique, l’une de ces grâces ne précède point l’autre : au moment même où nous sommes justifiés par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en Jésus, nous naissons de l’Esprit ; mais au point de vue logique, la justification précède la nouvelle naissance. Dans nos conceptions de la grâce de Dieu, nous voyons d’abord sa colère apaisée, puis son Esprit à l’œuvre dans nos cœurs. »

Wesley tenait beaucoup à cette distinction entre la justification et la régénération. Il y revient, dans son sermon sur Le grand privilège de ceux qui sont nés de Dieu.

« On a souvent supposé, dit-il, qu’être né de Dieu et être justifié, c’est tout un ; que les mots de justification et de nouvelle naissance ne sont que des désignations différentes d’une seule et même chose ; puisqu’il est certain, d’un côté, que quiconque est justifié est aussi né de Dieu ; et, de l’autre, que quiconque est né de Dieu est aussi justifié ; et que ces deux grâces de Dieu sont données simultanément au croyant. A l’instant où ses péchés sont effacés, il est aussi né de nouveau.

Mais, bien qu’il soit reconnu que la justification et la nouvelle naissance sont inséparables quant au temps, il est pourtant facile de les distinguer et de reconnaître que ce sont deux choses très différentes quant à leur nature. La justification n’implique qu’un changement relatif, la nouvelle naissance implique un changement réel. En nous justifiant, Dieu fait quelque chose pour nous ; en nous régénérant, il fait l’œuvre en nous. La justification change nos relations avec lui, en sorte que d’ennemis nous devenons enfants ; la nouvelle naissance change le fond de notre âme, en sorte que de pécheurs nous devenons saints. Celle-là nous rend la faveur de Dieu, celle-ci son image. L’une ôte la coulpe, l’autre la puissance du péché : ainsi donc, unies quant au temps, elles n’en sont pas moins pleinement distinctes. »

Cette distinction nous paraît d’une logique lumineuse. Il convient de dire toutefois qu’on ne la trouve nulle part énoncée avec cette netteté dans l’Écriture. Elle résulte du rapprochement des textes bibliques plutôt que d’une déclaration unique. La justification par la foi est l’enseignement spécial de Paul ; la régénération par le Saint-Esprit est l’enseignement spécial de Jean. L’un a vu dans la conversion surtout l’œuvre de Dieu pour nous, et l’autre l’œuvre de Dieu en nous. La tâche de la théologie est de rapprocher ce double enseignement, et Wesley l’a fait avec sa clarté habituelle.

Il définit ainsi la régénération :

« C’est ce grand changement que Dieu opère dans une âme quand il la fait entrer dans la vie, quand il la ressuscite de la mort du péché à la vie de la justice. C’est la transformation accomplie par le tout-puissant Esprit de Dieu, quand l’âme est de nouveau créée en Jésus-Christ, créée à l’image de Dieu, dans une justice et une sainteté véritables ; quand en elle l’amour de Dieu remplace l’amour du monde, l’humilité remplace l’orgueil, la douceur remplace la colère… En un mot, c’est ce changement par lequel les dispositions terrestres et diaboliques font place aux sentiments que Jésus-Christ a eus. »

Quels sont les rapports de la régénération et de la sanctification ? Certains théologiens ont soutenu que ces termes sont synonymes. « Non, répond Wesley, la régénération est le seuil et la porte de la sanctification. Il en est de la nouvelle naissance comme de la naissance naturelle. L’enfant naît une fois pour toutes ; et puis il croît et se développe graduellement. Il en est de même pour la naissance spirituelle : elle se produit en une fois, puis vient la croissance spirituelle, qui est la sanctification. La nouvelle naissance est donc le point de départ de la sanctification, qui doit être toujours plus jusqu’à ce que le jour soit dans sa perfection. »

Il en résulte que « l’enfant de Dieu naît en un temps qui est court, peut-être en un moment, mais que ce n’est que par degrés et lentement qu’il grandit et arrive à la mesure de la stature parfaite de Christ ». Wesley eut d’abord quelque peine à admettre que la conversion puisse être instantanée, comme le lui enseigna le Morave Bœhler. Mais ses objections tombèrent par l’étude des Écritures, où il remarqua que les conversions instantanées étaient la règle et les autres l’exception, et aussi par l’expérience qu’il fit lorsque sa prédication produisit par centaines de telles conversions. « J’ai vu, écrivait-il à son frère Samuel (autant que de pareilles choses se voient), beaucoup de personnes changées en un moment, passer d’un esprit de crainte et de désespoir à un esprit d’amour, de joie et de paix… Ce sont là mes arguments vivants. »

2.5.6 La Sanctification

C’est surtout par son enseignement sur la sanctification que le Méthodisme s’est distingué des mouvements religieux qui l’ont précédé. Wesley a souvent répété à ses prédicateurs que leur tâche spéciale consistait à « répandre la sainteté scripturaire dans le pays ». Chose étrange ! il eut des vues arrêtées sur la sanctification longtemps avant d’être au clair sur la justification, et tandis qu’il était amené à modifier radicalement ses idées sur celle-ci, il demeura fermement attaché aux vues qu’il avait embrassées de bonne heure sur celle-là. Dans les premières pages de son Exposition de la perfection chrétienne, il raconte comment, dès l’âge de vingt-deux ans, treize ans avant sa conversion proprement dite, il prit la résolution « de consacrer toute sa vie à Dieu, toutes ses pensées, ses paroles et ses actions, convaincu qu’il n’y a pas de moyen terme, et que toutes les parties de sa vie devaient être un sacrifice à Dieu ou au moi, c’est-à-dire en fait au diable ». Les ouvrages de dévotion de l’évêque Jérémie Taylor, de William Law, et surtout l’Imitation de Jésus-Christ, furent ses guides dans cette phase de sa vie spirituelle.

Wesley, qui fut grandement redevable aux réformateurs, et à Luther en particulier, en ce qui regarde la justification, trouva leur enseignement insuffisant quant à la sanctification. Voici, sur ce sujet, un passage peu connu de son sermon sur la Vigne de Dieu :

« On a souvent remarqué que bien peu de théologiens sont également au clair sur la justification et la sanctification. Plusieurs, qui ont parlé et écrit admirablement sur la première, n’ont eu que des notions confuses, et même ont été totalement ignorants, en ce qui concerne la seconde. Qui a écrit plus habilement que Martin Luther, sur la justification par la foi seule ? Et qui a eu plus que lui des idées erronées ou confuses sur la sanctification ? Il suffit, pour s’en convaincre, de lire en entier son célèbre commentaire sur l’épître aux Galates. D’autre part, combien d’écrivains de l’Église Romaine (en particulier François de Sales et Juan de Castaniza) ont écrit sur la sanctification des vues fortes et scripturaires, tout en étant entièrement dans les ténèbres au sujet de la nature de la justification, d’accord avec le Catéchisme du Concile de Trente, qui confond absolument la sanctification et la justification. Mais il a plu à Dieu de donner aux Méthodistes une connaissance claire et complète de ces deux doctrines et de ce qui les distingue. »

Wesley reconnaît qu’il doit peu aux théologiens de la Réformation, mais que, par contre, il doit beaucoup aux mystiques, catholiques et protestants, en ce qui concerne la sanctification. Dans l’enseignement officiel du catholicisme, la vérité et l’erreur sont étrangement mêlées. Il professe la possibilité d’une obéissance parfaite à la loi de Dieu ; mais il exagère et fausse cette idée juste, à la fois par sa théorie des péchés véniels et par celle des œuvres surérogatoires, qui supposent la possibilité pour les saints de dépasser le niveau requis de sainteté. Il va sans dire que Wesley n’a rien eu de commun avec cet enseignement ; mais il a reconnu ses obligations envers les mystiques, en faisant toutefois passer leurs vues au crible de la Bible.

Dans son acception générale, admise par tous les protestants évangéliques, la sanctification est la croissance spirituelle, dont la régénération est le point de départ.

« Au moment même où nous sommes justifiés, dit Wesley, la sanctification commence… Dès que nous sommes nés de nouveau, l’œuvre progressive de la sanctification se produit en nous. Nous sommes rendus capables, par l’Esprit, de mortifier les œuvres de la chair, les œuvres de notre mauvaise nature. Et, mourant de plus en plus au péché, de plus en plus nous devenons vivants à Dieu. Nous marchons de grâce en grâce, en étant attentifs à nous abstenir de tout ce qui a quelque apparence de mal, en étant zélés pour les bonnes œuvres, et en faisant du bien à tous les hommes, selon que nous en avons l’occasion ; en persévérant aussi dans les ordonnances de Dieu d’une façon irréprochable et l’adorant en esprit et en vérité ; et enfin, en nous chargeant de notre croix et en nous refusant tout plaisir qui nous éloignerait de Dieu. »

« Par la justification, dit ailleurs Wesley, nous sommes sauvés de la coulpe du péché et rétablis dans la faveur de Dieu. Par la sanctification, nous sommes sauvés de la puissance du péché et rétablis à l’image de Dieu. L’expérience, d’accord avec l’Écriture, nous montre que ce salut est à la fois instantané et graduel. Il commence au moment où nous sommes justifiés, en créant en nous un amour saint, humble, patient pour Dieu et pour l’homme. Il s’accroît graduellement dès ce moment, comme le grain de semence de moutarde, qui est d’abord la plus petite de toutes les semences, et qui devient un grand arbre. Puis, en un instant, le cœur est purifié de tout péché et rempli du pur amour pour Dieu et pour l’homme. Mais cet amour lui-même croît de plus en plus, en toutes choses, en Celui qui est la tête ; jusqu’à ce que nous atteignions la mesure de la stature parfaite de Christ. »

Citons encore, sur ce sujet, ce fragment du sermon sur le Chemin du salut d’après la Bible :

Lorsque nous sommes justifiés et, à vrai dire, dès le moment où nous le sommes, notre sanctification commence. Car alors nous naissons de nouveau, d’en haut, de l’Esprit. Il s’opère donc un changement réel, aussi bien qu’un changement relatif. La puissance de Dieu nous régénère intérieurement. Nous sentons que l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, et qu’il y fait naître de l’affection pour tous les hommes, surtout pour les enfants du Seigneur. Cet amour exclut de notre âme l’amour du monde, l’amour des plaisirs, de la mollesse, des honneurs, de l’argent ; et il en bannit également l’orgueil, la colère, la volonté charnelle et autres vices. En un mot, il convertit notre caractère terrestre, sensuel et diabolique, en ces sentiments que Jésus-Christ a eus. »

Ces extraits prouvent que Wesley admettait pleinement que la sanctification est avant tout une œuvre graduelle de progrès spirituel, la croissance normale de l’âme régénérée. C’est là une part essentielle de l’enseignement méthodiste, et il faut se garder de l’affaiblir. Wesley reconnaissait que, dans la généralité des cas, cette œuvre de sanctification se poursuit lentement et que la plupart des chrétiens ne sont délivrés du péché et perfectionnés dans l’amour qu’au terme de leur vie terrestre ; mais il déclarait aussi que Dieu abrège souvent son œuvre, quand l’homme s’y prête et qu’il fait dans un moment l’œuvre de plusieurs années.

Dans son sermon sur Celui qui est né de Dieu ne pèche point (1 Jean 3.6), Wesley applique cette déclaration au régénéré, en entendant par péché « le péché extérieur, la transgression actuelle et volontaire de la loi de Dieu ». Mais, dans le sermon sur le Péché dans les croyants, il montre qu’« il y a chez tout homme, même après sa justification, deux principes contraires : la nature et la grâce, la chair et l’esprit ». Il revient souvent sur cette lutte qui s’établit dans l’âme du régénéré. Dans le sermon sur la Repen-tance chez les croyants, il dit : « Le péché ne règne plus, mais il demeure. » C’est l’orgueil, la volonté propre, la convoitise, la jalousie, l’avarice, etc. Le croyant devra donc se repentir de ces dispositions mauvaises, et chercher avec foi à en être délivré. Cette complète délivrance est-elle possible ?

2.5.7 L’entière sanctification

« La possibilité et la nécessité de la sainteté parfaite font partie de la foi de la chrétienté universelle. Le seul point sur lequel l’enseignement méthodiste va au delà de celui des autres Églises est l’affirmation qu’elle est possible dans la vie présente. Les uns croient qu’elle ne se réalise qu’à la mort ; d’autres, après la mort dans un état intermédiaire de purification. L’Église Romaine a imaginé un purgatoire où les fidèles se perfectionnent et se préparent à voir Dieu. Mais pourquoi cette purification aurait-elle lieu à la mort ou après la mort ? Pourquoi n’aurait-elle pas lieu plus tôt ? Quelle puissance purificatrice sera alors à l’œuvre qui ne puisse agir dès maintenant ? S’il existait une limitation ou une restriction à cet égard, l’Écriture la mentionnerait sûrement. L’absence d’une telle restriction dans l’enseignement biblique est déjà une présomption en faveur de la doctrine méthodiste » (Banks).

Wesley employa, de préférence à tout autre, le terme de perfection chrétienne, d’abord parce que ce terme est biblique, et ensuite parce qu’il exprime mieux qu’un autre un état de maturité spirituelle, l’état de « l’homme fait en Christ ». Mais il reconnaissait qu’aucun mot « n’a causé plus de scandale que celui-là ». Ce n’était pas là pour lui une raison suffisante pour y renoncer. Tant qu’on n’aura pas effacé de l’Évangile la parole de Jésus : « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait », on n’aura pas le droit de lui reprocher d’avoir adopté ce terme. Ne l’a-t-il pas employé trop exclusivement ? Je suis tenté de le penser, surtout en considérant la petite place qu’il occupe dans l’enseignement de l’Écriture. Ce mot a contre lui qu’il prête à l’équivoque, ayant plusieurs acceptions. Quand saint Paul dit : « Non que je sois déjà parvenu à la perfection », et qu’il ajoute aussitôt après : « Nous tous donc qui sommes parfaits », il est bien évident que le mot perfection, dans le premier texte, n’a pas la même signification que le mot parfaits dans le second. Il y a donc quelques inconvénients très sérieux à employer habituellement ce terme, et les disciples de Wesley ont sagement fait en lui substituant ses synonymes bibliques : entière sanctification, pureté de cœur, amour parfait, etc.

Wesley a toujours pris le plus grand soin de distinguer la perfection possible de la perfection chimérique. Dans son sermon sur la Perfection chrétienne, il établit d’abord en quel sens les chrétiens ne sont pas parfaits.

Ils ne sont pas parfaits en connaissance. Une telle perfection n’appartient qu’à Dieu. Ils ne sont pas exempts d’erreurs : ils peuvent se tromper et se trompent en effet, sur les hommes et sur les choses, notamment sur l’interprétation des Écritures. Ils ne sont pas exempts d’infirmités, de celles du moins qui n’entachent pas le caractère moral d’un homme. Ils ne sont pas à l’abri des tentations, puisque Jésus-Christ lui-même a été tenté.

La perfection à laquelle le chrétien doit aspirer n’est donc ni la perfection absolue, ni l’infaillibilité qui n’appartient qu’à Dieu. Wesley insiste beaucoup sur ces limitations. Il reconnaît qu’« une erreur de jugement peut occasionner une erreur de conduite ». Il cite comme exemple le cas du marquis de Renty, un catholique français éminent par sa piété, et dont il publia la vie. « Son erreur, touchant la mortification du corps, erreur qui provenait des préjugés de son éducation, l’amena à porter un cilice et produisit ainsi une erreur pratique. On pourrait, ajoute-t-il, citer mille cas semblables, même chez des hommes parvenus au plus haut état de grâce. Toutefois, chez celui dont toutes les paroles et toutes les actions découlent de l’amour, une telle erreur n’est pas, à proprement parler, un péché, bien qu’elle ne pût pas supporter la rigueur de la justice de Dieu, et qu’elle ait besoin du sang expiatoire. »

Sur ce même point, voici l’opinion de la Conférence de 1758 :

  1. Chacun peut se tromper, aussi longtemps qu’il vit ;
  2. Une erreur d’opinion peut amener une erreur de conduite ;
  3. Toute erreur de ce genre est une transgression de la loi parfaite ;
  4. Par conséquent, une telle erreur exposerait celui qui la commet à la damnation éternelle, si ce n’était le sang de l’expiation ;
  5. Il en résulte que les plus parfaits ont un besoin continuel des mérites de Christ, même pour leurs transgressions actuelles, et qu’ils peuvent dire, pour eux-mêmes, aussi bien que pour leurs frères : « Pardonne-nous nos offenses. »

Ces déclarations montrent assez que Wesley n’entendait pas par perfection l’infaillibilité ou l’impossibilité de pécher, et pas d’avantage l’absence absolue de toute transgression inconsciente, provenant de l’ignorance et de l’erreur.

Après avoir vu ce que n’est pas la perfection chrétienne d’après Wesley, voyons ce qu’elle est.

La perfection chrétienne renferme, d’après Wesley, un côté négatif et un côté positif. « Ce n’est pas seulement la délivrance des doutes et des craintes, mais aussi du péché lui-même, de tout péché, aussi bien intérieur qu’extérieur ; la délivrance de tout mauvais désir, de toute mauvaise disposition, aussi bien que de toutes mauvaises paroles et de toutes mauvaises actions. Mais ce n’est pas seulement une bénédiction négative, c’est aussi une bénédiction positive ; elle implique l’implantation de toutes bonnes dispositions, qui prennent en nous la place des mauvaises, clairement indiquée dans cette expression : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme. »

Dès 1740, Wesley affirmait nettement, dans son sermon sur la Perfection chrétienne, la possibilité de la victoire complète sur le péché. Il disait :

« Conformément à la doctrine de saint Jean, aussi bien qu’à l’esprit de l’enseignement tout entier du Nouveau Testament, nous affirmons qu’un chrétien peut être parfait au point de ne pas pécher. C’est là le glorieux privilège de tout chrétien, même de celui qui n’est qu’un enfant en Christ. Mais c’est seulement de ceux qui sont forts dans le Seigneur, et qui ont vaincu le malin, ou plutôt de ceux qui ont connu celui qui est dès le commencement, qu’on peut affirmer qu’ils sont parfaits, en ce sens qu’ils sont exempts des mauvaises pensées et des mauvaises dispositions. »

En ce qui concerne les mauvaises pensées, Wesley fait remarquer que « des pensées concernant ce qui est mauvais, ne sont pas toujours de mauvaises pensées, que penser à quelque chose de coupable et avoir une pensée coupable sont deux choses très différentes ». Cette distinction est très juste. En effet, lorsque Jésus fut tenté par le démon, il dut penser aux suggestions du tentateur, mais ce n’étaient pas là des pensées coupables, puisqu’il leur refusa son adhésion. Le chrétien est également délivré de toute mauvaise disposition, orgueil, égoïsme, convoitise, colère, dans la mesure où il peut dire avec saint Paul : « Je suis crucifié avec Christ ; et ce n’est plus moi qui vis, mais Christ vit en moi. »

Dans ce sermon, publié deux ans après sa conversion, Wesley semble attribuer au chrétien simplement régénéré la possibilité de ne plus pécher. Plus tard, il corrigea et compléta ses vues sur ce point. Il reconnut n’avoir jamais rencontré un chrétien « qui ait reçu, dans un seul et même moment, la rémission de ses péchés, le témoignage permanent de l’Esprit de Dieu et un cœur entièrement pur. » Il reconnut qu’après les joies de la nouvelle naissance, l’âme en vient à découvrir en elle des « profondeurs d’orgueil et de volonté propre », et qu’elle soupire après une seconde bénédiction, une pleine délivrance de tout péché. Cette délivrance, cette purification « de toute souillure de la chair et de l’esprit », Dieu l’accorde à la prière de la repentance et de la foi.

Cette délivrance est le fruit de l’œuvre propitiatoire de Christ ; « le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché. Nous la recevons, dit Wesley, comme ayant été acquise par lui, simplement en considération du prix qu’il a payé. Nous recevons cette grâce, non seulement de Christ, mais en lui. Car notre perfection ressemble à celle du sarment qui porte du fruit en restant uni au cep, et qui meurt lorsqu’il en est séparé. »

Arrivons au côté positif de la question. Dès la Conférence de 1744, Wesley la définit : « C’est aimer Dieu de tout son cœur, de toute sa pensée et de toutes ses forces. »

A la Conférence de 1759, il précise ainsi cette définition : « C’est aimer Dieu de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force. Ce qui implique qu’aucun sentiment mauvais, contraire à l’amour, ne reste dans l’âme, et que toutes les pensées, toutes les paroles et toutes les actions, sont dirigées uniquement par l’amour. » Il ajoute : « Nous nous en tiendrons à la Bible, et nous placerons la perfection aussi haut que l’Écriture la place, ni plus haut, ni plus bas que ceci : C’est le parfait amour de Dieu et de l’homme… Le pur amour régnant seul dans le cœur et dans la vie, voilà toute la perfection chrétienne. »

Dans son sermon le Chemin scripturaire du salut, Wesley dit : « Qu’est-ce que la perfection ? C’est l’amour parfait. C’est un amour qui bannit le péché, qui remplit le cœur, qui absorbe l’âme tout entière. »

Wesley n’a jamais accepté d’autre définition de la perfection chrétienne que celle-là. La question se ramenait pour lui à ceci : Est-il possible ou non d’accomplir la loi évangélique de l’amour ? Jésus-Christ, en nous donnant comme règle le sommaire de la Loi, nous a-t-Il donné un idéal irréalisable ? Quand il nous commande d’aimer Dieu de tout notre cœur et notre prochain comme nous-mêmes, serons-nous réduits à lui dire avec le mauvais serviteur : « Tu es un maître dur, qui récoltes où tu n’as pas semé. » Ne faut-il pas plutôt reconnaître que ce que Dieu ordonne il le donne, et que son commandement implique une promesse.

On peut trouver parfois l’exégèse de Wesley insuffisante ; mais il nous semble inexpugnable sur le terrain où il s’est placé. La perfection chrétienne, c’est le pur amour, et le pur amour est le droit de Dieu et le devoir de l’homme.

Ce principe, comment Wesley en a-t-il compris l’application ?

Wesley n’enseigne pas une perfection absolue, qui exclurait le progrès et rendrait toute rechute impossible, mais une perfection relative, en rapport avec la condition actuelle d’êtres finis et bornés. Cette grâce dérive tout entière de Christ, et nier qu’il puisse et veuille nous l’accorder, « nier qu’il veuille régner seul dans nos cœurs dès cette vie, c’est, dit Wesley, faire de lui un demi-sauveur. Qui donc exalte le plus Christ ? ceux qui veulent qu’il soit l’unique monarque de leur cœur, ou ceux qui ne lui accordent qu’une part de pouvoir sur leurs pensées et leurs sentiments ? Quels sont ceux qui l’honorent le plus ? ceux qui croient qu’il guérit toutes nos maladies et ôte tous nos péchés ? ou ceux qui disent : il ne peut nous guérir qu’en partie, et c’est la mort qui fera le reste ? »

Wesley n’a cessé d’affirmer la sanctification par la foi ; la foi, dit-il, est l’unique condition. « Quiconque croit est sanctifié, quelles que soient les autres qualités qu’il possède ou qui lui manquent. En d’autres termes, personne n’est sanctifié avant d’avoir cru ; tout homme qui croit est sanctifié dès l’instant où il croit. » Sur la nature de la foi par laquelle nous sommes sanctifiés, Wesley est très explicite. « Elle est d’abord la conviction que Dieu nous a promis, dans sa Parole, et qu’il peut faire ce qu’il a promis ; puis qu’il peut et veut le faire maintenant, et enfin c’est la certitude et la conviction qu’il accomplit cette œuvre à l’instant ».

Cette définition de la foi qui sanctifie n’est pas complète. Wesley n’a pas voulu dire : « Croyez que vous êtes entièrement sanctifiés, et vous l’êtes. » Comme nous l’avons déjà vu, c’est Christ, ici comme toujours, qui est l’objet de la foi ; c’est lui qui nous a été fait, de la part de Dieu, sanctification aussi bien que justice. Wesley était si loin d’oublier cette vérité qu’il déclarait bien haut que cette grâce ne peut se conserver que par la communion continuelle avec Christ. « Nul ne sent le besoin qu’il a de Christ et son entière dépendance de lui, autant que les chrétiens sanctifiés », écrivait-il à son ami Joseph Benson. « Car Christ ne donne pas à l’âme une lumière séparée de lui, mais en lui et avec lui. Aussi ses paroles s’appliquent à tous, à quelque état de grâce qu’ils soient parvenus : Comme le sarment ne peut porter de fruit par lui-même, s’il ne demeure attaché au cep, vous ne pouvez en porter si vous ne demeurez en moi. Notre perfection n’est pas comme celle d’un arbre, qui vit de la sève dérivée de ses racines ; mais comme celle du sarment, qui, uni au cep, porte du fruit, mais qui, séparé de lui, est coupé et jeté au feu. »

Cette mort au péché et ce renouvellement dans l’amour sont-ils graduels ou instantanés ? Wesley répond : « Peut-être est-il des personnes en qui cette grande œuvre s’accomplit graduellement, en ce sens du moins qu’elles ne savent pas le moment précis où le péché cesse d’exister en elles. Mais il est infiniment préférable, si Dieu le veut ainsi, que cette œuvre s’accomplisse en un instant, que le Seigneur détruise le mal par le souffle de sa bouche, en un moment, en un clin d’œil. Et c’est là ce qu’il fait en général ; la chose est assez évidente pour que tout homme qui n’est pas prévenu puisse s’en convaincre. »

Wesley compare ailleurs la délivrance du péché à une mort ; c’est d’ailleurs l’image employée par saint Paul (Romains 6.2).

« De même, dit-il, qu’un homme peut être mourant pendant quelque temps, mais qu’il ne meurt qu’à l’instant où l’âme se sépare du corps, ainsi le chrétien peut, pendant quelque temps, être mourant au péché ; toutefois, il n’est pas mort au péché, jusqu’à ce que le péché soit séparé de son âme ; et, à cet instant, il vit de la pleine vie de l’amour. »

Sans nier que l’on puisse arriver graduellement à la délivrance du péché, Wesley croyait donc que cette seconde délivrance est en général instantanée. Il enseignait qu’on y arrive en luttant avec Dieu, par la prière de la foi, et qu’on peut posséder l’assurance par le Saint-Esprit de l’entrée en possession de cette grâce. Son argumentation, sur ce point, s’appuyait, moins sur des déclarations bibliques, que sur l’expérience. Beaucoup de Méthodistes de son temps, et de tous les temps, déclaraient être en possession d’un sentiment profond et d’un témoignage assuré de leur pleine consécration à Dieu.

John S. Banks, un théologien wesleyen d’une grande autorité, fait des réserves sur ce point : « Wesley, dit-il, croit qu’il y a un témoignage direct du Saint-Esprit pour la sanctification comme pour le pardon. Mais, ni les raisons qu’il donne, ni les citations qu’il fait des Écritures, ne sont entièrement concluantes. Le changement amené par la première de ces bénédictions l’est dans l’attitude de Dieu envers nous, et requiert, ou du moins admet, une attestation extérieure. Mais, dans le second cas, le changement est tout entier en nous, et on peut s’attendre à ce qu’il brille de sa propre lumière. On ne saurait nier la possibilité de ce second témoignage direct ; mais sa nécessité n’est pas aussi évidente. On peut ajouter qu’il est rare. Aussi la théologie méthodiste n’y insiste guèrea. »

a – J. S. Banks, Manual of Christian Doctrine, pages 188-190.

Le chrétien, entièrement sanctifié, peut-il déchoir de ce haut état de grâce ? Wesley, qui avait commencé par répondre négativement à cette question, modifia ses vues, grâce à la réflexion et aux leçons de l’expérience. Il reconnut que, tant que l’homme est ici-bas, il est dans un état de probation, et qu’il peut, par conséquent, perdre les grâces reçues, en cessant de veiller et de prier. Mais n’allait-il pas trop loin dans l’autre sens, en disant : « C’est une chose très fréquente pour un chrétien de perdre plusieurs fois cette grâce, avant d’y être définitivement établi. » Il est permis de supposer que de telles personnes s’étaient fait illusion, et qu’un état de maturité spirituelle doit, en règle générale, préserver l’âme de retours en arrière.

Wesley prêchait la perfection chrétienne, parce qu’il la trouvait dans l’Écriture et dans l’expérience. Mais il voulait qu’on se gardât avec soin de placer cette grâce si haut qu’elle devînt inaccessible. Il écrivait à son frère Charles à ce sujet : « La perfection à laquelle je crois, je puis la prêcher avec hardiesse, car j’ai cinq cents témoins pour en attester la réalité. Mais vous déclarez ne pas connaître un seul témoin de la perfection telle que vous la prêchez. Il faut que vous ayez plus de courage que moi pour persister à la prêcher. Les parfaits que vous voudriez, il n’y en a pas sur la terre ; du moins, je n’en ai jamais rencontré, et je ne m’attends pas à en rencontrer. Placer la perfection si haut, cela équivaut à la nier. »

Il écrivait à un autre correspondant : « Ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur et tous les hommes comme eux-mêmes sont scripturairement parfaits. S’ils ne l’étaient pas, la promesse de Dieu serait une pure moquerie de la faiblesse humaine. Retenez fermement ce point. Mais, d’autre part, souvenez-vous que vous avez ce trésor dans un vase de terre ; vous habitez dans une pauvre tente d’argile fort secouée, qui pèse sur l’esprit immortel. Il en résulte que toutes vos pensées, vos paroles et vos actions sont si imparfaites, si loin de s’élever au niveau où vous devriez atteindre, que vous pouvez bien dire, jusqu’à ce que vous remontiez à Dieu : Seigneur, à tout instant, j’ai besoin des mérites de ta mort. »

Il résulte des termes de cette lettre que Wesley admettait de nombreuses imperfections chez les chrétiens parfaits. Il disait encore à une personne qui lui faisait part de ses doutes : « La sanctification (du moins à son degré inférieur) n’implique pas le pouvoir de ne jamais penser une pensée inutile, ou de ne jamais prononcer une parole inutile. Je crois qu’une telle perfection est incompatible avec la vie dans un corps corruptible, ce qui ne permet pas de penser toujours juste (to think right). Tant que nous respirons, nous pouvons nous tromper plus ou moins. Si donc la perfection chrétienne devait nous soustraire à tout cela, il faudrait ne pas l’attendre avant la mort. Soyez tout amour. C’est là la perfection à laquelle je crois et que j’enseigne. Elle peut se concilier avec mille désordres nerveux, ce qui n’est pas le cas de la perfection chimérique (high-strained). Mon jugement est qu’en cette matière, surfaire c’est défaire (to overdo is to undo), et que mettre la perfection trop haut, c’est le moyen assuré (quoique involontaire) de l’exiler du monde. »

Il convient maintenant d’examiner la notion du péché chez Wesley. Pour lui, le péché proprement dit, celui dont le croyant peut être complètement affranchi, c’est le péché conscient, la transgression volontaire de la loi divine. « Je crois, dit-il, qu’en cette vie, il n’y a aucune perfection qui exclue les transgressions involontaires, celles qui résultent naturellement de l’ignorance et des erreurs inséparables de l’humanité. Une personne remplie de l’amour de Dieu est encore sujette à ces transgressions involontaires. Vous pouvez, si bon vous semble, les appeler des péchés ; quant à moi, je ne le fais pas. » Il reconnaît que les omissions, les erreurs de jugement et de conduite, les infirmités de diverses espèces, qui se rencontrent chez les hommes les plus pieux, sont des déviations de la loi parfaite et qu’elles exigent une expiation ; mais il n’y voit pas des péchés proprement dits. Il appuie ce point de vue sur cette parole de saint Paul : « Celui qui aime a accompli la loi, car l’amour est l’accomplissement de la loi » (Romains 13.10).

A une personne qui lui demandait : N’y a-t-il donc aucun péché chez ceux qui sont parfaits dans l’amour ? Wesley répondait : « Je ne le crois pas ; mais, quoi qu’il en soit, ils n’en sentent aucun, ils n’éprouvent aucune disposition contraire au pur amour, aussi longtemps qu’ils se réjouissent, qu’ils prient et qu’ils rendent grâce continuellement. Je ne discute pas sur la question de savoir si le péché est suspendu ou éteint ; il me suffit qu’ils ne sentent en eux rien d’autre que l’amour. »

A ceux qui lui objectaient que le péché n’est pas détruit, mais seulement dompté, Wesley répondait : « Comme vous voudrez ; il n’en est pas moins vrai que ces personnes sont aujourd’hui tout amour, et qu’elles n’ont aucune crainte pour le lendemain. »

En résumé, la doctrine de l’entière sanctification n’implique pas, pour Wesley, la suppression absolue de tout péché, si l’on entend par ce mot les transgressions involontaires, mais la délivrance de toute désobéissance consciente et volontaire. On peut trouver qu’il restreint la notion du péché ; mais il est difficile de contester, l’Écriture à la main, que la délivrance du péché, dans le sens où il l’entend, ne soit une doctrine scripturaire et confirmée par l’expérience de l’élite des croyants.

2.5.8 L’assurance et le témoignage du Saint-Esprit

Le chrétien peut-il être assuré de son salut ? L’Église chrétienne, par la voix des docteurs des premiers siècles, comme par celle des réformateurs, l’a cru et enseigné. Cette doctrine s’est voilée dans les temps de tiédeur spirituelle, pour reparaître aux époques de réveil. Le Méthodisme lui a donné une place considérable dans son enseignement ; il affirme que le privilège du fidèle, est de posséder la certitude qu’il est sauvé, et que cette certitude n’est pas seulement indirecte, mais qu’elle résulte du témoignage du Saint-Esprit, qui, selon la déclaration de saint Paul, « rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. »

« C’est le devoir des Méthodistes, dit Wesley, de comprendre, d’expliquer et de défendre clairement cette doctrine ; car elle constitue une partie essentielle du témoignage que Dieu les a chargés de porter à tous les hommes. C’est par la bénédiction spéciale qu’il a fait reposer sur leur étude de l’Écriture, confirmée par l’expérience de ses enfants, que cette grande vérité évangélique qui, durant tant d’années, a été à peu près perdue et oubliée, a été remise en lumière. »

Wesley définit ainsi le témoignage de l’Esprit : « C’est une impression directe de l’Esprit de Dieu sur mon âme, par laquelle il témoigne à mon esprit que je suis enfant de Dieu ; que Jésus-Christ m’a aimé et s’est donné pour moi ; que tous mes péchés sont effacés et que moi, oui moi-même, je suis réconcilié avec Dieu. »

Ailleurs, il le décrit comme « l’attestation donnée par l’Esprit de Dieu à notre esprit et avec notre esprit. L’Esprit de Dieu est la Personne qui atteste, et ce qu’elle atteste, c’est que nous sommes les enfants de Dieu ».

« Cette impression immédiate et directe ne s’exprime pas, dit Wesley, par une voix extérieure, ni même toujours, quoique cela puisse se produire quelquefois, par une voix intérieure. Je ne suppose pas non plus que ce soit en appliquant au cœur un ou plusieurs passages de l’Écriture, quoique ce puisse être souvent le cas. Mais l’Esprit agit sur l’âme par son influence immédiate et par une opération puissante, quoique inexplicable, de telle manière que les vents et les vagues, s’apaisent et qu’il se fait un grand calme, le cœur se reposant doucement dans les bras de Jésus, et le pécheur recevant une pleine conviction que Dieu est réconcilié et que toutes ses iniquités sont pardonnées et ses péchés couverts. »

Wesley ne nie pas qu’il n’y ait ce qu’il appelle « un témoignage indirect ».

« Ce témoignage, dit-il, revient à peu près, sinon tout à fait, au témoignage d’une bonne conscience devant Dieu ; c’est le résultat rationnel de la réflexion sur ce que nous sentons dans notre âme. C’est, rigoureusement parlant, une conclusion tirée en partie de la Parole de Dieu et en partie de notre propre expérience. La Parole de Dieu affirme que celui qui a les fruits de l’Esprit est enfant de Dieu ; l’expérience, ou le sens intime, me dit que j’ai les fruits de l’Esprit ; donc, j’en conclus rationnellement que je suis enfant de Dieu. »

Ce témoignage extérieur, qui s’appuie sur un syllogisme, est-il le seul, et avons-nous bien le droit d’attendre et de réclamer un témoignage direct ? Wesley l’affirme, en s’appuyant sur Romains 8.15-16, et sur Galates 4.6. Ce dernier texte : « Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba, Père », ce texte surtout n’indique-t-il pas quelque chose d’immédiat et de direct, qui ne résulte ni de la réflexion, ni de l’argumentation ? Le Saint-Esprit peut-Il être dans l’âme régénérée sans y manifester sa présence ? Comment l’homme pourrait-il être l’objet d’une transformation aussi profonde, sans en avoir conscience ? C’est là le témoignage de l’Esprit de Dieu, agissant sur l’esprit de l’homme et l’amenant à se sentir véritablement enfant de Dieu et à lui donner librement le nom de Père.

Calvin restreint certainement la portée des textes des Romains et des Galates, en y voyant surtout l’affirmation de la liberté pour le chrétien de s’approcher de Dieu par la prière. Il y a plus que cela ! Abba ! Père ! c’est le titre nouveau, qui correspond à des relations nouvelles ; c’est la voix de l’Esprit d’adoption succédant à l’esprit de servitude.

Comme Wesley l’indique justement, ce témoignage ne revêt pas habituellement le caractère d’une révélation extraordinaire ; ce n’est pas une voix du dehors nous criant : « Mon fils ! » C’est une voix du dedans, criant à Dieu : « Mon Père ! » C’est une action directe de l’Esprit de Dieu sur notre propre esprit, y produisant un sentiment profond de réconciliation, de pardon et de paix. Cette distinction est importante pour écarter de cette doctrine l’accusation de favoriser l’illuminisme et le mysticisme.

Pour Wesley, la doctrine du témoignage du Saint-Esprit, enseignée dans l’Écriture, est confirmée par l’expérience des enfants de Dieu de tous les siècles.

« Elle a été confirmée, dit-il, dans ce siècle et dans tous les siècles, dans la vie et dans la mort, par une nuée de témoins.

Elle est confirmée par votre expérience et par la mienne. L’Esprit lui-même rendit témoignage à mon esprit que j’étais enfant de Dieu, il m’en donna l’évidence, et je m’écriai aussitôt : Abba, c’est-à-dire Père ! Et je le fis, comme vous aussi, préalablement à toute réflexion ou à toute assurance quant aux fruits de l’Esprit. Ce fut du témoignage une fois reçu que découlèrent ces fruits de l’Esprit : l’amour, la joie, la paix et tous les autres. Dieu me dit : Tes péchés sont remis, Jésus est ton Sauveur ! J’écoutai, et le ciel descendit dans mon cœur ! »

Wesley en appelle aux anciens docteurs de l’Église, à saint Augustin en particulier, et aux réformateurs, pour établir que cette doctrine a toujours été professée dans l’Église, sauf aux époques de sommeil spirituel. Son témoignage unanime est que « tout vrai chrétien a en lui-même une divine certitude que Dieu l’a reçu en grâce ».

Les chrétiens appelés à la vie spirituelle par le Méthodisme, faisaient profession de posséder cette joyeuse assurance. Mais, autour d’eux, d’autres chrétiens, épiscopaux ou dissidents, en contestaient la réalité. Ils y voyaient un produit de l’imagination ou d’une excitation malsaine. Et surtout, ils en contestaient l’utilité. « Le vrai témoignage, disaient-ils, c’est celui des œuvres, des fruits de l’Esprit ». On ajoutait : « Ce témoignage direct de l’Esprit ne nous met pas à l’abri des plus grandes illusions. Quelle confiance mérite un témoignage sur lequel on ne peut s’assurer, et qui doit chercher ailleurs qu’en lui-même la preuve de ce qu’il avance ? » Wesley répond : « Pour nous préserver de toute illusion, Dieu nous donne de notre adoption un double témoignage. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a joint. Réunis, les deux témoignages sont indubitables, et l’on peut s’y fier entièrement. Ils sont de nature à inspirer la plus haute confiance et n’ont pas besoin de chercher ailleurs la preuve de ce qu’il avance. »

Wesley conclut, d’une part, qu’il ne faut pas « s’appuyer sur un prétendu témoignage de l’Esprit, s’il est séparé des fruits de l’Esprit, la charité, la joie, la paix, la patience, la bonté, la douceur, la tempérance » ; et, d’autre part, qu’il ne faut pas s’appuyer sur de prétendus fruits de l’Esprit sans rechercher le témoignage direct de l’Esprit.

Wesley estime que le témoignage direct de l’Esprit de Dieu « doit nécessairement précéder celui de notre esprit », celui-ci étant la confirmation de celui-là. Voici le raisonnement sur lequel il appuie cette affirmation :

« Avant de nous sentir saints de cœur et de vie, avant que notre esprit puisse nous rendre témoignage que nous sommes saints, il faut que nous le soyons devenus au dedans et au dehors. Mais, pour être saints, il nous faut aimer Dieu, puisque c’est là la racine de toute sainteté. Et nous ne pouvons l’aimer que lorsque nous savons qu’il nous aime. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier. Or, c’est le témoignage de l’Esprit qui seul peut nous faire connaître l’amour de Dieu et nous assurer de son pardon. Puisque ce témoignage du Saint-Esprit précède tout amour pour Dieu et toute sainteté, il en précède aussi nécessairement le sentiment intérieur, ou, en d’autres termes, le témoignage de notre propre esprit. »

Wesley paraît avoir longtemps pensé que tout chrétien devait posséder ce clair témoignage intérieur. Il reconnaissait pourtant que certains chrétiens, dont il ne pouvait pas mettre en doute la sincérité, ne le possédaient pas : les uns parce qu’ils en ignoraient la possibilité, et les autres parce qu’ils nourrissaient des préjugés contre un tel témoignage. L’expérience semble avoir donné à ses vues sur ce point une plus grande largeur. Il reconnut que Dieu ne faisait pas passer tous les hommes par le même chemin.

« Je ne puis pas douter, écrivait-il en 1781, à Joseph Benson, que la foi chrétienne ne soit accompagnée de quelque sentiment que nous sommes reçus en grâce auprès de Dieu ; mais ce n’en est pas l’essence. La conscience du pardon ne peut pas être la conviction du pardon. »

Wesley reconnaissait que ce témoignage n’est pas toujours aussi clair et aussi vif, qu’il peut être obscurci par le doute, et que même on peut le perdre momentanément ou même définitivement. Il se séparait sur ce point des calvinistes.

« La pleine assurance de foi, écrivait-il dans son sermon sur la Libre Grâce, est la vraie base du bonheur du chrétien. Elle implique une ferme assurance que tous nos péchés passés sont pardonnés et que nous sommes maintenant enfants de Dieu. Mais il n’implique pas nécessairement une pleine assurance de notre persévérance future. Je ne dis pas qu’une telle assurance n’y est jamais jointe, mais qu’elle n’y est pas nécessairement impliquée. »

Wesley admettait bien que certains chrétiens peuvent, comme saint Paul, être assurés que rien ne les séparerait de l’amour de Dieu en Christ. Mais cette assurance est conditionnelle et n’implique pas l’impossibilité de perdre l’assurance du salut et le salut lui-même.

2.5.9 La persévérance finale

La persévérance des croyants est-elle conditionnelle ou inconditionnelle ? En d’autres termes, est-il possible qu’un croyant perde la grâce et soit finalement perdu ? Le calvinisme, fidèle jusqu’au bout à la notion de la prédestination absolue, répond : Il est impossible qu’un élu, prédestiné à la vie éternelle, périsse, quoi qu’il fasse. Les dons de Dieu sont sans repentance. Le salut, une fois acquis, est inamissible.

La pensée de Wesley sur ce point a subi quelques modifications. En 1743, désireux d’éviter de stériles disputes avec son ami Whitefield, il fit cette déclaration : « J’incline à croire que l’on peut atteindre dans cette vie un état duquel on ne puisse pas finalement déchoir, et que celui-là l’a atteint qui peut dire : Les choses vieilles sont passées ; toutes choses en moi sont faites nouvelles. »

Wesley ne maintint pas cette concession faite par amour de la paix. Tout au plus admit-il plus tard qu’un chrétien jouissant d’une sanctification avancée pouvait se sentir assuré de sa persévérance finale, sans que cette persuasion intime fût pour lui une garantie absolue qu’il ne retournerait pas en arrière. Wesley, d’accord avec le système arminien, affirme que la liberté de l’homme subsiste jusqu’au bout, et que, si des anges saints ont pu déchoir et périr, des pécheurs sanctifiés le peuvent à plus forte raison.

« Quelque assurance, dit Wesley, que Dieu puisse donner à certaines personnes, je ne trouve nulle part dans l’Écriture la promesse qu’aucun de ceux qui ont cru une fois ne peut périr définitivement. Toutefois, cette pensée est si agréable à la chair et au sang, tellement en harmonie avec les sentiments naturels de ceux qui ont goûté la grâce divine, que je ne vois rien que la puissance de Dieu pour en détourner ceux à qui on la présente. Il lui manque pourtant une qualité essentielle pour la rendre acceptable, je veux dire la preuve scripturaire simple et décisive.

Les arguments empruntés à l’expérience seule ne sauraient régler cette question. Ils prouvent simplement ceci : que notre Seigneur est infiniment patient ; qu’en particulier, il ne veut pas qu’aucun croyant périsse ; qu’il patiente longtemps, très longtemps avec toutes leurs folies, attendant, pour leur faire grâce et les relever de leurs chutes ; et qu’il ramène en effet au bercail beaucoup de brebis perdues, dont, au jugement de l’homme, le cas semblait désespéré. Mais, tout cela ne nous fournit pas une preuve convaincante qu’aucun croyant ne puisse déchoir de la grâce et n’en déchoie en effet. Cet argument, emprunté à l’expérience, pèse donc bien peu pour ceux qui croient qu’on peut déchoir.

Il est vrai que l’appel à l’expérience, invoqué par ceux-ci, ne convaincra pas non plus leurs adversaires. Si vous leur citez tant d’exemples de personnes qui furent fortes dans la foi, et qui sont maintenant profondément déchues, ils vous diront : Oh ! elles seront ramenées ; elles ne mourront pas dans leurs péchés. Mais, si elles viennent à mourir dans leurs péchés, l’adversaire en sera quitte pour vous dire : C’étaient des hypocrites ; ils n’ont jamais eu la vraie foi. C’est donc à l’Écriture seule à régler cette question, et elle le fait si clairement qu’il suffit d’en appeler à quelques textes. »

Wesley cite, entre autres, cette parole d’Ezéchiel : « Si le juste se détourne de sa justice et commet l’iniquité, toute sa justice sera oubliée, parce qu’il s’est livré à l’iniquité et au péché ; à cause de cela, il mourra » (Ézéchiel 18.24). Arrivant au Nouveau Testament, Wesley cite le texte 1 Timothée 1.19, où il est parlé de ceux « qui ont fait naufrage quant à la foi », expression qui implique une perte totale et définitive. Il rappelle la déclaration de Jésus, relativement à celui qui ne demeure pas en lui et qui, « comme le sarment, est coupé et jeté au feu » (Jean 15.6). D’autres textes encore sont cités par Wesley, notamment Romains 11.17 ; 2 Pierre 2.20 ; Hébreux 6.4-6 ; 10.38 ; Matthieu 5.13 ; 12.43-45 ; 24.10 ; 1 Corinthiens 9.27, etc.

A ceux qui lui disaient que, s’il en était ainsi, il n’y aurait plus de paix pour eux, Wesley répondait :

« Dans ce cas, votre paix repose sur un fondement peu solide. La mienne ne dépend pas de l’idée qu’un croyant peut ou ne peut pas déchoir, ni du souvenir d’une œuvre faite en moi hier ; mais du fait qu’aujourd’hui je connais Dieu en Christ, me réconciliant avec lui-même ; du fait qu’aujourd’hui je contemple la lumière de la gloire de Dieu dans la face de Jésus-Christ, que je marche dans la lumière comme il est dans la lumière, et que j’ai communion avec le Père et avec le Fils. Ma paix résulte de ce que, par grâce, je crois maintenant au Seigneur Jésus-Christ, et que son Esprit rend témoignage à mon Esprit que je suis un enfant de Dieu. Je trouve ma paix en ceci, et en ceci seulement, que je vois Jésus à la droite de Dieu ; que j’ai personnellement une espérance pleine d’immortalité ; que je sens l’amour de Dieu répandu dans mon cœur ; que je suis crucifié au monde et que le monde m’est crucifié. Trouvez, si vous le pouvez, une joie plus solide, de ce côté du ciel. Chercher un autre appui que celui-là pour la paix de son âme, c’est vous appuyer sur un roseau cassé, qui vous percera la main. »

En voyant le quiétisme malsain et l’antinomisme dangereux que produisait la doctrine de la persévérance inconditionnelle, Wesley en vint à la juger sévèrement comme « une doctrine empoisonnée ». Et il ne cessa de répéter aux chrétiens : « Que celui qui est debout prenne garde qu’il ne tombe ! »

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