Arnold Bovet, sa vie, son œuvre

IV.
Les études

Faites tous vos efforts pour joindre à votre foi la vertu, à la vertu la science…

2 Pierre 1.5

« Supposez un pont dont la construction vient d’être achevée ; toutes les précautions ont été prises pour en assurer la durée, et, à le voir, personne ne doute de sa solidité. Pourquoi ne le livre-t-on pas à la circulation ? Il n’a pas encore été mis à l’épreuve. Ce n’est que quand on y aura fait passer de lourdes charges, et qu’il sera demeuré ferme dans cet essai, qu’on le considérera comme propre au but qu’il doit atteindre. »

Ces quelques lignes du premier sermon qu’Arnold Bovet présenta à ses professeurs nous introduisent, mieux que tout autre préambule, dans une nouvelle période de sa vie. L’homme nouveau que Dieu avait créé en lui à Männedorf, l’instrument d’élite qu’il en voulait faire, avaient besoin, avant toute utilisation, d’être perfectionnés et soumis à des essais préalables. Cette épreuve fut triple :

Ce fut d’abord l’atmosphère de Grandchamp et la vie de famille.

À première vue, c’était là un examen peu redoutable ; et il semble qu’on eût pu mettre en regard, I’f dont le collégien de Lausanne désignait les interrogations « faciles ». S’il y a beaucoup à craindre, pour un chrétien que les circonstances entraînent dans un milieu grossier, haineux et impie, où sa foi sera combattue et raillée, quel danger peut bien courir un jeune homme dans sa propre famille, où il va respirer une atmosphère d’affection et de piété ? Que pouvait redouter Arnold au foyer si chaud que nous avons décrit ?

Que pouvait-il redouter ? Bien des choses. Il y a peut-être plus de péril pour l’âme nouvellement née, à affronter l’enveloppement un peu narcotique d’une piété large et facile qu’à subir le choc franc et direct de l’impiété. Il s’agissait de ne pas oublier l’avertissement si clairvoyant, sous sa forme étrange, donné par Mütterli à ses enfants dans la foi, quand elle les mettait en garde contre la « mondanité raffinée que beaucoup confondent avec un splendide christianisme. » Ce danger fut discerné également par le fidèle et vigilant Auguste Bächthold qui le décrit dans une lettre datée de Grandchamp et adressée à Männedorf. Arnold lui-même, grâce à la divine lumière dont son âme était pleine, sentit le péril subtil qui la menaçait. Il l’exprime par une pensée un peu étrange, notée dans son journal intime à la date du 30 mars 1862 : « C’est un grand désavantage de sentir que beaucoup de gens vous aiment : cela nuit à votre humilité, si cela ne l’augmente pas beaucoup. »

Combien facilement il eût pu laisser s’endormir son âme dans une douce somnolence, bercé et choyé par une religion qui mêlait agréablement une culture et une piété également sages, modérées, distinguées ! Il risquait d’y devenir un de ces chrétiens paisibles et honorés, que le monde apprécie tant et craint si peu, dont la vie facile et douce s’écoule sans luttes et sans ennemis, mais aussi sans vrai travail et sans vraies victoires.

Il n’est pas tombé dans ce piège. Ce qui l’en préserva, ce fut tout d’abord l’action persistante en son cœur, du christianisme de Männedorf. L’empreinte de l’âme de Mütterli sur la sienne avait été si profonde qu’elle ne put jamais s’effacer ; et quand les angles vigoureux et aigus de sa piété commençaient à s’émousser, une visite à Männedorf y remédiait. Mütterli, dans une apostrophe à la fois rude et tendre, avait vite fait de remettre son homme en place, dans ce bon atelier, l’outil reprenait sa trempe, son tranchant, son éclat.

Même privé de cette ressource, notre ami aurait difficilement pu s’abandonner à un christianisme trop large et accommodant. Il avait trop longtemps souffert des luttes de sa nouvelle nature contre la vieille, pour conserver quelques velléités de se réconcilier avec celle-ci, trop pleuré sur ses misères pour pouvoir encore en sourire, trop saigné de ses chutes pour n’avoir pas peur de sa propre faiblesse. Il continuait, à Grandchamp, l’examen intérieur quotidien qui, à Männedorf, l’avait gardé des illusions, et la rude discipline de l’Esprit lui était devenue trop précieuse et indispensable pour qu’il osât s’en affranchir un seul instant. Même transportée ailleurs, l’âme d’Arnold restait enracinée à Männedorf ; comme le lierre faible et flexible, elle se cramponnait au granit du christianisme strictement biblique, et ce qu’elle perdit en indépendance, elle le gagna en force.

Il faut le reconnaître aussi, Dieu prit soin que l’affection des parents pour leurs enfants ne devînt pas un danger pour ceux-ci. M. et Mme Philippe Bovet se rendaient bien compte que la piété rapportée de Männedorf différait de la leur ; et peut-être trouvèrent-ils, par moments, que ce christianisme comportait des renoncements exagérés, inutiles, contre-nature. Ils eussent pu être tentés de prendre à l’égard de ce piétisme si austère, si agressif et si envahissant, une attitude hostile, et d’en vouloir corriger les excès. C’eût été probablement faire beaucoup de mal en voulant faire beaucoup de bien. L’affection et l’humilité leur inspirèrent, à l’égard de leurs enfants, un tact et une sagesse rares. Dans l’âme des nouveaux convertis, ils respectèrent l’œuvre de Dieu, même sans la comprendre entièrement, ils s’abstinrent de toute réaction, et au lien de les appauvrir, ils se trouvèrent enrichis par eux.

Un autre examen qu’eut à passer la piété d’Arnold, ce fut l’affliction. Dieu, semblable à un sage architecte, enleva coup sur coup les appuis qui, jusqu’alors, avaient soutenu l’âme de son jeune serviteur, et dont il semblait que celui-ci eût encore le plus besoin. Il lui laissa longtemps sa mère, mais il lui reprit, en septembre 1862 Mütterli ; en février 1863, son père ; en janvier 1864 sa grand-mère maternelle.

Comment Arnold accepta le départ de celle qui l’avait, en quelque sorte, engendré en Christ, c’est ce que nous trouvons dans son journal intime, à la date du 6 septembre 1862 :

« Aujourd’hui est rentrée dans sa vraie patrie notre chère Mütterli, à l’âge de quarante-neuf ans. Que Dieu est bon de m’avoir encore accordé la grâce de la voir et de tout lui dire, et d’entendre de sa bouche des paroles si sérieuses et si encourageantes. Quel beau souvenir elle m’a laissé en me tirant ce verset : Deutéronome 29.12 : « Tu te présentes pour entrer dans l’alliance de l’Éternel ton Dieu, dans cette alliance contractée avec serment et que l’Éternel ton Dieu traite en ce jour avec toi, afin de t’établir aujourd’hui pour son peuple ! » Que ses paroles restent gravées dans mon cœur : « Je crois qu’il te faut veiller davantage. » Que tout ce que j’ai entendu là, Dieu me le remette en mémoire, pour que je devienne un saint. Il faut que Jésus-Christ devienne lui-même, pour ainsi dire, « ma Mütterli ». Il faut qu’il me pousse en avant, il faut qu’il m’avertisse comme elle m’avertissait. Que serais-je, mon Dieu ! dans ce moment, si je n’avais été à Männedorf ? Que serais-je ? Le plus misérable des pécheurs, averti plusieurs fois, et toujours froid, toujours endurci ! Il faut maintenant que je devienne réellement sérieux, c’est la dernière voix d’avertissement qui me parvient de Männedorf, et certes, il ne s’en lèvera pas de sitôt une si puissante ! »

La même note, à la fois douloureuse et confiante, retentit dans une lettre d’un autre disciple de Männedorf : « Mütterli est morte, quelle tristesse ! Dieu nous reste, quel bonheur ! »

Celui qui avait appris à Arnold Bovet à marcher sans béquilles, devait aussi lui enseigner, jour après jour, à avancer virilement dans le dur chemin de la vie, sans autre appui que sa grâce.

La fidélité du Dieu qui lui restait, devait éclater, de façon merveilleuse, lors de la grande secousse que produisit la mort de son père, arrivée le 13 février 1863.

Les derniers mois de la vie de Philippe Bovet avaient été marqués par un vrai renouvellement de sa foi et de son amour, grâce aux prédications du pasteur Rosselet, de Cortaillod. Le soleil, avant de disparaître, a de ces rayons puissants, qui percent les nuages accumulés dans la journée. Philippe Bovet était sujet à des migraines fréquentes, et ses affaires, dont il n’aimait pas à partager avec d’autres les difficultés, lui donnaient des soucis qui devaient le ronger lentement. Sans qu’on s’en doutât, il était atteint d’une maladie de cœur. Le 10 février, au sortir d’un repas, on le vit s’affaisser. Transporté dans sa chambre, il vécut encore trois jours de grandes souffrances. Il n’avait que cinquante-trois ans. Félix, son gendre, était en Italie. Ce que fut, pour Arnold, le départ inattendu et prématuré de son père, on le devine, quand on connaît la chaleur de cœur de ces deux hommes et les liens si étroits qui les unissaient. Pourtant, c’est dans l’enlèvement des appuis humains qu’apparut, en sa solide beauté, l’œuvre de Dieu dans l’âme de son jeune serviteur. Pendant que ses lèvres baisaient le front glacé de son père, sa foi le contemplait avec certitude dans le repos du ciel ; et s’il pleura, ce ne fut pas «&nnbsp;comme ceux qui sont sans espérance ». Dieu fit pour lui encore davantage.

Surpris par la mort, M. Bovet n’avait pas eu le temps de mettre en ordre ses affaires. Cette tâche revint à son fils qui, pour mieux s’en acquitter, interrompit ses études. Dans cette phase de sa vie se révélèrent déjà et se développèrent sensiblement les aptitudes dont son Maître l’avait outillé à l’avance, en vue des besognes les plus disparates et les plus inattendues. Ce qu’il apprit alors devait lui servir plus tard, dans son ministère parmi les malheureux ; et, bien souvent, on attribua aux expériences de cette période, le coup d’œil et l’ingéniosité qui caractérisèrent son intervention dans les situations les plus embrouillées, la facilité avec laquelle il trouvait le remède aux revers des autres, et l’art avec lequel il aidait les malheureux à tirer parti, dans l’infortune, des restes de la prospérité.

Dans sa correspondance de ce temps-là, dominent une inaltérable bonne humeur et une sorte d’acharnement à rendre grâces « pour toutes choses .»

À propos d’une lettre du pasteur Bonnet, de Francfort, il écrit : « Il fait bon correspondre avec des gens qui remplissent trois pages d’amour et une petite dernière d’affaires. » Plus tard, parlant de locataires qu’on cherchait pour le Chalet de Grandchamp, il s’exprime ainsi : « Dieu dirige tout comme il l’entend ; il est évident que, dès qu’il lui plaira de nous envoyer, et Américains, et fabricants, et de nous mettre bien à flot, c’est tout à fait comme il voudra. Il n’a qu’à dire un mot, et, certes, ce mot, il le dira, dès qu’il verra que cela nous fait plus de bien que de mal… Enfin, tout dépend de Dieu, c’est mon système, et il ne faut pas courir à droite et à gauche, se remuer, se faire du mauvais sang… plus encore que les gens du monde ne s’en feraient ! »

Nous entendons d’ici les cris de la sagesse humaine « Voilà bien ces chrétiens qui, sous prétexte de confiance en Dieu, laissent tout aller à la dérive, et confondent la foi avec la négligence ! »

N’accusez pas trop vite ! Arnold Bovet ne laissait rien aller, et sa foi n’était pas de la négligence. À l’occasion, il savait parfaitement, sans s’agiter, se porter à droite et à gauche, débattre et examiner, combiner et même réclamer. Dans une de ses lettres où il y a « trois pages d’amour et une petite dernière d’affaires », il écrit à sa mère qu’il est allé à Chez-le-Bart, en voyage commercial, et il ajoute : « L’affaire C. s’éclaircit, ses réclamations sont complètement absurdes, j’ai les pièces nécessaires pour le lui prouver et tout ira bien. »

Ces arrangements de succession amenaient bien des renoncements et des sacrifices. Voici les plaintes qu’ils suggéraient : « Dieu nous comble réellement de biens ; il fait semblant de nous châtier et, au fond, il nous tire de tous les embarras ! Nous devrions entonner un chant de reconnaissance ! »

Dans une autre lettre « d’affaires », c’est un vrai tressaillement d’amour : « Mon livre (celui de ses opérations financières), mon livre va bientôt n’être plus qu’un monument de la grande bonté de notre Dieu qui nous a aidés à surmonter toutes les difficultés, au commencement si difficiles à vaincre. »

Arrivé au terme de cette période, il en résumait les impressions par cette boutade qui le peint si bien : « Dieu a continué le système de gâteries qu’il avait adopté dès longtemps avec nous ! »

C’est ainsi qu’à Grandchamp, le cœur de notre ami traversait les « auditoires » de l’adversité, pendant qu’à Neuchâtel, son esprit traversait ceux de la science. Qui dira dans laquelle de ces deux écoles son âme apprit les meilleures choses ?

Le troisième examen auquel Dieu soumit la piété de son enfant, ce furent les études théologiques.

C’est une épreuve sérieuse pour la piété des futurs pasteurs que les années d’études. Bien souvent, le premier contact avec les problèmes scientifiques produit chez eux une sorte d’effondrement de leur foi. On en voit qui, en peu de temps, passent de l’orthodoxie la plus raide au scepticisme le plus complet ; n’étant plus chrétiens, ils renoncent à devenir pasteurs. D’autres s’obstinent dans la carrière, mais leur foi est si pauvre, qu’en eux l’apôtre est mort, l’homme végète, le fonctionnaire seul survit.

C’est à cause de cela que tant d’excellents chrétiens éprouvent une horreur instinctive et non dissimulée pour les études théologiques, et regardent les Facultés comme autant de foyers d’erreur et d’incrédulité, comme des écoles d’orgueil et des repaires de Satan.

Arnold Bovet n’était pas très loin de cette idée pendant son premier séjour à Männedorf ; il frémissait d’indignation en apprenant que dans plusieurs chaires de Zurich, les pasteurs ne prêchaient guère qu’un vague déisme et en entendant M. Quinche lui révéler que les derniers versets de l’Évangile selon Saint-Marc, ces précieuses promesses de guérisons, étaient fortement attaqués par la critique.

Néanmoins, désirant arriver au pastorat par les voies régulières, il affronta loyalement et joyeusement l’épreuve des études.

Il avait compris que la vérité divine n’a rien à craindre d’un examen consciencieux, et qu’elle serait bien peu vraie et bien peu divine, s’il suffisait de la creuser pour la détruire. Étranger au fétichisme de certains pasteurs pour la science, il ne partageait pas celui de certains laïques pour l’ignorance. Jésus-Christ avait choisi, il est vrai, ses meilleurs disciples parmi des pêcheurs sans culture ; mais, pour en faire ses plus grands apôtres, il avait aussi choisi des savants et des penseurs, comme Paul et Apollos ; et la deuxième épître de Pierre nous exhorte à joindre à la foi, la science. Si un homme de Dieu veut être en mesure de parler du Sauveur aux représentants de la science, il ne faut pas qu’il paraisse mépriser celle-ci, par dépit de ne pas la posséder.

On peut dire que, loin de se perdre dans le dédale des questions théologiques, la foi d’Arnold Bovet s’y fortifia et s’y enrichit.

Plusieurs circonstances ont contribué à ce résultat. Tout d’abord, l’étudiant s’est tenu à l’écart de ce qu’il jugeait dangereux. Il est allé à Tubingue pour entendre Beek, il n’y serait pas allé pour écouter Baur. Cet ostracisme à l’endroit des princes de la critique ne lui a guère coûté, et ce n’est pas à propos de la science pure et de ses représentants, qu’il aurait prononcé sa petite phrase : « Je m’abreuve de renoncements. » La fascination que certaines questions exercent sur les esprits curieux et spéculatifs, n’existait pour ainsi dire pas pour lui. Il avait saisi le christianisme comme une guérison et un salut, et les problèmes de la métaphysique ne faisaient qu’effleurer son esprit. Constitué intellectuellement comme il l’était, il a eu peut-être moins de mérite que d’autres à fuir les pièges de la mauvaise curiosité et à ne pas se perdre en des recherches qui ne l’attiraient pas.

De plus, il a fait la plus grande partie de ses études à Neuchâtel. Le professeur qui exerça sur lui la plus profonde influence fut Frédéric Godet, assez éminent en science pour éclairer pleinement son esprit, assez éminent en piété pour enrichir son âme. C’est chez cet homme de Dieu qu’Arnold prenait, chaque jour, son repas de midi. Les propos de table du savant étaient, pour l’élève, une nourriture exquise et substantielle ; et, de temps en temps, il y avait des extras. Tel jour, l’invité de marque se trouva être le futur empereur Frédéric III, tel autre jour, le pasteur Louis Meyer, de Paris, dont l’enthousiasme brûlant pour Luther et Zinzendorf se communiquait au jeune étudiant.



Frédéric Godet (1812-1900)

La Faculté de théologie de Neuchâtel, loin de mettre légèrement en péril la foi de ses élèves, veillait sur elle avec un soin jaloux. Les professeurs se souvenaient qu’ils avaient à former, avant tout, des conducteurs d’églises ; et leur effort tendait à ce but.

Plus peut-être que ses professeurs, ce qui veillait sur la foi du jeune étudiant, c’était la présence invisible de celle qui l’avait fait entrer, par sa parole et par ses prières, dans le cœur même de la vérité éternelle. Il n’est pas très étonnant que le premier choc des questions théologiques ébranle la foi de beaucoup de jeunes gens. Chez plusieurs d’entre eux, cette foi se compose de traditions de famille ou d’opinions reçues, sans contrôle personnel, sans expériences faites. Pour acquérir les convictions fortes qui feront d’eux de vrais pasteurs, il faut qu’ils se rebâtissent, en quelque sorte, leur christianisme, sur les ruines de leur foi d’enfants.

Arnold n’avait pas, autant que d’autres, à craindre cet effondrement, parce que sa piété avait passé par la fournaise, non d’une crise intellectuelle, mais d’une crise morale, d’où son âme était sortie trempée et purifiée comme un bon acier. La rude discipline spirituelle de Männedorf suivait l’étudiant dans sa nouvelle vie et les échos de la voix de Mütterli continuaient l’œuvre si bien commencée.

Le souvenir des morts et les prières des vivants ne sauraient préserver celui qui ne sait pas veiller sur lui-même ; et, mieux que toute influence extérieure, ce qui conserve le mystère de la foi, c’est une conscience pure. À tout jeune homme qu’effleure le doute, nous dirions volontiers, non pas : « Garde ton ignorance » — mais : « Garde ton cœur ! » La crise de la foi chancelante ne devient vraiment dangereuse, et même coupable, que lorsque la secousse intellectuelle se complique d’une crise morale. L’Ennemi commence par insinuer : « Quoi ! Dieu a-t-il réellement dit ? » À celui qui l’écoute, il s’empresse de présenter le fruit défendu… : « Vous ne mourrez nullement! » Le doute-souffrance devient alors le doute-oreiller qui endort la conscience et amène les chutes morales. Le jeune homme qui suit ce chemin glissant est bien à plaindre ; il se pourrait que sa foi fût perdue à jamais, car on ne construit pas sur de la boue.

La tentation de l’impureté, Arnold Bovet l’a connue. Mais s’il en a souffert, il l’a aussi vaillamment et victorieusement combattue. Pour garder sa foi, il a gardé son cœur. Avec quel soin il « fuyait la corruption », un seul trait suffit à le montrer :

Pendant qu’il faisait ses études préparatoires à la théologie, ses camarades expliquaient, avec M. Prince, les satires d’Horace — lui-même faisait la même tâche à la maison. Par suite d’une erreur de chiffre, il traduisit une satire lascive. Il demanda à Dieu d’en effacer dans son cœur le souvenir, et Dieu exauça sa prière. Cette horreur pour l’impureté l’accompagna dans toute sa vie, aussi fidèlement que l’eût suivi la tache reçue, si elle n’avait été aussitôt lavée.

Pour présenter Arnold Bovet étudiant, nous n’avons qu’à céder la plume à un de ses meilleurs amis, dont les souvenirs ont conservé toute leur fraîcheur et tout leur charme, M. le pasteur Borel-Girard, de La Chaux-de-Fonds :

« C’était un dimanche du mois d’août de l’an 1861, j’assistais au culte, dans la Collégiale de Neuchâtel. Je revois le lieu, et il me serait facile de l’indiquer, malgré tous les remaniements qu’a subis l’intérieur de ce vénérable édifice. Deux messieurs vinrent se placer tout près de moi. L’un d’eux boitait assez bas. Ils suivirent attentivement la prédication, donnant çà et là des signes d’adhésion aux paroles qu’ils entendaient ; mais, ce qui me frappa plus encore que leur attention, ce qui était alors, chez nous, un fait inouï, c’est que l’un d’eux, tirant un carnet de sa poche, se mit tout de suite à prendre des notes. Je conçus un respect profond, mêlé de quelque vague appréhension, pour un étranger qui se permettait de telles libertés dans un temple.

« Quelle ne fut pas notre surprise, le lendemain, en voyant le monsieur « à notes » se présenter à nos cours, et nous faire part de son intention de les suivre avec nous comme un simple étudiant. Il n’était, disait-il, que de deux ou trois ans plus âgé que nous, et nous ferions bon ménage ensemble. Nous demandons au nouveau venu son nom. « Arnold Bovet », nous répondit-il. Sachant qu’il venait de Grandchamp, qu’il était le fils de M. Philippe Bovet, nous nous sentions gênés en présence de ce camarade qui était évidemment un monsieur ; mais lui, nous disait avec bonne grâce : « Je suis Bovet, appelez-moi de mon nom, et vous, dites-moi les vôtres. » Bientôt le nom de notre ami fut remplacé par son prénom, et ce prénom-là, lui-même, devint le diminutif. Monsieur Bovet, Bovet, Arnold, Noldi, l’histoire de nos relations est tout entière dans ces quatre mots.

« Le temps où nous fîmes connaissance était un bon temps. Un souffle de réveil passait depuis quelques mois sur un certain nombre d’étudiants. Nous pensions à la théologie, et l’œuvre de Dieu s’accomplissait dans nos cœurs. Aussi étions-nous préparés à recevoir l’influence très sérieuse, très forte, qu’Arnold a exercée sur nous, mais qui, un peu auparavant, nous eût semblé excessive.

« Il revenait de Männedorf, il avait entendu Mütterli et Samuel Zeller ; les noms de cette sainte femme et de cet homme de Dieu, alors dans la première efflorescence de sa force, revenaient fréquemment sur ses lèvres ; il parlait d’eux avec une ardeur, une émotion que nous ne partagions qu’en partie, à laquelle nous avions peur de nous abandonner, car cela contrastait avec l’esprit plus réservé, plus positif, plus froid, des milieux qui étaient les nôtres. Surtout, nous prenions en bloc et au pied de la lettre les passages de Saint-Paul relativement à l’enseignement de la femme. Comme si Dorothée Trudel, la sainte mère de la famille de Männedorf, s’était jamais attribué le rôle de docteur ! Arnold refusait de discuter avec nous ; large comme il le fut toujours, il nous disait : « Nous ne sommes pas d’accord sur ce point, au lieu d’y revenir, réservons-le. »

« Les « auditoires » de Neuchâtel, comme on appelait alors les deux classes supérieures du Collège de cette ville, avaient le bonheur de posséder, parmi leurs professeurs, des hommes du plus haut mérite : MM. Charles Prince, philologue éminent, pour qui les moindres nuances de l’expression devenaient à chaque mot, comme le disait son ami Frédéric Godet, la révélation du fond des choses ; Charles Secrétan, l’auteur de la Philosophie de la Liberté, l’esprit le plus spéculatif que la Suisse française ait jamais produit ; Félix Bovet surtout, au sujet duquel nous écrivions naguère : « C’était un professeur de génie ! » Jamais enseignement ne nous a fascinés, conquis, autant que celui-là. Les étudiants savaient gré à un tel maître de la simplicité avec laquelle il se mettait à leur portée, et leur reconnaissance s’exprimait par l’affection toute particulière, je dirai filiale, qu’ils éprouvaient pour lui, et par le zèle avec lequel ils recevaient et cherchaient à prolonger son enseignement.

« Comment Arnold Bovet mit-il à profit les trésors, si largement ouverts devant nous ? Il se distinguait entre tous par son assiduité et son travail fidèle, et il a conservé de ses études littéraires et philosophiques, un excellent souvenir, bien que le décousu de ses études antérieures l’eût mal préparé à goûter les beautés de Tacite et d’Eschyle, que ses expériences religieuses le missent en défiance à l’égard de la philosophie, et que la tournure de son esprit lui fit apprécier moins qu’à d’autres les charmes de la littérature française. Sa supériorité était d’un autre ordre : il était avant tout une âme chrétienne. L’influence de cet étudiant si pieux et, avec cela, si joyeux et si bienveillant, ne tarda pas à se dégager, et sa personne devint un centre vers lequel se portaient les éléments sérieux de notre promotion.

« Charles Porret, dans l’allocution qu’il a prononcée aux obsèques, a parlé d’une manière heureuse de cette petite chambre de la rue des Épancheurs, qui fut celle de notre ami Bovet. Arnold s’était logé là pour n’être pas trop éloigné du Collège où se donnaient tous les cours, car son infirmité le tenait dans une continuelle dépendance. Faut-il ajouter que nous nous sentions d’autant plus attirés vers un camarade qui n’avait pas la liberté dont nous jouissions ? Cela nous aidait aussi à mieux comprendre ce que nous avions.

« En 1863, nous fîmes ensemble nos examens d’entrée en théologie. Quel grand jour que celui-là ! Nous étions six, dont quatre devinrent dans la suite d’inséparables amis : Arnold Bovet, Charles Porret, Georges Godet et moi-même. Bovet était évidemment le premier des quatre, et le premier de nous tous. Il l’était par son âge, il avait deux ans de plus que nous ; par sa maturité, il avait beaucoup souffert ; par le fait des circonstances, il avait perdu son père au cours de nos études préparatoires ; il l’était par l’autorité que nous lui conférions tous. Néanmoins, si mes souvenirs me servent bien, il ne fut pas notre Modérateur. Pourquoi ? je ne saurais le dire.

« Quel temps heureux que celui de nos études à l’ancienne Faculté de théologie de Neuchâtel ! Les cours se donnaient, pour la plupart, dans une salle du Collège latin. C’est là que nous eûmes l’inappréciable avantage d’entendre M. Frédéric Godet commentant l’Évangile de Saint-Luc, puis l’Épître aux Romains, et nous initiant par son « Introduction générale », et surtout par son « Introduction particulière », aux richesses du Nouveau Testament.

« Nous avions encore pour professeur régulier M. Cél. Dubois, très érudit, homme d’une grande modestie et d’une fidélité à toute épreuve, dont l’humilité et la bonté firent sur nous, plus que ses leçons d’histoire ecclésiastique, d’homilétique et de théologie pastorale, une ineffaçable impression. M. Louis Nagel était alors simplement professeur adjoint ; avec lui, nous faisions l’exégèse hébraïque, dans laquelle nous étions, pour la plupart, d’une force moyenne, très moyenne, et le cours de critique, dont les grandes hardiesses étaient, pour lors, la distinction possible entre l’Élohiste et le Jéhoviste.

« Le soir, à six heures, nous nous retrouvions aux leçons de M. Diacon. Celui-ci, notre troisième professeur ordinaire, avait pour branche d’enseignement la théologie systématique ; les leçons se donnaient au domicile du maître. M. Diacon, esprit fin, homme lettré, orateur de mérite, aurait rendu à ses élèves de véritables services, s’il se fût attaché à leur faire connaître les ouvrages de nos théologiens de langue française, et s’il eût continué les traditions de ces maîtres ; mais ses cours, toujours les mêmes depuis des années, n’étaient guère qu’une traduction, en un français douteux, d’auteurs allemands, dont les noms nous faisaient sourire.

« Ces deux années passées à Neuchâtel, où nous allions du grave au doux, du plaisant au sévère, furent pour nous un temps dont le souvenir nous est resté cher. Nous achevâmes de nous lier, préparant ainsi les relations qui devaient s’établir entre nous en Allemagne et dans la vie. »

♦ ♦ ♦

C’est au mois de juin 1864 qu’Arnold Bovet donna à la Faculté son premier sermon ; on dit là-bas « rendre une proposition », sur ce texte : Romains 5.3-4 « L’affliction produit la patience, la patience l’épreuve et l’épreuve l’espérance. »

Il serait cruel de juger un prédicateur sur ses premiers essais. Ils sont, à l’ordinaire pauvres en expériences et riches en prétentions, comme leurs auteurs. Dans son premier sermon, le « proposant » a une tendance à parler « de omni re scibili, et quibusdam aliis » ; toutes les branches de la théologie s’y rencontrent et s’y confondent avec les rites juifs et païens, la littérature grecque, l’histoire romaine, sans parler des citations tirées du dernier ouvrage paru. Plus tard, la nécessité de faire un sermon au moins par semaine contraint le jeune pasteur à serrer son texte de plus près, à y introduire moins de choses et à en extraire davantage.

Les débuts d’Arnold furent plutôt heureux. Son sermon, précédé d’un exorde un peu trop long, est conçu et construit selon les règles dont il devait s’affranchir plus tard, c’est-à-dire en trois points. Mais, dans ce vieux cadre, se rencontrent des pensées originales et qui dénotent une étonnante maturité. On trouve dans ce premier essai les expériences accumulées de toute la jeunesse de l’étudiant.

Il faut croire qu’il n’en fut pas mécontent lui-même, car, avec quelques retouches, ce sermon a été prêché seize fois, entre autres à Neuchâtel, à Stuttgart, à Berlin, à Paris (chapelle du Luxembourg), à Francfort, à Berne, et une dernière fois, en 1885, à Berthoud.

Les productions qui suivirent furent moins heureuses. Le 6 mai 1865, Arnold écrit avec sa franchise ordinaire : « J’avais cru, d’après ma première proposition, que j’aurais du talent, au moins un peu de talent ; mais je vois, par les deux que j’ai faites depuis, que j’aurai beaucoup de peine à prêcher quelque chose qui vaille. Cela m’humilie, mais me fait beaucoup de bien, en me poussant à la prière, et en me forçant à ne pas m’appuyer sur moi-même. Si la prédication était facile pour moi, je tomberais aisément dans un genre que je déteste, c’est-à-dire que je risquerais de prêcher sans me donner grand-peine, et sans grand amour pour les âmes. Quand je pense que Zinzendorf tremblait avant de parler, et quand je me rappelle la légèreté et le contentement de moi-même avec lesquels j’ai prêché mon premier sermon, cela me montre que je suis encore bien loin, bien loin d’être un homme de Dieu en règle. Mais tendons-y !»

Sa quatrième proposition n’eut pas plus de succès. Il écrit le 29 mai : « On m’a moins reproché le style que la fois précédente ; mais on a trouvé qu’il n’y avait pas de force, que c’était délavé. M. Petavel a dit que c’était « des bonnes choses du bon Dieu ». M. Diacon, « que ce n’était pas un sermon que j’avais fait là ! » Un autre, « que c’était bon pour un cercle d’amis, mais pas pour un auditoire d’église. » M. Nagel a reconnu « ma bonhomie ;». M. Diacou a ajouté que « je causais beaucoup avec des chrétiens à droite et à gauche, et qu’il avait remarqué, dans mon sermon, des tendances moraves, luthériennes et darbystes. » Tout ceci n’allait pas très profond, comme tu peux le penser ; cela humiliait mon vieil homme, voilà tout. Mais un reproche qui m’a fait de la peine parce qu’il est juste, c’est que je ne travaille pas assez. Je travaille longtemps, c’est évident, mais pas avec assez d’énergie ; je ne subjugue pas mes matières. J’espère profiter de la leçon, et travailler désormais avec plus de nerf et de courage. »

Dans le même temps il écrivait qu’il avait entendu M. Rognon « le premier prédicateur national de Paris », et il ajoutait : « C’était bien, mais pourtant pas cette délicieuse musique, et le bon goût parfait de M. Bersier. »

Il était d’usage, dans l’ancienne Faculté de théologie de Neuchâtel, et cela se pratique encore, qu’après quatre semestres consécutifs, les étudiants se rendissent dans quelque Université étrangère. Arnold Bovet se décida pour Tubingue où il arriva, après un petit séjour à Francfort et au Johannisberg, le 20 octobre 1865. Il y passa trois semestres.

Les Allemands ne croient pas que, pour prospérer, une Université, doive être nécessairement dans une grande cité. Plusieurs de ces foyers scientifiques sont installés dans de modestes localités, et presque à la campagne. Loin de nuire aux études, cet isolement leur est très favorable. La vie de la petite ville est comme absorbée par celle de l’Université, autour de laquelle tout gravite. Les bons bourgeois ne paraissent être là que pour loger et nourrir les étudiants dont ils subissent les espiègleries avec une résignation où il entre même un peu d’orgueil. Pour les étudiants, l’absence de distractions artistiques n’est pas un bien grand mal ; la vue d’une nature riante et paisible, l’air des champs et des forêts, contribuent à rendre moins aride et austère leur vie studieuse.

Étant donné l’amour d’Arnold Bovet pour le recueillement, la campagne et la simplicité, on ne s’étonnera pas qu’il ait apprécié le séjour de Tubingue autant que d’autres l’eussent dédaigné. La première fois qu’il quitta l’Université pour passer quelques jours de vacances à Boll, il écrivit : « J’aime tant mon Tubingue, mon harmonium, ma robe de chambre, ma lampe, mon Gesenius, que je regrettais de quitter cette brave petite vie ! »

Au surplus, une lettre écrite à sa mère va nous rendre dans toute leur fraîcheur ses premières impressions :

« Me voilà donc à Tubingue. Les choses longtemps prévues finissent par se réaliser une fois, et leur réalisation est souvent plus simple qu’on ne croyait. On trouve le même Arnold à Tubingue qu’à Neuchâtel, et la vie est toujours la vie. Mais je sais d’avance que j’aurai bien des petites heures solitaires, et je m’en réjouis, j’espère en profiter… Je suis arrivé ici vendredi à 8 heures et demie, après une bonne nuit passée en chemin de fer. J’ai trouvé, en entrant dans ma charmante petite chambre, très bien éclairée, une foule de lettres sur ma table. Je fis appeler Porret qui demeure dans la même maison, et fus heureux de trouver tout de suite un visage et un cœur amis. Nous allâmes à 10 heures entendre Œhler (Introduction à l’Ancien Testament) et à 11 heures Beek (Dogmatique, deuxième partie). Je compris tout ; seulement j’ai passablement de peine à prendre des notes, parce que je n’écris pas l’allemand assez couramment, et que, pour traduire à mesure, il faut plus de présence d’esprit et de mémoire que je n’en ai. Beek est tout à fait l’homme que je pensais, seulement il produit une impression moins imposante que je ne m’y attendais. Il a fait une petite allocution d’entrée où il a insisté sur la vie intérieure, qui m’a beaucoup plu…

« J’ai une charmante chambre, comme tu vois d’après mon dessin. La vue est très paisible et très étendue. À quarante pas de la maison, coule le Neckar dont elle est séparée par des jardins. Du côté de la rue, ma chambre est au premier étage, et du côté du Neckar, au quatrième. Au delà de la rivière est une promenade, puis une petite forêt qu’on peut facilement atteindre, grâce à un petit pont en bois ; puis, plus loin, s’étendent les prés et les champs, jusqu’aux collines qui, à une demi-heure ou à une heure d’ici, ferment l’horizon. »

Pour compléter les impressions d’Arnold, donnons encore une fois la parole à son ami Borel-Girard :

« Arnold Bovet partit pour Tubingue où il trouva Charles Porret. Je fus le rejoindre au printemps de l’année suivante. L’association fut rompue par la maladie qui prit le brave Porret, une céphalalgie persistante, qui l’obligea de retourner au pays. Au commencement du semestre d’hiver, nous vîmes arriver des amis d’ailleurs : P. de Montmollin, G. Godet, A. DuPasquier vinrent de Göttingue ; J. Glardon, E. Brocher, de Genève ; J.-A. Porret, P. Montandon, de Lausanne ; S. Berger, H. Meyer, P. Farel, de France. Nous finîmes par être une douzaine.

« Ce qui attirait à Tubingue, ce n’étaient pas les cours de Palmer, ni ceux de Weiszäcker, ni ceux de Landerer, bien que le premier eût une certaine renommée pour la théologie pratique, que le deuxième passât pour un critique très informé et très sagace, et que le dernier fût un puits de science, dont la clef était un peu perdue pour nous, à cause de son débit que les Allemands eux-mêmes avaient un peu de peine à comprendre. Ce n’était pas même Œhler, dont les leçons sur la théologie de l’Ancien Testament jouissaient alors d’une autorité que la critique a complètement ruinée. Non ! le prestige, la gloire de Tubingue, dans les années dont nous parlons, c’était l’enseignement de Jean-Tobias Beck. Qui n’a pas entendu cet homme, n’a pas eu le bonheur de connaître un des plus grands théologiens de notre époque, profond comme un penseur de génie, croyant comme un enfant, simple comme un brave homme. Beek confirmait, de son autorité supérieure, tout ce qu’on nous avait dit de la Bible dans le milieu d’où nous venions ; il nous apprenait à en découvrir les richesses ; il nous faisait remarquer le merveilleux accord entre les lois de la nature et celles du monde moral ; surtout, il insistait avec un sérieux, avec une éloquence qui n’appartenaient qu’à lui, sur la sincérité complète qui doit préparer l’entrée de la vérité dans une âme et sur l’obéissance sans réserve dont elle doit être suivie. Il avait bien ses étroitesses et ses angles ; les œuvres chrétiennes, que nous avions appris à connaître et à aimer, à commencer par les Missions parmi les païens, tombaient l’une après l’autre sous les coups d’une critique acérée. Surtout, sa doctrine de la justification se rapprochait de celle d’Osiander et s’éloignait de celle des réformateurs, bien qu’il s’efforçât de nous montrer qu’elle était la pure doctrine de Saint Paul. Malgré cela, nous n’hésitons pas à dire que peu de théologiens ont exercé, au XIXe siècle, une influence plus pénétrante, plus salutaire que celle de J.-T. Beck. Nous dirions volontiers de lui, envisagé comme théologien, ce que Michelet doit avoir dit d’Adolphe Monod comme prédicateur : « Ceux qui l’ont entendu, en tremblent encore. » On trouvera l’écho de ces impressions dans le chapitre d’O. Funcke sur ses études à Tubingue, au premier volume de ses « Fussstapfen ».



Johann Tobias Beck (1804-1878)

♦ ♦ ♦

Que fut l’action de Beck sur Arnold Bovet ? Profonde, assurément, et surpassant toutes les autres influences subies dans le même temps. L’étudiant, désirant profiter de son séjour à Tubingue, pour se développer à tous égards, avait ajouté d’autres cours à ceux de théologie. Nous le trouvons aux leçons sur la poésie allemande de Fischer qui, pour lui, représentait « l’esprit allemand moderne dans sa quintessence » ; il apprend aussi « l’histoire de l’art musical dans l’Église chrétienne » ; à cela il joint « l’anatomie humaine, avec modèles, cadavres, et tout ce qui s’en suit ». Il lit « le méchant Rothe », qui lui fait beaucoup de « mauvais sang », non point malgré le charme attirant de son livre Zur Dogmatik, mais précisément à cause de ce charme, qui lui paraît rendre les conclusions du penseur encore plus dangereuses.

En compagnie de G. Godet, il lit le Microcosme de Lotze, mais il ne paraît pas l’avoir goûté autant que son ami. Avec ses professeurs et ses condisciples, il cause un peu de tout ; mais, dans cette forêt luxuriante et touffue d’idées, de paradoxes, d’aperçus, d’affirmations et de négations, il est aisé de voir que l’arbre qui, de sa haute stature, domine tous les autres, c’est l’enseignement et la prédication de Beck. Pour un chrétien du genre d’Arnold, c’était un spectacle émouvant que celui de ce géant qui s’inclinait devant la Bible, avec une humilité d’enfant, et dont l’admiration pour le Livre de vie était si contagieuse. L’éthique de Beck, dont les livres si répandus d’Andrew Murray ne sont guère que la popularisation, enchantait l’étudiant, plus captivé par l’étude de la vie religieuse que par la critique et l’histoire.

Recueillons ses impressions : « Beck a prêché ce matin, d’une manière fort intéressante, sur « Pharisiens et Sadducéens », sur les causes profondes de ces deux tendances, qui sont de tous les temps et de tous les pays, c’est-à-dire le besoin d’ordre et le besoin de liberté qui, tous deux, se trouvent dans le cœur humain, mais qui, cultivés mal et exclusivement, produisent justement ces déviations. » (11 novembre 1866.) « J’ai beaucoup vécu dans Beck, cette semaine, et j’ai été rassasié de nourriture forte et exquise. »

(2 décembre 1866.) … « Beck a parlé ce matin avec beaucoup de sérieux, et avec plus d’amour qu’à l’ordinaire. Il y a beaucoup à apprendre dans ses sermons, par tout ce qu’ils contiennent, et aussi un peu par ce qui leur manque. Pour Beck, le centre de toute vie, c’est la personne de Christ et l’union personnelle et vivante avec lui. Cela me rappelle notre Mütterli qui définissait la vie chrétienne : « Einen lebendigen Heiland haben. »… Beck est magnifique quand il défend les droits du peuple écrasé et des pauvres méprisés. Vive la liberté ! Vive l’égalité de tous ! Vive la charité ! » (16 mars 1867.)

Ce qui le séduisait aussi, c’était l’extrême bonté du théologien. Celui-ci invita ses élèves à visiter son Gütli, pavillon situé dans les vignes. Pendant la promenade, le professeur eut des égards touchants pour le genou de l’étudiant, « comptant, pour ainsi dire, chaque pas, et le rendant attentif à chaque défectuosité du terrain. »

Tout ceci a remué profondément le cœur d’Arnold Bovet ; et pourtant, comme on pouvait s’y attendre, son esprit faisait quelques réserves. La doctrine de Beck ne coïncidait pas parfaitement avec celle de Männedorf. Il y avait même contraste entre l’étroitesse ascétique de Mütterli, et la piété plus large et plus humaine du penseur wurtembergeois. Et puis, l’instinct puissant pour l’action et la conquête, qui déjà fermentait dans l’âme du futur apôtre de la Croix-Bleue, souffrait des critiques dont Beck accablait les œuvres chrétiennes, qu’il appelait dédaigneusement : Macherei. Ces jours-là, le bon Arnold lui-même osait juger son maître. « Notre cher Beck est, ces temps-ci, en veine de gronder contre les Missions et œuvres extérieures ; dans ces circonstances, il devient toujours un peu illogique : cela montre qu’il a tort. » (1er juillet 1866)… « À propos de Zinzendorf, Beck nous a parlé du sort, en nous expliquant le premier chapitre des Actes. Il a dit des choses vraies, mais il voit tout en noir, et fait des moindres choses des sources de maux de tous genres. Il ne me fait que du bien, mais je crois qu’il peut détourner de la simplicité enfantine certains esprits qui se livrent à lui. » (21 mai 1866.)

Il faut se rappeler qu’à Männedorf, on faisait grand usage du sort, en « tirant » des versets en toute circonstance. Nul ne s’étonnera de ce que le disciple de Mütterli ait pris parti pour elle, contre Beck, et ait pu écrire ceci : « Je sens que je ne suis pas Beckien pour les détails. Je le suis pour le fond, et surtout pour la manière de comprendre les études théologiques. Je regrette, dans un sens, de n’être pas plus empoigné. Cela me paraît être une preuve de ma superficialité et de mon peu de profondeur. Ou bien, sont-ce les échos de Männedorf qui résonnent encore trop fort au fond de mon être pour permettre à une autre voix de dominer ? » (20 janvier 1867.)

Au moins autant que ses études, l’amitié illumina le séjour d’Arnold Bovet à Tubingue. Sur ce point, il a toujours été un peu enfant gâté. L’extrême diversité des caractères, des aptitudes, des provenances, les qualités et les défauts de ses amis, tout devait contribuer au développement de son âme. En général, ils étaient plus savants, lui peut-être plus pieux ; ils avaient plus de lumières, lui plus de lumière ; leur tendance à critiquer, à « brosser » — comme ils disaient entre eux — était tempérée par l’esprit essentiellement pacifique d’Arnold, qui s’aiguisait un peu à leur contact. Ensemble, ils cultivaient les nobles fleurs de l’art, de la science et de la piété… peut-être aussi du sentiment, mais celle-ci n’était encore, dans le jardin d’Arnold, qu’à l’état de bouton, et ne s’ouvrit que plus tard.

Avoir leur vie universitaire, nul ne s’étonnera de ce que ces étudiants devinrent plus tard. C’était un mélange de saine gaieté et de profond sérieux, de travaux et de récréations, de chants et de prière. Age heureux où la vie est large, pleine, riche, même dans la plus grande simplicité matérielle ! Pour dix-huit kreuzers (50 centimes), ils prenaient leur repas de midi chez Mme Himmel (Ciel) ; quelques-uns soupaient à la brasserie, qui fut, naturellement, baptisée Hölle (Enfer).

Arnold persista dans son ancienne habitude de faire lui-même chez lui son repas du soir. Souvent aussi, et avec un peu de mélancolie, il fut obligé de se séparer de ses amis, lorsque ceux-ci entreprenaient quelque course à pied. Son genou, assez guéri pour qu’il pût aller plusieurs fois par jour à l’Université, ne l’était pas encore suffisamment pour lui permettre les grandes courses. Quand ses amis lui demandaient : « Comment feras-tu, quand tu seras pasteur ? » Il répondait avec calme : « L’Éternel y pourvoira. » On verra comment l’Éternel y a pourvu. Quand on lui racontait quelque belle excursion, il disait simplement : « Je m’abreuve de renoncements. »

Cette belle sérénité, ce contentement d’esprit au milieu de bien des privations, firent sur son entourage une impression profonde et durable. Écoutons encore M. Borel Girard :

« Le meilleur accord ne cessa jamais de régner dans notre petite colonie. Notre lien, sinon notre tête, fut toujours Arnold Bovet. Enfant de paix, il s’efforçait de faire régner la paix. En lui, se réalisait ce que l’apôtre dit de la charité qui « excuse tout » ce qu’elle peut excuser qui « croit tout », quand il n’est plus possible d’excuser qui « espère tout » ce qu’on ne peut plus croire ; qui « supporte tout », quand il n’y a plus lieu d’espérer. Je ne veux pas dire que notre ami ait eu l’occasion de déployer, dans notre milieu, toutes ces formes de la charité ; ce que je viens d’écrire se rapporte, non à un moment déterminé de sa vie, mais à sa vie tout entière. »

L’existence paisible et studieuse de Tubingue fut gravement troublée, pendant l’été de 1866, par la guerre qui eut lieu entre l’Autriche et la Prusse, et qui fit passer de la première à la seconde l’hégémonie en Allemagne. Le service militaire contraignit tant d’étudiants à quitter l’Université, qu’on parla un instant de la fermer. Les cours ne furent pourtant pas interrompus.

À ce moment, Arnold Bovet aurait pu, en sa qualité de neutre, se désintéresser complètement de la lutte quelque peu fratricide qui ensanglantait l’Allemagne, ou bien encore, du haut de son titre de « bourgeois des cieux », juger les coups échangés sur la terre, par des gens dont il n’avait rien à espérer ni rien à craindre. Ce pieux égoïsme n’était pas son fait. Sa conscience de chrétien et son cœur d’homme furent également blessés par le spectacle de la méchanceté humaine ; et sa correspondance, à ce moment, abonde en cris d’indignation et de douleur. Tout d’abord, son âme saigna surtout à la pensée du sort réservé à Francfort, la ville libre, la patrie de sa mère, dont on disait qu’elle aurait à payer durement son opposition à la Prusse. Mais bientôt, les destinées d’une ville, même si chère, s’effacèrent devant celles des peuples qui s’entretuaient.

« Cette guerre est navrante », écrit Arnold, « l’autre jour, j’entendais les chants d’adieu de 1800 hommes de Tubingue et environs, qui partaient pour lutter contre des frères ! »

Le 10 juillet, il exprime ce jugement : « La pauvre Autriche a beau faire des sacrifices et des efforts inouïs, il est trop tard. Il m’est impossible de donner mes sympathies à qui que ce soit. La Prusse arrogante, l’Autriche pourrie, le Bund hésitant. Napoléon empochant, l’Italie prétentieuse, tous sont de grands pécheurs qui portent la peine de leurs crimes, et ce qui m’indigne contre tous, ce sont les souffrances horribles que le peuple endure. Je ne comprends pas comment, avec des faits aussi révoltants, il y a des gens qui peuvent croire au progrès de l’humanité, quand tout va de mal en pis, qu’à la barbarie, la civilisation n’a fait qu’ajouter le mensonge et l’hypocrisie. Si je n’avais pas une jambe qui ne me prête son secours qu’à moitié, je partirais immédiatement pour les champs de bataille, pour soigner les blessés, et leur parler de Jésus. »

Au milieu des tristesses de ce semestre d’été, Arnold Bovet eut une grande joie, celle de recevoir à Tubingue, en qualité d’étudiant bénévole, son beau-frère Félix. Celui-ci, accompagné de sa femme, profita du vide créé par la guerre pour s’installer dans la maison où logeait Arnold, et pour suivre les cours de l’Université. Ce fut, pour les étudiants suisses, une singulière satisfaction de cœur, et aussi d’amour-propre patriotique, de voir s’asseoir à côté d’eux, comme condisciple, leur ancien professeur, déjà célèbre dans le monde savant. C’était à qui lui ferait les honneurs de l’Université, et profiterait de sa présence, de sa conversation, du charme intense de son esprit. Le plus enchanté fut Arnold dont les lettres, à ce moment, expriment le comble de la félicité.

« Félix est délicieux ! Je l’aime absolument, complètement, pleinement! Nous nous entendons parfaitement en toute chose. J’ai une confiance illimitée dans son jugement, et ce qui me fait un plaisir très grand, c’est que Beck lui va on ne peut mieux, et, en effet, c’est tout à fait cela. Je n’avais jamais pensé à les rapprocher, mais c’est cette même manière de s’affranchir de la tradition et de l’opinion reçue, pour prendre les choses comme elles sont en effet, naturellement, et telles qu’elles se donnent. Ce qui m’étonne aussi toujours, c’est que Félix me juge digne de causer en règle avec lui de toute espèce de choses. Je me trouve, sous tant de rapports, tellement enfant et vacillant, que mon avis me paraît bien juste à mes yeux, mais que je m’étonne chaque fois que quelqu’un en tient compte. »

Tel était l’intérêt et la vivacité des entretiens auxquels on se livrait dans l’intimité, et surtout pendant les repas, qu’Arnold écrit : « À son grand désespoir, Hélène doit offrir six fois le rôti, avant d’obtenir une réponse. »

La visite de Félix a été suivie d’une autre, non moins précieuse. celle de la mère d’Arnold, puis d’une troisième, celle de M. Charles Bovet, qui se fit un plaisir de réunir en un repas fraternel et joyeux les douze étudiants de langue française.

Arnold n’était pas absorbé par les études au point d’oublier son foyer. En lui, le théologien n’a jamais étouffé l’homme pratique. Quand il voyait les vignes compromises à Tubingue par une forte gelée, il s’inquiétait de celles de la plaine d’Areuse. Plus favorisé que celui du Wurtemberg, le vignoble neuchâtelois donna une belle récolte, et il est plaisant de trouver sous la plume du futur apôtre de l’abstinence, une appréciation technique de la vendange, dénotant une remarquable compétence : « Je ne m’attendais pas à plus de 35 gerles pour la « Merlose ». M. Jacot en attendait moins. La moitié seule a rapporté, cette année ; c’est bien joli d’avoir eu 3 1/2 gerles par ouvrier ; c’est même un peu trop. Cela fait donc 300 gerles en tout. C’est ce que j’ai pensé dès les premiers jours, quand on a parlé d’une grande abondance. »

À d’autres moments, les inquiétudes venaient de l’état du lac. « Que Dieu nous préserve de trop grandes bises si le lac est si haut ! » Les bises vinrent, et le lac causa de graves dommages, ce qui provoqua chez Arnold les réflexions suivantes, où se retrouve une fois de plus le trait caractéristique de son âme : « Il me semble que l’essentiel est de savoir les desseins et les vues de Dieu en cette affaire… Il est bon que notre Père céleste nous tienne toujours en respect, et nous rappelle qu’il veut encore plus d’amour et de renoncement de notre part. »

À propos du jour de naissance de sa mère (25 novembre 1866), il passe en revue toutes les grâces reçues et il ajoute : « Il y a bien eu aussi quelques petites ombres au tableau, vu du dehors ; mais ce n’est qu’apparent et pour les contemplateurs extérieurs. Pour les acteurs eux-mêmes, ces ombres sont aussi des grâces, seulement d’un autre genre, plus importantes, plus réelles, plus profitables, et sans lesquelles on deviendrait mou et on laisserait sa foi défaillir, en s’appuyant sur trop d’abondance extérieure. »

Arrivé au terme de son séjour à Tubingue, Arnold s’efforça de se juger lui-même pendant cette période, et voici son verdict : « Quand je me contemple, et les trois semestres que j’ai passés ici, je ne puis qu’être très mécontent de moi, sous le rapport du zèle chrétien extérieur. Oh ! avec toutes les grâces que j’ai reçues, j’aurais dû être bien plus fidèle, et confesser Jésus avec plus de joie et de constance !… Je sens le besoin de m’humilier. Ce qui, surtout, est amer, c’est de se dire qu’il y a là un mal irréparable, un bien qu’on aurait pu faire, moyennant plus de vie, et qu’on n’a pas fait ! Oh ! qui me donnera de la force et de la foi. »

Si Arnold n’a pas toujours rendu à ses convictions chrétiennes un témoignage extérieur digne d’elles, il n’a pourtant pas négligé de les fortifier et de les enrichir. Ses voyages, ses vacances même étaient consacrés à la seule chose nécessaire. Dans une de ses lettres, on lit la curieuse phrase que voici : « J’espère avoir de bonnes vacances, où je me divertisse et me distraie aussi peu que possible. » Dans ses sorties et dans ses voyages, il recherchait les chrétiens, comme d’autres les sites pittoresques, les objets d’art et les curiosités archéologiques. On le voyait dans les réunions des disciples de Michel Hahn, simples paysans, stundistes wurtembergeois, dont le dogme favori était celui du « Rétablissement final ». À Stuttgart, il alla entendre le fameux Hebich ; il passa aussi une journée à Kornthal, dans la colonie morave, et quelle journée ! Un sermon, un enterrement, un baptême, un catéchisme, une réunion de « Michaelianer », un « café » chez un pasteur, le tout entremêlé d’entretiens pieux. Après cette dose un peu forte d’édification, il n’éprouvait aucune fatigue et n’exprimait qu’une profonde admiration pour la Colonie morave, « cette apparition rare et merveilleuse, qui vous fait soupirer après un règne de paix réalisé là, au moins en partie. »

Les premiers mots que J.-T. Beck adressait aux étudiants, à l’ouverture de son cours, étaient à peu près ceux-ci : « Vous êtes venus ici pour vous livrer à un travail difficile entre tous : la première condition à remplir, c’est le recueillement ! » Et il ajoutait, en terminant : « C’est à vous de savoir si vous voulez que la vérité triomphe en vous et par vous, ou bien, si vous voulez qu’elle triomphe de vous et contre vous ! »

Cette simple parole résume mieux que toute autre la période des études d’Arnold Bovet. Dans ce sens, et en dépit de ses dénégations, il a été un bon « Beckien ».

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