Théologie Systématique – IV. De l’Église

2. Infaillibilité : argument scripturaire

Promesses à l’Église, ou aux apôtres, ou à saint Pierre. Comment les Catholiques se les approprient-ils ? Ils s’appuient principalement sur deux textes : 1° 1 Timothée 3.15 — L’expression « colonne et appui de la vérité » se rapporte bien à l’Église. — Quelle est la vérité dont l’Église est. etc. ? Comment en est-elle la colonne et l’appui ? — 2° Matthieu 16.18 — Interprétation des Pères. — Sens de la promesse faite à saint Pierre. — Où prend-on que le privilège ait dû se transmettre ? et au Pape ? — Anomalie à l’égard de saint Jean. — Cercle vicieux.

Les preuves surnaturelles sont celles que l’esprit demande et attend d’abord, dans des questions de ce genre. L’infaillibilité de l’Église supposant une action extraordinaire de la Providence ou de la grâce, ne peut s’établir, ce semble, que sur des titres d’un ordre supérieur, tels que des textes sacrés ou des manifestations divines. La preuve miraculeuse n’est pas abandonnée — le Catholicisme ne laisse rien tomber et ne peut rien laisser tomber de ses prétentions (récits presque journaliers de prodiges), — mais elle est à peu près reléguée dans l’apologétique populaire. Les défenseurs du Catholicisme qui se respectent n’osent guère y recourir. Ils font même peu d’usage des déclarations bibliques, préférant les arguments rationnels ou traditionnels ; s’ils emploient encore les Ecritures, c’est, en quelque sorte, malgré eux et parce que les protestants les y forcent.

Les passages qu’ils citent en leur faveur peuvent se diviser en deux classes :

1° Les uns, comme Matthieu 17.20 ; 28.18-20 ; Luc 10.16 : « Qui vous écoute, m’écoute… » ; Jean 20.21 « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie aussiActes 15.28 : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous1 Timothée 3.15, renferment des déclarations et des promesses, soit générales pour les disciples ou pour l’Église, soit spéciales pour les apôtres.

2° Les autres, comme Matthieu 16.18-19 ; 10.2 ; Luc 22.31-32 : « Simon, Satan a demandé à vous cribler comme le blé ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. Toi donc, quand tu seras converti, fortifie tes frères… » ; Jean XXI, 15-17 : « Pais mes agneaux… Pais mes brebis… », renferment des déclarations et des promesses relatives à saint Pierre.

Les catholiques s’emparent des premiers passages en soutenant que les privilèges et les pouvoirs des apôtres ont passé au corps épiscopal, et des secondes, en affirmant que le Pape est le successeur de saint Pierre et l’héritier de toutes ses prérogatives. Ils apportent beaucoup d’autres textes encore, où se montre le défaut d’exactitude, de précision, de vérité, qui caractérise leur exégèse ordinaire et révèle combien sont, en général, rares parmi eux l’étude et l’intelligence des Ecritures. Ils procèdent dans la dogmatique et dans la controverse comme dans la prédication, se contentant d’un rapport purement fortuit ou simplement verbal, et tirant de prémisses illusoires ou douteuses les conséquences les plus positives. De plus, ils attachent à certains textes un sens particulier et traditionnel, auquel ils reviennent toujours comme si c’en était décidément le vrai sens. Que dire, par exemple, de Jean 21.15-17 : « Pais mes agneaux… Pais mes brebis… », et de l’interprétation obstinée qu’ils en donnent ? Suivant eux, Jésus-Christ confie là à la direction de saint Pierre, non seulement les simples fidèles, mais les pasteurs eux-mêmes, car il lui remit et ses agneaux et ses brebis, mères des agneaux. Mais où trouve-t-on dans le langage des Ecritures le fondement de cette distinction et du dogme qu’on en déduit ? Est-il possible d’appuyer là-dessus une doctrine si capitale ? Et n’est-ce pas confesser qu’on manque de preuves réelles, que de faire usage de tels arguments ?

Parmi les textes cités, il n’en est que deux qui semblent avoir quelque importance, le dernier de la première classe et le premier de la seconde. Ce sont donc les seuls sur lesquels il soit nécessaire de s’arrêter — : 1 Timothée 3.15 : « Afin que si je tarde, tu saches comment il faut te conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant, la colonne et l’appui de la vérité. Et certainement le mystère de piété, etc. ». L’infaillibilité de l’Église est impliquée, dit-on, dans le titre qu’elle reçoit de « colonne et appui de la vérité ». Voyons donc si le dogme catholique est réellement affirmé ou renfermé dans ces paroles.

Nous ne les rapporterons pas à Timothée avec certains commentateurs, tels que Benson, Wakefield, Newcom, Belsbam, etc., qui traduisent : afin que, colonne et appui de la vérité, tu saches, etc. ; ni au mystère de piété, avec Grisbach, Rosenmuller, etc., qui, plaçant un point après Θεοῦ ζῶντος, lisent : La colonne et l’appui de la vérité, et sans contredit le mystère, etc. Selon nous, la construction de la phrase, le but de saint Paul, qui s’occupe là essentiellement d’administration ecclésiastique, l’opinion générale des interprètes anciens et modernes, ne permettent pas de douter que ces paroles ne s’appliquent à l’Église, et sur ce point nous sommes d’accord avec les controversistes catholiques. Mais de là à leur dogme, il y a loin et bien loin, quoiqu’ils semblent ne pas s’en apercevoir.

Trois questions se présentent : 1° Quelle est cette Église du Dieu vivant qui, etc. ? 2° Quelle est cette vérité dont l’Église est la colonne et l’appui ? 3° De quelle manière l’Église est-elle la colonne et l’appui de la vérité ?

1° L’église dont parle l’Apôtre ne peut être l’église particulière de Rome, qui n’a pas plus de droit que les autres à s’appeler l’Église de Dieu : titre donné dans le Nouveau Testament, soit à l’Église générale (1 Corinthiens 10.32 ; Actes 20.28, — en supposant vraie la leçon commune de ce dernier texte), — soit aux églises locales, considérées collectivement (les églises de Dieu, 1 Corinthiens 11.16 ; 1 Thessaloniciens 2.14). La seule de ces églises à laquelle il se trouve directement et spécialement appliqué est celle de Corinthe (1 Corinthiens 1.2 ; 2 Corinthiens 1.1). Il ne l’est nulle part à celle de Rome. Ce trait vaut la peine d’être relevé ; car si c’eût été cette dernière église, au lieu de l’église de Corinthe, qui, seule entre toutes, eût reçu ce titre, on n’aurait pas manqué, bien certainement, d’en faire un des principaux appuis du système catholique.

C’est évidemment de l’Église dans son ensemble, de l’Église générale, que parle ici saint Paul. S’il avait voulu désigner une église particulière, à l’exclusion des autres, ce serait celle d’Ephèse où était Timothée (1 Timothée 1.3), et qui pourtant est si profondément déchue.

2° La vérité dont l’Église est la colonne et l’appui, n’est pas tel ou tel système, tel ou tel symbole, mais la vérité chrétienne elle-même, l’Évangile. C’est dans ce sens que les écrivains du Nouveau Testament, et saint Paul en particulier, emploient généralement ce mot : « Et vous êtes aussi en lui, après avoir entendu les paroles de la vérité qui est l’Évangile de votre salut. » (Éphésiens 1.13). (Cf. 2 Thessaloniciens 2.10, 12 ; 1 Timothée 2.4 ; 2 Timothée 2.15 ; Tite 1.1). Dès lors, il ne saurait plus être question dans ce passage de tribunal visible, d’oracle vivant, d’arbitre et de juge des controverses, en un mot de ce qui constitue le dogme de l’infaillibilité tel qu’on le pose, c’est-à-dire comme garant d’une des doctrines ecclésiastiques entre toutes : ce n’est pas d’une forme particulière du Christianisme, d’une conception spéciale de l’Évangile qu’il s’agit, c’est du Christianisme et de l’Évangile même.

3°L’Église est « la colonne et l’appui de la vérité » en tant surtout qu’elle conserve le dépôt des révélations divines ; et cet immense service rendu a l’humanité est dû, non à une église particulière, mais à toutes, non à l’Église d’Ephèse ou à celle de Rome, mais à l’Église générale, contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront point (Matthieu 16.18) et qui, jusqu’à la fin des temps, présentera aux hommes la Parole de grâce et de vie. L’Église chrétienne, ainsi envisagée, est dépositaire et gardienne de la vérité chrétienne ; elle l’est au travers même de ses aberrations, puisqu’elle l’est du Livre divin où cette vérité sainte se conserve toujours pure, comme Israël conserva les alliances et les promesses au sein de ses infidélités.

Ce fameux passage est donc le plus simple du monde, et l’on n’a pu y chercher et y trouver tant de mystères que parce qu’on a désiré les y voir dans un intérêt de système.

Passons à Matthieu 16.18-19, (qu’on pourrait nommer le texte constitutif ou classique) : « Et moi je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des deux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ; et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » — Les catholiques prétendent prouver par ce passage : 1° Que Jésus-Christ établit saint Pierre chef suprême du collège apostolique et de l’Église universelle, érigeant la société chrétienne en une sorte de monarchie théocratique. 2° Que l’autorité souveraine dont saint Pierre fut revêtu, est descendue de lui au Saint-Siège, comme les prérogatives générales des apôtres ont passé au corps épiscopal. 3° Et que le Pape possède, par conséquent, avec les clefs du Royaume des Cieux, le droit de lier et de délier, le pouvoir de décider, en dernier ressort et sans danger d’erreur, toutes les questions de doctrine et de discipline.

Ce texte déclare-t-il bien les deux faits ou principes qu’on veut y trouver ? car il faut qu’il les déclare formellement l’un et l’autre pour que la déduction qu’on en tire soit légitime et valide. S’il n’y est dit, en réalité, ni que Jésus-Christ a fait saint Pierre chef de l’Église, ni que les prérogatives de cet apôtre ont été transmises aux évêques de Rome, le Pape ne possède point, du moins par ce texte, le pouvoir des clefs qu’on lui attribue.

Nous pourrions invoquer tout d’abord quelqu’une des interprétations où, conformément à la doctrine générale de l’Ecriture qui représente le Seigneur comme la pierre de l’angle et le seul fondement (1 Pierre 2.6 ; 1 Corinthiens 3.11 ; Matthieu 21.42), on entend par la pierre sur laquelle doit s’élever l’Église, non l’Apôtre, mais Jésus-Christ que saint Pierre venait de confesser. Ces interprétations, qui font disparaître du texte la base du système romain, sont d’autant plus embarrassantes pour les catholiques qu’elles s’appuient sur l’autorité d’un grand nombre de Pères, tels que Grégoire de Nice, Cyrille, Chrysostôme, Augustin. Mais nous nous plaçons encore ici sur le terrain qui leur est le plus favorable, parce qu’il est à nos yeux le seul vrai, et nous admettons que ce passage renferme une promesse spéciale faite à saint Pierre. La forme de l’expression le prouve, ce nous semble ; cet apôtre venait de dire : « Tu es le Christ » (v. 17), Jésus lui répond : « Et moi je te dis (σοι λὲγω) que tu es Pierre, etc. » ; cela limite bien positivement à saint Pierre la déclaration qui va suivre ; et ce qui achève de le démontrer, c’est qu’elle est liée à son nom : « Tu es Pierre et sur cette pierre, etc. ». D’ailleurs, le v. 19 dissiperait au besoin tous les doutes : « et je te donnerai, etc… » Cette deuxième promesse s’adresse bien directement et personnellement à saint Pierre ; or, elle suit la première et la suppose, ou, pour mieux dire, ce deuxième privilège n’est que le premier sous une autre forme ; c’est la continuation de l’image précédente où l’Église est comparée à un édifice ; être la base de cet édifice ou le fonder, en avoir les clefs ou l’ouvrir, est une seule et même prérogative. Le sens de cette déclaration prophétique et symbolique, comme de toutes les déclarations semblables, doit se chercher surtout dans l’événement qui l’a réalisée.Or, cet événement, nous l’avons à l’entrée de l’histoire apostolique, où nous trouvons par conséquent l’explication la plus naturelle et la plus positive qui se puisse désirer de la parole du Seigneur. Saint Pierre fut choisi de Dieu pour ouvrir l’Église aux deux peuples parmi lesquels elle devait se former, aux Juifs (Actes 2.14-41) et aux Gentils (Actes 10.9 ; 15.7). Ainsi s’accomplit la promesse qu’il en serait le fondement et qu’il en aurait les clefs.

Cette interprétation, qui remonte à Tertullien, et qui s’impose d’elle-même, n’a été négligée qu’à cause de ce qui la recommande : sa simplicité, sa clarté, son évidence immédiate. Les catholiques ne pouvaient l’admettre, puisqu’elle ruine la principale ou même l’unique base scripturaire de leur système ; et les protestants ont craint, en l’adoptant, de porter atteinte à la grande doctrine évangélique que Jésus-Christ seul est « la pierre de l’angle » sur laquelle l’Église repose. Mais l’exégèse doit se soustraire à toutes les préventions dogmatiques et confessionnelles. Quoique, en un sens, Jésus-Christ soit seul le fondement de l’Église et de la foi (1 Corinthiens 3.11), les apôtres le sont aussi en un sens secondaire (Éphésiens 2.20 ; Apocalypse 21.14).

Quant à la promesse qui suit : « et ce que tu auras lié sur, etc…  », elle s’adresse bien ici à saint Pierre, mais elle ne lui est pourtant pas particulière et exclusivement personnelle, car elle est faite ailleurs aux autres apôtres sous des termes différents, par exemple Jean 20.23 : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; etc. » et aux chrétiens en général Matthieu 18.18 : « Je vous dis en vérité que tout ce que vous lierez, etc. ». Pour les apôtres, elle est absolue ; pour les autres disciples, simples fidèles ou pasteurs, elle n’est que conditionnelle.

Par l’Esprit saint qui parlait en eux, les apôtres donnaient à l’Église les révélations et les lois divines qui doivent la régir jusqu’à la fin des temps ; leurs décisions, en tant que dispensateurs des mystères évangéliques, étaient toutes ratifiées dans le Ciel, tandis que celles des chrétiens ordinaires ne le sont qu’en tant que conformes à la parole des apôtres, qui est la parole de Dieu (1 Thessaloniciens 2.13). Cette distinction est fondamentale et s’étend à la plupart des déclarations et des promesses du Seigneur ; elle sort nécessairement de la différence entre la dispensation extranaturelle, qui fonda le Royaume de Christ, et la dispensation naturelle à laquelle il est maintenant soumis. Sans doute, le Saint-Esprit est toujours la lumière et la vie de l’Église (Actes 2.38), mais personne n’en reçoit les mêmes dons qui furent accordés pour l’établissement du Christianisme. Des charismes surnaturels, exceptionnels, par cela même temporaires, présidèrent à la promulgation de l’Évangile, règle éternelle de l’Église. De là, je le répète, les restrictions à faire dans mille cas. Que l’on prenne, par exemple, cette parole : « Qui vous écoute, m’écoute, etc. ». Elle s’applique, en un sens, aux pasteurs de tous les temps, et même aux simples fidèles, aussi bien qu’aux apôtres ; mais aux uns pleinement, absolument, aux autres hypothétiquement ; et la raison en est que les uns se trouvaient sous une direction supérieure où ne se trouvent pas les autres.

En revenant à notre texte, nous reconnaissons donc qu’il contient une promesse spéciale, un privilège personnel pour saint Pierre. Mais il ne résulte de là aucune des conséquences qu’en déduit le Catholicisme. 1° La prérogative accordée à saint Pierre ne lui attribue aucune autorité sur le collège apostolique ; tout ce qui lui est donné en propre, c’est de poser les premières assises de l’édifice spirituel, d’en ouvrir les portes (aux Juifs et aux Gentils) ; distinction honorable, qui constitue, si l’on veut, une sorte de primauté, mais non une suprématie. Les autres apôtres travaillent avec Pierre à l’édification de l’Église ; ils en sont, comme lui et au même titre, nommés les fondements ; comme lui, ils lient et délient. 2° En supposant que saint Pierre eût été réellement investi de l’autorité dont on parle (hypothèse contraire à des déclarations nombreuses du Nouveau Testament et à tous les faits de l’histoire apostolique), elle lui aurait été personnelle ; rien n’indique qu’il dut avoir des successeurs auxquels il la transmettrait, ni que ces successeurs soient les évêques de Rome. Où prend-on ces points essentiels de la théorie ? dans quel autre passage ? car il est manifeste que celui que nous discutons ne les donne pas.

Non seulement rien n’annonce ni n’implique dans le Nouveau Testament l’institution d’un Chef suprême de l’Église, avec privilèges et pouvoirs supérieurs, selon le principe catholique, mais tout la repousse et la contredit. Il n’en est nulle part question, là même où elle aurait dû paraître en première ligne si elle avait été posée dès l’origine comme le pivot de l’économie chrétienne, le fondement de la vérité et de l’unité, le centre du plan divin ; elle n’est mentionnée dans aucune des occasions qui conduisaient naturellement à la faire ressortir, ou tout au moins entrevoir ; ainsi, par exemple, quand le Seigneur promet les dons du Saint-Esprit, qui constituèrent la véritable hiérarchie des premiers temps (Jean ch. 14 à 16 ; Actes 1.8), quand il décrit la nature et la marche de son royaume (paraboles), quand il réprime les discussions que ses apôtres avaient entre eux pour savoir lequel serait le plus grand (Luc 22.24 ; Matthieu 20.24-28), ou quand les apôtres eux-mêmes prédisent les désordres de conduite et de doctrine auxquels la communauté chrétienne serait exposée, et cherchent à y remédier où à les prévenir (Actes 20.29-31 ; 1 Timothée 4.1-3 ; 2 Timothée 4.3 ; 1 Jean 4.1). Dans tous ces cas, où la haute institution qu’on préconise devrait, ce semble, se révéler de quelque manière, il n’est pas un trait, pas un mot qui s’y rapporte. Ainsi toujours, ainsi partout. Avec la pensée catholique, cette prétérition serait-elle concevable, aurait-elle été possible ? D’un bout à l’autre du Nouveau Testament, Jésus-Christ se montre comme le Chef de l’Église et son Chef unique ; jamais son représentant terrestre n’est indiqué, ni de près ni de loin. Si le fils de Jouas eût reçu, avec son nouveau nom, la suprématie que suppose le système romain, comprendrait-on et la question de prééminence que les apôtres agitent fréquemment, et la demande des fils de Zébédée (Matthieu 20.22 ; Marc 10.35 etc.), et la constante réponse du Seigneur (Marc 10.42), et la place qu’occupe saint Pierre au Concile de Jérusalem, et la vive admonition que saint Paul lui adresse à Antioche (Galates 2.14) ? Que l’on remarque encore l’étrange anomalie qu’aurait entraînée ce système ; s’il était fondé, il se trouverait que le dernier témoin inspiré de Jésus-Christ, saint Jean, le disciple bien-aimé, qui survécut d’environ trente ans à tous ses collègues, aurait été soumis à un simple évêque, lorsque toutes les Églises ont dû, au contraire, regarder plus que jamais vers lui. Comment admettre cela, sans fouler aux pieds tous les principes évangéliques d’après lesquels les apôtres se séparent si formellement et des ministres ordinaires et des autres ministres extraordinaires ?

En dernier résultat, l’opinion catholique est en opposition avec l’analogie de l’Ecriture et de la foi ; de plus, la chaîne de l’argumentation, qu’elle rattache à quelques textes isolés, se brise sur divers points, pour peu qu’on la soumette à l’épreuve, et tous les efforts de la dialectique ne sauraient la renouer. Les deux faits qui lui servent de base, savoir que les évêques ont succédé aux prérogatives des apôtres, et les papes à celles de saint Pierre, prince des apôtres, ne sont que des assertions sans preuve et conséquemment sans valeur.

L’argumentation catholique, quand elle s’appuie sur la Bible, a un autre défaut, souvent signalé ; elle roule dans un cercle et renferme une pétition de principe ; car, au point de vue romain, l’autorité des Ecritures dépend de l’Église. Le témoignage infaillible de l’Église fonde seul la foi des peuples à la divinité comme à l’authenticité des Ecritures ; seul, il en révèle et en détermine le vrai sens. Comment asseoir, dès lors, les titres de l’Église elle-même sur les déclarations d’un livre dont la crédibilité, l’enseignement, le langage restent absolument incertains aussi longtemps que l’oracle qui le légitime et l’explique n’est point reconnu ? C’est une règle éternelle du raisonnement qu’on ne peut prouver un fait ou un principe par un autre, à moins que ce dernier ne soit évident de lui-même ou qu’il n’ait été préalablement démontré. Or, on fait de la Bible un livre scellé jusqu’à ce que l’Église, qui seule en a la clef, l’ait ouvert ; et l’on veut prouver par la Bible ce droit de l’Église, lorsqu’il est encore en question ; comme si les passages qu’on cite étaient, par leur clarté, en dehors de la règle commune. Logiquement, le Catholicisme n’en appelle à l’Ecriture en faveur des prérogatives qu’il s’attribue, qu’en manquant à son caractère fondamental.

Disons ici quelques mots d’une question qui se rattache à celle qui nous occupe : l’Église peut-elle faillir et périr entièrement ? Oui, ont dit les Sociniens et beaucoup d’Arminiens, puisque toutes les églises particulières sont exposées à abandonner la vérité pour l’erreur ; un corps, composé de parties toutes faillibles et périssables, ne saurait être infaillible et impérissable lui-même. — Non, ont dit les catholiques, car, dans tous les cas, l’infaillibilité et la perpétuité appartiennent à l’Église de Rome, mère et maîtresse des autres, et elle demeure jusqu’à la fin des temps la colonne de la vérité sur la terre. — La plupart des luthériens et des réformés, prenant un parti moyen, ont soutenu qu’il n’est pas possible que la vérité et la vie chrétienne, ni l’Église par conséquent, périssent jamais complètement dans le monde. Ils conviennent, avec les Sociniens, et en opposition avec les catholiques, que toutes les églises particulières peuvent tomber ; mais ils croient, d’accord avec ces derniers et en opposition avec les premiers, que t’Église, considérée en général, sera maintenue par la main de Dieu. Ils fondent leur première opinion sur les déclarations de l’Ecriture (Apocalypse 2.5) et sur les dépositions de l’histoire (églises d’Asie et d’Afrique). Ils fondent la seconde sur les promesses du Seigneur et sur l’expérience des siècles.

C’est à cette opinion moyenne que conduit l’Ecriture, étudiée sans prévention et en dehors de tout esprit de système. De là, en un sens, l’indéfectibilité et une sorte d’infaillibilité de l’Église ; de là, par conséquent, un dogme voisin de celui des catholiques, mais qui en diffère beaucoup en réalité, car il ne fonde pour aucun homme sur la terre, ou pour aucune assemblée d’hommes, les hautes prérogatives que le Catholicisme s’attribue. Tout ce que la promesse garantit, c’est la perpétuité générale de l’Église et de la vérité, sur laquelle l’Église repose. Le dogme protestant ne suppose que l’action commune de la Providence et de la grâce ; le dogme catholique implique l’intervention surnaturelle du Saint-Esprit. Au point de vue protestant, il existe une distinction profonde entre l’Église et les églises : les églises, avec leurs constitutions diverses, sont un fait humain, résultat d’une conception humaine de l’Évangile ; l’Église est un fait divin, qui domine les incessantes évolutions des idées et des choses, des opinions et des institutions ; la main de Dieu l’a établie, la main de Dieu la garde.

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