Théologie Systématique – II. Dogmes Mixtes

3. Objections des sciences

A). Chronologie

Attaque générale du xviiie siècle : Des études purement historiques ramènent à la chronologie scripturaire. Résultats confirmés par les observations physiques.
Le récit du premier chapitre de la Genèse et la révélation biblique en général triomphent de toutes les objections de la science. — La Bible contient la vérité donnée de Dieu ; elle n’a rien à craindre, bien au contraire, des vérités que trouve l’homme.

Le premier chapitre de la Genèse a naturellement attiré l’attention des études qui le rencontraient sur leur voie. On a vu la chronologie, l’histoire, l’archéologie, l’ethnographie, la géologie, etc., contester tour à tour les assertions de Moïse et prêter des armes à l’incrédulité. Mais on les à vues aussi, à mesure qu’elles avancent et se complètent, c’est-à-dire à mesure qu’elles arrivent à la vérité, rendre fréquemment témoignage à ce monument des temps primitifs, convertir les objections en preuves et fournir de nouveaux appuis à la foi. Là s’est vérifié sur bien des points le mots de Bacon, qu’un demi-savoir éloigne du christianisme, mais qu’un savoir plus étendu y ramène.

Voilà ce que je voudrais montrer ici, en regrettant d’être peu au courant de l’état actuel des sciences et de leur rapport général avec le texte sacré. Tout s’y transformant sans cesse par les progrès mêmes qu’elles font, tout devrait y être sans cesse repris en sous-œuvre, et je suis resté presque étranger à ce travail, depuis plusieurs années. Je me bornerai à quelques aperçus. Je ferai ici une remarque générale qu’on oublie beaucoup trop. La vérité qu’enseigne la Bible n’est pas la vérité scientifique, c’est la vérité religieuse, la vérité selon la piété, comme la définit saint Paul. Hors de là, elle exprime les opinions du temps comme elle en parle la langue. N’y cherchons pas ce quelle n’a pas voulu donner.

A), Chronologie. — On sait le bruit que firent les Encyclopédistes de la prétendue antiquité des Egyptiens, des Chaldéens, des Indiens, etc. Selon Volney, la formation des collèges sacerdotaux de l’Egypte est antérieure à Jésus-Christ de 13 300 ans, et cette époque ne fait encore qu’ouvrir la seconde période de l’histoire de cette contrée. La foi à ces fables et l’importance qu’on y attache n’avaient guère d’autre raison que l’opposition au christianisme. La haine de la doctrine établie faisait accueillir sans examen tous les contes qui pouvaient servir à l’ébranler et à la discréditer. Ces esprits forts, ces hérauts de l’incrédulité se montraient là-dessus les gens les plus simples et les plus crédules du monde. Pour se justifier de ne pas croire à la Bible, malgré ses preuves, on croyait sans preuves tout ce qui paraissait lui être contraire. On s’appuyait, à la vérité, sur certaines données historiques, telles que les catalogues des rois d’Egypte ou d’Assyrie, et sur certains calculs astronomiques des Chaldéens, tels que celui des éclipses. Mais il était manifeste que ces catalogues avaient été faits à plaisir, puisque les premiers rois de ces nations, fils des Dieux, y sont portés comme ayant régné chacun depuis 1 200 jusqu’à 12 000 ans. Quant au calcul des éclipses, il peut se faire en arrière pour des millions d’années (comme il peut se faire en avant), et ce serait exact, si le monde eût existé tel qu’il est pendant tout ce temps-là ; ces supputations et ces tables ne prouvent donc rien par elles-mêmes, elles n’auraient de valeur chronologique qu’autant qu’on établirait qu’il y est question d’éclipses observées, et non d’éclipses supposées. Aussi tout cela est-il maintenant tenu pour vain par la vraie science, dont les recherches et les découvertes déposent de plus en plus en faveur de la doctrine bibliquea. Les travaux les plus étrangers à la foi sont devenus des apologies, en réduisant les chronologies anciennes aux proportions de celle de Moïse. W. Jones, Hœren, Klaproth, etc., y ont ramené celle de l’Inde, qui ne prétendait pas à moins de 4 320 000 années. Suivant A. de Rémusat, l’histoire des Chinois, qui se donnaient 3 276 000 ans d’existence, pourrait remonter à 2 000 ans avant J.-C ; celle des Japonais, qui ne se faisaient pas moins anciens que leurs voisins, ne mérite quelque confiance que depuis 660 ans environ avant notre ère. Les fragments de Bérose sur les Chaldéens, sont généralement reconnus pour de pures légendes.

a – Etude de Biot (1862) sur l’astronomie des Égyptiens, des Indiens, des Chinois.

Des observations d’un autre genre sont venues confirmer encore cette démonstration historique. On est arrivé au même résultat soit en mesurant les effets de causes physiques aujourd’hui existantes, telles que les atterrissements, la marche des dunes, les tourbières, les éboulements, les glaciers, etc., soit en constatant l’invention récente des arts les plus indispensables à la science. Sur ce point où l’incrédulité se croyait et se disait triomphante, elle se tait universellement aujourd’hui, tant les attestations de la science sont devenues positives et générales.

Un des livres qui ont le plus contribué à ce revirement de l’opinion est le Discours de Cuvier sur les révolutions de la surface du globe ; et ses conclusions, quoique souvent mises en question depuis lors, ont été en somme plutôt confirmées qu’ébranlées. Il est bon de noter ces objections que la science à tour à tour élevées et renversées. La nomenclature n’en serait pas sans instruction. Elle montrerait que celles qui sont le plus accréditées maintenant peuvent s’évanouir aussi par le seul progrès des études où on les puise.

B). Archéologie. — Ici la science fondait principalement ses attaques contre le christianisme, sur les monuments égyptiens qu’on faisait remonter à des milliers d’années au delà de l’ère biblique.

Eh bien, on a lu enfin les inscriptions que portent ces monuments. La langue des hiéroglyphes, perdue depuis des siècles, a été retrouvée. Cette découverte qui eut un si grand retentissement et un si vif éclat, s’est faite en même temps par Young en Angleterre et par Champollion en France. Young y arrivait par l’étude d’un manuscrit ancien apporté d’Egypte, lorsque la traduction grecque du même manuscrit, qui lui fut transmise d’un autre côté, vint servir de contre-épreuve à ses conjectures et à ses théories, et leur imprimer le sceau de la certitude.

Champollion, suivant une autre voie, déchiffrait les hiéroglyphes au moyen des inscriptions gravées sur la pierre de Rosette, apportée en France par l’expédition d’Egypte. Ces inscriptions étaient en trois langues : le grec, l’hiéroglyphique et le démotique (commun). Champollion, partant de la supposition que c’était la même inscription en différents caractères, eut l’idée de se servir du grec et du démotique pour chercher la clef des hiéroglyphes. Il vérifia les résultats de cette étude en les appliquant à d’autres inscriptions, et ces comparaisons successives les ayant rendus toujours plus évidents et plus certains, il put les annoncer avec confiance.

Or, cette importante découverte, qui rendait la voix et la pensée à des caractères si longtemps inconnus, a fait rentrer dans les limites de la chronologie mosaïque ces monuments et ces inscriptions, qu’on disait déposer contre elle. Les plus anciens ne remontent qu’à environ 2 000 ans avant J.-C, c’est-à-dire à une époque où la Bible nous parle de l’Egypte comme d’une contrée déjà civilisée et florissante. Les travaux de Rosselini et des autres successeurs de Champollion n’ont fait qu’apporter des lumières et des preuves nouvelles. Ce sont des faits, acquis maintenant à la science.

Pour citer un exemple, prenons les Zodiaques de Denderah et d’Esné qui furent, au commencement de ce siècle, l’objet de discussions si vives et si longues. Trouvés dans les ruines de ces deux villes par le corps que commandait Desaix, ils furent portés à Paris, où ils ne tardèrent pas à fixer l’attention des savants. On leur attribua généralement une haute antiquité ; ils devaient avoir, disait-on, 5 000 ou même 7 000 ans. Mais quand les inscriptions eurent été lues, il se trouva que le temple d’Esné avait été construit la dixième année d’Antonin (47 ans après J.-C.) et que celui de Denderah avait été dédié à Tibère. Il se trouva de plus, après des études complètes, que ces zodiaques étaient astrologiques, au lieu d’être astronomiques comme on l’avait cru ; et cette savante controverse, où l’on avait mis en question la chronologie mosaïque et la foi chrétienne tout entière, finit par une mystificationb. — (Ainsi tomberaient toutes les théories anti-bibliques fondées pour la plupart comme celle-là sur des données incertaines ou partielles, si l’on pouvait réunir à leur égard des lumières aussi positives. Nous sommes en droit de l’affirmer, non seulement parce qu’elles mettent des inductions hâtives, c’est-à-dire de simples conjectures, à la place des véritables preuves, mais encore parce que d’innombrables théories de ce genre ont disparu peu à peu devant le développement des connaissances réelles. Il y a là tout un ordre de faits qu’il vaudrait la peine de recueillir, et qui fournirait un chapitre intéressant à l’apologétique, puisqu’il montrerait les sciences métaphysiques, physiques, historiques, se désarmant elles-mêmes sur mille points).

b – Tout cela touche peu maintenant ; ce n’est que de l’histoire ancienne. Il en fut autrement pour ceux qui, ayant eu à lutter contre ces objections, devenues universelles et tenues pour évidentes et décisives, les virent se dissiper comme des ombres trompeuses.

L’Inde avait fourni, comme l’Egypte, des objections contre la chronologie mosaïque. D’après Bailly, les Brahmes possèdent des tables astronomiques dont l’antiquité est de 5 à 6 000 ans, et les Brahmes n’en sont pas les auteurs, ils n’ont fait que conserver quelques débris d’une science plus haute et plus complète.

Bentley a consacré à cette question beaucoup de temps et de travail. Il a examiné avec soin un ouvrage astronomique (le Surya-Siddhanta) auquel les Brahmes attribuent une antiquité de plusieurs millions d’années, et il a prouvé, soit par des calculs, soit par des observations critiques et historiques, que cet ouvrage est postérieur à l’ère chrétienne. Il a établi que la plus ancienne opération astronomique des Indiens remonte à peine à 1 400 ans avant J.-C.c.

c – De récentes découvertes faites en Egypte, en Assyrie, en Syrie, et dont je connais peu les résultats relativement à la Bible, doivent lui être plutôt favorables que contraires ; car si elles eussent fourni quelque nouveau sujet d’attaque, on n’aurait pas manqué de le crier sur les toits.

Je présenterai encore quelques remarques sur deux autres sciences toutes nouvelles, dont les résultats viennent affermir également les données de la Bible et les bases de la foi, après avoir paru d’abord les menacer : l’ethnographie et la géologie.

C) Ethnographie. –L’ethnographie philologique (linguistique) et physiognomonique (caractères distinctifs des peuples) élevait cette grave objection : Il est impossible de réduire à une seule espèce, de ramener à une seule souche, selon la doctrine biblique, toutes les familles humaines, vu les profondes différences qui les séparent. Elle fondait cette objection sur deux faits principaux : la diversité des langues et la diversité des races.

Diversité des langues. — Linguistique. — Lorsque le principe, à peu près convenu aux xvie et xviie siècles, que l’hébreu était la langue primitive, et que les autres dialectes s’expliquaient par la confusion de Babel, eut été une fois mis en question ; lorsqu’il se découvrait chaque jour de nouveaux langages indépendants de ceux qu’on connaissait, on voyait s’accroître de plus en plus la difficulté d’accorder les faits avec le récit de Moïse et de rattacher à un type primitif de si profondes diversités. De là, d’un côté des incertitudes pénibles et de l’autre de vives attaques.

Le progrès des sciences philologiques commence cependant à porter la lumière sur ce Chaos des langues. Par la comparaison lexique et grammaticale (terminologie, syntaxe), on arrive à trois grands résultats :

Diversité de races.Physiognomonique. — L’histoire naturelle de l’homme objectait à l’unité de notre race, les variétés de formes, de couleurs, de facultés qui s’observent parmi les peuples.

Bory de Saint-Vincent comptait 15 races différentes. Bien d’autres naturalistes, sans les multiplier autant, en ont aussi admis plusieurs.

Bluinenbach, dont la classification est assez généralement suivie, établissait trois familles principales : la Caucasienne (blanche), l’Éthiopienne (noire), la Mongole (olivâtre ou jaune). Faisant de la famille Caucasienne la famille centrale, il plaçait d’un côté, entre elle et l’Ethiopienne, les Malais, et de l’autre côté, entre elle et la Mongole, les Américains (peaux rouges).

La question à résoudre est celle-ci : Ces variétés peuvent-elles ou non sortir d’un seul tronc, se ramener à un type primitif ?

Sans être à même de tout éclaircir et de tout expliquer, la science peut déjà répondre affirmativement.

Il suffirait presque d’en appeler aux analogies que présentent les règnes végétal et animal. Chacun sait que le changement de climat, joint à la culture, a amené des variétés infinies, soit dans la forme des végétaux, soit surtout dans les fleurs et les fruits. Le même fait s’est produit à un haut degré chez les animaux domestiques ; on y observe maintenant, dans les mêmes espèces, les différences les plus profondes quant à la taille, à la couleur, à la forme du crâne, etc. ; voyez, par exemple, comme la tête a changé dans le chien, depuis le dogue jusqu’à la levrette. On a recueilli mille faits qui constatent l’action du climat sur les animaux. En Guinée, tous les chiens sont noirs (selon Buckman), ainsi que les volailles. Dans ce même pays, le mouton perd sa laine et se couvre de poils ; ce qui a fait dire à quelqu’un : ici, les moutons ont des cheveux et les hommes de la laine. A Angora, les chiens et les chevaux amenés de l’Inde se revêtent, comme les chèvres, d’une laine soyeuse. Et personne n’ignore les effets obtenus, en Europe même, dans l’élève du bétail, par le croisement des races.

Voilà des changements qui égalent et dépassent ceux qu’il faut supposer dans l’espèce humaine pour expliquer ses diversités en supposant son unité primitive. L’homme, par son organisme, est assujetti, comme le reste de la création animale, à l’influence des causes physiques et il est, de plus, soumis à l’action des causes morales. Le raisonnement analogique lèverait donc déjà la difficulté. Il fournirait une réponse ou, si l’on veut, une fin de non-recevoir suffisante.

Mais nous avons des preuves directes ; nous avons des faits puisés dans la nature et dans l’histoire de l’humanité elle-même.

Au milieu des différences extérieures, il y a au fond identité de facultés physiques, intellectuelles et morales entre toutes les races. Le Groënlandais et le Hottentot, sous l’influence de la culture européenne, se montrent aptes à nos sciences et à nos arts. Partout les mêmes capacités et les mêmes tendances ; partout les grands traits constitutifs de la nature humaine ; partout les caractères généraux qui distinguent l’homme du reste de la création terrestre et en font un être tout à fait à part. Ce fait fondamental, qu’il n’est plus possible de contester, donne à lui seul la solution du problème ethnographique, parce que, démontrant l’unité foncière de l’espèce humaine, il force à rapporter les diversités à l’empire des circonstances et des causes extérieures.

Et cette induction, évidente et certaine par elle-même, est confirmée par l’observation directe.

Les signes distinctifs d’une race se manifestent accidentellement dans les autres. A Souakin, ville au-dessous de la Mecque, deux tribus distinctes, l’une arabe, l’autre turque, sont devenues noires, quoique blanches à leur origine. — Différentes peuplades noires se distinguent du type nègre par la forme du crâne, par les traits et par les cheveux, qui sont ceux des autres familles (c’est ce qu’on voit chez les Foulahs et les Yoloffs). — La civilisation produit, à bien des égards, sur l’homme les mêmes effets que la domesticité chez les animaux ; l’action de la culture et de l’habitude atteint à la fois l’ordre physique et l’ordre moral. Les Arabes sédentaires diffèrent considérablement des Arabes nomades. Chez les nègres, soumis de bonne heure et pendant quelques générations à des travaux intellectuels, le crâne se développe, dit-on, sensiblement. Il en serait alors de la tête comme de tous les membres et de tous les organes du corps, qui prennent plus de force et d’accroissement par l’exercice ; et là se trouverait peut-être, pour le dire en passant, le vrai fondement de la phrénologied.

d – Seulement, son principe devrait être retourné. Les faits sur lesquels elle s’appuie seraient réels, du moins en thèse générale ; mais ce qu’elle donne pour la cause aurait été originairement l’effet, et vice versa.

Des variétés remarquables se sont produites chez certains peuples que le mouvement social a portés dans des contrées diverses et éloignées, chez les Juifs et les Bohémiens (gitanos), par exemple. On sait que quelques colonies juives ont pris le teint noir en Orient.

Les faits historiques confirment donc le raisonnement inductif tiré de l’identité essentielle de nature dans toutes les races ; l’observation prouve, comme la réflexion, que les variétés sont dues à des causes étrangères et occasionnelles.

D’autres considérations l’établissent aussi. La carte générale, le tableau synoptique des peuples, découvre d’un côté les liens secrets qui les unissent en une seule famille, et de l’autre la dégradation insensible des teints et des formes qui les séparent. On voit la race Caucasienne s’allier aux Mongols par les Finnois, aux nègres par les Abyssins, et revenir à elle-même à travers d’autres nations. Il en est comme de ces plantes que l’homme a transplantées dans des pays différents et qui conservent toujours leurs caractères primitifs en devenant très diverses.

La linguistique ajoute ses démonstrations à celles de la physiognomonique et de l’histoire. Des nations qui appartiennent à une des grandes familles par le langage appartiennent à une autre par la forme et par la couleur. Cependant, la parenté de langue prouve bien certainement la parenté d’origine. Les Abyssins sont noirs et il est néanmoins certain, par leur idiome, de même que par leurs traditions historiques, qu’ils descendent de la famille sémitique et, par conséquent, d’une race blanche. Ces données de la linguistique, s’appliquant à plusieurs peuples, sont fort importantes dans la question.

L’histoire constate des variétés extraordinaires qui, étant transmissibles, auraient pu donner naissance à des types particuliers si les circonstances en avaient favorisé le maintien et le développement. Ainsi les albinos, ainsi les familles qui ont des doigts surnuméraires aux pieds et aux mains ou qui en manquent, ainsi l’homme dit porc-épic, dont la totalité du corps, excepté la paume des mains, la plante des pieds et le visage, était couverte d’excroissances cornées d’environ un demi-pouce de long qui tombaient et repoussaient tous les ans, difformité étrange qui se reproduisit pendant trois générationse.

e – Voilà encore un des grands côtés de l’attaque, où la science finit par se désarmer elle-même et par proclamer à son tour la donnée biblique qu’elle avait si longtemps contestée. (Voy. M. Hollard : « De l’homme et des races humaines » (l853). Voy. aussi M. de Quatrefages (1862), dont l’ouvrage est d’autant plus décisif qu’il se tient constamment en dehors du point de vue théologique dans son argumentation comme dans sa conclusion).

De ces indications, prises entre mille, nous nous croyons autorisés à déduire les conclusions suivantes :

1° Parmi les animaux, reconnus pour être d’une seule espèce, il s’est formé des variétés au moins aussi nombreuses et aussi grandes que celles qui existent parmi les hommes, ces variétés sont donc compatibles, chez l’homme, avec l’unité originelle.

2° La nature tend à produire dans une race des variétés qui la rapprochent des signes caractéristiques des autres races, ces signes sont donc conditionnels et non constitutifs.

3° Certains faits manifestent même la possibilité de variétés plus étranges qui, se transmettant par la génération, auraient pu s’étendre, dans des circonstances favorables, jusqu’à former des familles ou des races distinctes.

4° Nous trouvons dans le langage et les traditions de divers peuples la preuve positive de leur transition d’une race à l’autre.

En définitive, l’ethnographie dépose donc pour le récit mosaïque, plutôt que de le combattre.

D). Géologie. — Voici encore une de ces sciences qui, après avoir fortement menacé à leur origine l’enseignement de nos livres sacrés, viennent lui rendre hommage sous bien des rapports, à mesure qu’elles avancent. Les premières observations et les premières inductions géologiques parurent à un haut degré alarmantes pour la foi. On prétend (et c’est sans doute une exagération) qu’en 1806 il y avait dans le seul Institut 80 théories hostiles à la Bible.

Quoique la géologie, comme science positive, soit toute récente, quelques-unes des observations sur lesquelles elle se fonde sont anciennes. La découverte de grands amas de coquillages, dans des fouilles faites à Véronne au xvie siècle, fît sensation et donna lieu à des discussions assez vives. Deux questions furent posées : 1° Ces fossiles étaient-ils de vrais coquillages, ayant appartenu à des animaux vivants ? 2° En les supposant des coquillages réels, avaient-ils été déposés là par le déluge ? — Sur la première question, on se prononça d’abord pour la négative et l’on imagina diverses théories pour rendre compte de l’existence de ces coquilles apparentes — (La physique du temps triomphait facilement de ces théories explicatives) — Il se trouvait mêlé à ces coquillages des défenses d’éléphants — c’étaient, disaient-on, de pures concrétions terrestres. — Mais on avait découvert ailleurs (près de Rome) des débris de vases et de poteries, (Ne pouvant point encore distinguer les divers ordres de terrains, on confondait, dans cette première discussion, tout ce qui se rencontrait au-dessous du sol) — ces débris étaient des jeux de la nature qui avait voulu se railler des œuvres de l’homme. Les ossements d’éléphants furent considérés par certaines personnes comme des os de géants (un professeur d’anatomie de Bâle) ou d’anges (Angleterre)f.

f – L’incrédulité qui se rit de ces explications, et à bon droit, en a donné de tout aussi étranges. Ainsi à l’argument qu’on tirait en faveur du déluge, de la présence de coquillages dans les lieux les plus éloignés de la mer, elle a quelquefois répondu que les pèlerins les y avaient laissé tomber. On sait que Voltaire a attaché son nom à cette dernière explication.

On finit par céder à la puissance des faits qui, en se multipliant, renversaient toutes les théories. On reconnut, bon gré mal gré, que les coquilles étaient bien des coquilles. — Il restait la deuxième question : tout cela peut-il s’expliquer par le déluge ? On commença par soutenir l’affirmative et l’on n’épargna pas les épithètes d’incrédules et d’impies à ceux qui niaient ou qui doutaient. Mais quand la nature des fossiles eut été mieux constatée, le oui ne fut pas plus tenable sur cette question que le non ne l’avait été sur la première. Il fallut encore se résigner à abandonner les hypothèses et à voir les faits tels qu’ils sont.

Observées avec attention, les couches dont se compose la surface connue de la terre, présentent un ordre qu’on n’y apercevait pas d’abord et qu’on ne leur avait point soupçonné ; il s’y trouve un arrangement qui peut se ramener à des principes et à des règles fixes. Au lieu d’être une masse mêlée et confuse, la croûte du globe est formée de dépôts ou strates successifs, ressemblant aux feuillets d’un livre. Quelques-uns de ces feuillets manquent çà et là, mais il ne sont jamais placés irrégulièrement ou arbitrairement.

Des dislocations profondes, ayant soulevé et rompu l’enveloppe de la terre, ont mis ainsi à découvert la série de ces superpositions. — C’est ce qui a créé la géologie ; car l’homme n’est descendu, dans l’exploitation des mines, qu’à 3 ou 400 mètres au-dessous du niveau de l’Océan ; c’est-à-dire qu’il a à peine percé une des lames de l’écorce terrestre, une des feuilles du livre où il lit maintenant les annales des temps antérieurs à l’existence de sa race. Ce livre, encore si mystérieux, les soulèvements seuls le lui ont ouvert.

Non seulement on constata l’existence et la régularité des différentes couches, mais on les classa d’après les matériaux qui les constituent ou qui les distinguent. L’application de l’anatomie comparée aux fossiles, qui abondent dans ces couches, amena pour la science une ère nouvelle. Ce progrès immense est dû surtout aux travaux de Cuvier. D’après une loi, révélatrice des causes finales et jusqu’ici toujours confirmée par les faits, ce grand naturaliste reconstruisait un animal avec un fragment d’os ou une dent. Il recomposait des êtres perdus, rendait en quelque sorte la vie à des espèces éteintes, décrivait leurs formes, leurs organes, leurs aliments, leurs mœurs ; des mondes anéantis depuis des milliers d’années reparaissaient presque, avec leur histoire, sous son œil et sous sa main. Il est souvent arrivé que, lorsque Cuvier avait restauré un animal fossile à l’aide d’un simple fragment, on a découvert des squelettes plus ou moins complets, et ses conjectures se sont toujours trouvées exactes.

Double Objection. — Les découvertes géologiques ont donné lieu naturellement à cette objection : L’Eglise a enseigné, d’après la Bible (Genèse 3.17-19 ; Romains 5.12 ; 8.20), que la mort est venue dans le monde en suite du péché d’Adam ; et il est positif, d’après la géologie, que la mort régnait sur la terre avant la chute et même avant l’existence de l’hommeg. Les assertions de la Bible à cet égard sont donc erronées (d’où il suit qu’elle n’est point une révélation). Elles le sont encore sous un autre rapport : L’Eglise a cru, sur la foi de la Bible, que notre terre, formée en six jours, ne comptait qu’environ 6 000 ans d’existence ; or, les faits démontrent qu’elle a éprouvé de nombreuses et immenses révolutions bien avant cette époque.

g – Les nuages amoncelés aujourd’hui par les sciences métaphysiques, physiques, historiques, passeront comme tant d’autres ont passé. Déjà le jour se fait sur le point le plus grave et naguère l’un des plus compromis, la critique du Nouveau Testament.

1°) De la première objection, relative à la doctrine ecclésiastique de l’entrée de la mort dans le monde, nous ne dirons qu’un mot, d’abord parce qu’elle est rarement soulevée ou pressée, et ensuite parce qu’elle ne tient pas directement au dogme de la création.

Pour lui enlever sa base, il suffit d’observer que c’est uniquement à l’égard de l’homme que la mort est présentée dans l’Ecriture comme la suite et la peine du péché : Au jour que tu en mangeras, tu mourras. (Genèse 2.17 ; comp. Romains 5.12). En fait, l’existence antérieure de la mort est impliquée dans la menace adressée à Adam, car sans cela cette menace n’aurait pas été intelligible ; elle l’est dans la loi de propagation qui régit le règne animal (Genèse 1.22), car autrement les différentes espèces auraient bientôt dépassé leurs moyens naturels de subsistance ; elle l’est dans la création des carnivores, à moins qu’on ne suppose, avec certains systèmes, qu’ils n’ont apparu qu’après la chute, ce que la Bible ne laisse pas même soupçonner ; elle l’est dans la nourriture végétale elle-même, puisque les eaux et les plantes renferment des animaux sans nombre ; elle l’est, en un mot, dans la constitution générale des êtres, que la chute ne paraît pas avoir essentiellement modifiée. Et si elle est ainsi appliquée dans le fond des choses, elle est attestée par un des traits du récit : L’Eternel fit à Adam et à sa femme des robes de peaux et les en revêtit (Genèse 3.22). La mort était donc là. L’homme seul, cet héritier du ciel, en aurait été exempt, s’il fût resté fidèle à sa loi. Comment ? Nous l’ignorons. Mais Dieu est grand en conseils et abondant en moyens (Hénoc, Elie). Qui peut dire ce qu’a été le péché pour notre constitution physique comme pour notre constitution morale ?

Cette objection frappe donc, conformément à l’une de nos précédentes remarques, non contre une doctrine de la Bible, mais contre une opinion entée sur la Bible. Ce que la Bible rattache à la chute, ce n’est pas l’entrée de la mort sur la terre, c’est son entrée dans l’humanité.

2°) Venons à l’objection la plus fréquente et la plus grave. Et commençons par reconnaître ce qu’il y a de positif dans les faits qui lui servent de fondement.

La nature et la disposition des strates mettent au-dessus de toute contestation que la terre a subi d’immenses révolutions avant l’apparition de l’homme et des autres êtres qui l’habitent aujourd’hui, par conséquent avant l’ère mosaïque.

Ces strates doivent manifestement leur origine à des sédiments précipités au fond d’un liquide, où ils se sont déposés en couches. Pour chacune de ces couches, le travail de formation doit nécessairement avoir été très lent et très long : et ces couches sont nombreuses dans les divers terrains, dont la distinction générale, sinon l’exacte classification, paraît pleinement établie. (Terrain supérieur ou diluvientertiaire — secondaireintermédiaire ou de transition — primaire ou primitif).

Plusieurs de ces couches renferment de grands amas de fossiles, souvent si bien conservés que tout indique un dépôt paisible au sein des eaux pendant des années et des siècles. Les différentes parties de la terre ont donc été, à diverses reprises, abandonnées et recouvertes par les mers ; et ces invasions successives ont eu lieu à des époques très éloignées les unes des autres.

Ce fait, auquel conduit la simple observation, a été porté au plus haut degré d’évidence et de certitude par l’étude des fossiles. Les couches les plus profondes (terrains primaires, roches ignées) ne contiennent aucun reste d’êtres organisés. Dans celles qui en contiennent, on voit une gradation de populations végétales et animales, correspondant aux états successifs du globe. On trouve d’abord (terrains intermédiaires) des dépôts anthracifères et des coquillages. Puis viennent des monstres sans analogues dans les espèces vivantes (terrains secondaires). Ce n’est que dans les terrains tertiaires, formations comparativement récentes, que se montrent des mammifères ; encore diffèrent-ils par leur grandeur, leurs formes, leurs habitudes de ceux que nous avons maintenant. Plus tard apparaissent des animaux appartenant aux genres actuels, quoique généralement d’espèces différentes, et ils sont enfin remplacés par les espèces que nous possédons.

Ces faits, quant aux grands linéaments, paraissent décidément établis, malgré ce qu’ils ont d’incomplet et d’incertain à bien des égards ; car il ne faut pas oublier que la géologie, quelque considérable que soit déjà la masse de ses observations, est une science naissante, et que, d’ailleurs, reconstruisant le passé avec des débris, elle doit inévitablement rester conjecturale sur une foule de points.

Le fait le plus important peut-être dans cette série de créations successives, fait souvent révoqué en doute, et toujours confirmé jusqu’à présent, c’est qu’il ne se rencontre aucun fossile humain dans les terrains d’ancienne formation.

En présence de ces faits, comment échapper à la conviction de l’existence préadamique de la terre ?

Dirait-on (et on l’a fait) que ces couches graduelles, avec les fossiles végétaux et animaux qui les distinguent les unes des autres, ont été créées dans l’état où elles sont ? Mais cette supposition serait en désharmonie avec toutes les analogies de la nature, avec le caractère uniforme des œuvres de Dieu. Tout montre d’ailleurs que les fossiles sont bien des restes d’êtres réels ; la loi de Cuvier le prouverait à elle seule. En fait, cette supposition qui, pour le dire en passant, jetterait de l’incertitude et de la défiance sur plusieurs des principes de la théologie naturelle, en particulier sur ceux qui servent de base à l’argument téléologique. n’est pas plus admissible que les hypothèses au moyen desquelles on tenta d’expliquer au premier moment les coquillages de Véronne, quoique Hegel les ait en quelque sorte rajeunies. « Rien n’est si facile, dit-il, que de supposer là tout un monde organique qui a péri dans l’eau. Mais d’où serait-il donc venu ? il est né de la terre, (il en naît toujours) et a sa substance en elle. Ces produits organiques ne doivent pas être considérés comme ayant vécu ; ils sont morts-nés. C’est la nature qui engendre l’organisation sous la forme d’êtres immédiats, de figures mortes, et les cristallise de part en part, de même que l’artiste représente l’homme par la pierre ou sur la toile. » Ce retour aux vieilleries cosmologiques de la Renaissance est certes curieux, après les progrès des sciences physiques, surtout de la part d’un système qui a été donné et célébré comme le dernier mot de la philosophie, comme la construction rationnelle de l’ordre universel des choses. Car l’explication hégélienne des fossiles n’est, sous d’autres termes, qu’un réchauffé de celles qui rapportaient la formation des coquillages, objet de la discussion, à l’influence des astres ou au mouvement tumultueux des exhalaisons internes, qui voyaient dans les dents d’éléphants de pures concrétions terrestres, et dans les débris de vases antiques des jeux de la nature se raillant des œuvres de l’homme. Que de revenants dans notre siècle incrédule !

Dira-t-on, suivant une hypothèse qui a eu beaucoup de partisans et qui en a probablement encore, que la terre et la mer ayant changé leurs places respectives au déluge, la plus grande partie des formations stratifiées furent déposées dans les eaux pendant les 1 600 ans (2 200 selon les Septante) qui précédèrent ce cataclysme, et que le reste s’est produit depuis cette époque ? Mais cette hypothèse toute arbitraire, — car rien n’indique dans la Bible le déplacement spécial des mers sur lequel elle est fondée, — ne rend pas compte de la différence des couches et des fossiles, de la nature et de l’ordre des dépôts, c’est-à-dire précisément de ce qu’il y a de capital à expliquer. Au lieu de la série ascendante de population végétale et animale, il n’y aurait qu’une seule population.

Evidemment le fait que la géologie donne pour établi, l’est réellement : La terre a existé et subi d’immenses révolutions bien avant l’ère mosaïque. Ce grand fait, qui a pu être contesté pendant un temps, ne saurait l’être raisonnablement aujourd’hui, tant il ressort de tous côtés. Il ne reste dès lors d’autre question que celle que nous posions tout à l’heure : Comment le concilier avec le récit sacré ?

Nous rencontrons ici deux théories principales, a) L’une (indiquée par Cuvier et adoptée par un grand nombre de géologues) transforme les jours de la Genèse en époques ; elle les considère comme des périodes de temps, indéfinies en elles-mêmes, mais marquées chacune par une série d’événements déterminés, et elle fait ressortir des analogies remarquables entre l’ordre biblique et l’ordre géologique. Pour concilier cette interprétation avec le littéralisme de l’Ecosse et de l’Angleterre, Jamson, professeur à Edimbourg, maintenant la signification commune du mot iôm, supposa que la révolution de la terre autour de son axe fut d’abord extrêmement lente, en sorte que son mouvement diurne aurait commencé par être séculaire.

b) Une autre explication place les formations préadamiques dans l’intervalle qui s’écoula entre la création première, ou la création proprement dite, et l’organisation, ou la création seconde, ces deux faits que semble distinguer la Genèse, ainsi qu’on s’accorde à le reconnaître. Elle les rejette à l’époque indéterminée du chaos, cet état de confusion, de trouble, de conflit général, où la terre était tohu-bohu, où les ténèbres couvraient la face de l’abîme, où l’Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux (Genèse 1.2), et dont parlent toutes les traditions cosmologiques. Cette explication a dominé en Angleterre, et la première en France, en sorte qu’on pourrait les désigner sous les dénominations générales de théorie anglaise et de théorie française.

L’une et l’autre théorie lèvent l’objection, car elles laissent aux révolutions terrestres tout le temps qu’elles ont pu exiger, sans atteinte à la chronologie mosaïque, en faveur de laquelle déposent d’ailleurs, nous l’avons vu précédemment, les données générales de la science. Mais elles restent exposées l’une et l’autre à des difficultés de détail, comme on pouvait d’avance s’y attendre en un pareil sujet. Il existe de ces difficultés dans le récit de Moise considéré en lui-même et indépendamment des résultats de la géologie. La distinction si importante entre la création et l’organisation des choses, y est indiquée plutôt que formellement posée.

Il est parlé de trois jours, avec leur soir et leur matin, avant que le soleil eût été formé ou du moins avant qu’il eût été mis en rapport avec la terre. La terre est représentée comme le point central du système des mondes, conformément à l’opinion vulgaire ; le soleil et la lune sont faits pour elle, pour l’éclairer, pour y marquer les années, les jours et les saisons ; ils sont les deux grands luminaires ; le reste des corps célestes est relégué tout à fait sur le second plan, et n’obtient que ces mots : Il fit aussi les étoiles. Rien des planètes et des comètes, qui demeurent confondues avec les étoiles ; rien non plus de la création des esprits.

Il est évident que le but de l’auteur sacré est de donner une représentation impressive, plutôt qu’une exposition exacte, des grands événements qu’il retrace ; son dessein n’est pas d’écrire une cosmogonie proprement dite. Ce n’est pas là que porte l’esprit qui l’inspire. Il se place et se tient, redisons-le, non au point de vue rigoureux de la science, mais au point de vue populaire et pratique de la foi ; ce n’est pas même de la physique ou de l’astronomie qu’il fait, ce n’est pas de la théologie, c’est de la religion, et c’est le langage impressif de la religion qu’il emploie. Ce caractère fondamental de sa pensée et de son style est partout sensible. Ainsi Dieu parle, commande, consulte et délibère (Genèse 1.6, 9, 11, 14 ; 1.20, 22, 24, 26, 28-29). Ainsi encore (au chap. suivant) il est dit que l’Eternel Dieu forma l’homme de la poudre de la terre et qu’il souffla dans ses narines une respiration de vie : images manifestement anthropopathiques, destinées à rendre intelligibles les actes divins, en les assimilant aux opérations humaines et qu’on ne saurait dès lors prendre comme l’expression adéquate des faits. Dans le récit de la création l’objet capital est de révéler le seul Dieu vivant et vrai, dans l’éclat de sa puissance, de sa bonté, de sa sagesse, et par là de saper à leur base toutes les erreurs polythéistes. Il ne faut donc pas changer ce beau frontispice des Ecritures en un fragment de physique et de géologie : ce serait en méconnaître le vrai caractère, l’esprit et le but. Il ne faut donc pas non plus y chercher cette précision d’expression et de doctrine que nous exigerions d’un traité philosophique ; ce serait le juger d’un point de vue qui n’est pas le sien. C’est une peinture, à grands traits, de l’origine des choses, tendant directement, si ce n’est uniquement, à établir la vérité des vérités, savoir la vérité religieuse ; mais au fond de laquelle se trouve aussi la vérité physique prise en masse. Révélation du monde spirituel à travers et par delà le monde matériel, révélation adaptée à toutes les intelligences comme à tous les temps, l’Ecriture néglige ce qui n’aurait qu’un intérêt de curiosité ou de science, pour s’occuper exclusivement de ce qui concerne la foi, la piété, la vie des âmes (Jean 20.31 ; Romains 14.4 ; 2 Timothée 3.16).

Appliquons ces réflexions aux deux théories entre lesquelles se partagent les géologues chrétiens. L’une voit dans les jours de la Genèse des temps et des états divers durant lesquels se sont accomplies les révolutions que constate la science : l’autre place ces révolutions dans l’intervalle qui sépare l’acte créateur de l’organisation actuelle de la terre, et conserve au mot iôm son sens usuel. La première, patronnée par le nom de Cuvier, et reçue d’abord presque unanimement, a passé depuis par de nombreuses alternatives de faveur et de défaveur. On lui a reproché (surtout en Angleterre) de violenter les termes du récit de Moïse, d’en méconnaître l’esprit et le caractère, en faisant des jours de la création des époques d’une durée indéfinie. A cette considération, présentée comme décisive, on ajoute que c’est sur le texte entendu littéralement, que se fondent l’institution de la semaine et le précepte du sabbat (Genèse 2.2 ; Exode 20.11), et que l’analogie serait détruite s’il ne s’agissait pas de jours naturels. On dit aussi que, même en concédant à la théorie l’interprétation symbolique qui lui sert de point de départ et d’appui, elle n’est pas d’accord avec les faits, comme elle prétend l’être, puisque la géologie constate que, dès que les fossiles apparaissent, il se mêle aux débris végétaux quelques produits d’animalité (tribolites dans les dépôts anthracifères) ; ce qui ne devrait point avoir lieu selon la Genèse, qui ne place la création des animaux qu’au cinquième jour.

Malgré l’impression qu’elles peuvent faire à première vue, ces observations ne me paraissent pas avoir la valeur qu’on y attache. Il est positif que le mot iôm désigne souvent une période indéfinie, un temps indéterminé. Nous l’avons en ce sens dans la conclusion même du récit de la création, Genèse 2.4 : Telles furent les origines des cieux et de la terre au jour, (baiôm) (c’est-à-dire à l’époque) où ils furent créés ; car ce jour renferme tout au moins les six jours précédents. Nous lisons Ésaïe 4.1 : En ce jour-là, (baiôm hahou), c’est-à-dire encore en ce temps-là, comme portent les versions. Relativement à ces deux textes, on fait remarquer, il est vrai, que ce n’est pas le simple substantif iôm qui est employé, mais un composé baiôm, et l’on prétend qu’il faut considérer ce dernier terme comme une espèce d’adverbe de temps. Distinction trop subtile, ce semble, pour être bien exacte. D’ailleurs cet adverbe, si c’en était un, se construirait-il avec le pronom, ainsi que le fait Ésaïe 4.1 ? Et puis d’autres expressions échappent à cette remarque : il est parlé du jour du Fils de l’homme, du jour de Dieu, du jour du salut et de l’éternité.

Alors même qu’on reconnaît au mot cette large signification, on soutient qu’il ne peut l’avoir dans une narration ou une exposition didactique, telle que le premier chapitre de la Genèse, où il a dû conserver, dit-on, son acception propre, son acception littérale et usuelle. Mais nous avons vu que ce chapitre est tout autre chose qu’une page d’histoire ou de physique, qu’il se distingue par des caractères qui ne permettent pas d’y attendre une précision rigoureuse, et que, d’un aveu commun, plusieurs des traits qu’il renferme sont métaphoriques ou symboliques. Nous avons vu de plus, et ceci met à néant cette fin de non-recevoir, que le mot a dans le récit même de la création (Genèse 2.4) le sens étendu et indéterminé qu’on lui conteste.

Quant à l’établissement de la semaine et du sabbat, que les jours dont parle Moïse soient des jours géologiques, des époques marquées par des évolutions terrestres, ou des jours ordinaires, son récit a pu également servir de type à cette double institution. S’il n’y a pas identité, il y a analogie, et ce rapport est suffisant. (Le pain et le vin de la Cène ont-ils plus de ressemblance avec le corps et le sang de Jésus-Christ ?)

Cet ordre de considérations, que bien des personnes tiennent pour décisif, ne me paraît pas de nature à infirmer la théorie à laquelle on l’oppose. Mais l’autre théorie, qui s’y appuie et en fait son fort, n’échappe pas par elle-même aux difficultés qui naissent de l’emploi du mot jour par l’historien sacré ; car il faut qu’elle admette qu’il y eût trois jours, avec leur soir et leur matin, avant que le soleil éclairât la terre. L’objection, que ses partisans pressent si fort contre la première théorie, retombe sur eux sous une autre forme, et plus expresse et plus grave : car qu’entendre par ces jours que le soleil ne mesurait pas ? qu’est-ce qu’un jour au sens propre, sinon l’espace de temps qui sépare le lever et le coucher de cet astre ? Comment se tirer de là, si l’on veut maintenir absolument le sens usuel et primesautier ? Et si l’on reconnaît quelque chose de métaphorique dans l’expression de Moïse, si l’on recourt au symbolisme sur certains points, a-t-on le droit de la prendre littéralement et de la presser rigoureusement contre d’autres systèmes ?

Des observations semblables s’appliquent à l’objection tirée du manque d’accord qu’on signale entre la narration de la Genèse et la succession des fossiles. Nous trouverons encore, je pense, que cette objection n’a pas la force qu’on lui prête, si, nous rappelant le caractère fondamental du récit de Moïse, nous ne prétendons pas y rencontrer cette exposition exacte, cette justesse des termes, cette plénitude des détails, qui ne doivent pas y être cherchées. En le considérant comme une description en bloc, destinée à servir d’introduction et de base au monothéisme biblique, on ne peut qu’être frappé des étonnants rapports de l’ordre qu’il dépeint, avec celui que constatent les découvertes modernes. Si l’on suit la marche générale des révolutions ou des évolutions terrestres, telle que la donne la géologie, qu’y voit-on, en se tenant aux grands linéaments de ce travail des siècles ? D’abord nulle trace de vie animale ni végétale ; ensuite, quant au fond constitutif, les plantes, après lesquelles les poissons et les reptiles ; puis les quadrupèdes ; c’est-à-dire le développement ascensionnel de l’organisation animale, jusqu’à nos espèces actuelles ; et enfin l’homme. Eh bien, voilà précisément l’ordre général que décrit la Genèse, et que rien n’annonce dans aucune autre des anciennes cosmogonies, et que rien ne pouvait faire soupçonner à l’époque de Moïse. C’est ce rapport d’ensemble et de fond, qui est important. La pleine harmonie des particularités ne saurait être exigée ici, soit à cause de la nature du récit de Moïse, dont le caractère et le but sont purement religieux, soit à cause des imperfections inévitables d’une science qui commence à peine et qui, construisant avec des ruines l’histoire des temps et des événements antérieurs à l’homme, n’arrivera jamais sans doute à une certitude et à une précision entières. Ce sont ces correspondances générales entre les données de la Bible et celles de l’observation, ce sont ces merveilleuses rencontres quant aux grands traits, qui constituent le fait vraiment remarquable, et recommandent singulièrement la première théorie ; mais c’est aussi cela qui me paraît contre la seconde une considération décisive.

S’il faut rejeter par delà les six jours de la Genèse les grandes révolutions qu’a subies la Terre ; si les formations géologiques et les formations mosaïques appartiennent à deux époques différentes, d’où vient le rapport foncier qu’elles offrent ? Ce fait qui sert de base et de preuve à l’une des théories, doit être expliqué par l’autre. D’après celle-ci, la séparation de la terre et des eaux, l’entrée de notre globe dans le système solaire, la production successive des organisations végétales et animales, la série entière des évolutions terrestres, jusqu’à l’apparition de l’homme, aurait eu lieu avant les événements racontés dans le premier chapitre de la Bible. Comment concevoir dès lors les correspondances de ces anciennes formations, telles que l’observation les constate, avec celles que rapporte l’histoire sacrée, puisqu’elles seraient, dans l’hypothèse, tout à fait indépendantes les unes des autres et séparées par un intervalle énorme ? Admettra-t-on que Dieu soit revenu en arrière pour répéter les diverses parties de son œuvre ? Tout n’annonce-t-il pas que la marche des choses a été constamment ascendante, suivant une loi providentielle des mieux établies, et manifeste dans le récit de Moïse de même que dans les observations de la science ? Moïse laisse-t-il entendre qu’il y ait eu des évolutions cosmologiques avant celles qu’il rapporte ? Ce fait, pivot de la théorie tout entière, est-il le moins du monde indiqué ou impliqué dans le v. 2 où elle se réfugie ? Cette sorte de retour aux premiers rudiments de la création, qui devrait paraître quelque part si elle était fondée, n’a vraiment pas de place. Rien n’autorise à supposer ce double travail dans lequel les évolutions terrestres auraient été comme reprises en sous-œuvre ; rien ne permet d’y croire, ni la science, ni l’Ecriture.

Nous nous tenons donc à la première théorie, que tout recommande à nos yeux. Nous ne pouvons nous persuader qu’un accord qui a été reconnu par les géologues les plus étrangers à la foi, qui en a amené plusieurs à voir dans les premières pages de la Bible, et par conséquent dans la Bible entière, quelque chose de supérieur à l’homme, qui a fait dire à d’autres que si l’on ne peut affirmer qu’il y ait eu là une inspiration divine, il y a pourtant lieu d’admirer cette force de tête qui a fait deviner quelques-uns des résultats auxquels les recherches scientifiques devaient arriver trente siècles plus tard ; nous ne pouvons nous persuader que cet accord, qui a frappé de respect la science, étonné le monde et réjoui l’Eglise, soit absolument fortuit, comme la seconde théorie le suppose.

Et s’il est réel, comme il l’est manifestement quant au fond, s’il existe en effet entre l’ordre mosaïque et l’ordre géologique cette correspondance générale, la seule que nous eussions lieu d’attendre et qu’on ait droit de réclamer, il se trouve donc en définitive que cette partie des études humaines, en se développant sur sa ligne propre, a comme la plupart des autres, non seulement cessé de se montrer hostile à la Bible, mais fini par déposer en sa faveur ; car, quoi qu’on en dise, cette merveilleuse anticipation des découvertes actuelles ne peut s’expliquer que par une révélation, qu’attestent d’ailleurs bien d’autres signes. Où Moïse aurait-il pris des vues si étrangères à toutes les opinions comme à toutes les apparences, et que viennent justifier, plus de 3 000 ans après lui, des observations tout à fait inattendues ?

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