Théologie Systématique – II. Dogmes Mixtes

4. Conclusion

Le récit du premier chapitre de la Genèse et la révélation biblique en général triomphent de toutes les objections de la science. — La Bible contient la vérité donnée de Dieu ; elle n’a rien à craindre, bien au contraire, des vérités que trouve l’homme.

Je terminerai par quelques remarques qui s’appliquent également à toutes les objections que les sciences, dans leur développement, élèvent contre la Bible :

1° Le caractère commun de ces objections est de prétendre ruiner la révélation biblique, en opposant à certaines de ses déclarations ou de ses doctrines des faits recueillis çà et là et généralement étrangers au domaine religieux et moral, qui est le domaine propre du Livre sacré. Or, c’est là une prétention excessive et abusive. Cette argumentation, ne touchant pas aux preuves directes de la divinité des Écritures, alors même qu’elle resterait sans réponse, laisserait intactes les bases de la foi et, par conséquent, la foi elle-même, puisqu’elle n’en atteindrait ni le fondement, ni l’objet réels. Seulement, elle jetterait dans un état d’esprit infiniment pénible. Nous aurions devant nous deux ordres de faits qui nous sembleraient bien établis l’un et l’autre et que nous ne pourrions concilier, savoir : d’un côté les données scientifiques dont il nous serait impossible de rendre compte, et de l’autre les données bibliques qu’il nous serait également impossible de révoquer en doute. Enantiophanie fâcheuse sans contredit, mais dont on ne saurait légitimement inférer, comme on le fait trop souvent, la fausseté de la révélation chrétienne, aussi longtemps que subsistent ses titres formels de crédibilité. Que dit-on des théologiens (comme il s’en est trouvé à toutes les époques) qui se sont appuyés sur le dogme ecclésiastique ou sur l’enseignement scripturaire, certain à leurs yeux, pour nier les vérités physiques les plus évidentes, les découvertes les mieux constatées (rotation de la terre, — antipodes, — révolutions préadamiques) ? Ces théologiens n’ont fait, pourtant, qu’appliquer en sens inverse le principe d’après lequel les sciences ne cessent d’attaquer le christianisme. Les sciences disent : Voilà des faits que nous jugeons inconciliables avec l’Ecriture ; donc l’Ecriture n’est pas une révélation. Les théologiens répondent : L’Ecriture est une révélation ; c’est un fait incontestable pour nous et que nous offrons de vous démontrer si vous voulez écouter et peser nos preuves ; donc, ces autres faits, que vous invoquez contré elle, sont ou controuvés ou imparfaitement connus et mal compris. Du reste, des énantiophanies semblables se manifestent plus ou moins entre les diverses branches de la connaissance humaine, par cela seul qu’elle est toujours incomplète. Applique-t-on là le principe ou le procédé dont on use si promptement et si largement envers la Bible ?

L’éternelle lutte du sensualisme et de l’idéalisme, par exemple, qui prétendent se convaincre mutuellement d’illusion, fait-elle abandonner ou la physiologie ou la psychologie, pour échapper à la dualité irréductible de l’ordre spirituel et de l’ordre matériel ? Si les exclusifs ont, des deux parts, poussé jusqu’à la négation du terme qui les embarrasse, la masse des savants n’a point tenu compte de ces verdicts passionnés ; elle a maintenu et l’âme et le corps, avec le mystère de leur union. Là où l’on ne voit qu’en partie, s’étonnerait-on de ne pas saisir le rapport général des choses ? Chaque classe de vérités a sa classe spéciale de preuves, par lesquelles on doit, en dernière analyse, la juger.

Aussi, le christianisme, appuyé sur les siennes, a-t-il constamment avancé au milieu d’objections et d’attaques du genre de celles que nous discutons, poursuivant ses paisibles conquêtes à travers les philosophies successives qui l’ont presque toutes condamné et rejeté, sur la foi de leurs principes ou sur l’autorité de certains faits dont elles se faisaient une arme contre lui. En mille cas, les apparences les plus hostiles se sont évanouies d’elles-mêmes par le progrès des lumières.

Sans doute, les faits, non plus que les principes, ne peuvent se contredire au fond, mais ils peuvent être mal observés ou mal interprétés, et le contradictoire réel est alors, non en eux, mais dans la notion qu’on s’en forme : cela s’est vu mille fois et se voit tous les jours. De là notre seconde remarque.

2° En général, ce sont moins les faits eux-mêmes, si nous y prenons garde, qu’on oppose à la Bible, que les inductions qu’on en tire ou les théories qu’on y fonde. (Ainsi, diversité des langues, des races ; voilà des faits. Multiplicité des origines, voilà une théorie, et c’est de cette théorie qu’on argumente). Or, nous savons que les théories les plus certaines en apparence peuvent être modifiées d’un instant à l’autre par des découvertes nouvelles qui, en étendant et précisant les observations déjà faites, leur donnent une tout autre signification. L’histoire des sciences en fournit des exemples sans nombre ; leur progrès n’est qu’un continuel renversement des explications consacrées. Il suffit de rappeler ce que nous avons constaté plus haut, relativement à la chronologie, l’archéologie, l’ethnographie, etc. Il y avait bien là des faits, mais mal assurés ou mal appréciés.

3° D’ordinaire, c’est moins la Bible elle-même que combattent les données ou les théories de la science que certaines interprétations de la Bible, certaines opinions théologiques ou ecclésiastiques que la Bible a pu inspirer et qu’elle peut paraître autoriser ; surtout, c’est moins la doctrine directe de la Bible, celle qui concerne la vie des âmes et qui est l’objet réel de ses enseignements, que tels ou tels traits isolés et secondaires d’histoire, de géographie, etc. : interprétations et opinions qui pourraient crouler, détails qui pourraient ne pas être d’une rigoureuse exactitude, sans que la foi donnée aux saints, c’est-à-dire le contenu essentiel, le fond vital de la révélation, et, par suite, la révélation elle-même, reçoive de là aucune atteinte sérieuse. Ainsi, d’après la croyance commune de l’Eglise et l’ancienne interprétation du premier chapitre de la Genèse, la création du monde et de notre terre en particulier ne daterait que de 6 000 ans. La science est venue prouver qu’elle remonte infiniment plus haut. L’incrédulité a triomphé d’abord de cette démonstration. Mais ce que ce fait renverse, ce n’est pas le récit de Moïse qui le porte avec lui (puisqu’il fait de l’homme la dernière des créations terrestres), c’est seulement une opinion qu’on en avait déduite. En quoi cela affecte-t-il réellement et le premier chapitre de la Bible et la Bible entière ? L’attaque s’y change en hommagea.

a – Voy. sur la corroboration des données bibliques par les progrès de la science, le bel ouvrage, très scientifique, publié par M. le pasteur Pozzy en 1876 sous le titre : La Bible et le Récit biblique de la création. (Édit.)

Ces interprétations hâtives, dont on rend la Bible solidaire, la philosophie critique se les est sans cesse permises ; et elle a ainsi, en mille cas, imputé à la Bible ses erreurs propres. Outre les grands exemples qui ont été cités, nous en avons un fort remarquable dans les premiers versets de la Genèse. Que d’attaques et de sarcasmes contre l’assertion de l’existence de la lumière antérieurement au soleil. C’était en effet une assertion bien étrange, que l’observation commune et les croyances universelles auraient dû, ce semble, prévenir chez l’historien sacré, et que tout s’accorde pourtant, si je ne me trompe, à justifier aujourd’hui.

Allons plus loin, si l’on veut, et accordons que certaines des découvertes de la science en physique, en astronomie, en physiologie, etc., sont décidément inconciliables avec la terminologie générale de l’Ecriture ; tout ce qui s’ensuivra, c’est que, sous ces rapports, nos Livres sacrés ont parlé la langue de leur temps, parce que leur but est, non de dévoiler ou d’expliquer la nature, mais de donner et de sauvegarder la religion, de proclamer dans le monde la vérité qui est selon la piété, laissant tout le reste dans le libre champ des investigations et des opinions humaines. Ainsi l’objet direct et essentiel du 1er chap. de la Genèse n’est pas de résoudre les questions scientifiques qui se rattachent à l’origine des choses, c’est uniquement de montrer en Dieu le Créateur et l’Ordonnateur de l’univers. Voilà l’important au point de vue religieux, où se tient le Livre divin ; or, cela serait pleinement resté, quand la géologie n’aurait pas levé elle-même ses premières objections contre cet admirable prologue qu’elle rencontrait sur sa routeb.

b – La doctrine sainte plane au-dessus des opinions qu’enfante à ses côtés le développement séculaire des connaissances humaines ; et tandis que la science, à laquelle ne s’adresse pas la Bible, cherche et discute ce qui est de son ressort, la religion que la Bible a seule en vue, goûte, éclairée et satisfaite, la vérité qui est la vie.

4° La géologie, quelque hostile qu’elle ait été et qu’elle soit encore, est loin de se montrer aussi menaçante que paraissait l’être l’astronomie quand, à la voix des Copernic, des Keppler, des Galilée, elle changeait le système du monde, heurtait de front les vieilles croyances des peuples, renversait des doctrines universellement consacrées par l’Eglise, et semblait contredire mille passages et mille faits scripturaires. On sait quelles longues luttes et quelles vives inquiétudes sortirent de là. Cependant, cette grande révolution, qui déplaçait des idées si anciennes et si générales, a laissé l’Ecriture aussi ferme sur ses bases, aussi puissante dans ses doctrines, qu’elle l’était auparavant ; ni son autorité morale ni son autorité théopneustique n’en ont souffert, parce qu’on a reconnu qu’elle n’était point atteinte dans sa mission réelle, dans son fond essentiel. (C’est même concurremment avec le progrès des vues nouvelles, à l’époque de la Réformation, que le dogme de l’inspiration, l’autocratie de la Bible, est arrivé à son plus haut degré de développement et d’empire).

5° Remarquons enfin que ce ne sont pas uniquement les sciences dont nous avons parlé, la chronologie, l’archéologie, l’ethnographie, la géologie, qui sont venues rendre hommage au Livre divin en se complétant, c’est-à-dire en arrivant à la vérité, ce sont aussi les sciences économiques et politiques. Après s’être armées, comme tout le reste, contre le christianisme, après avoir répété sur tous les tons qu’un peuple de chrétiens serait un peuple d’esclaves ou un peuple de fanatiques, et que le renversement des superstitions ou des préjugés était le premier pas vers l’affranchissement du monde, ces sciences ont fini par reconnaître dans l’Evangile les principes réels de l’ordre et du progrès social, les sources profondes, les racines secrètes du monde moderne. Ce fait, d’une portée incalculable, devient toujours plus manifeste au milieu même de la confusion des idées qui caractérise notre époque. Les publicistes l’attestent, les hommes d’état le proclament, les incrédules le confessent. Aussi quand, à ce retour inattendu des sciences naturelles et morales, vint se joindre le réveil de la foi et de la vie chrétienne avec les grandes entreprises bibliques et missionnaires, les disciples de l’Evangile, regardant aux anciens oracles, conçurent de hautes espérances, ils crurent voir dans un avenir prochain l’avènement du règne de Dieu.

Hélas ! ces espérances se sont bien refroidies et obscurcies. Une métaphysique et une critique délétères ont tout compromis sous ombre de tout reconstruire, et amené un triste revirement des idées et des choses. Sapant à sa base le vieux principe de la Réformation, qui était celui du Réveil, elles ont semé de nouveau le doute dans la science, et par là arrêté l’élan de l’Eglise et rejeté le monde en arrière, favorisées qu’elles étaient d’ailleurs par l’esprit du temps. L’œuvre de la foi, entrée en défiance d’elle-même, s’est paralysée peu à peu ; et le protestantisme, ébranlé dans ses fondements, traverse une des crises intérieures les plus graves qu’il ait jamais éprouvées. Mais Dieu règne et il séparera comme aux premiers jours la lumière des ténèbres. Le tohu-bohu où nous sommes prépare une nouvelle création, une de ces palingénésies qui révèlent de loin en loin la Providence dans l’histoire et qui ont si souvent rattaché le monde au christianisme. Déjà le jour semble se faire. Le mouvement philosophico-critique auquel tout cédait d’abord, cède lui-même de toutes parts, discrédité par ses propres conséquences théoriques et pratiques. Le torrent coule encore, et largement, mais ses sources s’épuisent.

Ne nous alarmons donc pas des recherches et des découvertes modernes, quelles que soient les premières apparences. Le Livre dans lequel une épreuve de dix-huit siècles nous montre le livre de l’humanité et par conséquent le livre de Dieu, repose sur le rocher éternel, d’où il domine la mer agitée de la science et de l’opinion ; toutes les vagues qui le menacent viendront se briser à ses pieds comme elles l’ont fait jusqu’ici. La vérité donnée de Dieu n’a rien à craindre des vérités que trouve l’homme. Vérité suprême, toutes ces vérités partielles et secondaires doivent tôt ou tard lui rendre hommage, ou reconnaître tout au moins qu’elle est au-dessus de leurs atteintes. Elles ne sont dangereuses qu’en tant qu’imparfaitement saisies et mal comprises, c’est-à-dire en tant qu’erreurs, et non en tant que vérités. Une longue expérience le prouve à qui veut le voir. L’intérêt réel de la foi serait qu’on arrivât en toutes choses à une pleine lumière.

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