Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

PREMIÈRE PARTIE
De l’œuvre de Jésus-Christ
Expiation
Appropriation du Salut
Justification

De l’œuvre de Jésus-Christ

I
Considérations générales

1. Introduction

Explication des termes : Évangile, Rédemption, salut, grâce, nouvelle Alliance, Royaume de Dieu ou des Cieux, etc.

Dieu n’a point abandonné l’homme à sa corruption et à sa misère. Il a toujours combattu le mal par les dispensations ordinaires et extraordinaires de sa Providence. S’il a, pendant un temps, laissé les nations marcher dans leurs voies, c’était pour préparer les desseins de sa miséricorde ; et encore ne restait-il pas alors sans témoignage (Actes 14.13-14). Il a disposé les choses de telle sorte que le désordre, parvenu à son comble, entraîne la ruine des peuples comme celle des individus, ce qui devient à la fois un châtiment et un remède (invasion des barbares). Il n’a pas permis que les semences de la vérité et de la moralité périssent entièrement sur la Terre ; il s’est, de tout temps, manifesté par la création, par la conscience, par la vie sociale où, malgré ses aberrations, le sentiment religieux et moral a maintenu son empire, par les enseignements des Sages du paganisme, qu’on peut considérer comme ayant rempli une sorte de mission providentielle, sans les placer, comme on l’a fait de nos jours, au rang ou à côté des Prophètes de l’Ancien Testament.

A ces dispensations naturelles, Dieu en a ajouté de surnaturelles ; une série non interrompue de révélations a sans cesse ramené la pure lumière et rappelé la promesse de miséricorde, à travers l’économie patriarcale et mosaïque ; et, après quarante siècles de préparation et d’attente, cette grande promesse s’est accomplie : le Libérateur est sorti de Siona.

a – Promesse faite après la chute et mille fois renouvelée, soit aux patriarches, soit au peuple d’Israël, mis à part pour en être le gardien. Outre la prédiction proprement dite, il y a encore chez ce peuple bien des symboles prophétiques, celui du sacrifice, en particulier, qui existe également chez les autres nations où la même attente confuse s’est conservée, comme le retentissement lointain de quelque parole du Ciel. Au point de vue religieux, l’apparition de Jésus-Christ est certainement le grand fait des annales humaines ; elle l’est même au point de vue politique et social, puisqu’elle est le point de départ du monde moderne : sous les deux rapports elle a été comme une nouvelle création, suivant le mot de saint Paul.

Cette haute manifestation de l’amour de Dieu, vers laquelle convergent les événements antérieurs, que tout semble servir, jusqu’aux obstacles, et que les anges eux-mêmes ne peuvent sonder, est désignée dans le Nouveau Testament sous différents noms, tels que ceux d’Évangile, de Rédemption, de Salut, de Grâce, de Nouvelle Alliance, de Royaume de Dieu ou des Cieux.

Nous nous arrêterons un instant à ces termes, si chers aux chrétiens.

Le mot Évangile (bonne nouvelle) est fréquemment employé pour désigner la doctrine ou l’institution chrétienne. Le Christianisme est appelé l’Évangile de Dieu ; — l’Évangile de Dieu touchant son Fils ; — l’Évangile du Royaume de Dieu ; — l’Évangile de Christ ; — l’Évangile du salut ; — l’Évangile de la grâce, ou simplement l’Évangile. Cette expression peut avoir eu sa première origine dans Ésaïe 61.1 : L’Éternel m’a oint pour évangéliser les débonnaires (déclaration rappelée par le Seigneur, Matthieu 11.5).

Les mots salut, rédemption, qui désignent quelquefois la dispensation chrétienne, objet de l’Évangile (Romains 11.11), mais plus communément le don de Dieu en Jésus-Christ, ont, même dans leur acception propre, un sens large et un sens plus restreint qu’il importe de ne pas confondre. Ils indiquent tantôt la possession actuelle des grâces évangéliques (justification et régénération), acception commune, tantôt leur plénitude dans les Cieux (Romains 8.23). Il en est de même, au reste, de tous les biens spirituels : le fidèle est représenté comme en jouissant déjà et comme les attendant encore. Il n’en possède en réalité que les prémisses ou les arrhes ; il ne les goûtera et ne les connaîtra pleinement que dans le monde à venir ; il est dès à présent enfant de Dieu, et il vit cependant dans l’espoir de son adoption ; il a la vie éternelle, et il est exhorté à la rechercher.

La dispensation évangélique est fréquemment désignée sous le nom de grâce et l’Évangile est appelé la Parole de la grâce. cette grâce est représentée comme nous ayant été destinée ou donnée dès les temps éternels pour nous pénétrer de la conviction profonde qu’elle était absolument imméritée. A ce point de vue, le mystère de la grâce et le mystère de l’élection (μυστηριον του θεληματος Θεου Éphésiens 1.5) ne font qu’un. Aussi saint Paul unit-il (2 Timothée 1.9) les deux termes de χαρις et de προθεσις.

Le mot grâce, dans sa large acception, exprime les deux faits qui résument l’Évangile, la justification par le sang de Christ et la sanctification par le Saint-Esprit : grâce réconciliatrice, grâce régénératrice.

L’Écriture aime aussi à présenter les dispensations divines sous l’image d’une alliance. C’est qu’il s’y trouve des promesses et des conditions, une sorte d’engagement réciproque entre Dieu et l’homme.

Le Christianisme est nommé la nouvelle Alliance, par opposition au Mosaïsme qui est alors appelé l’Alliance ancienne.

On considérait l’ancienne Alliance comme renfermant toutes les dispensations divines antérieures au Christianisme. On en comptait ordinairement trois : l’alliance Adamique (parlant de la chute et embrassant tous les hommes) ; l’alliance Abrahamique (restreinte à une famille et marquée par la circoncision) ; l’alliance Mosaïque (traitée avec le peuple d’Israël et fondée sur la loi). Quelquefois on plaçait à part l’alliance Noachique, en la distinguant de l’alliance Adamique avec laquelle elle était généralement confondue.

Quelquefois même, regardant toutes ces dispensations comme appartenant à la nouvelle Alliance, en tant qu’il y existait la promesse et s’y déployait la miséricorde, on réservait le nom d’Alliance ancienne à celle qui précéda la chute et qui, antérieure au péché, n’avait pas son fondement dans la rédemption.

D’accord sur le fait que l’économie patriarcale et l’économie Mosaïque renfermaient en germe l’Évangile, puisqu’il s’y trouvait le pardon et le secours divin, on ne l’est pas sur le degré de lumière qu’avaient les anciens relativement à l’œuvre et à la personne du Rédempteur ou à la voie du salut. Tantôt on leur a attribué, presque dans sa plénitude, la foi évangélique, supposant qu’ils voyaient par la prophétie ce que nous savons maintenant par l’histoire. Tantôt on la leur a complètement déniée. Il y a exagération des deux parts ; les anciens croyants possédaient le fond vital de la foi chrétienne, mais non la foi chrétienne elle-même ; ils ne la possédaient, pour ainsi dire, qu’implicitement. Ils se confiaient en la miséricorde de Dieu, regardant à la promesse ainsi qu’au sacrifice qui en était le gage. L’alliance de grâce était là, révélée et voilée tout ensemble ; elle ne pouvait être pour eux ce qu’elle est pour nous. C’est bien autre chose que la différence du Messie à venir et du Messie venu, suivant une vieille formule dogmatique ; c’est celle de l’ombre à la réalité (Hébreux 10.1) Quoi qu’il en soit de ces déterminations ou de ces indéterminations théologiques, un grand fait domine tout ici. Les anciens justes ont participé aux fruits de la rédemption évangélique (Hébreux 9.15 ; Cf. Romains 3.24). S’ils ne sont pas parvenus à la perfection sans nous (Hébreux 11.40), nous n’y parvenons pas sans eux. A défaut de ces textes, l’exemple d’Abraham le prouverait à lui seul (Romains ch. 4)

La question des alliances prit une plus large place en dogmatique lorsque Cocceius, théologien hollandais du xviie siècle, en eut fait la base du système chrétien, et introduit la méthode dite fédérale.

Quant à l’expression royaume de Dieu ou des Cieux (l’expression de royaume des Cieux est particulière au 1er Évangile, qui a pourtant aussi celle de royaume de Dieu, Matthieu 6.33 ; 12.28 ; 21.31), si fréquente dans les Évangiles, elle est si compréhensive et si profonde qu’aucune des déterminations de la science n’en épuise la signification. Bornons-nous à indiquer ses applications principales. Elle désigne :

1° — L’économie chrétienne. En ce sens les Actes et les Épîtres y substituent celle d’Église. Cependant le mot Église se trouve dans les Évangiles comme le mot royaume de Dieu dans les Actes et dans les Épîtres… C’était, ce semble, une expression commune parmi les Juifs pour marquer le temps et le règne du Messie (voy. Matthieu 3.2 ; 4.17 ; Marc 1.14-15 ; Luc 4.43, où Jean-Baptiste et Jésus-Christ l’emploient sans aucune explication, comme consacrée dans le langage religieux). Elle peut être dérivée de Daniel 7.14 et des divers textes prophétiques qui représentent le Messie comme roi.

2° — Le Ciel, le royaume de la félicité et de la gloire, objet final des promesses de l’Évangile et des espérances de la foi.

Elle semble avoir quelquefois les deux sens (Matthieu 8.11-12) ; en certains passages il est difficile de déterminer si elle se rapporte à l’Église ou au Ciel, et les interprètes se partagent. Cette réunion des deux idées sous une même expression, est naturelle dans les principes du Christianisme ; car ce qui nous fait véritables membres du Royaume de Dieu sur la Terre, nous rend membres du Royaume de Dieu dans le Ciel. La vie éternelle commence ici-bas (Jean 5.24, etc.). L’Église militante et l’Église triomphante s’identifient çà et là dans la pensée des écrivains sacrés (Hébreux 12.18-23), c’est l’Église sur la Terre, l’économie chrétienne en opposition avec l’économie mosaïque, et c’est l’assemblée et l’Église des premiers nés, dont les noms sont écrits dans les Cieux). Aussi a-t-on voulu fondre les deux expressions et les deux idées en une : « Depuis la Pentecôte, a-t-on dit, Jésus-Christ est dans son Église, qui est déjà le Ciel… Pour Jésus-Christ et pour les apôtres, le moment critique c’est la conversion et non la mort ; la conversion fait passer de la mort à la vie, de la Terre dans les Cieux, dont l’Église est un faubourg. L’effusion du Saint-Esprit a fait descendre le Ciel sur la Terre et élevé les fidèles dans le Ciel : c’est là le premier acte d’une longue série qui aboutit à la descente de la Jérusalem d’En haut et au rétablissement de la Terre dans sa position célesteb. » Il y a certainement dans ces vues un fond de vérité. Le christianisme vivant est bien l’esprit du Ciel, le règne de Dieu dans l’homme ; la vie spirituelle est déjà la vie éternelle. Mais il n’en reste pas moins une différence fondamentale entre l’ordre actuel et l’ordre à venir, différence que tout atteste ou suppose dans le Nouveau Testament, et qu’on essaie en vain d’effacer en exagérant les analogies. La crise de la conversion laisse subsister la grande crise de la mort, et le Ciel, le salut lui-même n’est ici-bas qu’une espérance.

b – Olshausen. Comm. sur l’Évangile de saint Jean.

3° — Par suite de cette signification profonde et toute spirituelle qui unit le royaume céleste et le royaume terrestre du Messie, l’expression biblique semble quelquefois désigner l’état moral, la disposition intérieure qui constitue la vie chrétienne et rend membre du corps mystique de Christ : Le Royaume de Dieu est au dedans de vous (εν υμιν) — Il est justice, paix et joie par le Saint-Esprit. — Il consiste non en paroles, mais en vertu. — « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » (Marc 12.34). Cette notion du Royaume des Cieux ou du règne de Dieu dans l’homme intérieur est en parfaite harmonie avec le fond substantiel de l’Évangile ; elle correspond à celle qui représente le Seigneur comme habitant dans les cœurs par la foi. Non seulement l’âme régénérée fait partie du Royaume de Dieu ou des Cieux, mais ce royaume est en elle, et par elle il existerait ici bas, quand elle y serait seule à en nourrir les sentiments et les principes, à en suivre la loi ; il s’étend sur la Terre à mesure qu’augmente le nombre des âmes où il s’est établi.

Ainsi le Royaume de Dieu se forme intérieurement dans l’homme ; il se manifeste et se développe dans la société chrétiennne ; il s’accomplit dans le Ciel : embrassant et ce monde et le monde à venir, et se montrant dans ce monde ou individuel ou collectif…

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