Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

II
Des trois offices et des deux états de Jésus-Christ

1. Les trois offices

Question de la Naissance miraculeuse. — A. Office prophétique ; — Quelques remarques sur l’enseignement de Jésus-Christ ; — B. Office sacerdotal ; — C. Office royal.

Avant d’exposer les faits constitutifs de l’œuvre de Jésus-Christ, nous devons en mentionner un qui paraît en avoir été la préparation ou la condition, je veux parler de sa naissance miraculeuse. Chargé de la rédemption du monde, le Fils de l’homme ne devait pas avoir besoin de rédemption pour lui-même ; il importait donc qu’il fût gardé pur de la souillure originelle. Pour renverser l’empire du péché dans la race d’Adam, il fallait rompre la chaîne de la génération naturelle, par laquelle se transmet le germe de la corruption ; il fallait que la vie sainte du Rédempteur fût sauvegardée à sa source. Il est naturel de le penser ; l’Église l’a toujours cru, et le fait qui ouvre l’histoire évangélique semble l’impliquer. Mais nous devons nous abstenir de spéculer là-dessus et d’aller au delà de l’Écriture. Que le fait nous suffise (Luc 1.39). (Les explications ou les hypothèses ont été nombreuses. Celle du Catholicisme l’a conduit à l’Immaculée Conception de Marie.)

L’œuvre de Jésus-Christ est le salut (Matthieu 1.21 ; Luc 2.30 ; 19.10). Dans l’accomplissement de cette œuvre (εργον : Jean 4.34 ; 17.4), Jésus-Christ se présente comme Prophète, Sacrificateur et Roi : Prophète, il annonce le salut ; Sacrificateur, il l’opère ; Roi, il le confère à son peuple. C’est ce qu’on nomme ses trois offices.

Cette division de son œuvre ou de sa charge médiatoriale, dont quelques théologiens ont fait la base de la dogmatique, a ses racines dans le Nouveau Testament et déjà même dans l’Ancien, où les prophètes réunissent dans le Messie les trois grands emplois théocratiques, le représentant tantôt avec les attributs de l’un, tantôt avec les attributs de l’autre. Aussi la division universellement admise aujourd’hui a-t-elle été plus ou moins reconnue à toutes les époques… Attaquée par Ernestia, à la fin du xviiie siècle et défendue par Michaëlis, Morus, etc., elle est restée et restera, puisqu’elle a son fondement dans la Bible. Seulement, chez nos écrivains sacrés les trois offices, quoique distincts, se touchent et se confondent en bien des points : d’où la difficulté de préciser auquel appartiennent certains des actes du Seigneur. Il faut, d’ailleurs, se souvenir constamment du symbolisme qui marque cette partie de renseignement évangélique, ainsi que bien d’autres. Les choses de la Terre y servent de représentation aux choses du Ciel.

aDe Officio Christi triplici.

A) Office Prophétique. — Dieu ayant autrefois parlé à nos pères… par ses prophètes, nous a parlé en ces derniers temps par son Fils (Hébreux 1.1-2). De nombreux oracles représentent le Messie comme la lumière des nations, comme le grand Prophète. C’est comme prophète, aussi bien que comme roi que les Juifs l’attendaient : Celui-ci est véritablement le Prophète qui devait venir (Jean 6.14). C’est à ce titre que Jésus-Christ reçoit dans le Nouveau Testament les noms de Φως, Διδασκακος, Ραββι, Καθηγητης, Αποστολος της ομολογιας, Αρχηγος της πιστεως, Jésus-Christ prend lui-même le nom de prophète : Un prophète n’est méprisé etc., qui lui est aussi donné par ses disciples : Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth qui était un prophète, etc.. (Luc 24.19).

La révélation de la vérité et de la volonté divine, la prédiction de l’avenir, la puissance des miracles, constituant le prophète dans l’idée générale qu’en donnent les Écritures, c’est ainsi qu’on prend ordinairement ce nom quand on l’applique à Jésus-Christ. Il est, en effet, le grand Révélateur. Sa parole est presque constamment prophétique, et les puissances du Ciel ont sans cesse agi en lui et par lui. On ajoute que Jésus-Christ a exercé la prophétie immédiatement par lui-même, et médiatement par ses envoyés. Cette vue n’a sans doute rien d’erroné.

La nature supérieure de Jésus-Christ nous est présentée comme motif de foi et de soumission à sa parole, parce qu’elle élève au-delà de toute expression sa charge et son autorité prophétiques. Il déclare à plusieurs reprises que la prédication de l’Évangile était un des buts de sa venue. Par sa parole, il attire les hommes de la voie de la perdition dans celle de la vie. Il voulut être initié à son office prophétique par le baptême de Jean ; et la voix du Ciel qui le proclama alors le Fils bien-aimé de Dieu, dit encore sur le Thabor : Ecoutez-le !

Une question qui a donné lieu à d’ardentes controverses est celle-ci : Quel fut l’objet propre de l’office de prophète chez Jésus-Christ ? Les luthériens et les calvinistes soutinrent que c’était l’Évangile au sens strict (proclamation du salut) ; les catholiques et les arminiens, l’Évangile et la loi ; les sociniens, la loi seule (restauration de la religion naturelle.)

Sous cette question, il en existait une autre plus restreinte : Jésus-Christ est-il législateur et sauveur, ou seulement législateur, ou seulement sauveur ? A-t-il donné une loi nouvelle ou simplement expliqué et développé la loi ancienne ? Les sociniens maintenaient que Jésus-Christ avait rectifié, étendu, complété la loi mosaïque et donné en fait une loi nouvelle (législateur) ; les luthériens et les réformés, qu’il avait uniquement interprété l’Ancien Testament dans un sens plus spirituel et plus profond (sauveur et non législateur) ; les catholiques, qu’en développant le commandement ancien, il a ajouté les conseils évangéliques (législateur et sauveur)…

Je placerai ici quelques courtes remarques sur l’enseignement de Jésus-Christ, en le rapportant à quatre chefs principaux : le Mosaïsme, la loi morale, la religion naturelle ou théologie générale, la dispensation de grâce ou théologie chrétienne spéciale.

Jésus-Christ annonce la chute du Mosaïsme : il la prépare en posant des principes qui sapaient l’institution lévitique dans ses bases, tels que l’inefficacité des observances légales, le culte spirituel, la vocation des Gentils et même le simple nom de « Père » sous lequel il apprit à invoquer Dieu, et qui imprimait à sa doctrine un caractère interne d’universalité, en même temps qu’il faisait tomber la nécessité d’une médiation sacerdotale.

Jésus-Christ enseigna que la loi se résume dans l’amour de Dieu et du prochain, ce qui donne un principe moral aussi élevé et profond qu’il est simple en apparence ; que le cœur est le siège réel du bien et du mal, ce qui renverse le formalisme pharisien et sadducéen ; que les vertus les plus excellentes sont celles qui ont leur racine dans l’humilité et dans la charité, comme le support, la douceur, la miséricorde, ce qui sépare foncièrement la morale évangélique de la morale ancienne ; que l’homme doit chercher avant tout le Royaume de Dieu et sa justice, ce qui tend à porter dans la vie de la Terre la vie du Ciel.

Quant aux motifs, la morale chrétienne s’appuie sur tous nos principes d’action : intérêt, obligation, affection, saisissant ainsi toutes nos facultés à la fois, atteignant l’homme, quel qu’il soit et dans quelque état qu’il se trouve, pour l’arracher à la servitude de la corruption. Mais en mettant en jeu toutes les tendances et les forces de notre nature, l’Évangile a pour fin dernière de nous placer sous la direction de l’amour divin, le plus élevé, le plus pur, le plus puissant des mobiles : l’amour divin y est le grand devoir moral et le grand principe moral.

Dans la partie dogmatique de l’enseignement de Jésus-Christ, il faut distinguer ce qui tient à la religion générale et ce qui se rapporte au fond spécial du Christianisme ou à la dispensation de grâce. Il a mis en pleine évidence l’immortalité de l’âme, la résurrection, le jugement… Il a donné de précieuses lumières sur le caractère de Dieu… Le trait dominant de sa doctrine est l’idée de la bienveillance et de la miséricorde célestes ; mais à côté de cette notion de Dieu, qu’il nous apprend à invoquer comme notre Père, nous dévoilant la spiritualité de la loi, il nous dévoile en même temps la profondeur de notre corruption, l’étendue de notre misère, et l’absolue nécessité des deux grâces qu’il nous apportait du Ciel, et qui seules peuvent nous l’ouvrir : la justification et la régénération ; par où l’on voit le rapport de son enseignement avec son œuvre, alors même que ce rapport n’est pas indiqué d’une manière directe et formelle. Jésus-Christ montre moins la voie du salut qu’il ne la fait pressentir et désirer : mais elle ressort en mille sens de sa parole et en particulier dans ce qu’il dit de lui-même. Si le témoignage qu’il se rend, avec les traits révélateurs du but de son ministère, est plus expressément relevé dans le quatrième Évangile, il ne manque pas aux Synoptiques, il se cache, pour ainsi parler, au fond des récits et il se montre dans bien des sentences. Il est impliqué dans la foi que Jésus réclame de ceux qui viennent à lui ; il l’est jusque dans sa prédication morale, d’abord à cause du besoin de pardon qu’il éveillait, ensuite parce qu’il personnifiait la loi dans sa vie. Il reste vrai cependant que Jésus-Christ n’a pas présenté le système de dogmes, ou de faits, relatifs à la dispensation de grâce, avec autant de précision et d’étendue que le firent plus tard les apôtres ; sa parole n’en contient que les rudiments…

Le mode d’enseignement de Jésus-Christ est aussi très remarquable. Dans sa parole tout tend à l’édification, tout porte un caractère pratique. La simplicité des expressions et des images s’y allie constamment à l’élévation des doctrines ; nulle part ne se montre au même degré cette divine condescendance qui met la vérité sainte à la portée des plus humbles intelligences. La forme et le fond varient sans cesse avec les circonstances et les personnes… Il règne dans ses discours un esprit de douceur et de support, une sorte de respect pour les moindres symptômes réels de foi et d’amendement, qu’on ne se lasse pas d’admirer.

L’enseignement de Jésus-Christ, considéré dans sa forme, est, sous beaucoup de rapports, la règle de ses ministres. A cet égard aussi nous devons suivre ses traces. Sans doute, dans des circonstances différentes la forme de la prédication doit être différente, et c’est surtout l’esprit de celle de Jésus qu’il faut imiter ; mais on ne saurait trop méditer à ce point de vue, comme à tous les autres, le ministère du Souverain pasteur des âmes.

B) Office sacerdotalb. — C’est principalement dans l’Épître aux Hébreux que Jésus-Christ est présenté comme sacrificateur s’offrant lui-même pour victime expiatoire : il est dit Sacrificateur éternel. Si cette doctrine n’est nulle autre part aussi directement et aussi pleinement exposée, on en trouve à peu près partout les éléments ou les faits constitutifs… Le sacrifice, la prière et la bénédiction du peuple constituant les trois fonctions essentielles de la sacrificature lévitique, les théologiens distinguent aussi ces trois actes dans la sacrificature de Jésus-Christ… De même que Jésus-Christ n’est appelé prophète qu’en tant qu’il a proclamé la vérité ; de même il n’est nommé sacrificateur qu’en tant qu’il a fait propitiation pour le péché.

b – Si le Professeur Jalaguier passe rapidement ici sur les offices sacerdotal et royal de Jésus-Christ, c’est parce qu’il traite plus loin de son sacrifice et de son règne. (Edit.).

C) Office royal. — Jésus-Christ est le Seigneur des seigneurs. Toute puissance lui a été donnée dans le Ciel et sur la Terre. Comme tout a été créé par lui, tout subsiste par lui. Mais les Livres saints nous parlent presque exclusivement de son règne médiatorial, qu’il exerce sur les âmes et par lequel il poursuit l’œuvre de la rédemption ; ils nous font surtout contempler et adorer en lui le Chef de l’Église ; par là, son office royal et son office sacerdotal se confondent fréquemment.

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