Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

2. Œuvres cérémonielles, exclues

A) — De l’opinion qui n’exclut que les œuvres cérémonielles. — Ancienne, et dominante dans tout le xviiie siècle. — Sens très large du mot « loi » chez saint Paul. — Marche des idées. — Juifs et Païens ; nulle mention des rites mosaïques là même où il s’agit des Juifs. — Les caractères de la « loi » dans saint Paul sont bien ceux de la « loi morale ».

A toutes les époques, un grand nombre de théologiens ont soutenu que saint Paul n’entendait par la loi que le Mosaïsme et par les œuvres qu’il exclut que les « œuvres cérémonielles » (Ambroise, Théodoret, Pélage, Erasme, Grotius, etc.). Cette opinion a dominé les églises protestantes au xviiie siècle ; elle fut un effet des tendances sociniennes de l’époque, et une réaction contre certaines exagérations de l’ancienne dogmatique qui paraissaient compromettre l’obligation moralea. Quoiqu’elle soit bien déchue, elle mérite pourtant d’être examinée, soit parce qu’elle a toujours eu et qu’elle a encore des partisans sérieux, soit aussi parce qu’elle pourrait reprendre le dessus lorsqu’on reviendra de celle qu’on lui préfère maintenant et que nous ne croyons pas mieux fondée.

a – Voy. Osterwald, Sources de la corruption. Ouvrage qui a peu de valeur en soi, mais qui est important comme exposé accrédité de l’orthodoxie de l’époque.

Le mot loi, νομος, a dans saint Paul une acception très étendue : il désigne la révélation mosaïque dans sa généralité (sens usuel de torah), la loi morale, écrite ou non écrite (Romains 2.13-14 : une disposition, un principe, un ordre particulier de choses ; Romains 3.26 : loi des œuvres, loi de la foi ; Romains 7.23 : loi des membres ; Romains 8.2 : loi de l’esprit de vie, loi du péché et de la mort). Le sens de ce terme important doit donc être déterminé par le contexte, dans chaque cas. Or, à l’article de la justification, l’apôtre embrasse évidemment la loi divine tout entière, et c’est la partie morale qu’il a spécialement, si ce n’est uniquement en vue ; il l’envisage même sous sa notion la plus large, plaçant les révélations de la conscience à côté de celles de l’Écriture (Romains 1.32 ; 2.12-15). Cela est manifeste dans l’Épître aux Romains, où il est plus que douteux qu’il ait nulle part dans sa pensée la loi cérémonielle proprement dite. Dès lors, sa sentence contre les œuvres est générale et absolue ; elle porte sur les faits moraux autant au moins que sur les rites religieux. Tout l’indique dans la marche de son argumentation, comme dans les bases sur lesquelles il l’appuie et dans les conclusions qu’il en tire. Mais il peut être utile de l’établir encore par l’examen de quelques-unes de ses déclarations.

Le premier passage qui nous présente sa formule est Romains 3.20 : Personne ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la loi. Il la reproduit et la complète au v. 27 : Nous concluons donc que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi. Là il a certainement dans sa pensée la loi morale, et la loi morale dans le sens le plus étendu, révélée et naturelle. Tout le prouve ; la série de ses idées dans ces trois chapitres, son silence relativement aux ordonnances lévitiques, alors même qu’il s’adresse aux Juifs, les expressions générales dont il se sert, l’absence de l’article devant νομος en divers endroits. Légitimons ces assertions par quelques remarques.

Saint Paul établit que tous les hommes sont, selon la loi, coupables et condamnés ; il le fait pour les Gentils au premier chapitre, et pour les Juifs aux deux chapitres suivants ; et il conclut que tous ont également besoin de la dispensation gratuite que proclame l’Évangile, conformément à la déclaration par laquelle il avait ouvert son sujet (Romains 1.16-17 : l’Évangile de Christ puissance de Dieu en salut à tout croyant). La généralité de ses expressions correspond à celle de ses idées : πασα σαρξ (Romains 3.20) παν στομα, πας ο κοσμος (v. 19) παντες (23). Il est clair, par son langage comme par son argumentation, qu’il enferme tous les fils d’Adam sous la condamnation de la loi ; mais il est clair par cela même qu’il entend parler de la loi morale, et non de la loi cérémonielle. Il n’a pu vouloir dire que les Gentils étaient coupables pour avoir violé ou négligé les ordonnances lévitiques qui ne leur étaient ni prescrites ni connues ; il affirme d’ailleurs qu’ils seront jugés d’après leur loi propre, celle de la conscience (Romains 2.12-15). Bien plus, il ne fait point entrer les infractions delà loi rituelle dans les accusations qu’il dirige contre les Juifs eux-mêmes, tant la pensée que lui suppose la théorie dont nous nous occupons était peu la sienne. Notons encore que quand νομος désigne la révélation ou la dispensation mosaïque, il est ordinairement précédé de l’article, comme étant pris dans un sens déterminé, comme exprimant ce qui était κατ᾽ εξοχην la loi. Ainsi nous trouvons l’article Romains 3.19 : Nous savons que ce que la loi (ο νομος) dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi (εν τω νομω) ; car là il est question des Juifs et de l’Ancien Testament que l’apôtre vient de citer contre eux. Mais dans le verset qui suit et qui contient la conclusion générale embrassant le monde entier, l’article disparaît ; nous avons εξ εργων νομου, δια νομου. De même, au verset 21, l’article manque au premier membre de la phrase, où il s’agit de la justification évangélique qui est sans loi d’aucune espèce (χωρις νομου, Cf. v. 27) ; et il revient à la seconde partie, où saint Paul rappelle que cette voie de justification était pourtant annoncée dans l’Ancien Testament (υπο του νομου και των προφητων).

Ainsi, la série des idées, l’ensemble des faits et des expressions, la nature des principes et des arguments, l’esprit général du contexte, tout porte sur la loi morale : pour voir là la loi cérémonielle, et surtout pour l’y voir seule, il faut mettre sa propre pensée à la place de la pensée de l’apôtre. Ce passage ne peut laisser de doute sur ce que saint Paul entend par la loi et conséquemment par les œuvres de la loi en matière de justification.

Menu dans l’Épître aux Galates, où il a spécialement en vue le cérémonialisme des Judaïsants, en particulier la circoncision (Romains 2.5 ; 5.3, 6), il passe sans cesse de la loi rituelle à la loi morale, et c’est fréquemment cette dernière qui prédomine dans son argumentation. Qu’on étudie, par exemple, Romains 3.10-12, qui est une sorte de résumé de sa doctrine et un sommaire des trois premiers chapitres de l’Épître aux Romains. La loi dont il parle est la loi dans le sens le plus élevé et le plus étendu, c’est la dispensation de justice, avec ses promesses et ses menaces, disant d’un côté : Fais ces choses et tu vivras, et de l’autre : Maudit est quiconque ne les accomplit pas. Tout indique la loi morale et la loi morale seule. Les deux déclarations empruntées à l’Ancien Testament le prouveraient elles-mêmes. L’une est tirée de Deutéronome 27.26, où il n’est pas même question des fautes et des souillures légales (lire depuis le v. 14) ; l’autre est prise de Lévitique 18.5, où l’expression va, certes, bien au delà du pur cérémoniel. Ainsi, pour peu qu’on aille au fond des choses, l’Épître aux Galates elle-même rend manifeste que dans l’opposition de la justification par la foi à la justification par la loi ou par les œuvres de la loi, l’apôtre regarde essentiellement aux œuvres morales. Son principe fondamental est ici, comme dans l’Épître aux Romains, que nul ne rendant à la loi l’obéissance absolue qu’elle réclame, elle dénonce contre tous la mort au lieu de la vie, que, par conséquent, il n’y a de salut que dans cette économie de miséricorde qui repose, non sur la loi ou sur les œuvres, mais sur la foi ou sur la grâce.

Mille traits particuliers viennent confirmer cette donnée générale dans les écrits de saint Paul. La loi dont il parle est gravée naturellement dans les cœurs (Romains 2.14) ; elle donne la connaissance du péché (Romains 3.20 ; 4.15) ; elle est affermie et non abolie par la foi (Romains 3.30) ; elle est spirituelle (Romains 7.14) ; elle enseigne que la convoitise est criminelle et punissable (Romains 7.7). Autant de traits qui ne peuvent s’appliquer qu’à la loi morale, et qu’il serait facile de multiplier.

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