Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

5. Caractères de la foi justifiante

a) Foi au Christ-Sauveur ; b) sans les œuvres ; c) afin que ce soit par grâce ; d) et que tout sujet de glorification soit exclu. — On peut la définir : Le sens interne qui saisit et nous approprie la grâce rédemptrice. — Son élément fondamental est la confiance du cœur. — La notion de saint Paul pour la « foi », comme pour les « œuvres » et pour la « justification » est celle de la Réformation. — (En note : — Si, ce qui n’est pas, cette doctrine était personnelle à saint Paul, elle n’en lierait pas moins la science et la conscience chrétiennes.)

Il n’importait si fort de bien préciser la nature des œuvres que saint Paul frappe de nullité que pour préciser la nature de la foi à laquelle il rattache tout.

Nous avons vu qu’elle est : 1° La foi en Christ et à la rédemption qu’il nous a acquise, à tel point qu’elle est nommée la foi en son sang (Romains 3.24) ;

2° La foi sans les œuvres d’aucune espèce, cérémonielles ou morales, légales ou évangéliques.

3° Un troisième caractère qui ressort de tout ce qui a été établi, où il s’est constaté de lui-même à diverses reprises, mais qu’il convient de noter dans cette énumération, c’est que le salut est par la foi, afin qu’il soit par grâce. Nous avons vu combien ce principe est capital chez saint Paul, dont la doctrine a pour base qu’on ne peut se reposer devant Dieu sur ce qu’on est ou sur ce qu’on fait, qu’autant qu’on présente la justice que la loi requiert, c’est-à-dire une justice parfaite. Nous ne saurions assez remarquer le pléonasme qu’il se plaît à répéter, et par lequel il semble avoir voulu couper court à toutes les opinions qui porteraient atteinte à ce sentiment ou à ce principe : justifiés gratuitement par sa grâce (Romains 3.23) ; à la louange de la gloire de sa grâce, qu’il nous a gratuitement accordée en son Bien-aimé (Éphésiens 1.6).

4° Un autre caractère, qu’il importe de marquer, quoiqu’il ne soit que le précédent sous une forme plus restreinte, c’est que le salut est par la foi afin que tout sujet de se glorifier soit exclu (Romains 3.27 ; Éphésiens 2.9). Convertis et inconvertis sont, à cet égard, sur le même pied, malgré la différence radicale de leur état intérieur ; et toutes les théories qui basent d’une ou d’autre manière la justification sur la sanctification se trouvent atteintes, puisqu’elles introduisent le fondement de propre justice, l’ιδιαν δικαιοσυνην, que l’apôtre veut renverser. En face du tribunal de Dieu, l’homme n’a rien en quoi il puisse espérer, ni sa conversion, ni sa sanctification, ni sa toi, en tant que principe ou devoir moral ; car sa conversion, quelque profonde qu’elle soit, sa sanctification, quelque avancée qu’on la suppose, sa foi, quelque pure et active qu’elle puisse être, le condamneraient encore, parce qu’elles le laissent toujours fort au-dessous de ce qu’il doit. La foi justifiante porte à sa racine le sentiment de notre irrémédiable culpabilité devant la loi. C’est par là qu’elle exclut tout sujet de se glorifier ; car, ici, se glorifier, c’est en appeler à quelque chose qu’on possède en propre et qu’on fait valoir comme un titre à la faveur divine. Or, cela est impossible dans le système de la justification par la foi, tel que le pose saint Paul, la foi impliquant un renoncement total à toute espèce de titre ou de droit de grâce. Il est évident que les conceptions théologiques qui ramènent, en un sens ou en l’autre, la justification à la régénération altèrent profondément la pensée de l’apôtre ; elles en sont, à vrai dire, le contre-pied, car elles relèvent ce qu’il a abattu. Quoique, pour lui, comme pour tous les écrivains sacrés, la foi soit le principe vivant du christianisme pratique, dans l’acte de la justification, elle laisse ou jette à l’écart tous les fruits de sanctification qu’elle a pu produire, afin que le pécheur, devant qui s’ouvre le Ciel, sente et confesse qu’il l’avait perdu, qu’il ne pouvait le recouvrer par lui-même, qu’il en serait indigne encore malgré son renouvellement intérieur, et qu’il le doit uniquement à l’amour éternel qui est venu nous chercher et nous sauver.

Pour saint Paul, cette doctrine est capitale, elle pénètre au cœur du christianisme théorique et pratique, elle en constitue le fond essentiel et vital. Nous avons vu avec quel soin il l’établit, avec quelle insistance il l’expose et la presse, avec quelle jalouse sollicitude il la défend, sous combien de faces il la présente. Non seulement il la pose directement en divers endroits, la démontrant par des arguments pris de l’état moral de l’homme, de la nature de la loi, des exemples de l’Écriture, des déclara-lions de l’Ancien Testament ; mais il la mentionne fréquemment par occasion ou par allusion, de manière à faire sentir quelle place elle occupait dans son esprit.

En réunissant les divers caractères de la foi justifiante tels qu’ils ressortent de partout chez saint Paul, il devient manifeste que, des quatre opinions que nous avons indiquées, la véritable est celle qui, l’envisageant comme l’organe ou le sens interne qui saisit et nous approprie la grâce rédemptrice, lui assigne pour élément fondamental la confiance du cœur, confiance en Dieu, en Christ ou dans le don de Dieu par Christ. Cette foi n’est pas sans la sanctification qu’elle porte en germe, qu’elle doit et veut produire de plus en plus, car elle perdrait sa vertu salutaire en perdant sa vertu régénératrice ; mais elle s’élève par delà la sanctification qui frapperait en vain à la porte des Cieux, pour n’invoquer que le grand Nom qui la lui ouvre seul.

Ainsi, la formule de saint Paul a bien la signification que la Réformation y attacha. L’examen des trois termes dont elle se compose et tout l’enseignement de l’apôtre concourent à l’établir.

Mais si la doctrine de saint Paul est celle de la Réformation, elle ne saurait être celle des écoles actuelles, malgré leurs prétentions. Ce sont deux doctrines, non seulement différentes, mais à bien des égards contraires. Ce qui sert à l’une de principe et de facteur est justement ce qui se trouve écarté par l’autre. Toutes les deux, sans doute, tiennent ce salut pour une grâce ; toutes les deux le montrent dérivant de l’œuvre du Christ ; toutes les deux le rattachent à la foi ; toutes les deux reconnaissent que Jésus-Christ nous donne ensemble la conversion et la rémission des péchés et qu’il ne devient notre paix qu’en devenant notre vie. Mais l’une fait dépendre la justification de la régénération, regardant essentiellement, si ce n’est exclusivement, à l’œuvre de Christ en nous, tandis que, d’après l’autre, qui tient sans cesse en perspective l’œuvre de Christ pour nous, la régénération ne contribue à la justification ni comme cause efficiente, ni même comme cause instrumentale, quoiqu’elle en soit la compagne nécessaire en tant que condition sine qua non du salut.

Selon cette philosophie du Christianisme qui, de près ou de loin, inspire la théologie et l’exégèse avec lesquelles nous discutons, la justification est un fruit de la vie de la foi ou la vie de la foi elle-même. Selon saint Paul et les Réformateurs, elle n’a pas plus sa raison dans la vie religieuse et morale qui naît de la foi que dans celle qui procède de la loi. Si elle est par la foi, c’est à un autre titre, c’est afin qu’elle apparaisse comme une grâce toute gratuite. Les deux doctrines, qu’on dit identiques, portent en réalité sur un tout autre principe et respirent un tout autre esprit ; leur base est différente et la direction qu’elles impriment l’est aussi. Il est bien vrai que, des deux parts, la foi justifiante est en même temps régénératrice ; mais ici elle justifie en tant qu’elle régénère et transforme l’être moral, c’est son action sanctifiante qui fait sa vertu salutaire ; là, au contraire, elle ne justifie qu’en reconnaissant le néant de tout ce qu’elle est et de tout ce qu’elle a, sentant que la régénération elle-même laisserait sous la condamnation : dans un système, la vie éternelle sort de la vie spirituelle, dont elle est le couronnement ; dans l’autre, elle est octroyée d’En haut comme un pur don de miséricorde. La différence est radicale. On peut la masquer par des artifices de langage, mais elle persiste et perce, quoi qu’on fasse, parce qu’elle est au cœur des deux systèmesa

a – La question sera reprise et développée dans la section suivante.

L’étrange pêle-mêle où nous sommes et les malentendus auxquels il donne lieu rendent nécessaire une explication qui devrait être inutile. J’ai opposé les termes de Christ en nous ou de rédemption-régénération, à ceux de Christ pour nous ou de rédemption-expiation. Mais cette opposition, quelque fondée qu’elle soit, est essentiellement formelle ; s’il importe de la maintenir au point de vue dogmatique et même au point de vue pratique, il importe aussi de ne pas trop la presser. C’est une simple distinction qui s’efface en quelque sorte dans la réalité des choses. Le Christ en nous est chez saint Paul autant que chez saint Jean ; il est chez Calvin autant que chez Schleiermacher. Il suffit de rappeler ces déclarations de saint Paul, entre mille autres : Christ est ma vie, et la mort m’est un gain. Ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ; ou encore ce qu’il dit de la participation mystique des chrétiens à la mort, à la résurrection, à l’ascension de Jésus-Christ, de leur vie cachée avec Christ en Dieu. Le système de la Réformation a tout cela ; il a tout ce que les autres systèmes l’accusent de compromettre ou d’annuler ; et il a, de plus, ce que les systèmes compromettent ou annulent réellement, ce qui tient une si haute et si large place dans saint Paul, ce qui gît au cœur même de l’Évangile, cette grâce vraiment grâce, qui affermit la loi par la foi, en magnifiant tout ensemble la justice et la miséricorde célestes.

Dès qu’il est constaté que la doctrine de la justification, telle qu’elle vient d’être exposée dans ses traits généraux, est décidément enseignée et formellement imposée par saint Paul, il suit qu’elle est une doctrine chrétienne, qui engage et la science chrétienne et la conscience chrétienne. Il s’agit de l’ordre du salut ou du moyen de relèvement institué par la sagesse éternelle eu faveur d’un monde tombé dans le mal. La Parole de Dieu peut seule nous apprendre ce qu’il est. Nous attacher, avec une religieuse docilité, à ses enseignements, c’est notre obligation et notre sûreté, c’est notre devoir et notre intérêt suprême. Qu’en présence de ce que l’Écriture nomme le conseil ou le dessein de Dieu à notre égard, nos « pourquoi » et nos « comment » se taisent ! Nous ne saurions sonder pleinement les raisons et les fins d’une dispensation. qui embrasse l’éternité et l’immensité et que l’apôtre appelle le grand mystère. C’est le décret du Ciel, qu’éclaire seule la lumière du Ciel. On ne remarque pas assez que dans la nature elle-même les œuvres et les voies divines se montrent à mesure qu’elles se découvrent, tout autres que nous ne les aurions supposées ou imaginées. Comparez le monde de la spéculation, le fantastique Cosmos des anciens, avec celui qu’ont ouvert à la science le microscope et le télescope. Ne doit-il pas en être ainsi à plus forte raison dans l’ordre spirituel et surnaturel, en particulier dans ce plan de la rédemption, sur les profondeurs duquel s’inclinent en vain les anges eux-mêmes ?

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