Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

4. Toutes les œuvres exclues

C) — L’exclusion de toutes les œuvres confirmée par l’expression même de « œuvres de la loi » (εργα νομου) employée par saint Paul. — Le sens scripturaire de cette locution n’est pas ce qu’on le fait : La « loi » est l’expression de la volonté de Dieu (Xe commandement résumé par Jésus-Christ). — Anciens justes. — Pour saint Paul, la « loi » est spirituelle ; elle donnerait la vie si elle était pleinement observée. — C’est à la justice qu’elle prescrit (justice de la loi) que se termine l’Évangile. — La vraie doctrine de saint Paul est bien la nullité pour la justification des œuvres morales comme des autres. — Il n’y a pas contradiction avec son affirmation que « chacun sera jugé selon ses œuvres » ? Il n’y a, pour lui, qu’une différence d’application entre les termes d’ « œuvres de la loi » et de « bonnes œuvres ». — L’antinomie n’est qu’apparente. La justification est gratuite, mais non inconditionnelle (Obligation morale).

Il est une expression qu’il convient de reprendre à cause de l’importance qu’on y attache ; c’est celle d’œuvres de la loi, εργα νομου, dont se sert saint Paul dans l’exposition de sa doctrine, et d’où l’on infère qu’il établit une différence, et une différence radicale, entre les œuvres qu’il exclut à cette place et les bonnes œuvres qu’il prescrit partout. Le prestige de ce terme est si général et l’argument qu’on en tire si accrédité, qu’il faut l’examiner avec quelque soin.

Les œuvres de la loi doivent être, ce semble, les actes que la loi réclame. C’est l’idée que cette locution éveille de prime abord ; et c’est bien aussi la signification qu’elle a dans l’Écriture.

Le mot εργον ou εργα est souvent construit avec le génitif pour marquer cet ordre de rapports. Ainsi Jean 6.28-29 : Que ferons-nous pour faire les œuvres de Dieu (εργα Θεου) ? Jésus répondit et dit : C’est ici l’œuvre de Dieu (εργον Θεου) etc., c’est-à-dire manifestement ce que Dieu commande. (Cf. 1 Jean 3.23 ; Jean 9.4 ; 4.34). Que sont les œuvres de la repentance (Actes 26.20), de la foi (1 Thessaloniciens 1.3), de la chair (Galates 5.19), si ce n’est ce qu’inspirent la chair, la foi, la repentance ? L’analogie grammaticale conduit donc à penser que les œuvres on l’œuvre de la loi désignent également ce que la loi requiert. Saint Paul emploie en effet dans ce sens là εργον νομου, lorsqu’il dit (Romains 2.14-15) que les Gentils font naturellement les choses de la loi (τα του νομου), qu’ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes, montrant par là que l’œuvre de la loi (το εργον του νομου) est écrite dans leurs cœurs (Cf. Romains 2.10, 26-27) Cette déclaration, jointe à l’usus loquendi du Nouveau Testament relativement à εργον ou εργα construits avec le génitif, ne : peut laisser de doute : les œuvres de la loi sont chez saint Paul les devoirs qu’elle impose. Il est peu nécessaire d’ailleurs d’insister là-dessus. Les théories que nous avons devant nous conviennent que les œuvres de la loi sont les actes dont la loi fait une obligation. Elles reconnaissent aussi que l’apôtre a essentiellement en vue la loi morale. Il s’agit de constater si la locution, ainsi entendue, dépose ou non pour elles. Nous avons vu, qu’elles la tirent à leur sens en affirmant que les actes que la loi produit, quoique conformes extérieurement à la règle du bien, naissant de motifs intéressés, tels que la crainte on l’espérance, étant l’effet d’une sorte de contrainte plutôt que le fruit spontané du cœur, sont dépourvus des caractères constitutifs de la piété et de la moralité véritables et ne donnent qu’une justice superficielle, sans valeur devant Dieu. On va jusqu’à poser en principe que la loi règle la conduite sans regarder aux dispositions intérieures. Voici quelques paroles de l’Histoire de la Théologie chrétiennea de M. Reuss, où ces idées s’offrent à bien des reprises et dans bien des directions :

a – Tome II, p. 49

« Les hommes placés en face de Dieu comme les sujets vis-à- vis de leur roi, doivent s’efforcer d’accomplir tout ce qui est exigé d’eux. Leurs actes doivent répondre exactement à la volonté souveraine dont ils relèvent. Il ne s’agit pas des motifs de ces actes, des sentiments qui les dictent ou qui les accompagnent ; il s’agit uniquement du résultat final. Si ce dernier est conforme en tout au commandement qui l’a provoqué, il constitue la justice, c’est-à-dire la perfection légale. » — « Sous le nom d’œuvres ou d’œuvres de la loi, dit Vinet, saint Paul entend toujours les œuvres comme œuvres,… en d’autres termes l’obéissance aveugle, indifférente et servile »b. Cela court comme une sorte d’axiome ou de principe.

bDe la vraie foi.

Est-ce bien la pensée de l’Écriture et celle de saint Paul en particulier ? Une observation, qui s’offre d’elle-même, ne permet guère de le croire. Les œuvres de la loi et les œuvres de Dieu, c’est-à-dire ce que la loi prescrit et ce que Dieu réclame, sont une seule et même chose ; car la loi est l’expression de la volonté de Dieu. Dieu est en-elle ; elle participe de tous les sentiments que Dieu inspire aux Ames religieuses. Peut-on dire, dès lors, qu’elle ne fait agir que par des motifs intéressés et servi les ? Les anges sont sous la loi et non sous la grâce, au sens qu’entend saint Paul : pour eux, il n’a pas été nécessaire qu’une dispensation de miséricorde s’unit à la grande dispensation qui régit l’univers spirituel. Prétendrait-on que les anges n’obéissent que par des mobiles d’un ordre inférieur ? Quelle est cette abstraction qui sépare la loi du Législateur, avec lequel elle ne fait qu’un, puisqu’elle n’est qu’en lui et par lui, n’étant que la manifestation de sa volonté et, pour ainsi parler, de son caractère et de son être moral ?

Et si nous prenons la loi pour la révélation mosaïque, signification commune du. mot dans les Écritures, l’opinion qui nous occupe sera-t-elle mieux fondée ? L’Ancien Testament ne renfermait-il pas en principe l’Évangile et la grâce ? n’avait-il pas l’alliance des promesses ? (Éphésiens 2.12). Dieu n’était-il pas le Libérateur et le Père de la famille de Jacob, comme son Maître et son Juge ? Le Nom qu’il se donne n’est-il pas celui-ci : L’Éternel, le Fort, pitoyable, miséricordieux, tardif à colère, abondant en grâce et en vérité, gardant la gratuité jusqu’à mille générations, étant l’iniquité, le crime et le péché ? (Exode 34.6). Les Israélites ne connaissaient-ils pas les psaumes 25 et 103, et tant d’autres, qui célèbrent, en termes si magnifiques, l’ineffable bonté du Seigneur, ses délivrances et ses compassions infinies ? On oublie qu’il y avait sous l’Ancien Testament la foi à la présence et à la clémence divine, sans cesse vivifiée par le miracle et par la prophétie, par la prière et par le sacrifice, par conséquent le même ordre de mobiles que sous le Nouveau Testament. Sans doute, il existe une différence considérable entre les deux économies, malgré leur unité essentielle : l’une n’avait que l’ombre des biens dont l’autre nous offre la pleine réalité. Dans la première, la dispensation de grâce se voile sous la dispensation de justice ; dans la seconde, la dispensation de justice sous la dispensation de grâce ; mais les deux dispensations sont dans l’une et dans l’autre. Dans l’une et dans l’autre, le Dieu Trois fois Saint est le Dieu des pardons, et, dans la nouvelle, c’est le Sauveur qui est le Juge. Il y a entre elles rapport et contraste tout ensemble ; et si le rapport n’anéantit pas le contraste, le contraste n’anéantit pas le rapport. Gardons-nous de ces tendances extrêmes, qui, exagérant le vrai jusqu’à le fausser, arrivent à soutenir que la sainteté réelle manque aux anciens justes. Gardons-nous également de ce rigorisme mystique qui stigmatise comme impurs les mobiles d’intérêt et d’obligation, en perdant de vue que ces mobiles tiennent à notre nature, qu’ils grandissent dans l’Évangile bien loin de s’y annuler, et qu’on a besoin d’y recourir encore au plus haut degré de l’avancement spirituel.

D’ailleurs, que dit la loi ? n’exige-t-elle pas autre chose que les œuvres extérieures dont on parle, elle qui se résume dans le grand précepte de la charité ? Ne demande-t-elle pas à être observée avec un religieux dévouement ? (Deutéronome 6.4-6 ; 10.16 ; 11.1) Ne juge-t-elle pas des pensées et des intentions du cœur ? Ne déclare-t-elle pas nuls les actes où les lèvres et les mains seules prennent part ? (Ésaïe 29.13, rappelé par Jésus-Christ Matthieu 15.7-8). Le dernier commandement du Décalogue n’interdit il pas les sentiments et les désirs criminels, donnant ainsi le vrai sens de tous les autres, c’est-à-dire leur sens spirituel ? N’est-il pas dit de mille manières que c’est au cœur que Dieu regarde (1 Samuel 16.7) ? La véritable vie religieuse ne se montre-t-elle pas à un haut degré chez les anciens justes, chez Abraham, par exemple, le modèle des croyants, et chez ceux dont il est fait mention dans le chap. 11 de l’Épître aux Hébreux ? Le scribe qui vint trouver Jésus ne savait-il pas qu’aimer Dieu, c’est plus que tous les holocaustes et les sacrifices (Marc 12.33) ? Et n’était-ce pas là le sentiment général de l’Israël selon l’Esprit ; n’était-ce pas la conviction ou la disposition qu’éveillait et nourrissait l’Écriture chez les âmes attentives et dociles ? La parole de Moïse, comme celle des prophètes, ne tend-elle pas d’un bout à l’autre à inspirer l’adoration et l’obéissance sincère, c’est-à-dire une adoration et une obéissance spirituelles ?

Les faits de l’histoire, la nature des préceptes, aussi bien que celle des principes et des mobiles, sont donc en opposition flagrante avec l’opinion qui ne veut voir dans les œuvres de la loi que des actes externes. La loi de Dieu, cette loi qu’exaltent Moïse, les psalmistes et les prophètes, réclame l’offrande du cœur non moins que celle de la main, car, sans le don du cœur, tout n’est rien devant Dieu. Le légalisme tel qu’on le définit est la perversion de la loi, comme le formalisme est celle du culte, comme le dogmatisme celle de l’orthodoxie. Evidemment, l’expression dont nous cherchons à nous rendre compte doit avoir chez saint Paul une autre signification et une autre portée.

Si du moins on avait quelque raison de penser que, du temps de l’apôtre, les Juifs en étaient venus à y attacher l’idée à laquelle on voulait la réduire ? Mais cette idée, les Juifs l’auraient jugée blasphématoire. Ils se plaisaient à exalter la vertu divine, la puissance vivifiante de la loi, en répétant ce qu’en disent Moïse, les Psaumes et les Prophètes. C’était la foi générale que partageait le pharisaïsme lui-même. Qu’est-ce qui autorise à supposer que saint Paul a pris la locution, objet de notre examen, dans un sens qui ne pouvait être celui des Juifs, et qu’il s’en est servi habituellement avec eux en ce sens étranger, sans la définir ? Et puis, tout dans son enseignement repousse cette supposition. La loi est spirituelle (Romains 7.14) ; elle règle les affections comme les actions (Romains 8.7 ; 13.8-10) ; celui qui ne la garde qu’extérieurement ne la garde pas du tout (Romains 2.28-29). C’est elle qui lui a appris que la convoitise est péché (Romains 7.7). Elle donnerait la vie, c’est-à-dire la vraie justice et le Ciel, si elle était réellement et pleinement observée (Romains 10.5 ; Galates 3.12). Aussi appelle-t-il justice de la loi (Romains 8.4) la sainteté évangélique, quand il l’envisage dans toute sa pureté et son étendue, telle que l’Esprit de Christ tend à la produire chez les fidèles ; remarquable expression, qu’éclairent bien d’autres traits de son enseignement (Romains 3.30. par ex.) et qui éclaire tout à son tour. C’est sous cet aspect, je veux dire comme règle souveraine du bien, par conséquent des dispositions non moins que des actes, que saint Paul considère la loi, à l’article de la justification. Il rappelle à diverses reprises, comme base de sa doctrine et de son argumentation, cette déclaration de l’Ancien Testament : Fais ces choses et tu vivras (Rom. ch. 10 ; Gal. ch. 3). Or, est-il possible qu’il n’ait en vue dans cette solennelle assertion que les vaines observances du formalisme religieux et moral ? aurait-il attaché la vie à ces œuvres mortes ?

Cette interprétation, que patronnent d’ailleurs de grands noms, frappe et séduit au premier abord, comme enlevant une des pierres de scandale du dogme évangélique, qui se trouverait n’être qu’une expression plus profonde des données de la conscience immédiate ou des vues de la philosophie morale ; mais elle cède dès qu’on creuse tant soit peu. Tout indique que les termes œuvres de la loi, ou simplement de loi et d’œuvres ont dans la formule de saint Paul une intention et une portée tout autres. Divers traits formels de son enseignement et de son langage, la généralité de ses assertions, la marche de ses arguments, la nature des objections qu’il rencontre et des principes qu’il leur oppose, le rendent évident pour quiconque n’a pas intérêt a méconnaître sa pensée réelle. Il désigne sous ces termes l’obéissance ou la justice que la loi réclame, justice interne autant qu’externe, puisque la loi juge des intentions et des dispositions les plus secrètes aussi bien que des actions. Sa sentence porte donc contre les œuvres de toute sorte ; elle porte contre la foi elle-même, en tant qu’œuvre, car la foi est aussi une œuvra et une œuvre de la loi. N’est-ce pas une des prescriptions les plus positives de la conscience et de l’Écriture que de croire Dieu, de nous soumettre à sa parole, de nous confier à sa promesse et à sa grâce (1 Jean 3.23) ?

Je l’ai dit, et je le répète avec une conviction toujours plus profonde, l’opinion actuelle qui veut que saint Paul n’exclue de la justification que les œuvres légales, n’est pas plus fondée que celle qui prétendait qu’il n’exclut que les œuvres cérémonielles et qui domina le xviiie siècle. La confiance de cette opinion « n elle-même, la faveur dont elle jouit, la facilité avec laquelle elle s’impose ont leur raison dans la pente générale de la haute dogmatique. Au point de vue moral de la rédemption, vers lequel on incline de toutes parts, la justification et la régénération se confondant ou ne se distinguant que nominalement, si l’apôtre excluait de la justification les produits les plus réels et les plus saints de la piété, non moins que la piété apparente ou superficielle, il en exclurait l’élément essentiel et constitutif ; ce qui ne saurait être. Il faut donc que sa sentence frappe uniquement ou le formalisme rituel ou le moralisme légal ; et comme ce ne peut être seulement le premier, ainsi qu’on l’a prouvé de tant de manières contre le xviiie siècle, ce doit être le second. Et l’on s’attache à cette explication ou à cette indue-lion ; et l’on s’y tient à cause des besoins qu’on en a. Une fois le caractère forensique effacé de la rédemption, il ne peut subsister dans la justification, qui n’est que la rédemption devenue effective chez le croyant. Une erreur en appelle et en accrédite une autre. (Exemples analogues dans chaque grand courant intellectuel).

Je reprendrai une observation qui s’est plusieurs fois présentée et qui mérite d’être développée ou marquée un peu plus. Un principe domine et relie tout dans saint Paul. C’est, au fond, celui de la philosophie religieuse et de la conscience morale, et c’est par là qu’il les force à s’incliner devant cette partie de la révélation de Dieu en Christ dont elles font une pierre d’achoppement et qui est le rocher du salut.

Saint Paul part du double fait que la loi demande une obéissance parfaite et que personne ne la lui rend, afin de convaincre l’homme, quel qu’il soit, réputé juste ou pécheur avoué, de la complète impossibilité où il se trouve de se sauver par lui-même, et de l’absolue nécessité où il est, pour ne pas périr, de se réfugier dans l’asile de clémence que Dieu lui ouvre en Jésus-Christ, notre propitiation. C’est sous ce rapport et dans ce sens qu’il déclare, avec tant d’insistance, que nous ne pouvons être justifiés par la loi ou par les œuvres de la loi, ou par les œuvres (expressions synonymes pour lui, il ne faut pas l’oublier), et que nous le sommes par la foi, sans la loi ou sans les œuvres, c’est-à-dire sans aucun titre ni droit personnel, par une miséricorde entièrement imméritée qui doit être acceptée comme telle. Bien loin de justifier, la loi condamne : elle place dans le péché et dans la mort. Nul homme ne l’accomplissant comme il le faudrait pour avoir la vie, nul ne peut se flatter, que par la plus fatale illusion, d’avoir part aux promesses qui la sanctionnent en considération de sa fidélité ou de son amendement ; tous, même les plus justes, doivent se sentir sous le coup des menaces qu’elle prononce ; tous doivent reconnaître, par conséquent, qu’il ne leur reste de ressource et d’espérance que dans cette dispensation où le salut s’offre comme un don de pure miséricorde attaché à la foi. Au point de vue de l’apôtre, il n’y a de justification possible que celle qui vient de Dieu en Christ, et qui est essentiellement un pardon, quoique la sanctification en soit inséparable : car la dispensation de grâce soustrait et soumet tout ensemble à la dispensation de justice ; la foi affermit la loi en mettant à couvert de ses anathèmes.

Voilà le principe d’anthropologie morale qu’on découvre partout à la base de l’enseignement de saint Paul, qui en harmonise tous les grands linéaments, et où éclate la distinction. essentielle de la justification et de la régénération, aussi radicale chez lui que chez les Réformateurs.

Le raisonnement de saint Paul est simple et clair : Quiconque prétend être sauvé par la loi doit l’observer tout entière, car elle ne promet la vie qu’à cette condition. Or, tous les hommes l’ayant violée, nul ne lui rendant, même après sa conversion, l’obéissance qu’elle exige, il est impossible d’aboutir par cette voie au Sanctuaire céleste ; on n’y peut arriver que par le chemin nouveau et vivant que nous a ouvert Jésus-Christ, notre Souverain sacrificateur. A ce point de vue, la théorie morale croule d’elle-même avec tout ce qui l’étaye et l’accrédite ; et ce point de vue est manifestement celui de saint Paul. Bien des traits de son enseignement nous l’ont prouvé, bien d’autres le prouveraient encore.

Qu’on remarque, par exemple, de quelle manière il oppose la justification évangélique à la justification légale. Les Gentils, qui ne cherchaient pas la justification, l’ont obtenue, parce que, ne trouvant rien en eux ni autour d’eux sur quoi ils pussent s’appuyer, se reconnaissant perdus en se reconnaissant coupables devant Dieu, ne se faisant plus illusion sur leur état moral ni sur leur avenir éternel, ils ont mis tout leur espoir dans la parole de la grâce ; tandis que les Israélites, qui cherchaient leur justification dans la loi, ne l’ont point obtenue, parce que, se reposant sur leurs œuvres ou leurs observances, se confiant en leurs titres ou leurs privilèges religieux, ils ont rejeté le rocher du salut, seule retraite des pécheurs, qui est devenu pour eux, selon la prophétie, une pierre d’achoppement (Romains 9.30-33). Dans le chapitre suivant, saint Paul, développant sa pensée, détermine mieux encore ce qu’il entend par la justification légale et la justification évangélique. Il répète que les Juifs ont méconnu et repoussé la justification effective, pour avoir voulu se tenir à celle qu’ils s’étaient faite et qu’ils dérivaient de leurs prérogatives théocratiques (v. 3). Il montre qu’en cela même ils se sont mépris sur l’esprit et le but de leur loi, dont Christ est la fin providentielle, les besoins spirituels qu’elle éveille (pardon, régénération) ne trouvant leur pleine satisfaction qu’en lui (v. 4 comp. à Galates 3.21-24). Définissant ensuite (v. 5-11) la justice ou la justification de la loi et celle de la foi, il appelle la première du nom de justice ou justification propre (ιδιαν δικαιοσυνεν), et il la caractérise de la même manière que Galates 3.12 : Moïse, dit-il (v. 5), décrit ainsi la justice qui est par la loi : l’homme qui fera ces choses vivra par elles. Qu’on remarque bien cette définition qui revient à diverses reprises chez saint Paul, et où se montre bien explicitement son principe fondamental, savoir que pour arriver à la vie par la route de la loi, il faut une vertu parfaite, puisque la loi fait de l’observation absolue de ses commandements la condition de ses promesses, et qu’elle frappe de sa malédiction quiconque ne l’accomplit pas tout entière. D’où il résulte, conformément à la conclusion qui ressort de partout, que cette voie est irrévocablement fermée ou coupée devant les pécheurs, et que nul d’entre eux ne peut parvenir aux séjours de la sainteté et de la félicité éternelle qu’en consentant à passer par le pont de la miséricorde, comme un criminel condamné et gracié. C’est là manifestement la pensée de l’apôtre quand il déclare que personne ne saurait être justifié par la loi, ou par les œuvres de la loi, ou par les œuvres.

Mais la justice ou la justification qui est par la foi consiste à placer sa confiance et son espoir en Christ seul ou en Dieu par Christ. Si tu confesses le Seigneur Jésus-Christ de ta bouche et que tu croies en ion cœur, etc., (v. 6-11). Il n’est question, dans cet important passage, d’aucune espèce d’œuvres, pas plus de celles de la foi que de celles de la loi ; d’aucune justice propre, pas plus de celle qui procède des principes les plus élevés et les plus purs que de celle qui repose sur des mobiles intéressés.

Quoique ces œuvres et cette justice soient toujours impliquées dans la pensée de l’apôtre, il les laisse ou les jette toujours à l’écart lorsqu’il s’agit de la justification ; prétention ou répudiation absolument inexplicable — je ne me lasserai pas de le redire — dans l’hypothèse que nous discutons. Car, dans la définition même de sa doctrine, saint Paul n’en pouvait négliger ainsi l’élément essentiel, le trait caractéristique et constitutif. Si la justification par la foi avait, suivant lui, sa base et sa matière dans les dispositions morales que la foi produit, dans la direction spirituelle qu’elle imprime aux âmes ; si elle n’était que l’obéissance de la foi elle-même, comment se fait-il qu’il se taise constamment là-dessus lorsque tout le conduisait et l’engageait à en parler ? Pourquoi omet-il ce point capital et dans le passage qui nous occupe et dans tous ceux où il expose le grand dogme évangélique, et dans les cas même où les accusations contre lesquelles il avait à se défendre lui faisaient un devoir et un besoin de le relever ? D’où vient que nulle part il ne formule catégoriquement l’idée qui aurait été la sienne, et qu’il s’exprime partout de manière à en éveiller une tout autre ? Sans doute, saint Paul, comme tous les écrivains sacrés, pose en fait l’absolue nécessité de la sanctification et il la suppose ici. Cela n’est ni contestable ni contesté. Mais dans les textes relatifs à la justification, loin de la placer sur le premier plan, comme le veulent et le font les théories objet de notre examen, loin même de la porter en ligne de compte, il l’exclut sous la dénomination générale d’œuvres, dans laquelle il renferme les actes de la moralité et de la piété la plus haute tout autant que eaux du formalisme légal. Nous chercherions vainement un langage et un procédé semblables chez les partisans de l’opinion qu’on lui attribue. Le trait que saint Paul laisse dans l’ombre ou jette à l’écart est celui qui domine constamment chez eux ; et cela doit être logiquement, nécessairement, puisque c’est le trait constitutif ? D’où vient donc, je le répète, que cela n’est pas chez saint Paul ?

Ne faut-il pas vouloir se tromper pour se méprendre sur sa doctrine réelle, qui se révèle de tant de côtés et en tant de sens ? C’est par la foi, afin que ce soit par grâce (Romains 4.16). Et si c’est par grâce, ce n’est plus par les œuvres, autrement la grâce ne serait plus grâce (Romains 11.6).

De ce point de vue, toutes les oppositions entre les deux voies de justification marquées par saint Paul, s’expliquent et se légitiment. Si l’une est nommée propre justice ou justice des œuvres, l’autre est appelée justice de Dieu ou justice de la foi ; si l’une expose à se glorifier, l’autre enlève tout sujet de glorification, etc., etc. Tout part du principe que l’état de péché où nous sommes ne nous laisse de ressource que la miséricorde manifestée en Jésus-Christ ; tout revient à ce principe, parce que tout en sort ou en dépend ; mais aussi il fait tomber l’interprétation actuelle, comme celle du xviiie siècle, et ramène à celle de la Réformation.

Ce grand principe, fondé sur les données de la conscience non moins que sur celles de l’Écriture ; ce principe, évident par lui-même, puisqu’il est une des révélations immédiates du sentiment religieux et moral, domine l’enseignement de saint Paul ; et il s’étend à tous les états, même à celui de la régénération la plus avancée ; il frappe d’impuissance toutes les vertus de l’homme. C’est en ce sens que l’apôtre l’applique à Abraham, à David, à Tite (Tite 3.5), à Timothée (2 Timothée 1.9), à tous les justes de l’ancienne économie (Romains 1.17), à tous les fidèles du Nouveau Testament (Éphésiens 2.8-9). C’est en ce sens qu’il se l’applique à lui-même (Philippiens 3.4-9) et qu’il en déduit ce qu’il appelle la loi de la foi (Romains 3.26). Avec ce principe, toute confiance dans les œuvres, c’est-à-dire dans ce qu’on fait ou dans ce qu’on est, cesse spontanément et pleinement, parce que tout appel à l’ιδια δικαιοσυνη, attirerait, aux termes de la loi, non la justification, mais la réprobation : d’où la nécessité de se dire, au plus haut degré de renouvellement spirituel, comme à l’heure de la conversion : Vous êtes sauvés par grâce, par la foi, et cela ne vient point de vous, c’est le don de Dieu.

Si nous saisissons bien ce principe de l’apôtre, nous voyons s’éclairer et s’harmoniser les divers aspects de son enseignement, même les plus contraires en apparence. Les difficultés qu’ils soulèvent, les objections qu’on en tire, tombent d’elles-mêmes.

On nous demande, par exemple, d’expliquer, de notre point de vue, la prédication morale de saint Paul. Comment concilier, nous dit-on, ce qu’il soutient de la nullité des œuvres à l’article de la justification, avec ce qu’il affirme si fréquemment et si énergiquement ailleurs de leur importance suprême et de leur absolue nécessité, s’il parle dans les deux cas des mêmes œuvres ; car il est incontestable qu’il se montre partout, a la base de son Évangile, la doctrine qu’exprime ce texte des Romains (Romains 2.6-7) : Dieu rendra à chacun selon ses œuvres, savoir la vie éternelle à ceux qui persévèrent dans les bonnes œuvres, cherchant, etc. ? (Cf. Galates 6.7-10 ; 1 Timothée 6.18-19 ; Tite 3.8-14 ; et mille autres passages).

Que saint Paul recommande la pratique des œuvres avec une grande insistance, et qu’il y attache de hautes rétributions, c’est un fait indubitable, que nous avons eu occasion de relever ailleursc et qui grandit jusqu’à couvrir son enseignement entier, quand on prend le mot œuvres dans le sens large de l’Écriture, comme un autre terme de la sanctification. Cela est si évident qu’il est impossible de douter et de contester. En même temps qu’il dépouille les œuvres de toute vertu justifiante, il les déclare absolument indispensables, sa doctrine étant que chacun doit recueillir selon ce qu’il aura semé ; il en anéantit le mérite et il en rehausse l’obligation. Il n’est pas moins explicite sur un point que sur l’autre. Le plaçons-nous en contradiction avec lui-même, en refusant d’admettre qu’il ait en vue des œuvres différentes dans ces deux faces de son enseignement ?

cConditions du salut

Remarquons d’abord, — pour rappeler une observation que nous avons souvent faite et qui n’est qu’un corollaire de notre principe théologique, — que, quand nous ne pourrions résoudre l’antinomie, nous devrions en maintenir intégralement les deux termes, dès qu’ils sont tous les deux constatés ; et ils le sont ici. S’il est incontestable que saint Paul presse hautement et fermement la pratique des œuvres, s’il en pose ou en suppose partout l’absolue nécessité, il n’est pas moins certain que sa formule les frappe toutes de nullité devant Dieu, à l’article de la justification, celles de la piété la plus pure comme celles du cérémonialisme et du légalisme. Voilà le fait.

Mais l’antinomie n’est qu’apparente. On ne peut voir d’opposition réelle entre les deux parties de l’enseignement de saint Paul, qu’en se méprenant sur le sens et le but de la seconde. Quand il traite de la justification, il expose dans leur plénitude les saintes réclamations de la loi, pour faire sentir à ceux qui se reposent sur leurs observances religieuses ou morales qu’ils suivent une voie pleine d’illusions et de périls ; il sonde les bases mêmes de leur confiance pour leur prouver qu’elle est trompeuse, puisque leurs dispositions et leurs œuvres n’étant jamais ce qu’elles devraient être, la loi ou la justice appellerait toujours sur eux la mort et non la vie. C’est par là qu’il les pousse à se réfugier dans la grâce. Mais il n’en demeure pas moins que sans la sanctification personne ne verra le Seigneur. La dispensation évangélique, en arrachant aux malédictions de la loi, ne décharge nullement de ses prescriptions ; elle les rend au contraire plus impérieuses et plus saintes ; l’obligation morale reste tout entière, éternelle et immuable comme la volonté de Dieu, dont elle émane, comme l’ordre de l’Univers, qu’elle fonde. Elle grandit même pour le chrétien, ainsi que nous l’avons montré ailleurs. Si, en un sens, le chrétien n’est plus sous la loi (alliance), dans un autre sens, il y est toujours et plus que jamais (règle du devoir). L’Évangile affermit et accomplit la loi, bien loin de l’infirmer et de l’abroger (Matthieu 5.17-18). La justice de la loi est son but final (Romains 8.3-4). La rédemption porte avec elle le pardon du mal et le retour au bien (Actes 5.31). La foi est tout ensemble moyen de justification et principe de régénération, et elle n’est effective au premier égard qu’autant qu’elle l’est au second, Jésus-Christ ne devient notre paix qu’en devenant notre vie ; il n’est l’Auteur du salut que pour ceux qui lui obéissent (Hébreux 5.9) ; quiconque n’est pas conduit par son Esprit ne lui appartient point (Romains 8.9) ; la parole par laquelle il avait ouvert son ministère (Marc 1.15) résume la prédication de saint Paul (Actes 20.21). Mais, au fond, et quoiqu’on n’arrive aux demeures célestes que par la route de la sainteté, on n’y entre cependant qu’au nom de Celui qui s’est fait Médiateur entre le Ciel et la Terre. Il a fallu que le Christ souffrit ; et il faut, pour ne pas périr et pour avoir la vie éternelle, mettre sa confiance et son espoir en lui seul : autrement, le but suprême de la rédemption ne serait point atteint, si elle est, comme tout l’annonce, la garantie de l’ordre moral dans l’amnistie d’un monde déchu. La dispensation de grâce ayant son origine et sa fin dans la dispensation de justice, le don et le devoir s’unissent partout. Tout est devoir et tout est don. La loi mène à l’Évangile, et l’Évangile ramène à la loi. Cette double face des Écritures, reflet de la double dispensation qui les traverse, saint Paul ne fait que la reproduire en l’accentuant davantage… Use pleine amnistie est révélée du Ciel, mais elle n’est effective que pour les coupables qui, du fond de leur cœur, renoncent à la rébellion et reviennent à la fidélité. La conversion, la sanctification, les œuvres demeurent absolument indispensables ; l’acte divin d’où sort le pardon est la condamnation la plus redoutable du péché ; la justice et la miséricorde s’y révèlent l’une par l’autre. — Où est la contradiction ? Si elle existait chez saint Paul, elle, existerait également chez les autres apôtres et chez le Seigneur qui, en insistant avec force sur le renouvellement moral, annoncent tous le salut comme un don immérité, émané librement de cet amour éternel et souverain qui est venu chercher ce qui était perdu. Qu’on lise le 3e chap. de saint Jean où, après avoir posé en fait que le Ciel ne s’ouvre et ne peut s’ouvrir que devant la régénération (Jean 3.3,5,7), le Seigneur prononce cette parole où se condense tout l’Évangile : Dieu a tant aimé le monde, etc. N’est-ce pas ce salut par la foi et par pure miséricorde qu’enseigne saint Paul ? Ces deux grandes déclarations du Seigneur constituent les deux thèses fondamentales de l’apôtre (Cf. Jean 3.3 ; Hébreux 12.14 ; Jean 3.16 ; Romains 6.23). L’apparente opposition sur laquelle on insiste n’est, répétons-le, que cette antinomie radicale qui traverse la religion tout entière et que la théologie rencontre sur tant de points et sous tant d’aspects, celle de la grâce et de l’obligation dans le développement moral de l’homme, celle de la Providence et de la liberté dans l’histoire. Il faut se garder ici, comme partout, de ces solutions qui ne font qu’absorber l’un des termes dans l’autre.

L’erreur vient de ce que l’on confond l’inconditionnel et le gratuit. La dispensation évangélique et la justification qu’elle confère est toute gratuite, puisqu’elle est la rémission du péché et de sa peine, fondée uniquement sur les mérites de Jésus-Christ et nullement sur ceux de l’homme. Mais elle n’est pas inconditionnelle. Elle n’annonce pas le salut ipso facto ; elle ne le promet qu’à qui croit et s’amende, et en prononçant les plus redoutables menaces contre ceux qui, par leur impénitence et leur incrédulité, rendent inutile à leur égard le dessein de Dieu (Jean 15.22 ; etc.). L’entière gratuité des miséricordes n’infirme point la sainte rigidité des obligations, pas plus que la rigidité des obligations n’infirme la gratuité des miséricordes. Le devoir reste à côté du don et le don à côté du devoir. Ce n’est toujours qu’au nom de Christ, en vertu de sa propitiation, par pure grâce, que le Ciel s’ouvre, même pour les âmes les plus avancées dans la régénération. Le révolté, condamné à mort, mais pardonné sous condition de repentance et de soumission, en doit-il moins la vie à la clémence de son roi ? Pourrait-il en appeler à un droit personnel, ou en d’autres termes à la loi qui l’avait placé sous le glaive de la justice ?

La prétendue contradiction qu’on nous accuse d’établir dans saint Paul tient à une vue incomplète, et, par cela même, inexacte de sa doctrine. Elle disparaît dès qu’on embrasse sa pensée dans sa plénitude, c’est-à-dire dans sa vérité. Elle n’est pas plus chez lui que chez les Réformateurs, à qui on l’a également imputée. Sans doute saint Paul presse fortement l’obligation de nous renouveler à l’image de Dieu pour nous disposer à entrer dans sa gloire. La foi à laquelle il suspend les grâces de la nouvelle Alliance opère par la charité, qui est la substance de la vie spirituelle ; quand elle ne produit pas la charité, elle n’est rien et ne sert de rien. Saint Paul n’est dépassé ni par saint Jacques sur la prescription des vertus et des œuvres saintes, ni par saint Jean sur les mystères de la communion des âmes avec le Dieu Sauveur (Galates 2.20 ; Éphésiens 3.17 ; Philippiens 1.21), ni par aucun des auteurs sacrés sur la haute spiritualité du christianisme pratique. Qu’on étende tant qu’on voudra cette face de l’Évangile, on n’ira pas plus loin que lui. Mais c’est de là même que sort l’autre face de son enseignement, qu’on dit inconciliable avec celle-ci ; c’est l’irrémédiable défectuosité de la justification morale qui appelle et motive la justification forensique ; c’est le péché, toujours attaché à nous ici-bas et traînant toujours après lui la condamnation, qui nécessite le don de la grâce ; c’est l’état de régénération lui-même qui réclame l’amnistie céleste. Cette seconde moitié du dogme paulinien, dont on fait la négation de la première, en est au contraire le complément. Leur union met en saillie tout ensemble l’accord et le contraste de l’Évangile et de la loi, ou de la dispensation de grâce et de la dispensation de justice ; rapport foncier, qui règne d’un bout à l’autre des Livres saints, et que saint Paul maintient fermement… Il met sans cesse devant tous et la justification par la foi et le jugement selon les œuvres. Au fait, cela est au cœur du Christianisme ; car l’Évangile du salut est en même temps la révélation des rétributions futures ; le Juge du monde, c’est le Sauveur.

Dès qu’on saisit l’enseignement de saint Paul dans son principe et dans son but réels ; dès qu’on l’embrasse dans sa plénitude et, par conséquent, dans sa vérité, les antithèses dogmatiques et pratiques qu’il présente au premier abord vont se résoudre dans une grande synthèse religieuse.

On nous demande encore : Pourquoi saint Paul réserve-t-il le nom d’œuvres de la loi à celles qu’il exclut, et ne le donne-t-il pas à celles qu’il prescrit, appelant habituellement ces dernières bonnes œuvres (εργα αγαθα)) ?

Cette différence de désignation ne tient pas à une différence de nature dans les œuvres ; nous l’avons, je crois, suffisamment établi. Elle tient à une différence de point de vue. Les deux expressions indiquent également les faits religieux et moraux, internes et externes, conformes à la règle du bien ; elles sont identiques au fond dans la pensée de l’apôtre. Pour lui, les œuvres de la loi, accomplies dans l’esprit de la loi, sont les bonnes œuvres : la loi est spirituelle ; elle donnerait la vie si elle était pleinement observé ; c’est la justice de la loi que l’Évangile réalise chez ses disciples en les poussant dans la voie de la régénération (Romains 3.4). Si saint Paul distingue en quelque manière, ce n’est que dans l’application qu’il fait des deux termes aux deux côtés de la doctrine ou de la vie chrétienne. Il emploie celui d’œuvres de la loi en traitant de la justification, parce qu’il rend bien l’idée sur laquelle porte son argument, celle de l’obéissance générale et constante, de la pure et pleine intégrité morale que la loi requiert. Aussi se sert-il indistinctement des formules : justifié par la loi, ou par les œuvres de la loi, ou par les œuvres. Le terme de bonnes œuvres n’était pas aussi propre à mettre en saillie cette pensée fondamentale. Il désigne, sans doute, des actes en harmonie avec la loi ; mais sans emporter cette conformité entière dont la loi fait une obligation formelle, une condition absolue. Il s’applique à des faits dont chacun, pris à part, est bien d’accord avec la règle, mais qui, alors même qu’ils sont habituels, ne constituent point dans leur ensemble cette pleine rectitude de l’existence morale que la règle souveraine réclame impérieusement. Ce terme fournissait au contraire une désignation convenable des manifestations de la vie chrétienne, toujours incomplète et défectueuse quelque avancée qu’elle puisse être, donnant des fruits de sainteté plus ou moins abondants, mais jamais cette sainteté parfaite vers laquelle elle tend et qu’exige la justice éternelle. Voilà, croyons-nous, la secrète raison de la terminologie dont on nous demandait de rendre compte. Ainsi entendue, elle est en complète harmonie avec l’esprit comme avec la lettre des enseignements de saint Paul ; elle va se rattacher à son principe fondamental et ramène la conclusion à laquelle nous avons été conduits par tant de côtés, savoir que l’exclusion des œuvres en matière de justification est universelle et absolue, qu’elle dépasse, par conséquent, le formalisme légal ou moral, auquel on voudrait la restreindre aujourd’hui, aussi bien que le formalisme rituel ou religieux, auquel on la restreignait autrefois.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant