Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

4. La foi contemple et adore dans une humble soumission, le Dieu de la Nature et de la Grâce

Elle se tient ainsi au point de vue pratique, partout recommandé dans l’Évangile, où tout concourt à l’édification.

Ces vues, auxquelles la théologie et la philosophie elle-même finissent par acquiescer de guerre lasse, peuvent se légitimer par un autre côté. Abandonnez les tentatives de la spéculation dialectique ou mystique, pour vous tourner vers la contemplation de la Nature. Là vous apprendrez aussi que Dieu est nécessairement l’Être incompréhensible, qu’il l’est dans ses actes comme dans ses attributs : vous sentirez, vous verrez, pour ainsi parler, que l’homme ne saurait sonder ni ses œuvres ni ses voies, et que les doctrines qui prétendent pénétrer les mystères de sa Providence et de sa grâce, ou ceux de son essence et de son existence interne, substituent simplement un Dieu idéal au Dieu réel. Elles expliquent tout, je le veux, mais ce qu’elles expliquent c’est ce qu’elles imaginent, et non ce qui est. Laissons passer ces théogonies et ces cosmogonies qui ne peuvent avoir qu’un règne d’un moment, et regardons à l’ordre et au mouvement universel des choses.

Prenez le Cosmos d’Alexandre de Humboldt ; et après avoir parcouru, sous sa direction, les merveilles que notre Terre dévoile incessamment à la science, pénétrez avec lui dans les Cieux ; passez du système solaire, où disparaît dans l’insignifiance tout ce qui avait fait votre admiration ici-bas, à ce système d’étoiles où le soleil lui-même n’est plus qu’un point lumineux ; réduisez, par la pensée, à une nébuleuse les mille et mille soleils parmi lesquels le nôtre n’occupe qu’un rang très inférieur ; et, par une opération inverse, faites apparaître dans ces nébuleuses (ces taches blanches, ces nuages de lumière dont l’espace sans bornes est parsemé) d’innombrables amas de soleils, avec les mondes sur lesquels ils épanchent sans doute la clarté, la chaleur et la vie ; car lorsque la vie se montre partout sur ce point de l’Univers soumis à notre observation, pourrions-nous supposer que l’Univers lui-même soit un désert et qu’il n’existe que pour notre œil qui en aperçoit à peine les bords ? Non, non, la vie est là bien certainement ; il est impossible d’en douter ; elle y est, avec cette diversité et cette unité tout ensemble qu’elle présente autour de nous. Peuplez sans crainte cette immensité, peuplez-la de telle sorte que l’échelle incommensurable qui va de l’insecte à l’homme et de l’homme à Dieu, soit remplie à tons ses degrés. Multipliez sans fin les êtres et les merveilles, en vous disant que le réel dépassera toujours votre idéal. Ou, sans vous perdre dans ces profondeurs que nous n’entrevoyons que de loin, attachez-vous à cette seule partie de la création qu’atteignent nos instruments ; calculez ces distances, ces grandeurs, ces nombres, ces mouvements, devant lesquels tremble l’intelligence et l’imagination demeure écrasée. Considérez ces mondes qui naissent et qui meurent, (parce que sans doute les mondes ont leurs destinées comme notre Terre, et que l’Univers est tout entier en travail vers des fins ultérieures). Cherchez la main qui maintient l’ordre entre ces masses et ces vitesses effrayantes, en même temps qu’elle fait remplir à l’hysope de la muraille comme au cèdre du Liban, au souffle vivifiant comme à l’orage, sa fonction dans l’œuvre universelle ; cette main qui est nécessairement partout et que l’œil n’aperçoit nulle part, et qu’à cause de cela la science a pu méconnaître ou renier, mais que révèle invinciblement la conscience. Dans la ferveur de votre foi et dans le recueillement de votre cœur, en présence de ce double infini de puissance et de sagesse, au centre duquel vous vous voyez, qu’éprouvez-vous que ce saint frémissement de l’adoration qui s’écrie avec l’apôtre : O altitude ! O profondeur !

Et si vous pénétrez, par une sorte de divination religieuse ou de vision intellectuelle, dans le monde des esprits que la raison ne peut s’empêcher de reconnaître, et où sont d’autres grandeurs et d’autres merveilles, un nouveau silence de respect se saisit de votre âme. Mais ce monde spirituel, ce Ciel des Cieux, où brillent les gloires de la Divinité, dans l’éternel déploiement de ses justices et de ses miséricordes, nous reste voilé plus encore que le monde matériel, à cette période de notre existence ; le symbolisme par lequel nous nous le représentons l’éclaire et le cache en même temps ; nous savons qu’il est, plus que nous ne savons ce qu’il est. Toutefois, là se terminent et le mystère d’iniquité et le mystère de piété ; de là est sortie la Rédemption, devant laquelle les anges eux-mêmes s’étonnent et s’inclinent. Jugez de ce que doit être ce monde supérieur par le merveilleux sans terme et sans fond du monde inférieur que traversent les générations humaines ; et, après avoir entrevu ces prodiges des œuvres et des voies divines que l’observation constate dans l’univers matériel, que la Révélation annonce dans l’univers spirituel, posez-vous quelques-unes des questions que la métaphysique prétend résoudre, celle, par exemple, du but final de la création, ou celle de l’incarnation et de la Trinité, ou celle du rapport interne de la liberté, de la prédestination et de la grâce ; ne sentez-vous pas qu’il y a là des choses qui nous passent de tout point, et que notre affaire n’est pas tant de concevoir, que de croire, de contempler et d’adorer ? Lisez, sous cette impression, Romains 8.28-39. Ce texte, qui engendre pour la science d’interminables discussions, apparaît à la conscience religieuse, plus préoccupée de se l’appliquer que de l’expliquer, comme une des plus magnifiques expressions du sentiment chrétien, comme le cri de triomphe, l’hymne de confiance, d’adoration, d’action de grâces de l’âme qui a expérimenté le don de Dieu en Jésus-Christ : Nous savons que toutes choses ensemble concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, etc.

Cette théologie du cœur ou de la conscience religieuse et morale, nous la voulons autant que les écoles qui la prônent, mais autrement qu’elles ne la font. Au lieu d’y soumettre l’Écriture à la conscience, nous y soumettons la conscience à l’Écriture ; et nous convions la conscience elle-même à y chercher, moins cette assimilation théorique si hautement célébrée et la plupart du temps si illusoire, que l’assimilation pratique partout recommandée dans l’Évangile.

Que la science garde son domaine ; mais qu’elle laisse à la foi le sien. Les voies de Dieu ne sont pas nos voies. Si cela est vrai de l’ordre naturel lui-même, ainsi que le montrent de jour en jour les études physiques, combien plus de l’ordre surnaturel où nous place le Christianisme. Dans ces dispensations qui portent d’une part sur la chute, de l’autre sur la rédemption, il y a d’insondables mystères. Ce sont les hauteurs des Cieux, qu’y verras-tu ? Ce sont les profondeurs de l’abîme, qu’y connaîtras-tu ? L’ensemble des voies et des œuvres divines est pour nous ce qu’un mécanisme compliqué, établi dans un atelier immense, serait pour l’homme qui ne l’observerait que par le trou delà serrure. Nul ne connaît ce qui est de Dieu que l’Esprit de Dieu (1 Corinthiens 2.10). Recueillons avec une humble et docile gratitude ce qu’il nous a révélé et respectons ce qu’il a laissé derrière le voile, en attendant la manifestation de toutes choses.

Tout va à l’édification dans les Saintes Écritures, ne nous lassons pas de le dire et de le redire ; elles n’ont rien pour la curiosité, rien pour la science comme science. Nous l’avons vu pour les doctrines de l’Incarnation, de la Trinité, de la Théodicée elle-même ; il n’en est pas autrement de celle qui nous occupe. Le décret de Dieu n’est guère présenté que pour relever la gratuité du saint (2 Timothée 1.9, etc), ou pour exalter l’amour éternel, avec lequel il ne fait qu’un (Éphésiens 1.3-6 ; Tite 3.4, etc.), ou pour affermir la confiance des disciples (Romains 8.28 et suiv.). Il s’agit toujours de nourrir les dispositions chrétiennes, l’humilité, la gratitude, l’espérance et l’assurance de la foi, la soumission et l’abandon du cœur. Il n’est peut-être pas de doctrine où ressorte mieux que dans celle-là la différence de l’enseignement théologique et de l’enseignement biblique, ou du christianisme de la science et de l’homme et du christianisme de l’Évangile et de Dieu. Oh ! qu’il importerait que le caractère pratique des divines révélations reprît le rang et l’empire qui lui reviennent !…

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