Théologie Systématique – III. Dogmes Purs

IV
De la Grâce

1. La Grâce présentée par son côté pratique. — Les fruits du Saint-Esprit, ses dons ordinaires et extraordinaires

La grâce, principe de la vie spirituelle (foi, conversion, sanctification, etc.)- — Les opérations ordinaires du Saint-Esprit ramenées à quatre : répréhension, enseignement, direction, consolation. — Grâce prévenante, opérante, coopérante. — Le Saint-Esprit donné à quiconque le demande en sincérité de cœur. — Il peut être tenté, outragé, méprisé, attristé, repoussé, éteint. — La doctrine de la Grâce nourrit l’humilité, la communion avec Dieu en Jésus-Christ, l’esprit de prière, la confiance et l’activité. — Le concours divin est généralement admis aujourd’hui.

Ce que nous venons de dire du décret de Dieu est également vrai, et plus vrai encore, s’il est possible, de la doctrine de la Grâce. Cette grande doctrine, partout répandue dans l’Écriture, dont elle constitue le fond réel, ne s’y présente que par les côtés qui touchent à la justification et à la régénération, c’est-à-dire par les côtés pratiques. Aucune des innombrables questions théologiques qu’elle traîne maintenant avec elle, n’est abordée et ne paraît avoir été soupçonnée par nos écrivains sacrés. Ils ne la révèlent que pour ouvrir la source des lumières, des vertus, des forces célestes, où doit puiser incessamment l’œuvre de la foi et de la sanctification. C’est à ce point de vue que nous voudrions la considérer un instant, comme nous nous le sommes promis.

A l’article de la Trinité, nous avons recherché ce que le Saint-Esprit est en soi, indiquons ce qu’il est pour nous, en nous bornant à quelques observations générales.

On a divisé les dons du Saint-Esprit en ordinaires et extraordinaires ; les uns se rapportant à l’œuvre du salut dans les cœurs, les autres, comme les charismes miraculeux et prophétiques, ayant pour objet l’établissement de l’Église ou la révélation de la vérité. Nous n’avons à nous occuper ici que des premiers.

La grâce divine est le principe de la vie spirituelle, depuis les premiers mouvements qui la préparent jusqu’aux derniers progrès qui la consomment. L’Écriture attribue à l’action du Saint-Esprit ou à la vertu d’En haut la connaissance salutaire de la vérité (Luc 24.45 ; Éphésiens 1.17 etc), la conversion (Tite 3.5), la sanctification (1 Corinthiens 6.11 ; 1 Pierre 1.2), toutes les dispositions constitutives de l’état de régénération : la foi (Philippiens 1.29), la repentance (Actes 11.18, etc.), le sentiment de l’amour divin (Romains 5.5), l’amour fraternel (1Thes.3.12), la sagesse (Jacques 1.5, etc), la vraie prière (Romains 8.26), les diverses vertus ou œuvres évangéliques (Galates 5.22), raffermissement et le perfectionnement dans le bien (Philippiens 1.6 ; 1 Pierre 5.10), l’assurance de l’adoption (Romains 8.15-16), la consolation, la paix et la joie (Romains 14.17). Aussi est-il dit que ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu, et que ceux qui n’ont point l’Esprit de Christ n’appartiennent point à Christ. De là la dénomination d’homme spirituel (πνευματικος) donnée au vrai chrétien (1 Corinthiens 2.15).

La dogmatique a souvent ramené les opérations ordinaires du Saint-Esprit à quatre principales :

  1. l’acte de répréhension, par lequel il convainc de péché ;
  2. l’acte d’enseignement, par lequel il instruit de la voie du salut ;
  3. l’acte de direction, par lequel il introduit et conduit dans cette voie ;
  4. l’acte de consolation, par lequel il soutient et guide les fidèles dans leurs épreuves.

Nous n’avons rien à dire au sujet de ces classifications, sinon qu’elles sont toujours plus ou moins arbitraires et inadéquates.

On a aussi communément distingué la grâce en prévenante, opérante, coopérante, et fondé là-dessus des théories diverses. Mais cette distinction, et bien d’autres tirées des phases successives de la vie spirituelle qu’elles semblent éclairer, n’ont pas la valeur qu’on y attache souvent. Nous savons que la grâce est là, toujours et en tout, mais nous ignorons complètement son mode d’action.

En bien des endroits, l’œuvre du salut est attribuée à Dieu ou à Jésus-Christ ; mais c’est au Saint-Esprit qu’elle est spécialement et généralement rapportée. La restauration des âmes, la grâce réconciliatrice et régénératrice, qui ouvre le Ciel d’où elle descend, a sa première cause dans l’amour éternel du Père, sa cause méritoire dans l’incarnation et la Passion du Fils, sa cause efficiente dans l’opération du Saint-Esprit. Cette ancienne formule dogmatique rend bien les grands traits du plan de la Rédemption. Cependant il ne faut pas la trop presser, non plus qu’aucune autre (1 Corinthiens 12.1-11).

Le Saint-Esprit agit par la vérité ou par la Parole sainte (1 Pierre 1.22), qui est appelée à cause de cela l’épée de l’Esprit (Éphésiens 6.17). Aussi la foi, la conversion, la sanctification, le salut sont-ils fréquemment représentés comme l’effet de la doctrine ou de la prédication (Luc 8.11 ; Jean 17.17 ; Romains 10.14,17 ; Jacques 1.18, 21 ; etc. etc.). La grâce intérieure rend efficace la grâce extérieure. Cela ne veut pas dire sans doute que l’Esprit de Dieu n’agisse que par l’intermédiaire des Saintes Écritures. Mais cela fait entendre que le Livre des révélations est la lumière, la règle et, en un sens, la vie de l’Église ; qu’il n’y a pas d’autre vérité ni d’autre justice que celles qu’il annonce, pas d’autre ordre de salut que celui qu’il dévoile, pas d’autre moyen de réhabilitation que celui qu’il prescrit, et que la science chrétienne et la foi chrétienne doivent sans cesse y revenir pour s’y conformer plus complètement.

Le Saint-Esprit est donné à quiconque le désire et le demande (Luc 11.13). En insistant sur la nécessité et la souveraineté de son action, l’Écriture laisse intacte notre responsabilité : à côté du don de Dieu, il reste le devoir de l’homme ; le don réclame et motive le devoir(Philippiens 2.12-13). De même que le Saint-Esprit est accordé à la prière faite en sincérité de cœur, qui l’obtient dans une mesure toujours croissante, il peut être, tenté, outragé, méprisé, attristé, repoussé, éteint (Actes 7.51 ; Éphésiens 4.30 ; 1 Thessaloniciens 5.19 ; Hébreux 10.29, etc.). Le langage de l’Écriture à cet égard est le même, qu’à l’égard de la conversion, de la sanctification, de la foi, de toutes les dispositions et les vertus chrétienne qu’elle représente et comme des grâces et comme des œuvres. Nous voyons la Bible appuyer de mille manières les exportations sur les promesses et les promesses sur les exhortations, mêler en quelque sorte l’une à l’autre l’activité humaine et l’activité divine, et poser simultanément ces deux ordres de faits qu’unit aussi la conscience religieuse. (Voy. Philippiens 2.12-13, où se condense la méthode scripturaire.)

Cette grande doctrine de la Grâce, qui remplit les Livres saints, est en parfaite harmonie avec ce qui nous est dit de notre état naturel de corruption et de condamnation, de notre faiblesse morale, de l’inefficacité de nos efforts et des moyens extérieurs, quand ils agissent seuls. Quiconque connaît l’étendue du renouvellement exigé par le Christianisme, et travaille sérieusement à l’opérer en lui, ne tarde pas à se convaincre, par sa propre expérience, qu’il y faut ce secours d’En haut, objet des mystérieuses aspirations de l’âme humaine, et que ce n’est pas pour rien que la restauration morale est désignée dans l’Écriture sous les noms de régénération, de résurrection, de création nouvelle.

La doctrine biblique de la Grâce entretient chez les croyants un profond sentiment d’humilité, de dépendance, de gratitude, disposition génératrice de la vie spirituelle et constitutive de la religion elle-même. Elle nous élève constamment vers Dieu et nous unit à Christ, hors de qui nous ne pouvons rien. Elle nous pénètre d’une confiance toujours plus vive envers le Père des miséricordes qui nous a envoyé son Fils pour nous racheter, et qui nous donne son Esprit pour nous régénérer. Elle prévient le découragement et soutient ou ranime l’énergie morale, réalisant pour chaque fidèle cette parole de saint Paul : Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. Elle est la vie de la prière, par cela même qu’elle est l’espérance de la foi. Qu’est la prière pour ceux qui ne croient qu’à son influence psychologique, parce qu’ils ne croient qu’à la grâce extérieure et à la Providence générale ? La grâce extérieure (loi, évangile, église, etc.), ils la possèdent ; et s’ils demandent à Dieu de la rendre efficace, ils confessent en réalité ce qu’ils nient en paroles, le concours divin qu’invoque la piété. Quant à l’influence psychologique, c’est dans la méditation, dans la contemplation qu’on doit surtout la chercher ; elle n’est pas l’objet propre de la prière. Sans la grâce intérieure (la grâce au sens ecclésiastique), la prière n’est qu’une forme vide et même trompeuse, puisqu’on paraît solliciter ce qu’on ne pense pas pouvoir obtenir.

La doctrine du concours divin ne rencontre pas maintenant les mêmes répulsions qu’au commencement du siècle. La philosophie de la sensation, qui limitait nos rapports avec le monde invisible jusqu’à les anéantir, soulevait contre ce dogme des antipathies profondes et d’innombrables objections. Là même où il n’était ni rejeté ni contesté, il ne restait qu’à moitié effacé dans la prédication et dans le culte, non moins que dans la dogmatique. Il en est autrement aujourd’hui. Les tendances panthéistiques et mystiques exaltant la vie de Dieu dans le monde et dans l’homme, on admet aisément l’action du Saint-Esprit, en se réservant seulement le droit de l’interpréter de son point de vue propre ; et l’idée chrétienne passe à la faveur de l’idée philosophique. Il en est de même de l’incarnation, de la Trinité, etc. Mais on ne saurait trop se tenir en garde vis-à-vis de ces christianismes apparents, que célèbre à tour de rôle l’opinion, et où l’on finit si souvent par se trouver aux antipodes du christianisme réel. Il est telle profession de l’Évangile pire qu’une négation, parce qu’elle n’est au fond qu’une négation déguisée. Dans la plupart des cas, sous la terminologie chrétienne il ne se trouve plus la doctrine chrétienne ; l’explication scientifique a vaporisé le fait évangélique ; et le fait échappe peu à peu à ceux qui se laissent attirer par l’explication. Ce qu’a fait la pensée panthéistique des dogmes de l’Incarnation et de la Trinité, elle le fait de celui de la Grâce. La vertu d’En-haut devient la communication de l’essence ou de la vie divine, la déification de l’homme, une sorte d’apothéose incessante et universelle. La même union substantielle qui s’est opérée en Christ, selon le symbole ecclésiastique, s’opère chez les croyants. Dieu s’est fait homme pour faire l’homme Dieu. Tout se réduit en définitive à l’éternelle incarnation de Dieu et à l’éternelle divinisation de l’homme. Ces vues, qui ont fasciné si puissamment pendant quelques années, tombent de toutes parts avec les grandioses spéculations qui les avaient jetées, avec tant d’éclat ou de bruit, dans les diverses régions de la science. Mais il en reste beaucoup encore ; et elles ouvrent des abîmes. Elles sont comme ces profondeurs de Satan, dont parle l’Écriture. Si elles étaient fondées, le Serpent n’aurait pas menti en disant de l’arbre de la science : Mangez et vous serez semblables à Dieu. Si chaque croyant est un Christ, un homme-Dieu, le culte des saints est justifié ; et il faut absoudre le délire de ces anciens anachorètes qui, parlant d’idées analogues, finirent par s’adorer eux-mêmes. En séparant même ces idées des extravagances où elles peuvent conduire, en les prenant sous la forme, dans la mesure, avec les restrictions qu’elles reçoivent généralement, à quelle distance les dispositions qu’elles inspirent ne placent-elles pas de l’esprit général du Christianisme, qui a pour caractère distinctif d’humilier l’homme en exaltant le Dieu-Sauveur ? Jamais il ne fut plus nécessaire de rappeler la recommandation de l’apôtre : Prenez garde qu’on ne vous séduise par la philosophie et par de vaines subtilités !

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