Notes sur les Paraboles de notre Seigneur

Remarques introductives

I. Définition de la parabole

Les auteurs qui ont cherché à définir la paraboleb ont trouvé que ce n’était point une tâche facile que de tenir compte de tous ses traits caractéristiques, en laissant de côté ce qui est superflu et purement accidentel. Plutôt que d’ajouter une nouvelle définition à celles qui ont été déjà donnéesc, je me bornerai donc à signaler ce qui différencie la parabole évangélique de la fable, de l’allégorie et des autres modes semblables de comparaison. En cherchant à la distinguer des autres genres avec lesquels on peut facilement la confondre, et, en justifiant cette distinction, j’aurai contribué à faire ressortir ses caractères essentiels plus clairement que par tout autre moyen.

bΠαραβολή, de παραβάλλειν, projicere, objicere, i. e. τὶ τινί, mettre une chose devant une autre ou auprès, afin de les comparer ; ainsi Platon : παραβολὴ τῶν βίων et Polybe (I.2.2) : παραβολὴ καὶ σύγκρισις. Parabole, n’est pas un mot particulier au grec sacré, car nous le rencontrons dans Aristote et dans Longin. La notion de comparaison n’est pas nécessairement comprise dans le mot, cela est évident, soit par l’étymologie, soit par le fait que ce terme et tous ceux formés des mêmes éléments sont employés dans un sens différent. Exemple : parabolos, qui objicit se præsentissimo vite periculo, quelqu’un qui expose sa vie, comme ceux qui enterraient les cadavres des pestiférés à Alexandrie, et qui se nommaient parabolani. Les auteurs latins ne sont pas d’accord quant à leur manière de rendre parabole. Cicéron : collatio ; Sénèque : imago ; Quintilien : similitudo.

c – Tryphon, un grammairien grec du siècle d’Auguste, donne la définition suivante : « Une histoire qui grâce à une comparaison avec quelque chose de similaire rend une présentation frappante de son sujet. ». Jérôme : « Un récit instructif, sous forme de figure pertinente, contenant une leçon spirituel dans son sens caché. » Bengel:« La parabole est une forme de discours qui par le truchement d’un récit fictif mais vraisemblable, tiré des usages de la vie courante, illustre des vérités morales moins évidentes. »

1. Quelques-uns ont identifié la parabole et la fable, ou du moins n’ont tracé qu’une légère ligne de démarcation entre les deux ; ainsi Lessing et Storr affirment que la fable raconte un événement qui a eu lieu, tandis que la parabole le présente uniquement comme possible. Mais évidemment la différence est plus grande. La parabole veut représenter une vérité spirituelle et céleste ; la fable a un tout autre but. Elle se rattache essentiellement à la terre et ne s’élève pas au-dessus d’elle. Elle n’a jamais un but plus élevé que celui d’inculquer des maximes de prudence, de diligence, de prévoyance et de morale humaines, même quelquefois aux dépens des vertus plus élevées. Elle atteint ainsi le faîte de cette moralité que le monde comprend et admire. Mais elle ne se trouve pas dans la Bibled et ne pourrait y avoir une place, par la nature même des choses, vu le but particulier des Écritures, qui consiste à faire l’éducation spirituelle de l’homme, et non à aiguiser son esprit. La fable recommande ce genre de vertus qui constituent l’instinct chez l’animal et méritent les louanges du monde, mais elle ne fait de l’homme qu’un animal habile. Pour atteindre ce but, elle tire ses exemples du monde inférieure.

d – On objectera la fable des arbres qui demandent un roi (Juges 9) et celle du chardon et du cèdre (2 Rois 14) ; mais Dieu ne parle ni dans l’une ni dans l’autre, ni lui-même, ni par ses messagers. Jotham veut montrer aux hommes de Sichem leur folie, non leur péché, en choisissant Abimélech pour roi ; la fable ne s’élève jamais jusqu’à condamner le péché comme péché.

e – La plus importante de toutes les compositions de ce genre, Reinecke Fuchs, nous en fournit la preuve ; du commencement à la fin se lit la glorification de la ruse comme guide dans la vie et moyen d’échapper à tout mal.

Ce monde-là est le domaine principal de la fable. Lorsque des hommes y jouent un rôle, c’est uniquement dans leurs rapports avec le monde inférieur. Au contraire, dans la parabole, le monde des animaux n’y occupe une place que dans ses rapports avec l’homme. Les relations des bêtes entre elles n’ayant rien de spirituel, ne peuvent offrir aucune analogie avec les vérités du royaume de Dieu. Mais la domination de l’homme sur les animaux résultant de la nature supérieure de son intelligence, qui est le don de son Créateur, peut servir, comme dans la parabole du berger et de son troupeau (Jean 10), à illustrer les rapports de Dieu avec l’homme. Il appartient donc à la parabole de revêtir un caractère sérieux et de ne se permettre ni plaisanteries ni railleries à l’endroit des faiblesses et des fautes de l’humanitéf. Elle peut être sévère et indignée, mais elle ne plaisante jamais sur les malheurs des hommes, alors même qu’ils sont mérités ; et son indignation est celle d’un saint amour, tandis que le fabuliste se livre souvent à des railleries amèresg ; il met du sel dans les blessures de l’âme, peut-être avec le désir de les guérir, mais dans un esprit bien différent de celui du Sauveur compatissant lorsqu’il verse l’huile et le vin sur les plaies saignantes de l’humanité.

f – Le fabuliste, au contraire, les exploite, témoin ce distique de Phèdre :
Duplex libelli dos est, quod risum movet,
Et quod prudenti vitam consilio monet.
(Ce petit livre a un double mérite: il fait rire et il donne de sages conseils pour la conduite de la vie.)

g – Ainsi dans la fable de la Cigale et la fourmi. On pourrait la comparer à la parabole des Dix Vierges ; le fabuliste n’a dirigé son attention que vers les besoins temporels, tandis que le Seigneur veut nous préparer pour le jour de notre rencontre avec Lui dans le ciel.

Une autre différence entre la parabole et la fable consiste en ceci : on ne peut, il est vrai, accuser le fabuliste de manquer à la vérité, puisque ce n’est pas son intention de tromper lorsqu’il attribue le langage des êtres raisonnables aux arbres, aux oiseaux et aux autres animaux, et personne ne peut s’y méprendre ; cependant, un plus grand respect pour la vérité ne permettait pas au Docteur céleste de méconnaître à ce point les lois et la constitution des êtres, même en se faisant accorder cette permission ou en la sous-entendant. A ses yeux, l’univers, tel qu’il est sorti des mains de son Auteur, est une œuvre trop parfaite, il a droit à trop de respect pour être représenté autrement qu’il existe en réalité. Le grand Docteur en paraboles ne s’est jamais permis d’altérer ou de défigurer les lois de la nature. Il ne nous présente jamais des arbres raisonnant comme des animaux, et nous trouverions mauvais qu’il le fith.

h – Klinckhart De Hom. Div., et Laz. p. 2.) : « La fable illustre quelque précepte de la vie de tous les jours, elle dépeint une situation simple et parfois comique, un exemple imaginaire généralement en contradiction avec les lois de la nature ; la parabole, de son côté, met en lumière des vérités spirituelles plus élevées, divines, à l’aide d’une histoire qui, quoique simple, reste grave et sérieuse, un exemple qui dans sa conception respecte la nature des êtres et des choses. »

2. La parabole diffère du mythe en ce que celui-ci identifie complètement une vérité et son enveloppe. Les distinguer exige un long travail qui ne s’accomplit que dans un âge subséquent et par des hommes qui ne croient plus à la réalité du cadre. Le mythe se présente, non seulement comme le porteur de la vérité, mais comme étant la vérité elle-même ; tandis que, dans la parabole, on voit aussitôt la différence entre le fond et la forme, entre l’amande et sa coque, entre le vase précieux et le vin plus précieux encore qu’il contient.

Il y a un autre genre de mythes qui est le produit artificiel d’une génération réfléchie. On en trouve chez Platon de nombreux et remarquables exemples, qui doivent exprimer quelque importante vérité, donner une forme à une idéei. Telles sont encore ces vieilles légendes auxquelles on attribue un sens spirituel ; c’est alors la lettre qu’on tue pour vivifier l’esprit. Les derniers platoniciens recoururent à ce mode pour expliquer la mythologie grecque. La légende de Narcisse était à leur yeux le voile sous lequel on découvrait la folie de l’homme qui, poursuivant les biens de ce monde, est déçu dans son attente. Ils voulaient justifier cette mythologie de l’accusation d’absurdité ou d’immoralité et en montrer le sens moral, en opposition à la nouvelle vie du christianisme, ne se doutant pas qu’ils ne réussissaient qu’à détruire entièrement la foi en cette mythologie.

i – Ainsi Gorgias, Phédon.

3. La parabole se distingue facilement du proverbej, quoique ces deux mots s’emploient souvent l’un pour l’autre dans le Nouveau Testament. Ainsi : « Médecin, guéris-toi toi-même » (Luc 4.23). C’est une parabole, dit le Seigneur. Or, c’était un proverbe. Il en est de même de Luc 5.36, expression proverbiale plutôt qu’une parabole, quoiqu’il soit question de parabole : comparez 1 Samuel 24.13 ; 2 Chroniques 7.20 ; Psaumes 44.14. Il y a en outre des proverbes, ainsi nommés par saint Jean, qui ne sont que des allégories. Exemple : Jésus-Christ assimilant ses relations avec son peuple à celles d’un berger avec son troupeau, est introduit en ces termes par l’évangéliste : « Jésus leur dit un proverbe » (Jean 10.6). Saint Jean ne se sert jamais du mot parabole et les synoptiques jamais du mot proverbe. On peut se rendre compte de cette anomalie par le fait que les Hébreux n’avaient qu’un seul mot, maschal, pour désigner la parabole et le proverbe. Les Septante l’ont traduit par le second de ces termes pour le titre du livre de Salomon, tandis qu’ils l’ont rendu ailleurs par le premier. Exemple : 1 Samuel 10.12 ; Ézéchiel 18.2. Le Sauveur met en opposition le parler en proverbes ou en paraboles avec le parler ouvertement.

jΠαροιμία, c’est-à-dire παρ’ οίμον, dicton populaire, ou une manière de parler inusitée.

Quoique tels proverbes, qui sont entrés dans le langage usuel, soient devenus parfaitement clairs, cependant ils sont souvent en eux-mêmes énigmatiques, exigeant pour être compris une certaine perspicacité. Le proverbe est très souvent parabolique, c’est-à-dire qu’il repose sur quelque comparaison explicite ou implicite ; ainsi 2 Pierre 2.22. Enfin le proverbe n’est souvent qu’une parabole en raccourci. Exemple : l’aveugle conducteur d’aveugles ; on pourrait en faire facilement une parabole.

4. Enfin, la parabole diffère de l’allégorie quant à la forme plutôt que pour le fond. Dans celle-ci, les qualités et propriétés de l’objet ou de la personne qu’on a en vue sont transférées au sujet allégorisé, et lui sont unies au point de ne pouvoir en être séparéesk Exemple : Jésus, dans les chap. 10 et 15 de Jean, se nomme tour à tour le berger, la porte, le cep, etc. De même cette proclamation du précurseur : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jean 1). Ainsi Ésaïe 5.1-6 est une parabole dont l’explication est donnée au v. 7 ; tandis que le psaume Psaumes 80.8-16, qui contient la même image, est une allégorie. L’allégorie ne réclame pas comme la parabole une interprétation qui vienne du dehors ; elle la renferme en elle-même. A mesure que l’allégorie se développe, l’explication la suitl. Ainsi, l’allégorie est à l’égard de la métaphore, comme figure plus développée, dans le même rapport que la parabole en regard d’une simple comparaison isolée. Et comme plusieurs proverbes sont des paraboles en raccourci, plusieurs aussi sont de courtes allégories.

k – Comme l’écrit Lowth : « A cela s’ajoute ce qui pourrait s’appeler la loi de la parabole, à savoir qu’elle reste cohérente dans toute ses parties, et ne tolère aucun mélange entre les différents éléments de la vérité qui constitue sont sujet, et ceux destinés à illustrer cette vérité. En cela elle diffère beaucoup de la première espèce d’allégorie, qui, partant de la simple métaphore, fond progressivement la vérité illustrée avec l’objet la représentant, pour, sans plus chercher à se justifier, revenir ensuite par étapes à la vérité en elle-même.

l – Le Voyage du pèlerin, de Bunyan en offre l’exemple type : le personnage interprète apparaît lui-même dans l’allégorie. Hallam considère qu’il y a là un défaut de l’ouvrage : « Bunyan mélange trop la signification avec la fable ; et nous laisse parfois perplexes pour distinguer ce qui relève de l’imaginaire ou bien du chrétien réel » ; mais n’est-ce précisément pas là l’essence d’une fable allégorique?

En résumé, la parabole diffère de la fable en ce qu’elle se meut dans le monde spirituel et ne renverse jamais l’ordre naturel des choses ; du mythe, qui confond le sens caché avec le symbole extérieur, tandis que les deux demeurent séparés dans la parabole ; du proverbe, en ce qu’elle est plus développée, non accidentellement et occasionnellement ; de l’allégorie, en ce qu’elle compare une chose à une autre, mais en même temps maintient leur distinction et n’attribue pas à l’une, comme le fait l’allégorie, les propriétés et qualités de l’autre.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant