Synonymes du Nouveau Testament

22.
Ὁλόκληρος, τέλειος
Complet, parfait

Ces mots se présentent ensemble, quoique dans un ordre inverse, dans Jacques 1.4, « parfait et accompli » (cf. Philo, De Sac. Ab. et Cain. 33 : ἔμπλεα καὶ ὁλόκληρα καὶ τέλεια). Après cela ὁλοκληρος ne reparaît plus qu’une seule fois dans le N.T. (1 Thessaloniciens 5.23) ; ὁλοκληρία également une fois (Actes 3.16, cf. Ésaïe 1.6), non dans un sens physique mais moral.

Ὁλόκληρος signifie d’abord, comme l’atteste son étymologie, celui qui conserve ce qui lui a été primitivement alloué (Ézéchiel 15.5), et qui est ainsi complet et entier dans toutes ses parties (ὁλόκληρος καὶ παντελής, Philo, De Merc Meret. 1), sans qu’il manque rien de nécessaire à la plénitude de la chose ou de l’individu. Ainsi Darius aurait bien voulu n’avoir point pris Babylone, si Zopyre, qui s’était mutilé pour exécuter le stratagème qui amena la chute de cette ville, avait été encore ὁλόκληροςc Reg. et Imper. Apoph.). Ajoutons que des pierres non taillées, auxquelles on n’a rien ôté en les façonnant ou en les polissant, sont ὁλόκληροι (Deutéronome 27.6 ; 1 Maccabées 4.47) ; des semaines entières sont ἑβδομάδες ὁλόκληροι (Lévitique 23.15) ; et un homme ἐν ὁλοκλήρῳ δέρματι est un homme dans « une peau entière » (Lucien, Philop. 8). Nous trouvons ensuite que ὁλόκληρος exprime cette intégralité du corps où rien n’est superflu et où rien ne fait défaut (cf. Lévitique 21.17-23), intégralité qu’on réclamait des prêtres lévitiques pour qu’ils pussent servir à l’autel, et qui ne devait pas manquer non plus aux sacrifices qu’ils y offraient. C’est dans ces deux sens que Josèphe se sert du terme (Ant. iii, 12, 2) ; comme, du reste, Philon le fait aussi continuellement. C’est pour lui le mot par excellence dénotant cette perfection des prêtres et du sacrifice ; il revient souvent sur la nécessité de cette perfection, car il voit en elle, et, avec raison, une signification mystique ; aussi ces sacrifices sont-ils ὁλόκληροι θυσίαι ὁλοκλήρῳ Θεῷ ; De Vict. Off. 1, ὁλόκληρον καὶ παντελῶς μώμων ἀμέτοχον : De Agricul. 29 ; De Cherub. 28 ; cf. Plato, Leg. 6.759 c).

c – D’après Hérodote, Zopyre se serait coupé le nez et les oreilles, avant d’aller se présenter devant les assiégés de Babylone et se prétendre victime des cruautés de Darius. Il aurait ainsi gagné leur confiance pour les espionner. L’histoire semble en réalité imitée de celle d’Ulysse s’automutilant pour entrer dans Troie. (ThéoTEX)

On ne fut pas longtemps sans faire passer ὁλόκληρος et ὁλοκληρία, comme en latin « integer » et « integritas », de l’état d’intégrité (entireness) appliqué au corps, à ce même état appliqué à l’intelligence et à l’âme (Suéton. Claud. 4). Le seul effort de ce côté que fasse la version des Septante se lit dans Sagesse 15.3, ὁλόκληρος δικαιοσύνη ; mais dans un passage intéressant et important du Phèdre de Platon (250 c ; cf. Tim. 44 c), ὁλόκληρος exprime la perfection de l’homme avant la chute ; la chute telle que la comprenait Platon, alors qu’aux hommes, encore ὁλόκληροι καὶ ἀπαθεῖς κακῶν, étaient accordés des ὁλόκληρα φάσματα, faisant contraste avec ces faibles et partielles lueurs de l’éternelle Beauté, qui seules éclairent maintenant la plupart des hommes. Telle personne ou telle chose est donc ὁλόκληρος, qui est « omnibus numeris absolutus », ou ἐν μηδενὶ λειπόμενος, comme Jacques 1.4 explique le mot.

Les diverses applications de τέλειος se rapportent toutes à τέλος, qui est à sa base. Dans un sens naturel les τέλειοι sont les adultes qui, ayant atteint les dernières limites de la stature, de la force et de la puissance intellectuelle qui leur ont été assignées, ont, sous ce rapport, atteint leur τέλος, et se distinguent ainsi des νέοι ou παῖδες, des jeunes gens ou des garçons (Plato, Leg. 11.929 c ; Xenoph., Cyr. viii, 7, 6 ; Polybius, v, 29, 2). Cette image d’un développement complet, formant contraste avec l’âge tendre et l’enfance plus avancée, est l’idée fondamentale de τέλειοι, au sens moral et tel que l’emploie St. Paul, quand il oppose ces derniers aux νήπιοι ἐν Χριστῷ ( 1 Corinthiens 2.6 ; 14.20 ; Éphésiens 4.13-14 ; Philippiens 3.15 ; Hébreux 5.14 ; cf. Philo, De Agricul. 2). De fait ces τέλειοι correspondent aux πατέρες de 1 Jean 2.13-14, en tant que distincts des νεανίσκοι et des παιδία. Mais ce sens éthique de τέλειος n’est pas restreint à l’Écriture. Les Stoïciens distinguent en philosophie le τέλειος du προκόπτων, précisément comme 1 Chroniques 25.8, oppose τέλειοι aux μανθάνοντες. Les païens considéraient aussi comme τέλειοι ceux qui avaient été initiés aux mystères ; car, de même qu’on appelait la Cène du Seigneur τὸ τέλειον, parce qu’il n’y avait rien au delà de ce sacrement, de même on désigna du nom de τέλειοι ceux d’entre les païens qui étaient initiés aux derniers mystères, à ceux qui couronnaient tous les autres.

On s’apercevra qu’il existe une certaine ambiguïté dans notre mot « parfait », que, du reste, il partage avec τέλειος lui-même ; en effet, tous deux sont employés tantôt dans un sens relatif, tantôt dans un sens absolu ; ce n’est que grâce à ce fait que notre Seigneur a pu dire : « Soyez parfaits (τέλειοι), comme votre Père céleste est parfait » (τέλειος), Matthieu 5.48 ; cf. Matthieu 19.21. Le chrétien doit être « parfait », mais non dans le sens que prêchent quelques-uns. Dès qu’on examine de près les mots qu’ils emploient, on se dit : ou ces mots ne signifient rien de ce qu’ils auraient pu exprimer, car il n’est pas de terme dont on puisse plus facilement vicier le sens que celui de perfection, — ou bien ils signifient quelque chose qu’aucun homme dans cette vie n’atteindra, car dire qu’on a atteint la perfection, c’est se tromper soi-même ou tromper les autres, ou c’est faire les deux choses à la fois. L’homme fidèle doit être « parfait », c’est-à-dire qu’il doit s’efforcer, par la grâce de Dieu, à abonder dans la connaissance et dans la pratique des choses de Dieu et à s’y affermir solidement (Jacques 3.2 ; Colossiens 4.12 : τέλειος καὶ πεπληροφορημένος) ; « il ne doit pas être, jusqu’à la fin de sa vie, un enfant en Christ, ni toujours engagé dans les éléments, dans les rudiments et les petites pratiques de la religion, mais il doit accomplir de nobles actions ; il doit être bien versé dans les mystères les plus profonds de la foi et de la saintetéd ». Dans ce sens, St. Paul réclame pour lui la perfection, quoiqu’il déclare, dans la même ligne, qu’il n’est pas τετελειωμένος (Philippiens 3.12, 15).

d – Jeremy Taylor a discuté au long le sens dans lequel la « perfection » est exigée du chrétien. Voyez Doctrine and Practice of Repentance, i, 3, 40-56. C’est dans cette discussion que nous avons pris notre citation.

La distinction est donc claire. Le ὁλόκληρος est quelqu’un qui a persévéré dans sa perfection, ou qui, ayant une fois perdu sa perfection, sa plénitude (his completness), l’a reconquise ensuite ; le τέλειος est quelqu’un qui a atteint son but moral, celui qui lui était destiné, à savoir, de naître en Christ : quoiqu’il soit vrai, qu’ayant atteint ce point, d’autres points plus élevés se présenteront à lui, afin que Christ soit de plus en plus formé en lui.

Il ne manque au ὁλόκληρος aucune grâce qui devrait être dans un chrétien ; tandis qu’il n’existe dans le τέλειος aucune grâce simplement à ses débuts faibles et imparfaits, mais ces grâces ont toutes acquis une certaine force, une certaine maturité. Ὁλοτελής, qui se trouve une fois dans le N. T. (1 Thessaloniciens 5.23 ; cf. Plutarch., De Plac. Phil. v, 21), forme comme un terme moyen, touchant par un bout à ὁλόκληρος par un autre à τέλειος.

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