Synonymes du Nouveau Testament

30.
Ἀντίχριστος, ψευδόχριστος
Antichrist, faux christ

Le mot ἀντίχριστος est tout particulier aux Épîtres de St. Jean ; il s’y trouve cinq fois (1 Jean 2.18 ; 2.22 ; 4.3 ; 2 Jean 1.7), et nulle part ailleurs dans le N. T. Mais, si Jean seul a le mot, Paul, en commun avec lui, décrit la personne de ce grand adversaire et les marques qui le feront reconnaître, car, à l’exception de Grotius, tous les interprètes qui ont quelque valeur sont d’accord que l’ἄνθρωπος τῆς ἁμαρτίας, le υἱὸς τῆς ἀπολείας, l’ἄνομος de 2 Thessaloniciens 2.3,8, sont identiques à l’ἀντίχριστος ; (voir Augustin, De Civ. Dei, xx, 19, 2) ; et, sans contredit, c’est à St. Paul que nous devons l’instruction la plus complète sur ce grand ennemi de Christ et de Dieu. Laissant de côté, comme ne rentrant pas dans notre sujet, bien des discussions auxquelles a donné lieu la mystérieuse prophétie (l’Antéchrist est-il une seule personne ou une suite de personnes ? une personne ou un système ?), nous ne nous occuperons ici que d’une question, à savoir quelle est la force de la particule ἀντί ? Est-elle telle qu’elle constitue une différence entre ἀντίχριστος et ψευδόχριστος ? Est-ce qu’ἀντίχριστος indique quelqu’un qui s’élève contre Christ, ou comme ψευδόχριστος, quelqu’un qui se met à la place de Christ ? L’ἀντίχριστος prétend-il qu’il n’y a point de Christ ? ou qu’il est lui-même le Christ ?

Ce n’est pas en courant, comme quelques-uns sont disposés à le croire, qu’on réglera ce point, puisque ἀντί, en composition, signifie et contre et à la place de. Voir, pour une fine analyse des procédés de l’esprit par lesquels ἀντί signifie tantôt « à la place de », et tantôt « contre », Pott, Etymol. Forschungen, 2e éd., p. 260. Ἀντί exprime souvent l’idée de substitution ; ainsi, ἀντιβασιλεύς, celui qui est à la place du roi, ἀνθύπατος, « vice-roi », ἀντίδειπνος, « proconsul » ; ἀντίψυχος, celui qui remplit la place d’un convive absent ; ἀντίλυτρον, celui qui immole sa vie pour d’autres (Joseph., De Macc. 17 ; Ignat., Ephes. 21) ; ἀντιλογία, la rançon payée en échange d’une personne. Mais souvent aussi ἀντίθεσις implique opposition, comme dans ἀντικείμενος : et, ce qui se rapporte plus directement à notre sujet, non pas simplement le fait de l’opposition, mais l’objet lui-même contre lequel on dirige cette opposition ; par exemple : ἀντινομία (voir Suicer, Thes. s. v.), opposition à la loi ; ἀντίχειρ, le pouce, ainsi appelé, non parce qu’il équivaut en force à toute la main, mais parce qu’il est opposé à la main ; ἀντιφιλόσοφος, quelqu’un dont les opinions philosophiques sont opposées aux nôtres ; ἀντικάτων, titre d’un livre que César écrivit contre Caton ; ἀντίθεος, — non dans le sens d’Homère, où, appliqué à Polyphème (Od. 1.70), et aux amants ithaciens (24.18), ἀντίθεος signifie « semblable à un Dieu », à savoir, en force et en puissance — mais dans le sens qu’il acquit plus tard, comme dans Philon, chez lequel ἀντίθεος νοῦς (De Conf. Ling. 19 ; De Somn. 2.27) ne peut être que l’« adversa Deo mens » ; et de même chez les Pères de l’Église. Ajoutons que les plaisanteries sur Antipater qui chercha à tuer son père, par la raison qu’il était φερώνυμος, perdraient tout leur sel, si ἀντί, en composition, n’avait pas ce sens. Je ne citerai point Ἀντέρως, où la force d’ἀντί peut être contestée ; du reste, nous avons produit assez d’exemples pour prouver qu’en composition ἀντί implique quelquefois substitution, quelquefois opposition. Occasionnellement, dans un même mot, la préposition aura les deux sens, selon que ce mot sera dans tel écrivain ou dans tel autre. Ainsi, ἀντιστράτηγος, pour Thucydide (7.86), signifie le commandant de l’armée ennemie, tandis que pour les écrivains grecs qui s’occupent d’affaires romaines, c’est l’équivalent de « propræetor ». Cela étant, ceux-là se sont également trompés qui, soutenant l’une ou l’autre opinion à propos de l’Antéchrist, se sont appuyés sur le nom comme devant décider la question en leur faveur. Celle-ci, on le voit, reste ouverte et doit être résolue par d’autres considérationse.

e – Lücke (Comm. über die Briefe des Johannes, pp. 190-194) analyse supérieurement ce mot.

Pour mon compte, les paroles de St. Jean me paraissent décisives. C’est la résistance à Christ, le défi à son égard, non le fait d’usurper en traître son caractère et ses fonctions, qui constitue la marque essentielle de l’Antéchrist, et, par conséquent, ce que nous nous attendrions à voir renfermé dans son appellation : ainsi lisez 1 Jean 2.22 ; 2 Jean 1.7 ; et le passage parallèle, 2 Thessaloniciens 2.4, où l’Antéchrist est ὁ ἀντικείμενος, qui dans cet endroit signifie certainement « celui qui s’oppose ». C’est dans ce sens que bon nombre de Pères, si ce n’est pas tous, ont compris le mot. Ainsi Tertullien (De Præsc. Hær. 4) : « Qui Antichristi, nisi Christi rebelles ? » L’Antéchrist est dans le langage de Théophylacte, l’ἐναντίος τῷ Χριστῷ, le « Widerchrist », comme l’ont très bien exprimé les Allemands, quelqu’un qui ne rendra pas assez hommage à la Parole de Dieu pour en assurer l’accomplissement en lui-même, car il reniera cette Parole complètement ; haïssant jusqu’à l’adoration, même celle qui s’égare, parce qu’il s’agit d’adoration ; haïssant tout ce qui est appelé « Dieu » (2 Thessaloniciens 2.4), mais haïssant plus que tout le reste le culte de l’Église en esprit et en vérité (Daniel 8.11). Il cherchera plutôt à ériger son trône sur les ruines de toute religion, de tout sentiment de la dépendance de l’homme à l’égard de puissances plus élevées que la sienne, et, à la place de la grande vérité divine qu’en Christ Dieu est homme, il voudra substituer son propre mensonge, à savoir, qu’en lui l’homme est Dieu !

Le vocable ψευδόχριστος, avec lequel nous allons comparer ἀντίχριστος, n’apparaît que deux fois dans le N. T., et en ne tenant compte que du nombre de fois qu’il a été prononcé, une seule fois, car les deux passages où il figure (Matthieu 24.24 ; Marc 13.22) sont tirés du même discours. Quant à la forme, il ressemble à beaucoup d’autres composés dans lesquels ψεῦδος se combinée volonté avec presque tous les noms. Ainsi ψευδαπόστολος, ψευδάδελφος, ψευδοδιδάσκαλος, ψευδοπροφήτης, ψευδομάρτυρ ; on rencontre tous ces composés dans les Écritures, et le dernier également dans Platon. De même on trouve dans les auteurs grecs ecclésiastiques, ψευδοποιμήν, ψευδολατρεία ; et chez les classiques, ψευδάγγελος (Hom., Ill. 15.159), ψευδόμαντις (Herod. 4.69), et une centaine d’autres. Le ψευδόχριστος ne nie point l’existence d’un Christ ; au contraire, il se fonde sur l’attente du monde à l’endroit d’un tel personnage ; seulement il s’approprie cette attente, affirmant d’une manière blasphématoire qu’il est celui qui a été prédit, celui en qui les promesses divines et l’attente de l’homme sont accomplies. Ainsi Barcocab, ou « le fils de l’Étoile », comme il s’appelait, s’emparant de la prophétie de Nombres 24.17, — Barcocab qui, sous le règne d’Adrien, ralluma l’étincelle de révolte qui couvait encore parmi les Juifs en une flamme si terrible qu’elle le consuma lui et un million de ses compatriotes — était un ψευδόχριστος ; n’oublions pas non plus cette longue série de prétendants, d’imposteurs, de faux messies, qui, depuis la réjection du véritable, ont flatté et trahi l’attente des Juifs dans presque tous les siècles.

La distinction est donc claire. L’ἀντίχριστος nie qu’il y ait un Christ ; le ψευδόχριστος affirme qu’il est lui-même le Christ. Tous deux font également la guerre au Christ de Dieu, et tendent à s’installer, quoique pour des raisons différentes, sur le trône de sa gloire. Et cependant, bien qu’une si grande distance sépare ces mots, bien qu’ils représentent deux manifestations différentes du royaume du mal, nous ne devons pas oublier qu’il est un sens dans lequel « l’Antéchrist » des derniers temps sera tout aussi bien un « Pseudochrist ; » car ce sera le trait caractéristique de la dernière manifestation de l’enfer d’absorber en lui et de rallier autour de lui, pour un dernier assaut contre la vérité, toutes les formes antérieures et subordonnées du mal. L’adversaire ne s’appellera point, il est vrai, le Christ, puisqu’il sera rempli d’une haine mortelle contre le nom de celui-ci et contre ses fonctions, contre tout l’esprit et tout le caractère de Jésus de Nazareth, Roi exalté dans la gloire, mais, comme personne ne peut résister à la vérité par une simple négation, l’Antéchrist offrira et opposera quelque chose de positif, à la place de la foi qu’il assaillira et qu’il s’efforcera de détruire complètement. Nous pouvons donc conclure avec certitude que l’Antéchrist de la fin se présentera au monde, dans un sens, comme son Messie ; non, sans doute, comme le Messie de la prophétie, le Messie de Dieu, mais toujours comme le Sauveur du monde, comme celui qui fera le bonheur de tous ceux qui lui obéiront, leur accordant la pleine et actuelle jouissance du monde matériel, au lieu de celle d’un ciel éloigné et nuageux ; effaçant ces distinctions désolantes, qui sont maintenant la source de tant de dissensions, entre l’Église et le monde, l’esprit et la chair, la sainteté et le péché, le bien et le mal.

Il s’ensuivra donc que, quoiqu’il ne prendra point le nom de Christ, et qu’il ne sera point, au pied de la lettre, un ψευδόχριστος, pourtant, comme il usurpera les fonctions du Christ, qu’il se présentera au monde comme le vrai centre de ses espérances, celui qui satisfait tous ses besoins, qui guérit tous ses maux, de fait l’Antéchrist concentrera en lui-même tous les noms et toutes les formes du blasphème et sera tout à la fois le ψευδόχριστος et l’ἀντίχριστος par excellence.

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