Synonymes du Nouveau Testament

51.
Εὐχή, προσευχή, δέησις, ἔντευξις, εὐχαριστία, αἴτημα, ἱκετηρία
Prières

Quatre de ces mots se rencontrent ensemble, 1 Timothée 2.1 ; sur quoi Flacius Illyricus (Clavis, s. v. Oratio) fait cette juste observation : « Quem vocum acervum procul dubio Paulus non temere congessit ». Considérons non seulement ces vocables, mais tout le groupe dont ils font partie.

Εὐχή ne se trouve qu’une fois dans le N. T. avec le sens de prière (Jacques 5.15) ; deux fois en outre avec celui de vœu (Actes 18.18 ; 21.23). Origène (De Orat. § 2, 3, 4), nous a légué une longue discussion sur la différence entre εὐχή et προσευχή, entre εὔχεσθαι et προσεύχεσθαι, mais cette discussion est de peu de valeur. Sa conclusion n’est que le fait évident que dans εὐχή et εὔχεσθαι on trouve plus communément la notion du vœu, de la chose dédiée, que celle de prière.

Προσευχή et δέησις se présentent souvent ensemble dans le N. T. (Philippiens 4.6 ; Éphésiens 6.18 ; 1 Timothée 2.1 ; 5.5) et assez fréquemment dans les Septante (Psaumes 6.10 ; Daniel 9.21, 23 ; 1 Maccabées 7.37). On a fait bien des efforts pour établir une distinction entre ces deux mots, mais on a presque toujours échoué. Par exemple, Grotius affirme qu’ils répondent la προσευχή à « precatio » et la δέησις à « deprecatio » ; que le premier cherche à obtenir le bien, le second à éloigner le mal. Je dirai en passant qu’Augustin, en analysant les mots les plus importants de ce groupe (Éphésiens 149, § 12-16 ; cf. J. Taylor, Pref. to Apol. for Set forms of Liturgy, § 31), d’une manière intéressante, mais sans y répandre grande lumière, fait observer que de son temps cette distinction entre « precatio » et « deprecatio » avait entièrement disparu dans la pratique. Théodoret, anticipant ici sur les conclusions de Grotius, explique προσευχή comme étant αἴτησις ἀγαθῶν et δέησις comme étant ὑπὲρ ἀπαλλαγῆς τινῶν λυπηρῶν ἰκετεία προφερομένη : cf. Grégoire de Naziance (Poëm. 1.2, 34, 5.139) : Δέησιν οἴου, τὴν αἴτησιν ἐνδεῶν. Cette distinction est entièrement arbitraire, elle ne gît ni dans les mots ni dans l’usage. Calvin a plutôt raison quand il fait de προσευχή (« precatio ») la prière en général, de δέησις (« rogatio »), la prière faite en vue de bienfaits particuliers : « προσευχή omne genus orationis, δέησις ubi certum aliquid petitur ; genus et species ». La distinction qu’établit Bengel est à peu près la même : (δέησις est imploratio gratiæ necessitate quadam speciali ; προσευχή, oratio, exercetur qualibet oblatione voluntatum et desideriorum erga Deum.

Mais Calvin et Bengel, tout en faisant ressortir un point important, ont cependant échoué quant à un autre, à savoir, que προσευχή signifie la res sacra, car le mot est restreint à des usages sacrés ; c’est toujours la prière à Dieu ; δέησις ne connaît pas une telle restriction. Fritzsche (sur Romains 10.1) n’a pas manqué de mettre ce fait en avant : « ἡ προσευχή et ἡ δέησις differunt ut precatio et rogatio. Προσεύχεσθαι et ἡ προσευχή verba sacra sunt ; precamur enim Deum : δεῖσθαι, τὸ δέημα (Aristoph. Acharn. 1059) et ἡ δέησις tum in sacra tum in profana re usurpantur ; nam et Deum rogare possumus et homines ». C’est la même distinction que celle qui existe entre notre mot « prière » (quoique cette expression soit descendue trop bas dans l’usage du monde) et « demande », en allemand, « Gebet et Bitte ».

Ἔντευξις ne figure dans le N. T. que dans 1 Timothée 2.1 ; 4.5 ; (mais ἐντυγχάνειν quatre ou cinq fois), et une fois dans les Septante (2 Maccabées 4.8). « Intercession », comme nous l’entendons aujourd’hui, ne donne pas un sens satisfaisant, car ἔντευξις ne signifie pas nécessairement ce qu’intercession signifie exclusivement, — à savoir la prière par rapport aux autres (ce sens serait impossible dans 1 Timothée 4.5), l’action de plaider pour eux ou contre euxa. Ce dernier sens, plaider contre ses ennemis, est moins qu’aucun celui d’ἔντευξις, comme Théodoret (sur Romains 11.2), ne s’apercevant pas que le « contre » gît là dans le κατά, le ferait entendre, quand il dit : ἔντευξις ἐστὶ κατηγορία τῶν ἀδικούντων ; cf. δέησις εἰς ἐκδίκησιν ὑπέρ τινος (Romains 8.34) κατά τινος (Romains 9.2) ; mais comme l’indique sa parenté avec ἐντυγχάνειν, s’aboucher avec une personne, s’approcher d’elle de manière à entrer en conversation familière et en communion avec elle (Plut., Conj. Prœc. 13), l’implique, ἔντευξις est une prière libre et familière, dans laquelle on s’approche hardiment de Dieub (Genèse 18.23 ; Sagesse 8.21 ; cf. Philon, Quod Det. Pot. 25 ; ἐντεύξεις καὶ ἐκβοήσεις ; Plutarch., Phoc. 17).

a – Éditions de Lausanne et de Vevey, mais dans 1 Timothée 4.5, ces deux versions traduisent par prière. Trad.

b – La traduction de δι᾽ ἐντεύξεως, 2 Maccabées 4.8, par « intercession, » ne peut guère être correcte. Le mot exprime plus probablement une entrevue confidentielle face à face, entre Jason et Antiochus.

La Vulgate traduit notre mot par « postulationes » ; mais Augustin, dans sa discussion sur nos vocables à laquelle nous avons déjà fait allusion (Éphésiens 149, § 12-16)r préfère « interpellationes », comme rendant mieux la παῤῥησία la liberté et la hardiesse d’accès impliquée dans ἔντευξις « interpellare », interrompre un autre en parlant, contient toujours l’idée de hardiesse et de liberté. Origène (De Orat. 14) fait consister de la même manière la notion fondamentale de l’ἔντευξις dans l’assurance qu’on possède en s’approchant de Dieu, pour lui demander, le cas échéant, quelque grande faveur, et ce Père produit comme exemple le passage de Josué 10.12.

Εὐχαριστία (« reconnaissance », Actes 24.3, « l’action de grâce » 1 Corinthiens 14.16 ; « remerciements » Apocalypse 4.9 ; « actions de grâce » Philippiens 4.6), se trouve assez rarement ailleurs que dans le grec sacré. Il ne conviendrait pas de s’étendre ici sur la signification spéciale qu’εὐχαριστία et « eucharistie » ont acquise par le fait que dans la sainte Cène l’Église donne un corps à sa reconnaissance la plus vive pour les plus grands bienfaits qu’elle a reçus de Dieu. A la considérer comme une sorte de prière, la sainte Cène exprime ce qui ne devrait être jamais absent de notre dévotion (Philippiens 4.6), le sentiment de notre gratitude pour des faveurs passées, comme distinct de l’ardente recherche des biens futurs. Comme telle, l’εὐχαριστία peut subsister et subsistera au ciel (Apocalypse 4.9 ; 7.12) ; elle aura sans doute plus de largeur, plus de profondeur, plus d’étendue qu’elle n’en possède ici-bas ; car ce n’est qu’au ciel que les rachetés sauront tout ce qu’ils doivent à leur Seigneur ; alors que toutes les autres formes de la prière (par la nature même des choses) seront absorbées dans la pleine possession et la jouissance actuelle des choses pour lesquelles ils auront prié.

Αἴτημα se rencontre deux fois dans le N. T. dans le sens de demandes faites par les hommes à Dieu, et ces deux fois au pluriel (Philippiens 4.6 ; 1 Jean 5.15) ; cependant le mot n’est restreint en aucune manière à cette acception-là (Luc 23.24 ; Esther 5.7 ; Daniel 6.7). Dans une προσευχή d’une étendue quelconque, il y aura sans doute bien des αἰτήματα, ceux-ci formant en réalité les diverses requêtes dont se compose la προσευχή. Par exemple, dans l’oraison dominicale, on compte généralement sept αἰτήματα, bien que quelques interprètes considèrent les trois premiers comme des εὐχαί et seulement les quatre derniers comme des αἰτήματα. Witsius (De Orat. Dom.) : « Petitio pars orationis ; ut si totam orationem dominicam voces orationem aut precationem, singulas vero illius partes aut septem postulata petitiones. »

Ἱκετηρία, joint à ῥάβδος ou à ἐλαία, ou tel autre mot, comme ἱλαστήριον, θυσιαστήριον, et d’autres de la même terminaison (voy. Lobeck, Pathol. Serm. Græc., p. 281) était originairement un adjectif, mais acquit graduellement la puissance d’un substantif et finit par marcher seul.

Plutarque l’explique (Thes. 18) : κλάδος ἀπὸ τῆς ἱερᾶς ἐλαίας ἐρίῳ λευκῷ κατεστεμμένος (cf. Wyttenbach, Animad. in Plutarch. vol. 13, p. 89) ; c’est la branche d’olivier, entourée de laine, que portait en avant le suppliant pour montrer la condition à laquelle il appartenait (Æschyl., Eumen. 43, 44). Une lettre de supplication qu’Antiochus Epiphane écrivit, dit-on, aux Juifs sur son lit de mort, est décrite (2 Maccabées 9.18) comme : ἱκετηρίας τάξιν ἔχουσα et Agrippa appelle une autre, adressée à Caligula : γραφὴ ἣν ἀνθ᾽ ἱκετηρίας προτείνω (Philo, Leg. ad Cai. 36). Il est facile de suivre les traces par lesquelles cet objet, symbole de la supplication, en vint à signifier la supplication elle-même. Ἱκετηρία a ce dernier sens dans le seul cas où il se rencontre dans le N. T. (Hébreux 5.7), et il y est joint à δέησις, comme il l’est souvent ailleurs (Job 40.3 ; Polyb.3, 112, 8).

En voilà suffisamment sur la distinction entre ces mots ; quoiqu’il demeure vrai dans une grande mesure, après que tout a été dit, qu’ils expriment souvent, non différentes espèces de prières, mais la prière contemplée de différents côtés et sous divers aspects. Witsius (De Orat. Dom. § 4) : « Mihi sic videtur, unam eandemque rem diversis nominibus designari pro diversis quos habet aspectibus. Preces nostræ δεήσεις vocantur, quatenus iis nostram apud Deum testamur egestatem, nam δέεσθαι indigere est ; προσευχαί, quatenus vota nostra continent ; αἰτήματα quatenus exponunt petitiones et desideria ; ἐντεύξεις, quatenus non timide et diffidenter, sed familiariter, Deus se a nobis adiri patitur ; ἔντευξις enim est colloquium et congressus familiaris ; εὐχαριστίαν gratiarum actionem esse pro acceptis jam beneficiis, notius est quam ut moneri oportuit. » Voir, pour les corrélatifs aux divers mots de ce groupe, Vitringa, De Synagoga, 3.2, 13.

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