Le Réveil Américain

Chapitre V

Description d’une réunion de prière. — L’affaire du moment. — Demande de prières. — Nouvelles du dehors. — Le Président. — Le fils et la mère. — Une réponse. — Trois sœurs. — Six enfants.

Nous allons maintenant décrire brièvement une réunion, non pas une réunion extraordinaire, mais une réunion telle que nous en avons vu par centaines. Nous l’aurions prise au hasard, qu’elle n’en serait pas moins le type de toutes les autres. Ce n’est pas à dire que toutes se ressemblassent ou que toutes présentassent le même degré d’intérêt : les détails et les incidents changeaient sans cesse, et c’est précisément ce qui faisait le charme et l’entrain de ces assemblées.

A l’arrière de l’ancienne église hollandaise, comme on l’appelle, sont trois salles de lecture placées l’une au premier étage, l’autre au second et la dernière au troisième. Toutes trois sont munies de bancs resserrés et commodes, ainsi que d’une chaire ou pupitre, et d’une horloge. En somme, toutes trois sont pourvues du nécessaire pour une réunion. Allons prendre place dans celle du second étage, un quart d’heure avant midi. Quelques dames sont assises sur une rangée de sièges, dans un angle, et quelques messieurs sont placés çà et là sur les bancs. Tout est calme et silencieux. Point de conversations, ni de chuchotements ; tout est parfaitement solennel.

A midi moins dix minutes, des négociants commencent à entrer à pas précipités. Pasteurs et laïques viennent s’asseoir pêle-mêle. La seule distinction que l’on fasse est en faveur des étrangers, que l’on traite avec égard et respect. Ils trouvent toujours quelqu’un qui s’empresse de leur procurer une place avantageuse.

Cinq minutes avant midi, le président de la séance entre et va s’asseoir au pupitre. C’est un commerçant. Il dirige une réunion pour la première fois, et demain lui en succédera un autre tout aussi novice que lui. Tous ses gestes sont vifs et rapides. Il paraît pénétré de l’importance du moment présent et s’oublier entièrement lui-même. Deux minutes avant midi, la salle regorge et les corridors sont pleins de gens debout.

A midi juste, le président se lève et indique l’hymne suivante :

Sonnez du cor ;
Faites retentir cette voix solennelle.
Que toutes les nations,
Jusqu’aux bouts de la terre,
Sachent que voici l’année du jubilé.
Pécheurs rachetés, retournez,
Retournez dans vos demeures !

Après cela, le président invite l’assemblée à prier avec lui. Sa prière est courte et va droit au but. Il demande le Saint-Esprit, le réveil des chrétiens et la conversion des pécheurs qui se trouvent en ce moment même dans l’assemblée. Il demande aussi l’extension du réveil pour le salut des milliers qui périssent de tous côtés.

Cela fait, il commence la lecture du 7e chapitre de l’Evangile de Jean, et donne en passant quelques brèves explications, tandis qu’il tient dans sa main quelques morceaux de papier. Tous les visages sont tournés vers lui avec une expression de solennité profonde. L’immobilité et le silence sont complets. On sent que ce sont là des hommes d’affaires, et qu’ils s’occupent de la grande affaire du moment. Oh ! quel moment !

— « Je vais lire quatre ou cinq de ces demandes, et je prierai quelqu’un de continuer immédiatement par la prière, en se souvenant des requêtes à présenter. » — Il lit :

« Une sœur, dans le Massachussetts, désire qu’on prie pour un frère âgé de soixante et dix ans, qui… etc.

Un frère, pour une sœur, en Pensylvanie, etc.

Une mère, qui a suivi ces réunions et qui en a reçu des bénédictions, demande les prières pour sa nombreuse famille, etc.

— J’ai lieu de penser, ajoute le président, que cette mère a trouvé dernièrement la paix en croyant. — Il continue :

Un ministre de la Parole demande instamment les prières en faveur de quatre frères, afin qu’ils soient convertis et qu’ils puissent prêcher à leur tour le glorieux Evangile de Dieu.

De Philadelphie, en faveur d’un frère et d’une sœur qui essaient de devenir participants de la grâce de Dieu.

— Maintenant, reprend le président, quelqu’un veut-il prier ? »

Un pasteur prie en faveur des personnes présentées aux prières de l’assemblée. Après cette courte requête, un monsieur se lève, dans le fond de la salle, et demande qu’on veuille bien prier pour lui et pour sa sœur. On se lève aussitôt, et nouvelle prière.

Après cela, on entonne l’hymne :

Jésus, mon Seigneur et mon Sauveur, etc.

— Un monsieur de Saint-Louis adresse ces paroles à l’assemblée avec beaucoup de vivacité :

« Nous avons entendu parler de cette réunion par des personnes qui y ont assisté. Nous avons entendu parler de vous par les journaux et même par le télégraphe. Qui eût pensé que ce dernier moyen de communication serait un jour au service de cette grande œuvre de salut ! Et cependant, quelle joie pour nous, là-bas, à Saint-Louis, que d’apprendre par le télégraphe ce que le Seigneur faisait pour vous, ici à New-York ! Oh ! quel nouveau lien d’union que celui-là ! Je ne puis dire combien nous sommes réjouis chaque semaine par vos nouvelles. Nous cherchons dans les colonnes des journaux religieux, et surtout dans ceux de votre ville, tout ce qui concerne cette réunion, et cela nous encourage. Nous nous réjouissons de l’initiative que vous avez dans ce mouvement. Tenez votre étendard haut élevé, afin que les autres vous imitent.

L’œuvre de la grâce a été puissante à Saint-Louis, et surtout parmi les églises de noirs. Nous avons des congrégations « de couleur », munies de pasteurs noirs très distingués, qui prêchent les doctrines de l’Evangile d’une manière irréprochable. Ils ont leurs écoles du dimanche et de la semaine ; en sorte que leurs enfants apprennent à lire. Il est vrai que la loi le défend ; mais, à Saint-Louis, la loi qui défend d’apprendre à lire aux enfants noirs est devenue une lettre morte.

Nous désirons avoir de vos nouvelles et de celles de cette réunion chaque semaine, et nous vous prions de vous souvenir de nous avec sympathie dans vos prières. »

— Une autre voix s’élève ; c’est celle d’un homme vénérable et de très bonne apparence. Nous ne savions pas qui il était, mais nous pensâmes que ce devait être un riche négociant. Il dit que nous avions reçu plusieurs réponses remarquables à nos prières et se mit à en citer quelques-unes des plus récentes. Il parla ensuite du devoir de prier pour ceux qui nous gouvernent, pour nos juges et pour toutes les personnes revêtues d’autorité. Il rapporta, entr’autres choses, que pendant que le président Buchanan était aux bains de Bedfort, il se rendait chaque jour à la réunion de prière avec un intérêt et une dévotion exemplaires. « Et pourquoi, ajouta-t-il, ne prierions-nous pas pour le président Buchanan ? Pourquoi ne pas demander à Dieu qu’il en fasse un véritable chrétien ? Quand le juste gouverne, la terre se réjouit. Quand le méchant gouverne, la terre en est en deuil. »

Comme il se rasseyait, le conducteur de la séance l’invita à prier pour les sujets qu’il venait d’indiquer. Il se releva et prononça une prière fervente en faveur du président Buchanan, qu’il nommait par son nom, tout en exprimant le plus profond respect pour sa personne et pour sa charge. Toutefois, il priait pour lui en tant que pauvre pécheur, semblable aux autres, et ayant aussi bien qu’eux besoin d’une part dans le sang de Jésus-Christ ; comme ayant aussi besoin d’une mesure abondante de la sagesse d’En Haut, pour porter le fardeau de sa tâche et de ses lourdes responsabilités ; comme ayant besoin surtout, dans les jours de sa vieillesse, d’une espérance inébranlable pour l’éternité. La convenance et le tact de cette prière furent tels, que tous les cœurs en furent touchés.

— Il est déjà une heure, moins vingt minutes. Comme les moments passent ! Le temps s’envole sur ses ailes silencieuses.

Le conducteur de la séance se lève, tenant à la main de nouveaux morceaux de papier, qu’on a déposés sur le pupitre pendant ce qui précède.

« J’ai encore plusieurs de ces demandes à lire, dit-il :

Une dame demande que l’on prie pour un père incrédule et pour sa nombreuse famille.

Une église, dans le comté de Dutchess, demande qu’on ne l’oublie pas dans ce jour de salut.

Une église, dans le Keene, sur laquelle quelques gouttes de miséricorde sont tombées, prie qu’on demande en sa faveur une grande pluie de bénédictions.

Des prières sont demandées pour une demoiselle.

Des prières sont demandées pour deux frères, fils d’un pasteur défunt, ayant appartenu à nos églises hollandaises réformées. Et enfin :

Les prières de la réunion de Fulton Street sont demandées par la fille d’un missionnaire mort sur une plage étrangère, en faveur de son frère inconverti, afin que Dieu en fasse un chrétien, et, si c’est sa sainte volonté, un pasteur et un missionnaire capable de continuer l’œuvre de son père. »

Le monsieur de Saint-Louis prie avec, ferveur pour ces diverses personnes ; puis on chante un verset :

Que tous acclament la puissance de Jésus !
Que les anges se prosternent devant Lui !…

Oh ! qu’elle est grande la puissance de ce Nom précieux ! Tous les cœurs semblent ici le sentir, tandis qu’ils chantent ses louanges.

— Le temps fuit toujours, et tout annonce que nous avons encore beaucoup de choses à dire. Plusieurs se lèvent à la fois pour parler ; mais la parole est cédée à un habitant de Philadelphie, qui raconte, en peu de mots, les œuvres merveilleuses que la grâce accomplit dans cette ville, devenue l’émule de New-York, et vivifiée, elle aussi, par l’amour chrétien. Toutes les salles de prière s’y remplissent, et Dieu y manifeste avec éclat la puissance de son Esprit. Une nouvelle espérance et un zèle dévorant y pénètrent tous les cœurs. « Nous attendons », dit-il, « de grandes bénédictions d’En Haut. — Il raconte ensuite ce qui se passe dans les diverses réunions de prière, sous la grande tente et ailleurs : la conversion des pompiers, les efforts communs des pasteurs de toutes dénominations, les prédications établies dans des lieux inaccoutumés, les foules qui s’y rassemblent pour les entendre, l’activité déployée par les jeunes gens des unions chrétiennes, et les encouragements que les âmes fidèles puisent dans les nouvelles venant de New-York. « Comme vous le voyez, dit en terminant l’orateur, nous marchons avec vous. »

— Un marchand quincaillier fait quelques remarques très justes sur la manière dont les 50 000 chrétiens professants de cette cité devraient s’y prendre pour atteindre ce million d’âmes qui habitent la ville ou qui s’y rendent des environs pour vaquer aux affaires. Le grand point serait, à son avis, que chaque chrétien prît sous sa surveillance un individu ou une famille, et s’efforçât de l’amener à Christ.

Une courte prière intervient en vue de ce qui précède ; on chante un verset ; puis un homme se lève et dit : « Quand une personne qui a demandé les prières a été exaucée, je crois que son devoir est d’en faire part à l’assemblée, pour l’encouragement de tous. » — Il raconte qu’il y a six semaines environ, il avait demandé à Dieu, dans cette même salle, de bénir ses efforts pour l’établissement d’une réunion de prière à la campagne, dans une localité où il devait passer l’hiver. « La première semaine, dit-il, nous n’étions qu’une vingtaine ; la seconde, près de trente ; la troisième, quarante, et la dernière, plus de cent. Chaque séance a été solennelle et pleine d’intérêt. L’émotion était grande dans l’auditoire. Un grand nombre versaient des larmes, et l’on voyait que l’Esprit de Dieu travaillait dans les cœurs inconvertis. »

— Quelqu’un exprime son inquiétude de ce qu’on envoie ici tant de demandes de prières. « Je crains, dit-il, que cela ne nous jette dans l’orgueil spirituel, et que l’Esprit de Dieu ne nous quitte. J’ai de tristes pressentiments sur cette manière de faire, et chaque demande qu’on lit est pour moi comme un coup de poignard. »

— Un autre se lève : « Oh ! ne découragez pas ceux qui nous envoient ces demandes ! Où serait aujourd’hui mon fils, sans vos prières ?… Je l’ai poursuivi des miennes tout autour du monde, et dernièrement il rentrait de ce long voyage, toujours inconverti. Je me suis écrié : Hommes d’Israël, au secours ! aidez-moi à prier pour lui ! Je savais que vous ne pouviez lui donner que vos prières, et que Dieu seul pouvait réveiller cette âme, plier cette volonté rebelle et humilier ce cœur orgueilleux. Oh ! que je suis heureux que Dieu entende et exauce les prières ! Ce fils, j’ai tout lieu de le croire, est aujourd’hui une nouvelle créature en Jésus-Christ. A Lui en soit toute la gloire ! Que l’apparition de ces demandes ne vous attriste donc pas. Oh ! non, non ! qu’elle nous réjouisse, au contraire ! Mais que ceux qui nous les envoient prient eux-mêmes, et que tous les cœurs de ceux qui s’assemblent ici répètent : La puissance appartient à l’Eternel. Incline-nous, Seigneur, comme les fleuves du midi ! — Prions pour tous ceux qui nous demandent de prier ; prions avec foi, avec confiance, avec une ferme espérance ; mais aussi, en nous humiliant profondément devant Dieu.

— Un pasteur raconte qu’il vient d’être accosté dans la rue par un inconnu qui est préoccupé depuis quelque temps de son salut. Il avait été, disait-il, aux réunions de Fulton Street et à d’autres encore, sans pouvoir trouver de paix. Il disait avoir vainement remarqué à Fulton Street ceux qui dirigeaient l’assemblée, afin de s’asseoir le lendemain à côté de l’un d’eux, dans l’espoir qu’il lui adresserait la parole ; mais personne ne lui avait rien dit, personne ne paraissait faire attention à lui. « Un jour, une mère demanda les prières pour son fils. L’idée me vint que ce devait être ma mère. Je vis le papier après la séance, et c’était bien son écriture. Elle, au moins, pensait à moi ! »

— « Un jeune homme, dit le président, qui avait sollicité précédemment nos prières, nous demande aujourd’hui de rendre grâce à Dieu de ce qu’il a enfin trouvé le Sauveur. Le président ajoute qu’il connaît le jeune homme, et qu’il avait l’espoir de le voir venir lui-même raconter les choses que le Seigneur lui avait faites. » Peu d’instants après, le jeune homme paraît, en effet, et prend la parole. Il avait demandé, dit-il, l’intercession de l’assemblée ; et bientôt, oh ! Quelle transformation !… comme ses ténèbres s’étaient promptement changées en lumière et sa tristesse en joie ! Il invite tous les assistants à louer Dieu d’une si grande grâce. Dans sa jeunesse, il avait suivi l’école du dimanche de cette même église, et son moniteur, qui ne l’avait pas revu depuis des années, s’était justement rencontré là ce même jour pour entendre sa confession.

— Un monsieur venait de parler, dit-il, à un employé de l’une des banques de la cité, qui lui avait paru vivement préoccupé du salut des trois sœurs inconverties mentionnées par l’une des requêtes précédentes. Il avait fait demander, par l’entremise de leur frère, les prières de cette réunion en vue de leur conversion immédiate. « Et je suis venu ici, ajoute l’orateur, pour dire que ces trois sœurs se réjouissent en ce moment dans la miséricorde et dans le pardon de Jésus, et goûtent cette joie ineffable et pleine de gloire dont parle l’Ecriture. »

— Une mère habituée à la prière vient de mourir, en laissant six enfants inconvertis. Mais les prières de cette mère n’ont pas été vaines : tous les six sont successivement parvenus à la foi. Le dernier d’entr’eux s’est converti il n’y a que quelques jours. « Je suis l’un de ces six, ajoute le nouvel orateur, et je suis ce dernier dont je parle. »

— L’heure était terminée. Qu’elle avait été courte ! quel lieu béni ! Les minutes s’étaient envolées sur les ailes de la prière et de l’action de grâces, et ce moment favorable était passé.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant