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Bible de Jérusalem

Habakuk 1.2-4

I. Dialogue entre le prophète et son Dieu

Première plainte du prophète : la déroute de la justice.b

2 Jusques à quand, Yahvé, appellerai-je au secours
sans que tu écoutes,
crierai-je vers toi : « À la violence ! »
sans que tu sauves ?

b Au nom de son peuple, cf. Jr 10.23-25 ; 14.2-9, 19-22 ; Isa 59.9-14, le prophète se plaint à Yahvé des malheurs publics. Ce texte, proche des complaintes du Psautier et de Jérémie, pourrait, considéré isolément, être rapporté aux désordres intérieurs d’une société ; mais, dans le contexte des vv. 12-17, il vise sans aucun doute l’oppression chaldéenne. Pourquoi la justice et la bonté de Yahvé (et sa sainteté, v. 13) tolèrent-elles le triomphe de l’impie ? Car c’est un païen qui domine, et Juda, même pécheur, demeure un « juste », connaissant le vrai Dieu. À Yahvé de répondre, cf. 2.1.

3 Pourquoi me fais-tu voir l’iniquité
et regardes-tu l’oppression ?
Je ne vois que rapine et violence,
c’est la dispute, et la discorde sévit !
4 Aussi la loi se meurt,
plus jamais le droit ne paraît !
Oui, l’impie traque le juste,
aussi ne paraît plus qu’un droit fléchi !

Habakuk 1.12-17

Seconde plainte du prophète : les exactions de l’oppresseur.j

12 Dès les temps lointainsk n’es-tu pas Yahvé,
mon Dieu, mon Saint, qui ne meurs pas ?l
Tu l’avais établi, Yahvé, pour exercer le droit,
tel un rocher,m pour châtier, tu l’avais affermi !n

j Cette nouvelle plainte reprend la première, vv. 2-4 puisque le triomphe des Chaldéens a pour cause ultime la volonté de Yahvé, vv. 5-6, et c’est donc Yahvé qu’il faut interroger. Comment, juste et saint, gardien du droit, vv. 12a-b, 13, peut-il ainsi traiter les nations et le peuple élu, v. 14 ? Laissera-t-il l’impie engloutir le juste, v. 13, cf. vv. 4 et 15-17 ?

k Ceux de l’Exode, que rappellera le chap. 3. Là demeure pour Habaquq le motif de l’espérance.

l « qui ne meurs pas » lo’ tamût conj. ; « nous ne mourrons pas » lo’ namût hébr., mais c’est là le résultat d’une correction de scribe et la traduction rétablit ce qui devait être le texte primitif.

m Littéralement « et un rocher ». Ou bien « ô Rocher », cf. Dt 32.4.

n Le peuple chaldéen, suscité pour une mission de justice qu’il ne doit pas outrepasser, cf. 1.5. Pour d’autres, il s’agit d’Israël, qui devait être l’arbitre des peuples, ou du roi de Juda, Joiaqim, infidèle à sa mission 1.2-4, 12-17 et 2.6-19 seraient dirigés contre lui.

13 Tes yeux sont trop purs pour voir le mal,
tu ne peux regarder l’oppression.
Pourquoi regardes-tu les gens perfides,
gardes-tu le silence quand l’impie engloutit un plus juste que lui ?
14 Tu traites les humains comme les poissons de la mer,
comme la gent qui frétille, sans maître !
15 Ilo les prend tous à l’hameçon,
les tire avec son filet,
il les ramasse avec son épervier,
et le voilà dans la joie, dans l’allégresse !

o L’envahisseur chaldéen.

16 Aussi sacrifie-t-il à son filet,
fait-il fumer des offrandes devant son épervier,
car ils lui procurent de grasses portions
et des mets plantureux.p

p « plantureux », en lisant un masculin au lieu du féminin hébr.

17 Videra-t-il donc sans trêve son filet,q
massacrant les peuples sans pitié ?

q « filet » hermo pourrait être une répétition fautive du v. 16. Hab lit « épée » herbo et supprime l’interrogation « c’est pourquoi il tirera sans trêve son épée ».

Habakuk 2.5-18

II. Les malédictions contre l’oppresseur

Prélude.

5 Assurément la richesse trahit !w
Il perd le sens et ne subsiste pas,
celui qui dilate sa gorge comme le shéol,
celui qui comme la mort est insatiable,
qui rassemble pour lui toutes les nations
et réunit pour lui tous les peuples !

w « la richesse » hon 1 Qp Hab ; « le vin » yaîn TM ; on propose de corriger en hawwam « le présomptueux (est un traître) », cf. grec et Dt 1.41.

6 Tous alors n’entonneront-ils pas une satire contre lui ?
Ne tourneront-ils pas d’épigrammesx à son adresse ?
Ils diront :
I
Malheury à qui amasse le bien d’autrui
(jusques à quand ?)
et qui se charge d’un fardeau de gages !

x « Ne tourneront-ils pas d’épigrammes » ûmeliçah yahûdû conj. ; « et une épigramme, des énigmes » ûmeliçah hîdôt hébr. — « ils diront » 1 Qp Hab et grec ; « il dira » TM. — La satire, mashal , est un couplet moqueur qui use de la métaphore. L’épigramme, meliçah , est une énigme, qui doit être interprétée. Ces termes caractérisent le genre littéraire des cinq imprécations en forme solennelle de prophéties, ce sont des menaces proférées en termes voilés.

y Contre l’avidité du conquérant. La pensée a la subtilité des discours paraboliques. Le Chaldéen qui s’empare des biens d’autrui en devient débiteur. À ce titre, il sera à son tour la proie des peuples spoliés, devenus ses créanciers. C’est la loi du talion, Ex 21.25.

Les cinq imprécations.

7 Ne surgiront-ils pas soudain, tes créanciers,
ne se réveilleront-ils pas, tes exacteurs ?
Tu vas être leur proie !
8 Parce que tu as pillé de nombreuses nations,
tout ce qui reste de peuples te pillera,
car tu as versé le sang humain, violenté le pays,
la cité et tous ceux qui l’habitent !
II
9 Malheurz à qui commet pour sa maison des rapines injustes,
afin d’établir bien haut son repaire,
afin d’esquiver l’étreinte du malheur !

z Le Chaldéen aura le sort de l’homme qui s’est enrichi par des gains illicites rien ne lui en restera.

10 C’est la honte de ta maison que tu as résolue :
en abattanta de nombreux peuples
tu as travaillé contre toi-même.

a « en abattant » versions ; « abattre » hébr.

11 Car des murailles mêmes la pierre crie,
de la charpente la poutre lui répond.b

b « maison » bâtie de biens mal acquis pierre et bois crient vengeance contre l’injuste possesseur.

III
12 Malheurc à qui bâtit une ville dans le sang
et fonde une cité sur l’injustice !

c Contre la politique de violence.

13 Ceci ne vient-il pas de Yahvé Sabaot ;d
les peuples peinent pour le feu,
les nations s’épuisent pour le néant ;

d Cette formule introduit deux citations (cf. 2 Ch 25.26).

14 car la terre sera remplie de la connaissance de la gloire de Yahvé,
comme les eaux couvrent le fond de la mer.
IV
15 Malheure à qui fait boire son voisin !
Tu mêles ton poison jusqu’à l’ivresse
pour qu’on puisse regarder sa nudité.

e Cynisme du conquérant, comme d’un homme qui dans une orgie fait boire ses voisins pour les avilir ; leur ignominie sera la sienne. Sur ce rôle attribué à Babylone, cf. Jr 51.7 ; à Ninive, cf. Na 3.4-7.

16 Tu t’es saturé d’ignominie, non de gloire !
Bois à ton tour et montre ton prépuce !f
Elle passe pour toi, la coupe de la droite de Yahvé,
et l’infamie va recouvrir ta gloire !

f Débauche et honte du Chaldéen incirconcis, enivré à son tour.

17 Car la violence faite au Libang te submergera,
ainsi que le massacre d’animaux frappés d’épouvante,
car tu as versé le sang humain, violenté le pays,
la cité et tous ceux qui l’habitent !h

g Le Liban ravagé, cf. Isa 37.24, et dont Nabuchodonosor exploita les cèdres pour ses constructions, cf. Isa 14.8, peut être aussi symbole d’Israël, cf. Isa 33.9 ; Jr 21.14 ; 22.6-7, 20-23.

h La dernière des cinq imprécations s’adresse non plus au conquérant (v. 6) mais au fabricant d’idoles, l’« artisan » du v. 18.

18 À quoi sert une sculpture pour que la sculpte son artisan ?
une image de métal, un oracle menteur,
pour qu’en eux se confie celui qui les façonne
en vue de fabriquer des idoles muettes ?