Il n'y a rien d'aussi universel que l'angoisse. On peut même la considérer comme la maladie la plus répandue sur terre. Aussi vieille que l'humanité, elle a atteint Adam et Eve dans le jardin d'Eden, et depuis lors elle a accompagné les hommes à travers toute leur histoire jusqu'à aujourd'hui. Nos contemporains n'y sont pas moins exposés que les hommes d'autrefois : elle est même plus fréquente de nos jours que jadis. On la rencontre tout autant chez les peuples hautement civilisés que chez les primitifs, tout autant chez l'adulte que chez l'enfant. Même si l'homme refuse de se l'avouer et s'il affecte vis-à-vis de son entourage calme et sérénité, l'angoisse revient toujours l'oppresser. Même le plus courageux doit en convenir : le courage est en fin de compte une angoisse surmontée.
L'angoisse est non seulement universellement répandue, mais encore elle saisi l'homme tout entier. Elle peut bouleverser son psychisme de fond en comble. L'agitation et l'irritation, la dépression et le manque d'assurance, l'incapacité de se décider ou de se concentrer, la crainte des autres, le désespoir et le dégoût de la vie, accompagnent fréquemment l'angoisse. Celle-ci poursuit l'homme jusque dans ses rêves et trouble son sommeil. En outre, le fonctionnement des organes internes, surtout du cœur, de l'estomac et des intestins, peut être notablement perturbé par l'angoisse : les maladies du cœur et de la circulation, extrêmement fréquentes aujourd'hui, y sont liées la plupart du temps. Elle a souvent des effets néfastes qui ont un rôle si important dans notre organisme. Elle occasionne ainsi des pâleurs, des sueurs, des impressions de vertige, des tremblements et d'autres troubles qui compromettent le bon équilibre physique. En vérité, l'angoisse est pire que toute souffrance corporelle.
L'angoisse peut donc déterminer toute l'orientation de la vie de l'homme. Nous constatons cela chez Saül, le premier roi d'Israël : il y eut dans sa jeunesse la peur de la royauté, puis la crainte jalouse de son rival David, ensuite la frayeur que lui inspirèrent ses compatriotes, les Philistins, et la réponse de la nécromancienne, enfin l'appréhension de tomber aux mains de ses ennemis : son suicide ne fut que la conclusion logique d'une vie d'angoisse. Sirach le Sage décrit en termes combien frappants l'emprise de l'angoisse sur l'homme, de la naissance à la mort (Livre du Siracide 40.1-9).
Il arrive souvent que l'homme n'ait pas conscience de son angoisse : mais l'impression d'écrasement qu'il éprouve, son inquiétude et sa fébrilité, ses troubles nerveux, ses rêves et toutes sortes de symptômes étranges, ne sont souvent que l'expression de cette angoisse subconsciente.
Et pourtant, malgré l'importance considérable de l'angoisse dans sa vie, l'homme est souvent réticent à dévoiler ses sentiments d'inquiétude, tout simplement parce qu'il ne voudrait pas qu'on le prenne pour un faible. Devant les autres nous portons un masque et nous n'osons pas nous livrer. Même les époux se dissimulent souvent leur angoisse l'un à l'autre. Ils sont légion ceux qui traînent partout ce fardeau avec eux, sans jamais pourvoir le déposer.
L'angoisse se présente sous diverses formes. Nous allons en distinguer quatre : la peur des atteintes à la vie, l'angoisse de culpabilité, la peur des atteintes à notre « moi », et l'angoisse pathologique. Il me semble qu'il est utile de faire ces distinctions, pour voir plus clairement ce qu'est l'angoisse et comment la surmonter.