Le travail que nous publions aujourd’hui comble une lacune de notre littérature religieuse. Les prédicateurs de la Réforme française au dix-septième siècle tombent peu à peu dans un oubli qu’ils ne méritent pas. Leurs sermons deviennent d’une rareté extrême, et bientôt ces volumes, qui ont contribué pour une large part à maintenir la foi, l’espérance et l’amour parmi les protestants persécutés, ne se trouveront plus que dans les collections des bibliophiles. M. Vinet nous montre que tous, et les pasteurs et leurs troupeaux, peuvent y puiser édification et instruction.
Pour ceux qu’effrayeraient la longueur de ces discours dont la forme est vieillie, et qui ne voudraient pas s’astreindre au travail d’une moisson parfois laborieuse, ils trouveront à glaner abondamment dans les nombreuses citations que renferme ce volume. Elles suffiraient seules à le recommander, indépendamment des observations dont le professeur les accompagne et qui doivent les rendre particulièrement utiles aux étudiants.
Cet ouvrage n’est pas un simple cours d’homilétique appliquée. C’est bien, comme son titre l’indique, une histoire de la prédication parmi les réformés de France au dix-septième siècle ; c’est en même temps une histoire des prédicateurs. Il fait bon contempler ces nobles figures, ces « grands chrétiens, ces héros, » comme M. Vinet les appelle. Nous pouvons apprendre d’eux comment on conserve la charité tout en défendant sans faiblesse les droits de la vérité, comment on prie pour les persécuteurs, comment on bénit ceux qui maudissent, comment on peut garder la fidélité la plus loyale au gouvernement le plus tyrannique. C’est un beau spectacle aussi que de voir, au milieu de la vie la plus occupée et la plus agitée, ces hommes infatigables préparant toutes leurs prédications avec un soin qui semble supposer les loisirs les plus tranquilles. On ne dirait pas, en les voyant si calmes dans leur chaire, qu’ils viennent de quitter la brèche. « L’émeute gronde autour du sanctuaire ; mais au dedans tout est tranquille, et l’on y étudie en paix un texte minutieusement disséqué. Ces discours deviennent éloquents par ce contraste même, qui nous remplit d’émotion et de respect : c’est une éloquence de contre-coup[a]. » Les citations que renferme ce volume montrent, d’ailleurs, suffisamment que ce n’était pas là toute leur éloquence.
[a] Chapitre sur Jean Claude.
Quant au cours lui-même, il a été donné deux fois : d’abord pendant l’hiver de 1841 à 1842. M. Vinet parla des prédicateurs catholiques au dix-septième siècle (cette partie a été retranchée), puis des protestants jusqu’à Daillé. Pendant l’année 1843, il reprit le cours sur les protestants, et le donna tout entier cette fois, depuis Du Moulin jusqu’à Saurin. Si quelques pasteurs éminents du dix-septième siècle, qui ont publié des sermons, n’y figurent pas, c’est ou bien parce qu’il n’y aurait eu rien d’autre à dire de leur prédication que de celle des prédicateurs de la même époque dont M. Vinet s’est occupé ; ou bien c’est qu’ils se sont moins distingués comme prédicateurs que comme écrivains. On ne connaît guère aujourd’hui Drelincourt que comme controversiste, Samuel Bochart que comme savant, Abbadie que comme apologiste, quoique chacun d’eux ait laissé plusieurs volumes de sermons. On ne peut en dire autant de Morus. C’est comme prédicateur essentiellement qu’on se souvient encore de lui. Peut-être ne serait-il pas difficile de deviner les raisons que M. Vinet a eues pour ne pas étudier ses discours aussi bien que ceux de ses collègues les plus célèbres. Nous ne nous croyons pas appelés à les rechercher ici ; mais nous pensons que les personnes qui regretteront cette lacune trouveront qu’elle est suffisamment remplie par quelques lettres inédites, mises à notre disposition, que nous publions dans l’Appendice. Écrites au célèbre pasteur de Metz, Paul Ferry, par un jeune proposant, nommé Gondreville, pendant un séjour d’une année que celui-ci fit à Paris, elles contiennent une appréciation remarquable du talent de Morus, et des détails pleins d’intérêt sur les relations des proposants avec les pasteurs de Charenton.
Nous avons dû, pour cette Histoire de la Prédication, comme précédemment pour l’Histoire de la littérature française au dix-huitième siècle, puiser largement dans les cahiers des étudiants. Le manuscrit de M. Vinet, complètement rédigé dans un assez grand nombre de passages, entre autres dans la plupart des analyses de sermons, n’offrait ailleurs que des indications fort brèves. Nous nous sommes attachés, avec un soin scrupuleux, à ne donner que la pensée du professeur, et pour l’avoir de la manière la plus exacte, nous avons comparé parfois une dizaine de cahiers différents entre eux.
Malgré cela, des imperfections de forme que M. Vinet aurait certainement fait, disparaître, ont dû nous échapper. Nous ne craignons pas qu’on les fasse remonter jusqu’à lui, et nous sommes assurés d’agir dans l’esprit de celui dont nous sommes appelés à recueillir l’héritage, en faisant passer avant sa gloire celle du Dieu qu’il servait, le bien des Églises qui lui étaient chères et la mémoire des fidèles témoins de la vérité qu’il a voulu nous faire connaître.