À l’intention des amis qui me le demandent depuis longtemps, j’ai essayé de reproduire dans ce volume quelques sermons pris au hasard. Écrits de mémoire, ils n’auront sans doute qu’un air de ressemblance assez vague avec les originaux ; mais ils en fixeront du moins le souvenir. J’ai travaillé en pensant à mes chers auditeurs, à tant d’instants bénis que nous avons passés ensemble sous le regard de Dieu, l’âme remplie de ces hautes vérités qui dominent nos vies fragiles.
Avec les heures de souffrance et de labeur, je considère les heures de recueillement et d’adoration commune comme les sommets de l’existence humaine. Entre les unes et les autres, si différentes pourtant, il y a des liens étroits. L’adoration s’inspire de la vie pratique et la vie pratique s’inspire de l’adoration. Si le culte public, si la prédication a un but, c’est de fondre en un seul tout la prière et le labeur, c’est de nous aider à vivre en éclairant notre chemin, en interprétant nos expériences, en nous enseignant à démêler la trame divine dans la rude étoffe du train de ce monde. Pour cela, il suffit de rapprocher ces deux choses : l’Évangile et la vie. La vie serait bien obscure sans l’Évangile ; mais comme l’Évangile s’affermit et grandit au contact de la vie !
Que de fois, en préparant le sermon du dimanche, ne me suis-je pas promené par les rites affairées, pleines de foules hâtives, de bruits laborieux ou d’oisives vanités, entendant à chaque pas, au frôlement des hommes et des choses, vibrer en moi les paroles du texte médité. Ce texte, une fois en possession de ma pensée, trouvait partout les commentaires les plus variés et les plus inattendus. Il s’illustrait de scènes populaires, de mots tombés de la conversation des passants. Je le voyais briller sur les affiches des murs, jaillir en étincelles sous les pieds des chevaux, sonner sous le marteau du forgeron : les pierres du chemin me le criaient.
Il faut que la vérité soit bien puissante pour avoir de si mystérieuses connivences ! Jamais l’Évangile n’est plus beau et ne paraît plus vrai que lorsque les faits se chargent de le prêcher tout seul. Jamais la douleur n’est plus sainte, l’activité plus touchante, le mal plus hideux, que lorsqu’un rayon de l’Évangile vient à tomber sur eux.
Je me suis sincèrement efforcé de puiser à ces deux sources également intarissables, et je m’estimerais suffisamment heureux, si quelque compagnon de misère et d’espérance pouvait recevoir par mes soins, un peu de cette eau vive et pure qui nous fait mieux aimer la vie et moins redouter la mort.
Paris, juillet 1896.