Quoique l’on ne connaisse pas bien précisément le lieu de naissance d’Eusèbe, l’opinion la plus accréditée et la plus vraisemblable est qu’il naquit à Césarée, métropole de la Palestine, dans la première moitié du troisième siècle de l’ère chrétienne. Il parle lui-même de saint Denys d’Alexandrie, comme étant son contemporain ; or cet évêque étant mort en 264, il est évident qu’Eusèbe vivait avant cette époque.
Après avoir fait quelque séjour à Antioche, dans le temps où Cyrille en était évêque, il retourna à Césarée, et fut admis dans le clergé de celle église par l’évêque Agapius ; il eut alors l’occasion de connaître S. Pamphile, prêtre de la même église, avec lequel il forma les nœuds de la plus étroite amitié. Ils demeuraient dans la même maison et se livraient aux mêmes études. Eusèbe enseignait aussi les saintes Lettres dans l’école que S. Pamphile avait fondée à Césarée, et pour laquelle il avait ramassé de tous côtés ce qu’il avait pu trouver d’ouvrages des écrivains ecclésiastiques, particulièrement d’Origène. Eusèbe fit connaissance avec S. Mélice, évêque du Pont, homme d’un profond savoir, que la persécution de Dioclétien avait obligé à se retirer dans la Palestine ; cette persécution s’étant ensuite étendue dans cette province, S. Pamphile fut arrêté et mis en prison sur la fin de l’an 307, et Eusèbe y fut enfermé avec lui. Ce fut alors qu’ils composèrent ensemble les cinq premiers livres de l’Apologie d’Origène, auxquels Eusèbe ajouta seul le sixième, après le martyre de S. Pamphile, arrivé le 16 février de l’an 309 ; il écrivit aussi la vie de ce saint martyr, et témoigna toujours tant d’estime et d’affection pour lui, qu’on l’appela depuis Eusèbe de Pamphile ; soit qu’il eût pris lui-même ce surnom, soit que d’autres le lui eussent donné, en raison de la vive amitié qui les avait unis.
Eusèbe fit plusieurs voyages durant la persécution, savoir, à Туг, à Gaza, en divers endroits de la Palestine, dans l’Égypte et dans la Thébaïde ; il fut partout témoin des combats de plusieurs martyrs ; il eut lui-même l’honneur de confesser Jésus-Christ, et de souffrir la prison avec S. Polamon, évêque d’Héraclée : ce saint y perdit un œil. Comme Eusèbe en sortit sain et sauf, des malveillants prétendirent qu’il ne s’était tiré des mains des persécuteurs, qu’en sacrifiant aux idoles ; mais la preuve la plus forte de son innocence à cet égard, c’est que le siège de l’église de Césarée étant venu à vaquer par la mort d’Agapius, Eusèbe fut choisi pour le remplir. On fixe l’époque de son élection vers l’année 315.
En 320, Arius qui avait déjà commencé à faire paraître son hérésie, avait été déposé de la prêtrise par S. Alexandre, son évêque. Eusèbe intercéda en sa faveur auprès de S. Alexandre ; il paraît qu’il n’était pas lui-même étranger aux opinions d’Arius, puisque dans ce temps-là il écrivit à un évêque nommé Euphration que le Christ n’est pas le véritable Dieu, ni coéternel au Père. Pour terminer les disputes qui s’étaient élevées au sujet d’Arius et de sa doctrine, l’empereur Constantin assembla un concile œcuménique à Nicée : Eusèbe y assista et signa la condamnation d’Arius ; il approuva aussi le mot de consubstantiel qu’il avait combattu le jour précédent, et proposa une formule de foi à laquelle les pères du concile ne trouvèrent presque rien à ajouter que ce terme ; il écrivit ensuite une longue lettre à son église pour lui expliquer en quel sens il avait signé la consubstantialité, et lui envoya en même temps le symbole de Nicée, reconnaissant, après l’avoir bien examiné, particulièrement l’article où le Fils est dit consubstantiel au Père, qu’il ne contenait rien que de conforme à la saine doctrine. La soumission d’Eusèbe aux décrets du concile n’empêcha point que dans la suite on ne soupçonnât sa foi ; il y donnait occasion par ses liaisons avec ceux qui favorisaient le parti d’Arius.
Lors de la déposition de S. Eustathe, évêque d’Antioche, par le concile du même lieu, on voulut mettre Eusèbe à sa place ; mais il ne jugea pas à propos de quitter son église pour passer à une autre, quoique plus considérable, et le refus qu’il en fit lui attira de grands éloges de la part de Constantin ; ce prince le loua de l’attachement qu’il avait fait paraître en celle occasion à la discipline ecclésiastique, qui défendait ces sortes de translations, et le félicita de ce que presque tout le monde le jugeait digne de gouverner non seulement l’église d’Antioche, qui était la troisième de l’univers, mais encore quelque autre que ce fût. Constantin écrivit en même temps aux évêques assemblés à Antioche pour les détourner du dessein d’élire Eusèbe. Je connais, dit-il, depuis longtemps sa doctrine et sa modestie, et j’approuve la bonne opinion que vous en avez ; mais il ne faut pas pour cela renverser ce qui a été sagement établi, ni priver les autres de ce qui leur appartient. Constantin donna en plusieurs autres occasions des témoignages de son estime pour Eusèbe. Il lui écrivait souvent, le faisait manger à sa table, et s’entretenait familièrement avec lui ; ce qui donna lieu à Eusèbe d’apprendre de la bouche même de ce prince, les particularités les plus importantes de sa vie.
En 335, il assista au concile de Туг où il contribua à l’oppression de S. Athanase ; les calomnies dont lui et cinq autres évêques chargèrent ce saint auprès du prince, déterminèrent celui-ci à le reléguer dans les Gaules. Il eut ensuite, ainsi que les évêques du concile, l’ordre de terminer cette assemblée, et de se rendre en toute hâte à Jérusalem, pour y dédier l’église de la Croix et de la Résurrection que l’empereur avait fait bâtir. Ils s’y rendirent et y trouvèrent d’autres évêques que Constantin avait fait venir de tous cotés pour donner plus d’éclat à cette auguste cérémonie. Eusèbe y fit divers discours, et releva par son éloquence la magnificence de la nouvelle église. Quelque temps après et vers la fin de 335 étant venu à Constantinople pour soutenir contre saint Athanase le jugement du concile de Туг, il prononça dans le palais de l’empereur un long panégyrique de ce prince, que nous avons encore. En 336, il se trouva au concile de Constantinople, où l’on déposa Marcel d’Ancyre, accusé par les Ariens, dont il était grand ennemi, d’avoir avancé des hérésies dans son livre contre le sophiste Astérius. Eusèbe fut même chargé par les Pères de ce concile d’écrire contre Marcel, et il composa cinq livres pour le réfuter, et montrer qu’il était coupable des erreurs pour lesquelles on l’avait condamné. Constantin mourut l’année suivante, c’est-à-dire, en 337. Eusèbe écrivit son histoire en quatre livres peu de temps après, et c’est le dernier de ses ouvrages qui nous reste. On croit qu’il mourut lui-même dans le temps où S. Athanase, Asclépas de Saxe et les autres évêques bannis sous Constantin furent rétablis dans leurs sièges, c’est-à-dire, vers l’an 339. Quelques martyrologes le mettent au nombre des saints.
Voici la nomenclature de ceux des ouvrages d’Eusèbe dont on a connaissance :
Il avait composé en outre cinq livres de la Théophanie ; trente contre Porphyre ; deux intitulés, de la Réfutation et de l’Apologie ; deux de la Préparation et de la Démonstration Ecclésiastique, divisés chacun en plusieurs livres, et différents de ceux de la Préparation et de la Démonstration Évangélique, dont on a parlé plus haut. Un commentaire sur la première Épître aux Corinthiens ; des églogues sur toute l’Écriture ; un écrit contre les Manichéens ; un autre écrit adressé à Marin, touchant les différentes manières de vie que l’Église propose à ses enfants ; et un autre au même, où il s’appliquait à résoudre des questions sur la Passion et sur la Résurrection du Sauveur. Le père Sirmond a fait imprimer sous le nom d’Eusèbe quatorze opuscules latins, dont les deux premiers sont intitulés : De la Foi, contre Sabellius ; le troisième, De la Résurrection ; le quatrième, De la Résurrection et de l’Ascension ; le cinquième et le sixième, De Dieu, invisible et incorporel ; le septième, De l’Âme incorporelle ; le huitième, De la Pensée spirituelle de l’homme ; le neuvième et le dixième sur ce que la nature de Dieu n’est pas corporelle ; le onzième, sur ces paroles de Jésus-Christ : Je ne suis pas venu mettre la paix sur la terre ; le douzième, sur ces autres paroles : Prêchez sur les toits ce que je vous ai dit à l’oreille ; le treizième, Des bonnes et des mauvaises Œuvres ; le quatorzième et dernier, Des bonnes Œuvres. Enfin on lui attribue un commentaire sur les cantiques, une histoire des vies de divers prophètes, l’ancien Martyrologe qui porte le nom de S. Jérôme, les Actes du pape S. Sylvestre, et quelques autres traités que l’on prétend avoir en Orient. Nous allons offrir ici une analyse rapide des principaux ouvrages d’Eusèbe.
Livre contre Hieroclès. – C’est un des premiers qui sortirent de la plume de notre auteur ; c’est une réponse aux deux livres de Hieroclès intitulés, Philalethes. Celui-ci, qui était d’abord vicaire des préfets, et qui fut ensuite gouverneur de la Bithynie, puis de l’Égypte, avait adressé son ouvrage aux chrétiens comme pour les conseiller, ne voulant point paraître écrire contre eux par aucun mouvement de haine. La connaissance des divines Écritures dont il donnait des preuves en relevant un grand nombre de contrariétés apparentes fit douter Lactance s’il n’avait pas été chrétien. Il accusait les apôtres d’en avoir imposé, et faisait un indigne parallèle des prétendus miracles d’Apollonius deThyane avec ceux ce Jésus-Christ. Ce parallèle choqua particulièrement Eusèbe, qui s’exprima ainsi dans sa réfutation :
« Mon dessein, » dit-il, « n’est pas d’examiner qui des deux, d’Apollonius ou de Jésus-Christ, a mérité à plus juste titre d’être reconnu pour Dieu, ou lequel a fait des miracles plus nombreux et plus éclatants. Je ne parlerai point de l’avantage qu’a Jésus-Christ d’avoir été seul prédit par les prophètes ; ni de ce que, par la force de sa doctrine céleste, il s’est attiré un plus grand nombre de sectateurs ; ni de ce qu’il a eu pour témoins de ses actions ses disciples, gens sincères et incapables d’en imposer, tous prêts à souffrir la mort pour la doctrine de leur maître. Je ne m’arrêterai pas à montrer qu’il est le seul qui ait appris aux hommes à vivre dans la frugalité et d’une manière qui leur soit profitable pour la vie future ; que par la vertu de sa divinité il s’est fait connaître à toute la terre pour le Sauveur des hommes, en sorte qu’encore aujourd’hui plusieurs s’empressent de tous côtés de venir puiser à la source de sa sagesse divine ; que sa doctrine, exposée depuis déjà tant d’années aux contradictions et aux attaques des princes et des peuples, est demeurée victorieuse de tous leurs efforts. Je ne relèverai point non plus la preuve de sa divine puissance, si sensible encore de nos jours, qu’en prononçant seulement son saint nom, nous contraignons les démons impurs à sortir des corps et des âmes de ceux qu’ils possèdent. Après cela, ajoute Eusèbe, il y aurait de la folie, je ne dis pas à mettre en question si Apollonius est comparable à Jésus-Christ, mais même à le penser. »
Eusèbe fait voir qu’Apollonius, s’il faut s’en tenir à l’histoire de Philostrate, loin de pouvoir entrer en parallèle avec notre Sauveur, ne mérite pas même qu’on lui donne rang parmi les philosophes et les hommes d’une probité médiocre. Il demande à Hiéroclès de lui produire quelque preuve encore subsistante de la divinité d’Apollonius, y ayant de l’absurdité à imaginer qu’un Dieu ait paru sur la terre sans y laisser aucun vestige de sa divinité, tandis que les simples architectes et autres ouvriers semblables se procurent l’immortalité par leurs ouvrages. Philostrate a prétendu faire passer Apollonius pour un homme qui pénétrait dans les plus secrètes pensées, et doué d’une connaissance comme naturelle de toutes choses, même de l’avenir. Eusèbe relève encore à ce sujet une autre particularité rapportée par Philostrate. Vespasien, dit ce dernier, étant venu trouver Apollonius pour lui demander l’empire, le consulta en même temps touchant les philosophes qu’il devait choisir pour son conseil :
« Ceux-ci, répondit Apollonius, montrant du doigt Dion et Euphrate, ce sont des gens sages et de bonnes mœurs. » Mais il se brouilla depuis avec Euphrate, et il n’y eut point de crime dont il ne le chargeât, faisant voir ainsi qu’il s’était trompé dans le jugement favorable qu’il avait porté de ce philosophe. Enfin Philostrate, parlant de la fin d’Apollonius, reconnaît que les auteurs dont il avait tiré son histoire n’étaient d’accord ni sur le lieu ni sur les circonstances de sa mort. Toutefois, il avance comme un fait constant que ce philosophe était monté vivant au ciel. Eusèbe regarde les prétendus miracles d’Apollonius, comme des prestiges de l’art qu’il avait appris des brachmanes et des célèbres magiciens de l’Arabie et de l’Inde ; car il n’en avait fait aucun avant d’avoir visitée ces deux contrées. Eusèbe termine son ouvrage par une courte réfutation, de ce que Philostrale faisait dire à Apollonius, que les décrets du destin et des Parques sont immuables. Il détruit absolument ce principe, d’un côté, en convainquant Apollonius, par sa propre conduite, de la fausseté de son système ; d’un autre côté, en disant voir que si on le reçoit une fois, il ne faut plus reconnaître d’autre dieu, d’autre providence que le destin ; qu’il n’y aura plus de différence entre le sage et le fou, le juste et l’injuste ; en un mot, aucune distinction du bien et du mal, aucune action qui mérite la louange ou le blâme, si nous la faisons par nécessité.
Chronique. – Cet ouvrage était divisé en deux parties : la première intitulée : Chronologie ; la seconde : Canon-Chronique, ou Ligne des Temps ; et le livre entier avait pour litre : Histoire des Temps. Dans la première partie, Eusèbe présentait le détail des chronologies particulières de toutes les nations anciennes, savoir : des Chaldéens, des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Lydiens, des Hébreux, des Égyptiens, des Athéniens, des Grecs, des Sicyoniens, des Lacédémoniens, des Thessaliens, des Macédoniens et des Romains. Il marquait leur origine, l’étendue de leurs empires, les rois qui les avaient gouvernés, leurs républiques, leurs villes, les années des dictateurs avec les consuls ordinaires, la durée du règne des empereurs et des Césars, les générations des dieux, le commencement et la suite des Olympiades, le temps de l’avènement et de la passion de Jésus-Christ, les noms des évêques de Rome, d’Alexandrie et d’Antioche, ainsi que la durée de leur gouvernement. Les persécutions dont l’Église a été agitée, et les noms des plus illustres de ces martyrs. Enfin tout ce qui est arrivé de plus remarquable chez toutes les nations, depuis la création du monde jusqu’au règne de Constantin. La seconde partie n’était, à proprement parler, que comme une table de la première. Elle commençait à la vocation d’Abraham, l’an du monde 2017 et finissait à la vingtième année du règne de Constantin, de même que la première. Eusèbe eut besoin du secours de ceux qui avaient travaillé avant lui sur la même matière : il se servit entre autres des écrits de Сasine, de Manéthon, d’Apollodore, de Phlégon, de Platon, de Josèphe, de saint Clément d’Alexandrie, et surtout de Jules Africain, dont la chronologie, divisée en cinq livres, comprenait l’histoire de ce qui s’était passé depuis la création du monde jusqu’à l’an 221 de l’ère chrétienne.
Le texte grec de l’ouvrage d’Eusèbe est perdu, excepté quelques fragments dispersés çà et là dans les écrits de Georges le Syncelle et de Cédrène, sans aucune suite ni liaison. La traduction latine est de saint Jérôme, qui se donna toutefois la liberté de faire les additions qu’il crut convenables. Ceux mêmes qui ont censuré l’ouvrage d’Eusèbe avec le plus d’aigreur ont été obligés de reconnaître que son Histoire des Temps est digne de beaucoup d’estime : ils ont dit que c’est un ouvrage héroïque, excellent, et au-dessus de toutes les louanges ; que c’est un travail d’Hercule admiré de tout le monde, suivi par tous les anciens qui ont traité de la chronologie, et si supérieur, que nous n’avons rien dans l’antiquité, sur cette matière, qu’on puisse lui comparer.
Préparation Évangélique. – C’est un ouvrage d’une érudition profonde, où Eusèbe nous a conservé des fragments précieux et considérables de plusieurs auteurs très anciens, dont les noms mêmes ne seraient pas connus sans lui. Il y rapporte aussi des extraits de beaucoup d’autres, dont, à la vérité, nous avons les ouvrages ; mais que son témoignage assure à ceux dont ils portent le nom. On ne peut voir sans étonnement cette foule prodigieuse de théologiens, de philosophes et d’historiens païens, dont il y entasse les opinions les unes sur les autres, pour les faire ensuite toutes tomber en ruine par une espèce de guerre domestique qu’il excite entre elles ; et on est obligé de convenir avec Scaliger que c’est un travail divin, pour lequel il avait été nécessaire de fouiller dans toutes les bibliothèques de l’Égypte, de la Phénicie et de la Grèce, afin de convaincre d’erreur leurs plus célèbres écrivains, par l’autorité de la loi de Dieu, et montrer que ce qu’ils avaient dit de bon, ils l’avaient puisé dans les livres des Hébreux. Le but de l’auteur, comme il ne cesse de le répéter, est de faire voir que les chrétiens ont été bien fondés à rejeter la doctrine des Grecs, pour suivre celle des Hébreux. C’est ainsi qu’il prépare son lecteur à recevoir les preuves de l’Évangile, et c’est pourquoi il donne à son ouvrage le titre de Préparation Évangélique.
Il commence par donner la définition de l’Évangile, qui veut dire en grec bonne nouvelle : il rapporte ensuite les principales preuves sur lesquelles notre religion est fondée, il insiste surtout sur l’accomplissement des prophéties. Jésus-Christ avait prédit que sa doctrine devait se répandre par toute la terre, et que son Église, qui n’avait alors que de faibles commencements, se fortifierait de telle sorte qu’elle deviendrait inébranlable aux plus violentes atteintes de ses ennemis. Eusèbe démontre que cette double prédiction avait déjà reçu son accomplissement. Il invoque aussi les prophéties des Hébreux comme étant également de fortes preuves de la vérité de notre religion. Leurs prophètes ont prédit l’avènement du Messie ; ils ont dit qu’il devait paraître une doctrine nouvelle et inconnue auparavant qui s’étendrait dans le monde entier ; ils ont prévu l’incrédulité des Juifs, leur opiniâtreté et leur endurcissement dans l’erreur, tout ce qu’ils ont fait contre Jésus-Christ, et les malheurs qui devaient leur arriver en conséquence, savoir, la ruine de Jérusalem et de tout le pays, suivie de leur dispersion chez les nations étrangères, pour y souffrir une dure servitude sous la puissance de leurs ennemis. Tout le monde a vu et voit encore aujourd’hui l’accomplissement de toutes ces prédictions, tant pour ce qui concerne les malheurs et la réprobation des Juifs, que pour la vocation des Gentils. Indépendamment de ces preuves, peut-on voir, dit Eusèbe, la doctrine chrétienne, en butte depuis tant d’années aux attaques secrètes des démons et aux persécutions ouvertes des princes, se soutenir néanmoins, et même se fortifier de plus en plus, sans être obligé d’avouer que cette force admirable qui la rend supérieure aux attaques de ses ennemis ne peut lui venir que de Dieu, modérateur de toutes choses ? Ce qui montre encore qu’elle est véritable, c’est le progrès si rapide de l’Évangile ; le monde entier pacifié par une providence spéciale de Dieu, pour faciliter ce progrès ; un changement total dans les mœurs des nations les plus barbares ; la connaissance d’un seul Dieu substituée au culte absurde des idoles, des démons, des astres, des hommes, des animaux même ; la vie pure et innocente de ceux qui ont reçu cette doctrine ; l’excellence de sa morale, la grandeur de ses dogmes, en particulier de celui de l’immortalité de l’âme, que de simples filles et de faibles enfants, soutenus du secours de Jésus-Christ, établissent plus solidement par leur mépris pour la vie présente que n’ont fait les plus habiles philosophes par leurs raisonnements. Eusèbe démontre donc que la foi des chrétiens n’est ni déraisonnable ni téméraire : les uns croyant, après un mûr examen de la solidité de ces motifs ; les autres, qui sont incapables d’en juger, s’appuyant sur la foi et l’autorité des premiers.
Après avoir ainsi disposé ses lecteurs en faveur de la religion chrétienne, Eusèbe travaille à les convaincre de la vanité de celle des païens. Il propose d’abord la théologie fabuleuse des nations les plus célèbres, d’après les témoignages de leurs propres auteurs, dont il emprunte même les paroles, savoir, Diodore de Sicile, Plutarque, rapportant les différentes opinions des philosophes sur l’origine et le principe de toutes choses ; Socrate, qui se moque de ces philosophes ; Porphyre, sur l’ancienne manière de sacrifier aux dieux ; Sanchoniaton, sur la théologie des Phéniciens ; Manéthon, sur celle des Égyptiens ; Diodore de Sicile, déjà cité, sur celle des Grecs ; saint Clément d’Alexandrie réfutant, dans son exhortation aux Grecs, les fables et les mystères du paganisme ; Platon, conseillant d’ensevelir ces fables dans le silence, ou du moins de n’en parler qu’avec précaution, comme n’étant propres qu’à gâter l’esprit des jeunes gens. Enfin la théologie des Romains rapportée par Denys d’Halicarnasse, et entièrement contraire à celle des Grecs.
Dans le troisième livre Eusèbe réfute la théologie allégorique de quelques philosophes qui donnaient des sens mystiques aux fables les plus grossières : il prouve que la véritable théologie des païens n’était que ces fables prises au pied de la lettre, telle que les poètes les avaient proposées.
Dans les trois livres suivants, il réfute la théologie civile des païens, c’est-à-dire le culte des idoles, fondé sur les oracles qu’ils rendaient. Il suppose qu’au lieu des idoles qui paraissaient répondre à ceux qui venaient les consulter, c’étaient des hommes cachés dans le creux de ces mêmes idoles, qui, ayant une connaissance au-dessus du commun de la vertu des plantes et des herbes, des causes naturelles et de leurs effets, et après s’être bien instruits, par leurs espions, des raisons qui amenaient les personnes crédules, rendaient à toutes les réponses qu’elles désiraient, prescrivant aux unes les remèdes convenables à leurs maladies, et annonçant aux autres l’avenir par une longue suite de vers magnifiques que l’on ignorait avoir été composés a loisir, et dont le sens équivoque les sauvait du reproche de s’être trompés, quoiqu’il pût arriver. La plupart des philosophes regardaient ces oracles comme inutiles, et souvent même comme nuisibles à l’état. Porphyre assurait, en rapportant un oracle d’Apollon touchant les différentes cérémonies qui devaient accompagner les sacrifices d’animaux, qu’il n’y avait que les mauvais démons qui demandassent de ces sortes de sacrifices, que c’étaient eux qui avaient inventé les oracles, les divinations et la magie ; qu’il fallait renoncer à leur culte, pour servir le Dieu souverain. Il condamnait surtout la coutume barbare d’immoler des hommes aux idoles, comme étant de l’invention des mauvais démons. C’est pour nous délivrer de la tyrannie de ces malins esprits que Jésus-Christ est venu sur la terre. Les oracles alors sont devenus muets, toute la puissance des démons a été abattue. Faut-il s’étonner, disait Porphyre lui-même, si cette ville est affligée de maladies depuis tant d’années, puisque Esculape et les autres dieux se sont retirés de la compagnie des hommes ; car depuis que Jésus a commencé d’être adoré, personne n’a ressenti les effets de leur protection. Eusèbe remarque ensuite les différentes sources de l’idolâtrie, et les artifices dont les démons s’étaient servis pour attirer les hommes à leur culte. Il relève une remarque de Porphyre, qui disait, en parlant des dieux, qu’il ne pouvait pas concevoir comment, étant supérieurs aux hommes, ils se trouvaient néanmoins obligés de leur obéir par la force de l’art magique. Il vient en particulier à l’examen des plus célèbres oracles ; il emprunte les paroles d’un certain Œnomaüs, qui, ayant été trompé par un oracle d’Apollon, avait composé exprès un long discours où il faisait voir par énumération qu’il n’y avait aucun de ces oracles que l’on ne pût convaincre de cruauté, d’ignorance, de fausseté ou d’inutilité. Lorsqu’ils s’étaient trompés dans leurs prédictions, ils s’excusaient sur la force invincible du destin, ce qui donne à Eusèbe l’occasion de réfuter cette erreur.
Abordant ensuite la doctrine des Hébreux, il en fait voir l’excellence par comparaison avec les vaines théologies des autres nations. Celles-ci proposaient pour unique et souverain bien les voluptés du corps, et c’est à quoi se rapportait tout le culte qu’elles ordonnaient de rendre aux dieux ; l’autre au contraire, enseignant le mépris des plaisirs, met la fin de l’homme dans l’union avec Dieu : elle apprend à penser juste sur l’immortalité de l’homme et le culte d’un seul Dieu ; elle seule a su jeter les fondements de la vraie piété, ainsi que l’ont prouvé, par l’innocence de leur vie, ceux qui ont observé cette doctrine, Enos, Enoch, Noé, Melchisedech, Abraham, et les autres qui ont vécu avant la loi de Moïse ou même depuis, mais sans y être assujettis comme Job. Ces saints ont été nommés Hébreux, soit qu’ils tirassent ce nom d’Héber, oncle d’Abraham, soit qu’on le leur ait donné pour marquer par sa signification, qui vent dire passants, qu’ils ne regardaient la terre que comme un lieu de passage. Eusèbe les distingue des Juifs, en ce que ceux-ci sont un peuple particulier soumis à la loi de Moïse, et à toutes ses cérémonies, au lieu que les Hébreux ne suivaient que la loi de nature et la lumière de la raison commune à toutes les nations. Il rapporte en abrégé la vie de chacun de ces saints, suivant ce qui en est dit dans les livres de Moïse ; puis expliquant qu’elle était leur doctrine, il dit qu’ils reconnaissaient un seul Dieu créateur et conservateur de toutes choses, gouvernant tout par sa providence ; après lui sa parole ou sa sagesse engendrée de lui avant toutes créatures, par laquelle il a fait toutes choses, et, en troisième lieu, le Saint-Esprit. Ils croyaient aussi que le soleil, la lune, les étoiles et les astres sont l’ouvrage de Dieu, qu’il a créé des substances purement spirituelles, c’est-à-dire, des anges, dont le nombre infini n’est connu que de lui seul, et dont les uns sont demeurés bons, tandis que les autres sont devenus méchants par leur faute ; qu’il a précipité ces derniers dans les enfers, mais qu’il en a laissé une partie répandue autour de la terre, afin que les hommes, exposés sans cesse à leurs attaques, eussent toujours des occasions présentes de mériter en leur résistant ; que l’homme est composé de deux parties : d’un corps terrestre et d’une âme immortelle, et que c’est dans celle-ci que Dieu a gravé son image.
Eusèbe passe ensuite à la loi de Moïse faite pour les Juifs, et rapporte l’histoire de la traduction des Septante, telle qu’Aristée l’avait écrite ; il remarque comme un effet particulier de la Providence, que Dieu eût inspiré à Ptolémée le dessein de faire traduire cette loi, comme pour préparer les nations étrangères à recevoir le Messie qui devait bientôt paraître. Il montre ensuite l’excellence de cette même loi par les témoignages de Philon et de Josèphe. Il justifie, par les explications des Juifs, quelques endroits de l’Écriture dont le sens littéral semble avoir quelque chose de choquant. Il rapporte aussi les témoignages de plusieurs auteurs grecs sur le déluge, sur la construction de la tour de Babel, sur la confusion des langues, sur l’histoire d’Abraham, de Jacob, de Jérémie, de la captivité de Babylone et sur divers autres points. Il prouve surtout l’excellence de la religion des Juifs, par la sainteté de plusieurs d’entre eux, notamment des Esséniens, dont il décrit la vie d’après les récits de PhiIon, Juif, de Théophraste et de Porphyre, païens.
Il répond au reproche que les Grecs faisaient aux chrétiens d’avoir reçu leur religion des Barbares, en leur montrant à eux-mêmes qu’ils avaient emprunté tous les arts, les lettres et les sciences à ceux qu’ils nommaient Barbares, et en particulier aux Hébreux. C’est ce qu’il prouve, 1°par le propre aveu de leurs auteurs ; 2°par la conformité des sentiments de Platon avec ceux de Moïse et d’autres Hébreux, démontrés plus anciens que ce philosophe et tout autre auteur grec. Cette conformité est telle, que souvent Platon n’a fait que rendre en sa langue les pensées de ces écrivains sacrés. Eusèbe traite fort au long cette matière, rapportant les passages de ce philosophe sur l’ineffabilité et l’unité de Dieu ; sur un premier, un second et un troisième principe ; sur ce que Dieu seul est le souverain bien ; qu’il y a des vertus incorporelles, dont les unes sont bonnes, les autres mauvaises ; que l’âme est immortelle ; que le monde a été créé : que la lune et les étoiles sont l’ouvrage du Verbe ; que le monde finira ; touchant la résurrection des morts, le jugement dernier et divers autres points, soit dogmatiques, soit moraux, sur lesquels ses sentiments sont conformes à ce que l’Écriture nous enseigne.
Mais, disaient les Grecs, s’il est vrai que la doctrine de Platon et celle des Hébreux soient si conformes entre elles, ne valait-il pas mieux suivre ce philosophe que des étrangers et des barbares ? Eusèbe répond que, malgré le respect que les chrétiens ont pour Platon, à cause de cette conformité, ils ne laissent pas de remarquer une grande différence entre ces lois et celles de Moïse ; que les unes sont purement humaines, au lieu que celles-ci sont émanées de Dieu même ; que Platon a cru que le ciel méritait un culte particulier ; qu’il a toujours hésité sur ce qu’il fallait penser de la nature de Dieu ; que sa morale n’est pas pure en tout, comme quand il dit que les femmes peuvent s’exercer nues à la lutte, et qu’elles doivent être communes dans une république bien réglée. Eusèbe passe aux autres philosophes, et après avoir remarqué que la doctrine des chrétiens avait été observée constamment depuis la création du monde, premièrement par les Hébreux qui avaient vécu avant Moïse ; ensuite par Moïse même et par les prophètes qui lui ont succédé, sans qu’aucun ait osé y rien changer ; il montre au contraire, par les disputes des Grecs, qu’il y a toujours eu une extrême opposition, non seulement entre ceux qui adhéraient à différentes sectes, mais encore entre plusieurs qui faisaient profession de suivre un même maître. Il attaque en particulier Aristote et fait voir l’inutilité de sa physique.
Démonstration Évangélique. – Après avoir préparé l’esprit de l’homme à recevoir l’Évangile, et justifié contre les païens le choix que les chrétiens ont fait de la doctrine des Hébreux, préférablement à celle des Grecs, Eusèbe répond, dans sa Démonstration Évangélique, aux plaintes des Juifs, fondées sur ce que les chrétiens, s’appropriant leurs Écritures, refusaient de s’assujettir à leur loi. La première raison est tirée de l’incompatibilité qu’il y a entre cette loi et la nouvelle alliance de Dieu avec toutes les nations du monde, prédite si souvent dans les Écritures. Il démontre par des arguments invincibles la subrogation de la nouvelle loi à l’ancienne, l’accomplissement de la prophétie de Malachie à cet égard, et donne les raisons pour lesquelles Jésus-Christ a voulu accomplir la loi. Jésus-Christ a gravé sa loi dans le cœur de ses disciples. – Sage économie des apôtres ; perfection plus grande de certains chrétiens ; prophéties qui regardent le Messie, accomplies en Jésus-Christ ; preuves de la vérité de ce qu’ont écrit les apôtres au sujet de Jésus-Christ, fondées sur l’impossibilité qu’il y a qu’ils aient voulu nous tromper ; caractères de vérité dans les Évangiles ; bonne foi de ceux qui les ont écrits ; vérité des miracles de Jésus-Christ ; on ne peut les attribuer à la magie. – De la nature du Verbe ; état de la nature humaine avant l’incarnation : pourquoi le Fils de Dieu s’est fait homme ; distinction des deux natures en Jésus-Christ ; en quel sens le nom de Christ ou d’Oint convient à Jésus-Christ ; témoignages des prophètes touchant la génération et la divinité du Fils ; distinction des personnes du Père et du Fils ; c’est le Fils qui a apparu aux patriarches. – Prophéties touchant l’avènement du Messie ; explication de la prophétie de Jacob touchant le temps de la venue du Messie ; explication des soixante-dix semaines de Daniel ; accomplissement des prophéties dans la personne de Jésus-Christ.
Les dix derniers livres de la Démonstration Évangélique sont perdus ; il est probable qu’Eusèbe y expliquait le reste, c’est-à-dire, les prophéties touchant la sépulture de Jésus-Christ, sa résurrection, son ascension, l’établissement de son Église, et son dernier avènement. Saint Jérôme nous apprend que, dans le dix-huitième livre, Eusèbe expliquait quelques endroits du prophète Osée.
Discours prononcé à l’occasion de la dédicace de l’église de Tyr. – Eusèbe invite ses auditeurs à rendre grâces à Dieu des merveilles qu’il opérait en faveur de son Église ; il relève la puissance de Jésus-Christ, qu’il regarde comme l’ange du grand conseil, le général de l’armée de Dieu, fils naturel de Dieu et Dieu lui-même. Réflexion sur ceux qui font bâtir des églises. Prérogatives des évêques. Description de l’église de Tyr.
Histoire Ecclésiastique. – С’est de tous les ouvrages d’Eusèbe celui qui l’a rendu le plus célèbre. Il avait déjà donné une histoire de l’Église dans sa Chronique ; mais elle y était trop succincte, et confondue avec quantité de faits qui n’y avaient que peu ou point de rapport. Il se chargea donc d’un nouveau travail pour en faire une qui fût plus ample et plus correcte. Eusèbe, en rassemblant en un seul corps toutes les relations particulières des auteurs qui antérieurement avaient traité le même sujet, nous a laissé une histoire entière de tout ce qui s’était passé de plus considérable dans l’Église pendant près de trois cent vingt-cinq ans, c’est-à-dire, depuis la naissance de Jésus-Christ jusqu’au temps où l’auteur écrivait. Ruffin la traduisit au commencement du cinquième siècle, et il paraît que saint Jérôme avait eu le même dessein, mais qu’il ne l’exécuta point. Cette histoire lui a cependant beaucoup servi pour son catalogue des hommes illustres, où il ne fait souvent que traduire Eusèbe. Socrate, Sozomène et Théodoret, qui ont écrit, après Eusèbe l’histoire de l’Église, persuadés qu’il n’y avait rien à ajouter à son travail, se sont contentés de la commencer où il l’avait finie, et Nicéphore Calliste, qui a voulu faire, dans le quatorzième siècle, une nouvelle histoire des trois premiers, l’a prise presque tout entière d’Eusèbe.
Livre des martyrs de la Palestine. – Cet ouvrage est parfaitement écrit ; il contient l’histoire des martyrs qui souffrirent dans la Palestine depuis l’an 303 jusqu’à l’an 311 de l’ère chrétienne. Bien que son but ait été de ne parler que de ceux qui avaient souffert dans cette province, il décrit le martyre de S. Romain à Antioche, parce qu’il était originaire de la Palestine ; celui de S. Ulpien en Phénicie, parce qu’il avait souffert en même temps et le même genre de supplice que S. Apphien, et celui de S. Edèze à Alexandrie, parce qu’il était frère de S. Apphien.
Lettre d’Eusèbe à son Église. – Après la conclusion du concile de Nicée, Eusèbe, craignant qu’on n’interprétât mal la conduite qu’il avait tenue en rejetant d’abord, puis en recevant le terme de consubstantiel, écrivit à son Église de Césarée les raisons qu’il avait eues d’en user de la sorte, et lui marque en même temps ce qui avait été résolu par les Pères. Nous avons encore la lettre que S. Athanase nous a conservée, dans un de ses ouvrages, comme un monument de la soumission d’Eusèbe aux décisions de ce concile, et comme un témoignage de la part de cet évêque que la foi qui y avait été déclarée était la vraie foi. Eusèbe observe dans cette lettre que le concile ayant jugé à propos de dresser un autre symbole, à l’occasion du terme consubstantiel qu’on y voulait insérer, il avait refusé de s’y soumettre, jusqu’à ce qu’après bien des questions et des réponses on fût convenu qu’en disant que le Fils est de la substance du Père on n’entendait pas qu’il fût une partie du Père ; et quand on dit que le Fils est consubstantiel au Père on ne veut dire autre chose sinon que le Fils de Dieu n’a aucune ressemblance avec les créatures, mais qu’il est parfaitement semblable au Père, par qui il a été engendré.
Livre des Topiques, ou noms des lieux marqués dans la sainte Écriture. – C’est un dictionnaire géographique, disposé selon l’ordre des lettres de l’alphabet, qui contient presque tous les noms de villes, de montagnes, de rivières qui sont dans l’Écriture, ceux mêmes des villages et des autres lieux ; et où l’auteur a eu soin de marquer ceux de ces endroits qui conservaient encore les mêmes noms, et ceux qui ne les avaient plus que corrompus ou qui en avaient entièrement changé. Saint Jérôme a fait une traduction latine de cet ouvrage, qui est très utile pour l’intelligence de l’Écriture sainte, et d’une grande autorité, puisque l’auteur ayant passé presque toute sa vie dans la Palestine a dû être bien informé de ce qui regardait ce pays.
Cinq livres contre Marcel d’Ancyre. – Eusèbe composa cet ouvrage en 336, peu de temps après le faux concile de Constantinople, où Marcel fut déposé. Eusèbe, qui y avait assisté avec les chefs du parti arien, fût chargé par les évêques, ses confrères, de justifier par écrit le jugement du concile, en faisant voir que les erreurs que l’on imputait à Marcel se trouvaient en effet dans ses écrits. Ce qui paraît évident, c’est que la faction dont Eusèbe était le chef condamna Marcel, moins par zèle pour la foi, que par esprit de ressentiment et de parti. Car il s’était déclaré en toute occasion contre l’hérésie d’Arius et contre ceux qui la protégeaient ; et, dans le livre qui donna lieu à sa condamnation, il attaquait ouvertement les principaux d’entre eux, nommément le grand Eusèbe, évêque de Nicomédie, Eusèbe de Césarée, Paulin de Tyr, Narcisse de Néroniade, qu’il y traitait même d’impies. Il serait donc injuste de juger de ses véritables sentiments par ce qu’Eusèbe en dit dans ses livres. Aussi l’ouvrage de Marcel ayant été examiné dans le concile de Sardique, en 347, le concile déclara qu’ayant lu ce qui suivait et ce qui précédait, il avait trouvé que ses accusateurs avaient pris malicieusement pour ses sentiments ce qu’il n’avait avancé que par manière de questions et pour chercher la vérité, et que sa foi était entièrement contraire aux hérésies qu’on lui imputait.
Vie de Constantin, en quatre livres. – Le style de cet ouvrage est diffus il convient mieux à un orateur qu’à un historien ; aussi Socrate et Photius l’appellent-ils un discours panégyrique de Constantin. Photius, qui en fait une critique particulière, accuse l’auteur d’avoir usé de dissimulation en ce qui concerne Arius et ses partisans. Il lui reproche d’avoir traité de simple différend entre cet hérésiarque et l’évêque d’Alexandrie les troubles que son hérésie excita dans l’Église, et qui firent assembler le concile de Nicée ; d’avoir passé sous silence la condamnation prononcée par ce concile, dans la crainte de parler de ceux qui furent enveloppés dans le même anathème, et, par la même raison de parti, de n’avoir fait que toucher en passant et en termes couverts la déposition de S. Eusthate d’Antioche et celle de S. Athanase, sans rien dire des moyens injustes que leurs ennemis employèrent pour arriver à leurs fins.
Commentaires sur les psaumes. – C’est un des plus excellents ouvrages que nous ayons en son genre. Eusèbe y fait preuve d’une connaissance profonde de l’Écriture sainte, et on l’y reconnaît aisément pour cet ami du martyr S. Pamphile, qui avait travaillé si soigneusement avec lui à se former dans la science des livres saints. Ses remarques sur l’auteur de chaque psaume, sur le temps auquel ils ont été écrits, sur l’ordre et la disposition qui leur conviendraient davantage, sont autant de règles de critique qui peuvent servir aux plus habiles. Il entre dans un examen exact de toutes les difficultés, et il n’omet rien pour les éclaircir, soit en recourant à l’histoire, soit en rapprochant les endroits de l’Écriture qui ont rapport à celui qu’il traite, soit en corrigeant la leçon des Septante par l’hébreu, ou par celle des autres interprètes.
Commentaires sur Isaïe. – Les explications d’Eusèbe sur Isaïe sont à peu près dans le même genre que ses commentaires sur les psaumes, c’est-à-dire que, sans négliger le sens littéral, il donne volontiers dans l’allégorie, qu’il rapporte presque toujours, ou à Jésus-Christ, ou à l’Église, ou à la Jérusalem céleste. C’était le goût des anciens Pères de l’Église de donner à tout la forme allégorique, et ce goût ne pouvait absolument passer pour mauvais, puisqu’il leur était venu des apôtres et des plus habiles Juifs.
Quatorze opuscules d’Eusèbe. – Ils n’existent plus qu’en latin : c’est le père Sirmond qui les a publiés. Ils roulent tous sur des sujets de théologie et de morale, dont l’analyse nous mènerait trop loin. Ces opuscules sont rédigés en forme de sermons, et contiennent les doctrines les plus pures et les plus orthodoxes.
Canons évangéliques. – Ces canons sont très propres à faciliter l’étude de l’Evangile. Ce sont des tables destinées à indiquer, au moyen de certains chiffres rangés sur des colonnes parallèles, tous les endroits des évangélistes qui ont ensemble quelque rapport ou qui n’en ont point.
Il est inutile de rapporter ici la nomenclature des ouvrages d’Eusèbe qui sont perdus ; cela ne les ferait point retrouver. Contentons-nous d’exprimer nos regrets sur cette perte, qu’on peut regarder comme une véritable calamité.
Eusèbe a établi l’inspiration des divines Écritures, et soutenu que l’on ne pouvait, sans témérité, y soupçonner de l’erreur, même dans les choses les moins importantes. Il prescrit cette règle à ceux qui veulent étudier les saintes Écritures, qu’il faut se persuader, avant toutes choses, que leur principale fin est de nous instruire des choses divines, en sorte que, sans trop s’arrêter au sens littéral, on doit s’attacher surtout au sens allégorique et mystique, puisque l’Écriture elle-même nous apprend que par les bœufs elle entend les apôtres, c’est-à-dire, aussi les évêques, et quiconque s’occupe de la culture des âmes. Il suppose en plus d’un endroit qu’avant la traduction des Septante, il y en avait une en grec des livres du Pentateuque, où Platon, Pythagore et les autres Grecs ont puisé plusieurs de leurs connaissances. Voici quelques endroits d’Eusèbe qui peuvent servir à l’histoire de l’Écriture sainte. Il croit que depuis que Rebecca eut enfanté Jacob et Esaü Isaac garda la continence le reste de sa vie ; que le philosophe Aristobule, qui a dédié un livre au roi Ptolémée, est le même dont il est parlé au commencement du livre des Macchabées ; que Job a vécu avant Moïse ; que depuis le retour de la captivité de Babylone, les grands-prêtres eurent le gouvernement civil de la Judée, jusqu’à ce que Pompée, ayant pris Jérusalem, emmena captif à Rome Aristobule, qui, par droit de succession, était en même temps roi et grand-prêtre des Juifs ; que le sceptre a manqué parmi les Juifs lorsque Auguste s’empara de la Judée, et qu’Hérode, qui, selon lui, était étranger, fut élevé au trône ; que la prophétie de Balaam touchant l’étoile qui devait sortir de Jacob s’était conservée par la tradition jusqu’aux mages qui en prirent occasion de venir adorer Jésus-Christ, et que l’astre qui leur apparut au temps de sa naissance était un astre nouveau qui jusque là n’avait été vu de personne ; que le règne de Salomon n’a été que de quarante ans ; qu’il y eut près de mille ans depuis la mort du patriarche Jacob jusqu’à David, et deux mille depuis Balaam jusqu’à Jésus-Christ ; que l’on sait par tradition que l’Évangile de S. Marc ne contient rien qui n’ait été prêché par S. Pierre ; que les apôtres, avant la descente du S. -Esprit, ne savaient point d’autre langue que le syriaque, ce qui fait voir que, selon Eusèbe, c’était la langue vulgaire du pays. Non seulement Eusèbe enseigne que c’était par la tradition ecclésiastique que nous devons nous assurer de la canonicité des livres saints, mais il propose encore cette même tradition de l’Église répandue par toute la terre, comme la confirmation des vérités contenues dans l’Écriture, et comme la règle invariable de notre foi. Tous les hommes, dit-il, ont naturellement dans l’idée qu’il y a un Dieu, et ce que c’est. Cette idée leur a été imprimée par le Créateur ; ce n’est qu’en la déplaçant, qu’ils sont tombés dans tant de différentes espèces d’idolâtries. Il prouve cette existence de Dieu par la beauté des créatures, par l’ordre, l’arrangement, l’harmonie qui règnent dans l’univers ; par le mouvement des corps, traitant de fou quiconque attribue au hasard de si merveilleux effets. Mais, ajoute-t-il, si tous les hommes ont cet avantage de connaître par les pures lumières de la nature, l’existence d’un seul Dieu, c’est un privilège propre aux Chrétiens d’être instruits du mystère de la sainte Trinité : la loi de grâce, nous élevant au-dessus de tout ce qui est dans le monde et des anges mêmes, nous découvre ce mystère caché jusqu’alors aux païens et aux Juifs. Elle nous enseigne qu’il y a un Dieu, suprême modérateur de toutes choses ; que ce Dieu est père d’un seul fils, et qu’il y a un Saint-Esprit, dont la vertu et l’action efficace se communiquent à ceux qui en sont dignes. Telle est la foi en la sainte Trinité que l’Église, l’ayant reçue de Jésus-Christ comme le sceau du salut qu’elle donne à ses enfants dans le baptême, la conserve inviolablement. C’est elle qui constitue particulièrement le caractère des Chrétiens : par elle nous croyons que Dieu étant un de sa nature, existe en trois personnes également éternelles et sans commencement.
Les anges, dit Eusèbe, sont des substances spirituelles, intelligentes et pures de toute matière, créées de Dieu par le Verbe dans un état parfait, et sanctifiées par le Saint-Esprit dès le moment de leur création. Destinés à assister sans cesse devant le trône de Dieu, il se sert aussi de leur ministère pour annoncer aux hommes ses volontés, et les conduire au port du salut. Eusèbe les distingue en neuf classes, les Anges, les Archanges, les Esprits, les Vertus divines, les Armées célestes, les Principautés, les Puissances, les Troncs, les Dominations, outre les Chérubins et les Séraphins dont il ne parle pas.
Il traite aussi des Vertus contraires, c’est-à-dire des mauvais anges, qui jouissant au commencement de la même gloire que les autres, s’en sont privés volontairement par leur malice. Il attribue leur chute à l’orgueil, et dit que, pour punir leur révolte, Dieu les a précipités dans les enfers, en sorte néanmoins qu’il en a laissé une certaine partie sur la terre et dans l’air qui est au-dessous de la lune, pour exercer les justes et leur être une occasion de mérite.
L’homme, dit-il, est composé de deux substances, l’une spirituelle, incorporelle et raisonnable ; l’autre matérielle et terrestre, tellement unies par la loi du Créateur, qu’un sentiment mutuel et nécessaire les rend susceptibles des passions et des affections l’une de l’autre. La principale preuve de l’immortalité de l’âme est fondée sur cette ressemblance qu’elle a avec Dieu. Outre la loi naturelle, qui est un flambeau qui l’éclaire, elle a reçu de Dieu le libre arbitre, c’est-à-dire le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Il établit cette indépendance de la volonté dans ses actions sans être moins favorable à la nécessité et à l’efficacité de la grâce. Le péché de notre premier père a corrompu notre libre arbitre sans le détruire ; ce péché s’est communiqué à tous ses descendants. Les ronces et les épines, que la terre n’a produites que pour punir dans les hommes la désobéissance du premier, sont la figure de la malice attachée à notre nature. Comme la mort était entrée dans le monde par la faute d’un homme, il a fallu que le même homme et le même corps, mais entièrement pur de malice, c’est-à-dire la nature humaine dans Jésus-Christ, vainquît la mort, et détruisît le règne du péché. Eusèbe décrit en divers endroits de ses ouvrages les biens infinis que Jésus-Christ a apportés au monde par son incarnation. Il établit la réalité de cette incarnation, et enseigne clairement l’union des deux natures en Jésus-Christ.
Bien qu’Eusèbe accorde beaucoup au libre arbitre, il n’a jamais prétendu exclure le secours de la grâce, sans laquelle il reconnaît expressément que nous ne sommes rien et que nous ne pouvons rien. En fondant la prédestination sur la prescience des mérites, il établit clairement que ces mérites nous sont tellement propres, qu’ils sont en même temps l’effet de la grâce que Dieu donne également à tous, et que c’est en conséquence du bon ou du mauvais usage que Dieu prévoit que nous en ferons par notre libre arbitre, qu’il nous prédestine ou nous réprouve. Toutes les actions de l’homme, ajoute-t-il, tant celles qui lui sont naturelles que celles qu’il produit par sa liberté, sont soumises à la volonté de Dieu, d’autant plus qu’il est l’auteur de notre liberté, aussi bien que de notre nature. Notre propre infirmité nous faisant sans cesse pencher vers le mal, le remède à cette faiblesse de l’âme est une force qui nous vient de Dieu, avec laquelle celui qui l’a reçue peut dire comme S. Paul : Je puis tout en celui qui me fortifie.
Voici ce qu’il dit de l’Église : Elle est l’épouse de Jésus-Christ, la maison de Dieu, au milieu de laquelle le Dieu Verbe habite : elle est composée de pécheurs comme de justes. Dieu, qui assistait autrefois la synagogue, a transféré cette miséricorde à l’Église, il ne l’abandonnera jamais, selon la promesse qu’il en a faite à ses apôtres : elle est une ; et les hérétiques ressemblent aux soldats qui mirent en pièces les vêtements de Jésus-Christ pour se les partager entre eux, parce qu’ils détournent les Écritures chacun son sens.
Il distingue trois ordres dans l’Église, les chefs, c’est-à-dire, les évêques, les prêtres et les diacres, et ensuite les fidèles et les initiés ou catéchumènes. Les évêques tiennent la place de Jésus-Christ dans l’Église, ils en sont les princes, en qualité de successeurs des apôtres ; c’est Jésus-Christ même qui les a établis sur son troupeau pour être les interprètes de ses volontés.
Les chrétiens avaient partout des églises où ils s’assemblaient, soit pour écouter la parole de Dieu, soit pour chanter à sa louange des hymnes et des psaumes, et faire les prières. Ces sortes d’assemblées se tenaient deux fois le jour, au matin, vers le lever du soleil, et au soir quelquefois. L’office divin se célébrait avec une grande magnificence, mais surtout aux jours solennels, c’est-à-dire les dimanches et ceux où l’on faisait mémoire des mystères de Jésus-Christ. Eusèbe parle ensuite du sacrifice de nos autels, dont celui de Melchisédech n’était que la figure, sacrifice institué par Jésus-Christ en mémoire de celui qu’il a offert pour nous sur la croix : il n’appartenait qu’à ceux qui avaient reçu l’onction mystique, c’est-à-dire aux prêtres, d’offrir ce sacrifice terrible, cette victime non sanglante d’autant plus agréable à Dieu, qu’elle lui est offerte par le souverain pontife, qui est Jésus-Christ même. Il y avait pour cet effet des autels dans chaque église. Les fidèles participaient à ce mystère tous les dimanches ; et après avoir reçu et mangé le corps sacré de Jésus-Christ, ils adoraient avec respect l’auteur d’un si grand bienfait ; mais il fallait avoir l’âme épurée et sans tache pour manger ce pain de vie, la chair vivifiante de Jésus-Christ, et pour boire son sang. Il marque clairement la transsubstantiation en ces termes : « Le Saint-Esprit consacre les dons proposés, et le pain est fait le précieux corps de Notre-Seigneur, et le breuvage son précieux sang. »
Il enseigne que le baptême a pris la place des sacrifices de l’ancienne loi ; que l’effet de l’eau sanctifiante de ce bain sacré est non seulement de nous laver de nos iniquités, mais aussi de nous faire renaître en Jésus-Christ, et de nous donner droit au royaume du ciel.
Lorsque nous sommes tombés dans le péché, il prescrit les conditions qui doivent accompagner le retour à la vertu : elles consistent dans le changement de vie, la pénitence et la confession établies par Jésus-Christ même, pour ouvrir un chemin de salut aux pécheurs. Il y ajoute d’autres moyens propres à ranimer en nous l’amour de Dieu étouffé par celui du monde, qui sont d’avoir continuellement Dieu présent à notre esprit et de lier une espèce de commerce avec lui par la prière et par les bonnes œuvres. Par la confession, il entend que nous devons découvrir nos péchés à ceux qui ont reçu le pouvoir de les remettre, c’est-à-dire, aux ministres de l’Église, car on ne peut rien cacher à Dieu.
Le culte des saints est un des points le plus clairement établi dans Eusèbe. Il démontre aussi l’utilité de la prière pour les morts, lorsque, rapportant la pompe funèbre de l’empereur Constantin, il raconte qu’un nombre infini de peuples qui accompagnaient les prêtres de Dieu, non contents de témoigner par leurs gémissements et par leurs larmes l’affection qu’ils portaient à leur prince, offraient à Dieu des prières pour son âme, ne pouvant lui rendre un service plus avantageux. Aussi, écrit-il, ce prince plein de piété choisit pour le lieu de sa sépulture l’église des Apôtres qu’il avait fait bâtir à Constantinople, dans l’espérance d’y participer aux prières qui s’y feraient en l’honneur de ces saints, et afin qu’étant joint dans l’église au peuple de Dieu, il méritât d’avoir part aux divines cérémonies, au sacrifice mystique et aux prières des fidèles même après sa mort. Un autre endroit des ouvrages d’Eusèbe marque clairement sa croyance au purgatoire, lorsqu’il dit qu’après la fin du monde on demandera compte à chacun des talents qu’il aura reçus ; que ceux qui, n’en ayant reçu que de médiocres, ne les ont pas fait profiter comme ils le devaient, subiraient un supplice proportionné, qui sera comme la verge dont Dieu les corrigera. Les autres qui, ayant reçu let plus grands talents, les ont rendus entièrement inutiles seront livrés à de plus grands feux.
La morale d’Eusèbe n’est pas moins pure que sa théologie. Comme il met divers degrés dans la vertu, il place aussi l’acte du péché dans un degré au-dessus de la simple volonté. Il observe que les philosophes qui sont hors de l’Église n’ont que de la vanité dans le cœur ; que leurs dogmes sont mortels, parce qu’ils n’enseignent pas le Verbe, qui seul peut vivifier l’âme. Il recommande beaucoup la charité envers les pauvres, et avertit que Dieu permet qu’ils soient dans l’indigence, autant pour nous fournir une occasion de mérite que pour les éprouver eux-mêmes.
Dans ses ouvrages historiques, Eusèbe rapporte que les Phéniciens et les Égyptiens, dont il dit que le royaume était presque aussi ancien que le monde, passaient pour les premiers qui eussent commencé à adorer le soleil, la lune et les astres, d’où cette idolâtrie s’était ensuite répandue parmi les autres peuples. Mais d’abord on se contenta de les révérer d’un culte respectueux, en élevant les yeux vers le ciel, sans leur dresser ni temples ni statues. Cadmus est le premier qui ait apporté les lettres de la Phénicie dans la Grèce. Jusqu’à l’empire d’Adrien l’idolâtrie et la coutume barbare d’immoler des hommes s’étaient maintenues en autorité ; mais sous le règne de ce prince la vraie religion prit la place de la fausse, commença à éclairer toute la terre, et s’accrut considérablement : les faux dieux ne rendirent plus aucun oracle.
En lisant les ouvrages d’Eusèbe, on peut remarquer son érudition, son savoir, sa doctrine, son intelligence dans les divines écritures, son zèle infatigable à éclaircir ce que l’histoire ancienne, tant sacrée que profane, avait de plus obscur et de plus épineux. Peu d’auteurs avant lui avaient poussé aussi loin la connaissance de l’histoire, de la chronologie, de la géographie et de la critique ; et il ne le céderait à personne, tant pour l’utilité de ses ouvrages que pour ses qualités personnelles, si les liaisons qu’il eut toujours avec les ennemis de la vérité, n’eussent fait une tache à sa réputation. Outre le grec, qui était sa langue naturelle, il savait l’hébreu, dont il se sert souvent avec succès dans les commentaires qu’il nous a laissés sur l’Écriture sainte ; mais il ne possédait pas aussi bien la langue latine. Quoique tous ses ouvrages soient en général d’un très grand mérite, c’est surtout dans ceux de la Préparation et de la Démonstration Évangélique qu’il a donné les preuves les plus éclatantes de la solidité de son esprit et de la vigueur de son argumentation. Ce qu’il y rapporte touchant les preuves sensibles de la divinité de Jésus-Christ est de nature à faire au moins respecter la religion à ceux qu’une opiniâtreté invincible retiendrait encore dans l’erreur.
Plusieurs circonstances ont fait soupçonner Eusèbe de favoriser l’erreur d’Arius ; mais nous pensons que là-dessus la prévention a peut-être été trop loin ; car d’abord il suffit de lire ses écrits pour se convaincre que loin d’avoir favorisé l’arianisme, il le condamne expressément en plusieurs endroits.
Et puis, en supposant que certaines opinions d’Eusèbe ne présentent pas le caractère d’une précision rigoureuse, ce ne serait point une raison de l’accuser d’hérésie sur des points dont l’Église n’avait peut-être pas encore fait l’objet de décisions assez spéciales.
Voici l’ordre chronologique des éditions qui ont été faites des ouvrages d’Eusèbe.
Le Livre contre Hiéroclès fut imprimé en grec pour la première fois, par les soins d’Alde, avec les œuvres de Philostrate, à Venise, 1502, in-fol., et 1535, in-8°. Zenobe Acciajolo en fit une traduction latine, imprimée à Venise, 1502, in-fol., à Paris, 1511, in-8°, à Cologne, 1532, in-8°avec la vie d’Apollonius écrite par Philostrate. Cette traduction est fort défectueuse : elle fut néanmoins plusieurs fois réimprimée avec le texte.
La Chronique d’Eusèbe, traduite par saint Jérôme, a été imprimée à Venise en 1483, in-4°. Les éditions en ont été nombreuses depuis ; il serait trop long de les indiquer. Nous observerons seulement que la plus commune et la plus estimée aujourd’hui est celle de Scaliger, surtout la seconde, imprimée à Amsterdam, en 1658, in-fol.
La Préparation Évangélique fut imprimée en grec pour la première fois, chez Robert Etienne, à Paris, 1544., in-fol. Vigier, savant jésuite, en donna une belle édition grecque et latine, avec quelques notes critiques, Paris, 1628, in-fol. George de Trébizonde, qui le premier avait publié cet ouvrage en latin, l’avait estropié et altéré d’une manière si étrange, qu’à peine y pouvait-on reconnaître le véritable Eusèbe. Sa version parut à Venise, en 1470 et 1472, in-fol. Elle a été plusieurs fois réimprimée depuis. Une édition du père Vigier fut encore imprimée à Leipzig (quoique le titre porte à Cologne), en 1688.
La Démonstration Évangélique a été traduite en latin par Bernardin Donat, de Vérone ; sa version fut imprimée premièrement à Venise, en 1498, et le fut souvent depuis dans d’autres villes. On ne doit se servir de cette version qu’avec précaution, et après avoir consulté le grec.
L’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe, traduite en latin par Ruffin, fut imprimée à Rome, en 1476, in-fol. Elle a été plusieurs fois réimprimée depuis. La traduction de Kuffin est estimable, tant en raison de la pureté, de l’élégance et de la netteté du style, que parce que l’Église d’Occident s’en est servie presque jusqu’à nos jours, et que sans elle l’histoire d’Eusèbe y aurait été peu connue. Musculus a donné une nouvelle version latine de cette histoire, qui fut imprimée à Bâle, en 1549,1557,1562 et 1611, in-fol. Sa manière de traduire est concise, claire et littérale ; mais, en s’attachant trop à la lettre, il s’est éloigné en plusieurs endroits du sens de l’auteur. Christophorson, évêque de Chicester, traduisit cette même histoire en latin. Sa version fut imprimée à Louvain et à Cologne, en 1570, in-fol. La version de M. de Valois, publiée à Paris, en 1659, in-fol., est sans contredit la meilleure et la plus exacte de celles que nous ayons. Avant M. de Valois, on n’avait encore donné que deux éditions grecques de l’histoire d’Eusèbe, la première, à Paris, en 1544, in-fol., la seconde, avec la version de Christophorson, à Genève en 1612, in-fol. Elle parut en allemand, à Strasbourg, en 1535. in-fol. ; en hollandais, à Dordrecht, en 1613, même format : en anglais, en 1703 ; en français, à Paris, en 1532, in-fol., et en 1675, in-4°.
De tous les ouvrages d’Eusèbe, celui qui peut le plus particulièrement captiver l’intérêt de la grande majorité des lecteurs savants, c’est son traité de la Préparation Évangélique. Les autres ont des droits particuliers à l’attention des théologiens, des historiens et de ceux qui s’occupent exclusivement de la recherche du sens des divines Écritures. Mais la Préparation Évangélique a ouvert un champ bien plus vaste : tous les trésors de l’antiquité y sont passés en revue ; tous les systèmes de philosophie y sont appréciés avec autant de sagacité que de profondeur. Bien que le but de l’ouvrage soit extrêmement simple, et que, comme nous l’avons observé plus haut, l’auteur n’ait eu en vue que d’exposer les raisons pour lesquelles il avait cru devoir abandonner les doctrines des philosophes de la Grèce pour embrasser celles des Hébreux : cependant, avant d’arriver à ce but, Eusèbe parcourt une immensité de terrains variés ; il répond à tous les arguments les plus spécieux qu’il expose dans toute leur force, et qu’il réfute avec autant de simplicité, de netteté, que de solidité. Jamais il n’use de dissimulation ; c’est presque toujours avec leurs propres armes qu’il combat ses adversaires, c’est-à-dire, ceux des religions révélées, tant hébraïque que chrétienne ; les systèmes les plus séduisants s’évaporent dans son judicieux alambic ; les fausses doctrines réduites à leurs simples termes, dépouillées de la magie du style et des apprêts d’une astucieuse argumentation, sont exposées de manière à faire rougir leurs auteurs de confusion. Ce savant ouvrage, où le génie le dispute au goût et à l’érudition, était bien digne de paraître dans notre langue. Après l’avoir mûrement étudié, après en avoir sondé et résolu les difficultés, nous en avons entrepris la traduction.
Notre version a été faite sur l’édition grecque-latine publiée à Cologne, ou plutôt à Leipzig, en 1688. Cette édition est généralement assez correcte ; les erreurs qu’elle présente ne nous ont pas causé beaucoup d’embarras. Nous avons traduit aussi littéralement que le permettait la différence des langues : nous nous sommes permis seulement de couper certaines phrases qui étaient d’une assommante prolixité, sans toutefois nous écarter jamais ni du sens ni du style de l’auteur. Enfin, tout en donnant à Eusèbe une physionomie française, nous osons nous flatter de n’avoir point altéré la mâle simplicité de ses traits naturels. Nous avons cru devoir sacrifier l’élégance à la simplicité, mais en conservant toujours cette pureté et cette clarté si nécessaires pour faire lire avec intérêt et sans dégoût un ouvrage de pure érudition.
Comme Eusèbe est quelquefois très concis, nous avons cru devoir assez souvent donner plus de développement à ses pensées et à ses systèmes. Dans des notes explicatives, nous avons discuté les questions les plus intéressantes et les plus graves, comme, par exemple, celles qui roulent sur le destin, sur le libre arbitre, sur les causes de la perversité de nos penchants, sur l’origine du mal ; nous avons rapporté sur ces points, et sur d’autres de la même nature, les systèmes des anciens philosophes, que nous avons fait passer au creuset de la métaphysique transcendante, sans toutefois nous perdre dans les nuages de théories trop abstraites et de problèmes insolubles. Nous nous sommes particulièrement attachés aux doctrines des philosophes spiritualistes, sans toutefois rejeter les opinions de ceux qui, quoique moins épurés, nous ont paru avoir jusqu’à un certain point, pris toujours la raison pour guide. Comme cette partie de notre ouvrage n’en est pas la moins intéressante, et que nous nous sommes frayé à cet égard un sentier que personne n’avait encore eu la pensée d’ouvrir, nous avons proportionné la clarté de notre style a la profondeur des matières. Nous laissons au lecteur judicieux le soin d’apprécier notre ouvrage ; s’il n’applaudit pas à notre succès, au moins il nous saura gré de nos efforts.