Il y a quelques décennies, un livre traitant du divorce aurait été jugé superflu dans les milieux protestants évangéliques.
Les cas de divorce étaient rares. Ceux qui le subissaient en faisaient tous les frais. L'Église, souverainement docte en la matière, passait ces rares parias au rouleau compresseur de son indifférence, de son rejet, de sa réprobation, voire même de sa condamnation.
Mais les temps changent et les hommes aussi. Le chrétien reste souvent, et malgré lui, ce qu'Alfred de Musset appelait : « un enfant du siècle », même s'il s'en défend avec une conviction qui ne trompe personne que lui.
Le divorce, qui était extra-muros, est maintenant bel et bien intra-muros. La génération qui le condamnait sans appel voit avec consternation les foyers de ses enfants voler en éclats. Les parents, qui suivent avec anxiété le cheminement spirituel de leurs rejetons, savent maintenant qu'il y a en chaque jeune un divorcé en puissance.
Un pieux président des États-Unis d'Amérique, qui voulait témoigner de l'authenticité de sa foi dans sa vie et dans sa famille, a eu la douleur de voir, au cours de son mandat présidentiel, un de ses enfants divorcer.
Tout porte à croire que le mouvement va s'accentuer.
Les Églises, naguère encore superbement dédaigneuses de la question, se trouvent aujourd'hui dans la situation d'un homme en santé qui se découvre soudain atteint d'un cancer qui lui devient un grave problème sur lequel, bon gré mal gré, il devra se pencher.
Dans la littérature française évangélique, peu de livres ont été écrits sur le sujet.
Le sentiment général est qu'on est plutôt « contre. »
Les rares livres qui en parlent sérieusement sont très spécialisés, d'une lecture par endroits difficile d'accès, faisant appel au grec et décortiquant les textes avec minutie. À ceux qui savent encore lire des pages riches, mais par la force des choses parfois ardues, le Divorce, de John Murray, est un livre (il en est d'autres) qui s'impose. (Édition Impact, Cap-de-la-Madeleine, Québec.)
Plus nombreux sont les ouvrages à classer plutôt dans les chroniques du cœur et qui, à coups de formules lapidaires, par manque de souffle ou par choix, n'abordent le sujet que superficiellement. Les textes cités, mais surtout les contextes et parallèles oubliés, y révèlent de regrettables a priori.
Entre ces deux approches de la question, il y avait de la place pour une troisième qui, sans être cérébrale, garderait le sérieux des premiers et, sans niaiserie, un cœur « gros comme ça » des seconds. Il restait de la place pour un livre qui ne soit ni tout squelette-épouvantail, ni tout mollusque sans consistance.
Pour garder une solide charpente et l'habiller d'un cœur, il fallait un auteur qui, dans sa liberté d'écrivain, respecte les normes de tolérance biblique sans les outrepasser.
On connaît de F. Legrand non seulement l'écriture facile, la touche inattendue, mais aussi l'aptitude à honorer le texte biblique par une large vue d'ensemble. Il fallait une plume qui, comme celle de Jérémie, trempée dans l'encre de la souffrance et écrite avec elle, s'écrie : « Oh ! si ma tête était remplie d'eau, si mes yeux étaient une source de larmes, je pleurerais jour et nuit... » (Jérémie 9.1) C'est en étant mis au rang des brigands que Jésus a sauvé le deuxième larron. C'est parce qu'il a connu le brisement que tant de cœurs brisés ont eu envie de venir à l'Homme de douleur, habitué à la souffrance. Et s'il a, aujourd'hui encore, le pouvoir de sécher tant de larmes, c'est parce que les siennes ont d'abord abondamment coulé.
Cette dimension de souffrance, cette vue « de l'intérieur », a singulièrement manqué à ceux qui ont écrit sur le sujet. La plupart en ont parlé du haut d'un bonheur conjugal et d'une réussite domestique, au nom desquels ils ont légiféré avec les seuls sentiments du Sinaï.
C'est davantage avec des sentiments de grâce inspirés du Calvaire que ce livre nous paraît avoir été écrit. Toutefois, que nul ne s'y trompe, il traite sans mièvrerie ni complaisance des turpitudes cachées et des hypocrisies admises qu'il égratigne au passage, faisant du même coup œuvre de sanctification. Il est en priorité destiné à ceux qui occupent une place de responsabilité dans les Églises, aux conseils d'anciens, aux pasteurs et à tous ceux qui, tôt ou tard, auront à débattre dans leurs familles et dans leurs communautés de ces douloureuses questions.
Un pasteur avec une vision d'évangéliste, rappelant les débuts de son ministère et les tiraillements qui l'agitaient face aux déchirements conjugaux qu'il rencontrait, a écrit : « quand certains évoquaient devant moi leur vie brisée, j'étais souvent sans paroles, quoique rempli du désir de leur venir en aide. Ils avaient besoin de parler et je savais écouter. J'étais remué jusqu'au fond de mon être par les récits de ces gens qui avaient cru à l'amour, mais qui le voyaient bafoué et piétiné dans leur propre vie. Je les invitais à venir dans notre Église, et plusieurs y sont venus. Mais je m'aperçus que j'étais le seul à les accueillir. En fait, ils se retrouvaient plus seuls et plus jugés chez nous que chez eux. Dans mon Église, on applaudissait aux efforts faits en faveur de buveurs qui avaient conduit des foyers à la ruine, des enfants à la misère et engendré des tarés à vie. On y parlait des aumôniers des prisons qui visitent et s'intéressent à ceux dont la condamnation laisse derrière eux plus que des veuves et des orphelins, mais des familles entières sans honneur, sans droits et sans appui.
Mais, pour ceux à qui j'annonçais l'accueil de Jésus, on n'avait à offrir que le désolant spectacle d'une politesse distante et froide à enrhumer un iceberg. Dépassé et impuissant, j'étais vite repris par le courant dominant. J'en ai honte aujourd'hui (ma jeunesse était ma seule excuse), j'ai honte de ces découpes arbitraires qui me dictaient ceux qu'il était de bon ton d'accueillir ou de ne pas accueillir. »
Plusieurs pasteurs nous ont demandé avec instance de publier sans tarder un livre sur le sujet.
Le manuscrit a été soumis à la critique de personnalités évangéliques que nous remercions au passage. Les conseils donnés, selon la sensibilité de chacun, n'allaient pas tous dans le même sens. Selon certains, des sections entières du livre, surtout les biographiques, étaient à supprimer, tandis que d'autres, consultés sur l'opportunité de le faire, ont donné un avis contraire. Certains désiraient plus étendues des explications que d'aucuns souhaitaient plus ramassées. Tiré à hue et à dia, l'auteur a retenu ce qui serait le plus utile au lecteur. Chacun connaît l'adage selon lequel on ne peut plaire à tout le monde et à son père ! En cours de préparation, il a été débattu de la critique très subjective de justification personnelle. Notion bien puérile dont l'auteur n'a que faire et dont il n'a nul besoin, pas plus que Moïse et le prophète Osée n'en avaient eu l'idée en écrivant, à leur avantage et sous l'inspiration du Saint-Esprit, le récit de leurs douloureuses difficultés conjugales.
Les règles d'équité, d'intégrité scripturaire et d'amour du malheureux nous paraissent avoir été respectées. Il serait présomptueux de dire que ce livre épuise le sujet abordé. Il serait aussi utopique d'espérer faire l'unanimité autour des vérités qu'il proclame. Beaucoup d'étudiants de la Bible y trouveront la confirmation et la justification de ce qu'ils croyaient déjà, sans toutefois pouvoir le bien formuler. D'autres, animés d'un esprit intégriste et encore attaché à la lettre qui tue, y trouveront au contraire un langage de silex taillé à la mesure de leur dureté et de leur intransigeance. Dieu veuille qu'une étincelle de clarté jaillie du choc des idées leur fasse découvrir l'Esprit qui vivifie. (2 Corinthiens 3.6)
Mais les matraqués de la route tombés dans les embuscades de la vie, les laissés pour mort ou les laissés-pour-compte par les dignitaires de la religion, tels le lévite et le sacrificateur de la célèbre parabole, les blessés du chemin de l'amour bafoué comprendront ce livre d'instinct. Ils sont là à attendre que quelques nouveaux bons Samaritains aient pitié des « étrangers » qu'ils sont devenus.
Nous souhaitons que la lecture du présent ouvrage suscite semblable disposition à ne plus jamais « passer outre ».
Les éditeurs